hey brother (alejandro)

Ça allait pas. Y'a rien à dire, ça n’allait vraiment pas. Un peu après midi, Bella s'était rendue à sa boite aux lettres pour y prendre le courrier. Une toute petite enveloppe blanche non affranchie, sans timbre, s'était glissée parmi les factures et les dépliants publicitaires des restaurants du coin. Curieuse, la brune s'était tout de suite penchée sur le contenue de l'enveloppe cachetée où un simple « isabella » y était écrit. Ça ne pouvait venir que d'un membre de sa famille. Personne dans son entourage n’utilisait son prénom complet, son diminutif, Bella, était devenu sa marque de commerce. Isabella, ça n'avait rien à voir avec elle, c'était tout son opposé, elle ne se reconnaissait même plus quand on l'interpelait de cette manière. Elle se demanda si ses parents lui avaient laissé un message, eux qui étaient déjà frileux à l'idée de laisser leur petite dernière, qui plus est, leur seule fille, voler de ses propres ailes. Ils avaient été réticents, ils s'étaient même d'abord opposés à son départ, jurant que si elle n'était pas en mesure de payer ses propres choses toute seule, la porte de la maison familiale lui serait toujours ouverte. Bella avait acquiescé, plus pour les faire taire qu'autre chose parce que, au fond, rentrer à la maison, maintenant qu'elle en s'était libérée, ça n'avait rien d'appétissant. Une fois la l'indépendance touchée, il était difficile de revenir en arrière. Quand elle ouvrit l'enveloppe et qu'elle aperçut le chèque qui s'y trouvait, Bella su tout de suite qu'il ne s'agissait pas de ses parents. Alejandro, pensa-t-elle sans réfléchir. Il n'y avait aucun doute, il était le seul à qui elle avait parlé d'augmenter ses heures à la boutique pour parvenir à payer ses dépenses. Lui et Elmo, en fait, et bien qu'il avait été le seul à lui rendre visite à l'hôpital et qu'il lui avait offert des pensées pour mieux guérir, sa peluche trônait encore sur le lit de la Costaricaine, il n'aurait jamais déposé un chèque de cette envergure dans la boite aux lettres de son ex-amante. Parce que, de l'argent, à leur âge, ils n'en avaient pas autant. Alejandro était têtu. Il refusait qu'on lui dise non. Et, il s'était obstiné à aider sa soeur, malgré son envie de trouver sa propre indépendance. Agacée, Bella plia le chèque et le fourra dans la poche de son jean. Puis, elle se rendit au Starbucks, lieu de travail de son frère aîné, pour lui redonner la totalité de cet argent. Pas un sou de moins. Au comptoir, elle commanda un passion iced tea limonade pour se rafraichir les esprits. L'employé de la caisse, qui connaissait Bella, ne lui demanda même pas son nom quand elle eut terminé sa commande. « Un passion iced tea limonade pour ta soeur, Al' » lança-t-il sur un ton joueur. Bella, elle, elle n'était pas d'humeur à jouer. Alejandro exécuta la commande et lorsqu'il déposa la boisson froide sur le comptoir, Bella soupira bruyamment. Tu pensais vraiment que j'allais pas deviner que c'était toi ?, demanda-t-elle en déposant le chèque juste à côté du verre de plastique. Vas-y, garde-le, j'en veux pas, je te l'ai déjà dit. Elle attrapa son thé froid et tourna les talons, laissant derrière elle le chèque et son frère en plan.

