bare necessities, simple bare necessities . theodore.

Arriver dans une nouvelle ville, totalement inconnue, qui plus est dans un pays totalement inconnu lui aussi, n’est pas facile. En particulier en ce qui concerne les relations. À New-York, ce n’avait jamais vraiment  été un problème pour moi, j’avais tout un tas de contacts, des pros, des…moins pros. En tout cas, je n’avais jamais éprouvé de difficultés à nouer des liens. C’était même en partie ce qui faisait mon métier d’agent d’auteurs. Je me devais d’être partout, d’entretenir un carnet d’adresses, de me faire voir aux soirées, de paraître sociable – même si, dans ma vie privée je n’étais pas forcément si expansif que je ne le laissais voir dans mon cercle professionnel. Malgré tout, depuis mon arrivé à Bowen, je me sentais un peu seul. Un sentiment qui m’était inconnu, que je trouvais à la fois inconfortable et intriguant. J’avais la sensation d’être un homme neuf, et il y avait quelque chose de grisant à cette idée. J’aimais les contacts humains, tout type de contacts, pour plusieurs semaines ou une nuit, des amitiés, des liens forts, des rapports charnels, intenses, des rapports plus cordiaux. L’humain me fascinait dans sa globalité. Sur le plan émotionnel, je n’avais rien contre une relation sérieuse, mais j’avais aussi envie de passer du bon temps, de m’amuser un peu, ce que je m’autorisais assez rarement avec mon travail. Je passais, en effet, tout mon temps à satisfaire les désirs de mes auteurs plutôt que les miens. Depuis que j’étais sur le sol australien, toutefois, quelque chose avait changé. Pas fondamentalement, entendons-nous bien, néanmoins, je notais une différence. Je logeai encore à l’hôtel, tâtai un peu le terrain chaque soir que je passais dans les bars, histoire de prendre la température de la ville. Ca n’était pas New-York. Rien à voir. Mais ça n’était pas déplaisant nous plus. Au contraire. L’ambiance ici me plaisait. Et j’aimais l’idée d’être en dehors de mes frontières. Personne ici ne me connaissait ; j’avais la sensation d’être un petit garçon, avec des crayons dans les mains et une feuille blanche sur laquelle dessiner. Ce soir, d’ailleurs, je tentais une nouvelle expérience. Je trépignai. En 2019, il existe un moyen simple et efficace de faire des rencontres. Les applications de rencontre. Elles avaient aussi l’avantage de lever les tabous, de mettre les choses au clair dès le départ, de se débarrasser des conventions, des uses habituels, des chichis. Je ne cherchais pas une grande histoire d’amour, mon date non plus, et cela m’allait très bien comme ça. Nous avions échangé quelques mots, un peu coquin d’ailleurs, puis avions convenu d’un rendez-vous. J’avais hâte. C’était une première pour moi et je trouvais ça très excitant. J’étais arrivé un peu en avance et ne tenait presque pas en place sur mon tabouret de bar, ma bière à peine entamée devant moi. J’avais mis une photo plutôt récente sur mon profil, était-ce son cas aussi ? J’avais hâte de le découvrir.

Un sourire étira mes lèvres. Il se trouvait dans mon dos, je n’avais pas encore pu voir de mes propres yeux si son portrait était fidèle à la réalité, mais la voix, déjà, était pleine de promesse. On pouvait comprendre beaucoup de chose en écoutant le timbre d’une personne et j’entendais une grande sensualité dans la manière qu’avait Teddy de poser ses mots. Savourant le frisson que ses paroles avaient éveillé en moi, je me tournai enfin vers lui. Ses yeux bruns m’accrochèrent immédiatement et son sourire était ravageur. Il avait fière allure, respirait l’élégance, cela me plaisait.
— Teddy, répondis-je en braquant mon regard sur le sien, ce soir s’annonce plutôt agréable, tu ne trouves pas ?
Je ne pouvais m’empêcher de le dévorer des yeux. En réalité, cela ne me dérangeait pas qu’il le remarque, bien au contraire.
— Je t’offre un verre ici ?
Lui comme moi savions parfaitement pourquoi nous étions là, et c’était une manière détournée cde lui demander s’il ne préférait pas le room service de ma chambre d’hôtel. Evidemment, un peu de subtilité ne faisait pas de mal, sans compter que c’était un peu excitant.