Comment de temps Bella mettrait à casser la gueule de son frère ? À peine vingt-quatre heures. Dès qu'elle avait eu ce chèque entre les mains, sans même avoir à jeter un oeil à la signature, elle avait su qui blâmer. Elle n'avait pas pu attendre, elle s'était rendue en furie jusqu'au travail de son frère, bouillonnante de colère. Et quand elle s'était présentée à lui, elle n'avait même pas gaspillé sa salive pour le saluer. Elle s'était contentée de balancer le papier sur le comptoir avec violence, alors qu'Alejandro revendiquait l'attitude de sa soeur. Il le savait, pourtant, avec elle c'était tout ou rien. Blanc ou noir. Pas de gris. Pas d'entre-deux. Elle était intense, près de ses émotions, réactives. Et c'était tout à fait elle d'agir ainsi. De lui balancer au visage son aide sous prétexte qu'elle n'en avait pas besoin. Elle ne dénota pas le fait qu'il prenne sa pause, Bella s'en fichait, elle se rua vers la sortie sans même se retourner. Le problème, ce n'était pas qu'il tente de l'aider. Le problème, c'était qu'il allait au-delà sa volonté. Bella avait été claire : si elle ressentait le besoin que son frère lui vienne en aide, peu importe la façon, elle le lui dirait. Mais, pour l'instant, elle voulait voler de ses propres ailes. Vivre la vie en appartement comme tous les étudiants le faisaient, avec les difficultés que ça comportait. Toute sa vie, elle s'était fait montrer le chemin à suivre, elle n'avait eu le contrôle de sa vie que par le biais de son trouble alimentaire qui l'avait, ironiquement, posé entre la vie et la mort. À présent, elle cherchait à tourner la page, à s'accorder un nouveau départ, à retrouver le contrôle de sa propre vie. Mais, ça, Alejandro ne le voyait pas. Il ne le comprenait pas non plus. Il avait toujours été contre les idées de la famille Garcia, toujours le premier à s'y opposer. Et, parce qu'il était un garçon, ça avait toujours mieux passé. Mais pas pour Bella, la seule fille d'une famille de garçons, la plus fragile, la plus frêle, celle que l'on devait sauver. Et, à la longue, ça commençait à être lourd. J'dis pas bonjour quand je suis en colère !, cracha-t-elle en piétinant jusqu'à la sortie alors que son frère s'indignait. Alejandro rattrapa la brune, une main sur l'épaule de sa soeur pour ralentir sa course. Et quand elle se retourna vers lui, c'est un regard enflammé qu'elle lui lança. Alors considère que je t'ai rembourser. Ses yeux visèrent le ciel, dépeignant son agacement. Faisait-il exprès de ne pas comprendre le point de vue de sa soeur ? Si tu croyais en moi, si tu pensais vraiment que je suis capable de me débrouiller par moi-même, tu m'aurais laissé le bénéfice du doute Alejandro., souffla-t-elle, Je t'ai dit que je te ferais signe si j'avais besoin d'aide. T'es allé contre ma volonté, précisa-t-elle, lui rappelant leur dernière conversation. Bella soupira bruyamment avant de poser un regard pus doux sur Alejandro. Je sais que c'est pour bien faire, Al', mais j'ai pas besoin d'aide. J'ai pas envie d'être aidé. Pour une fois dans sa vie, elle n'avait pas envie d'être la princesse sauvée par son prince charmant.

Le problème avec les Garcia, c'était qu'ils étaient tous têtus. Ça n'était pas de leur faute, vraiment, le sang hispanophone avait ce genre de résultat. Chacun des quatre enfants Garcia avait un fort caractère, à sa manière. Alejandro et Bella n'échappaient pas à la règle. Mais quand il était question de Bella, c'était différent. Bella, c'est la seule fille. La princesse. Il fallait la protéger, il fallait la surveiller, il fallait s'assurer qu'elle ne manque de rien. Enfant comme adulte. Dès le début de sa vie, sa place dans la famille avait été prédéterminée. La dernière, la seule fille, on pouvait s'imaginer le rôle que ses frères et ses parents auraient envers elle. Mais, Bella, elle était plus spéciale que ça. Sa condition physique, ses opérations pulmonaires et ses difficultés respiratoires l'avaient mise dans une boule de verre, toujours à l'abri du danger. Maintenant qu'elle était adulte et que ces problèmes ne résultaient plus qu'en asthme, elle aurait osé espérer que la pression redescende un peu, qu'on ne la voit pas encore comme une jeune fille fragile. Peut-être l'était-elle un peu, au fond, il fallait dire qu'elle venait tout juste de se sortir d'un séjour à l'hôpital, directement de l'aile psychiatrique. Au final, était-elle réellement en mesure de prendre soin d'elle ? C'est de cette pression, de ces doutes et de cette sensation qu'elle n'y arriverait jamais toute seule qu'elle avait voulu s'enfuir de chez ses parents, de voler de ses propres ailes et de ne blâmer qu'elle pour ses mauvais choix ou ses erreurs. Parce qu'avant, c'était facile de mettre la faute sur le dos de sa famille oppressante. Toute seule, il n'y aurait qu'elle à blâmer. Et, au fond, c'était peut-être ce qu'elle cherchait, la brune, à ne blâmer que son être pour les conneries qu'elle avait faites et qu'elle ferait encore très certainement. Elle était encore jeune, la belle Costaricaine, et bien trop immature, bien trop à fleur de ses sentiments pour ne pas agir déraisonnablement. Il n'y avait qu'à prendre en exemple toute son histoire avec Elmo pour preuve de son infantilisme. Sa réaction envers Alejandro en était aussi un exemple. Elle était vive, bien trop réactive. C'était ça, aussi, Bella. À l’extérieur du starbucks café, les couteaux volaient bas. C'est pas que je n'ai pas besoin de toi, Alejandro !, s'enflamma la brune en perdant patience. Quand vas-tu comprendre que ça n'a rien à voir ! Évidemment que j'ai toujours besoin de toi. Mais pas de cette façon. Pas en tant que banque ambulante. J'ai besoin de sentir que tu m'aimes, que tu seras toujours là pour me défendre ou pour me consoler. De savoir que tu seras toujours là pour me donner des conseils. Pas pour me sortir un chèque de ta poche et me rendre la vie facile, ajouta-elle en dénotant les propres paroles de son frère. J'ai pas besoin d'une vie facile. J'veux travailler comme tout le monde, j'veux faire mes choses par moi-même. Si j'ai dit non pour le voyage, c'est pas parce que je n'ai pas les moyens de payer mon loyer. C'est surtout parce que je prends des décisions d'adulte et que je gère mon budget sans faire de folies. C'est mature, non ? Ça ne te prouve pas que j'ai la situation en main ? Alejandro sembla comprendre et, rapidement, il demanda pardon à sa soeur. Elle hocha la tête en guise d'acceptation, mais soupira rapidement quand il mentionna qu'il ne faisait pas les choses à moitié et qu'elle le connaissait pour ça. Évidemment, elle le connaissait pour ça. Mais, parfois, elle avait l'impression de ne pas le connaitre, son frère. Et elle le lui dit, franchement, affichant une déception sur son visage d'un : Parfois, j'ai l'impression de ne pas te connaitre, tu sais, bien directe.