Plus je le regardai, plus je me disais que sa photo de profil sur cette appli de rencontre de lui rendait clairement pas justice. Il était bien plus attirant en chair et en os, et je n’allais pas m’en plaindre. On voyait souvent l’inverse, la surprise était bien meilleure dans ce sens. Teddy accepta mon offre de boire un verre, et je ne pus m’empêcher de sourire à son allusion. J’étais bien d’accord avec lui.
— Une bière ? suggérai-je, celle que j’ai choisi est vraiment bonne.
Je fis signe au barman de remettre une deuxième pinte, puis me concentrai à nouveau sur Teddy.
— Alors, tu fais ça souvent ? voulus-je savoir, les sites de rencontre, je veux dire.

Teddy n’avait pas vraiment l’air d’un habitué des applications de rencontre, non qu’il existe une tête spéciale pour ça, mais cela se voyait à son attitude. Je pouvais, en effet, deviné qu’il ne faisait pas ça si souvent.
— Je comprends ce que tu veux dire par rapport aux rencontres, disons « à l’ancienne ». Celle qu’on fait dans un bar, ou…dans la rue pourquoi pas. Malgré tout, avec mon métier, j’avoue que c’est assez pratique…et puis ça lève des barrières. On sait clairement ce qu’on recherche quand on va sur ce genre de site.
Je bus une nouvelle gorgée de ma pression sans le quitter du regard.
— Sur ton profil, tu indiquais être en… « union libre », c’est comme ça qu’on dit ?

Je hochai la tête, d’accord avec ce que disais mon date du soir. Les sites de rencontre pouvaient, en effet, être à double tranchant. Mais pas ce soir. Ce soir, j’avais le sentiment d’avoir tiré un lot intéressant. Façon de parler, du moins.
— Je travaille dans l’édition, répondis-je, je m’occupe de dénicher des auteurs, de leur trouver des contrats avec des maisons d’éditions, je négocie pour eux les meilleures conditions. Je fais le boulot que personne ne veut faire, en gros. Et ça me passionne, sans compter que je suis à mon compte du coup. Ce qui me permet d’être là, aujourd’hui et non à New York où j’exerce en temps normal. Et…tu es architecte, c’est ça ?
La conversation dévia sur son mode de vie, notamment au niveau de son couple, qui m’intriguait.
— Non, je n’ai pas de questions particulières, enfin…pas qui me viennent en tête. Quoique, si ! Tu es marié avec une femme ou homme ?
Ca n’avait pas grande importance, j’étais simplement curieux.

— C’est un job que je peux faire à distance effectivement…
C’était plus facile d’être sur place pour négocier des contrats, assister aux soirées pour entretenir son réseau mais ça n’était pas infaisable de le faire de loin. C’était d’ailleurs ce que j’allais expérimenter prochainement. Maintenant que j’avais décidé de m’envoler pour Bowen. Tout était encore très flou dans ma tête et j’étais en plein questionnement.
— Oui, ça m’amène à voyager…mais je ne suis pas à Bowen pour un motif professionnel. Je suis venu retrouver mon petit frère, en fait…et je vais rester un peu je crois.
Je bus une gorgée de ma bière que j’avais d’ailleurs presque terminée.
— Architecte, patron de ta propre boite et marié à une jolie femme qui accepte que tu ailles voir ailleurs, t’as pas la vie facile, on dirait, plaisantai-je en levant une dernière fois mon verre pour le rendre, cul sec, sur le comptoir.  A priori, je lançai à Teddy un appel du pied, signe que j’étais prêt à lui montrer le chemin de mon hôtel quand il le souhaitait. Les cartes étaient dans ses mains.