Elle le savait bien, Bella, que ces quelques mots auraient l'effet d'un baume sur le coeur inquiet de son frère. C'était un peu pour cela qu'elle avait choisi de les dire à ce moment précis. Elle le pensait, il ne fallait pas s'y méprendre, mais ils étaient aussi son allié en guise de réparation. Bella ne pouvait pas être éternellement fâchée contre son frère. C'était physiquement impossible. Et cette phase, elle leur servait de trêve à une guerre qui, au fond, n'avait pas lieu d'être. Tout ce dont ils avaient besoin, c'était de communiquer, de parler de leurs sentiments. Sans quoi, il était impossible l'un pour l'autre de comprendre ce qui était acceptable ou non. Alejandro était protecteur, Bella était indépendante. Ensemble, ils allaient devoir trouver une façon d'harmoniser ces deux traits qui, d'ordinaire, ne vont pas ensemble. Parce qu'elle ne pourrait se passer de lui. Et elle ne voulait pas imaginer sa vie sans son frère. Je l'espère bien, bougonna-t-elle quand il décréta qu'elle était la femme de sa vie. Alejandro était gay, ce n'était pas un secret pour personne, ni même pour leurs parents qui n'acceptaient pas toujours l'orientation de leur fils, il était plus du genre à avoir des hommes dans sa vie, un en particulier, en couple maintenant depuis un moment avec Aedan. Qu'il la décrète de la femme de sa vie, sans même que ce soit elle qui amène le sujet à la blague, la fit sourire alors qu'il enchainait la suite de son monologue avouant qu'il était difficile de la voir voler de ses propres ailes, de prendre ses propres décisions et de faire des choix pour son avenir à elle, sans nécessairement lui demander conseil à tout bout de champ. T'es pas envahissant, finit-elle par dire en secouant la tête, mais quand il nota qu'elle le connaissait, Bella en profita pour sortir son chat du sac. Parfois, elle avait l'impression qu'il lui cachait des choses et pas que des détails insignifiants qu'il tentait de couvrir en incluant Bella dans ce genre de manie, à ne pas connaitre sa vie en détail. Elle haussa les épaules. Justement, c'est tout le contraire. Tu connais ma vie, toi. Parfois, j'ai l'impression que tu me caches des choses, décréta-t-elle en plongeant son regard dans les yeux de son frère. Cet argent qu'il avait tenté de lui donner, c'était louche. Comment avait-il pu le lui offrir avec un job de barista ? Puis, elle soupira. Comment va Aedan ? Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vu.

Elle ne pouvait dire ce qui lui donnait cette impression, seulement, parfois, Bella sentait son frère évasif. Ils avaient toujours été proches, dès la naissance de la seule fille de la famille. Alejandro connaissait la majeure partie de la vie de sa soeur, excepté ses folies avec les hommes, le genre de chose qu'un frère ne tenait pas nécessairement à se faire raconter. Outre ses parties de jambes en l'air, il connaissait chaque parcelle de son existence, de son film préféré à la couleur de sa robe favorite. Et bien qu'elle puisse dire connaître une majorité de choses sur son grand frère, Bella, pourtant, ne pouvait pas affirmer avec certitude le connaître par coeur. Il lui restait des trous noirs, des espaces vides qu'il refusait de combler. Comme ses économies, par exemple. Bella s'était toujours demandé comment il pouvait vivre avec autant d'argent, lui qui se proposait toujours pour payer leurs repas ou leurs sorties, lui qui faisait des cadeaux exorbitants à sa frangine et ce pas qu'à son anniversaire. Les pourboires étaient bons, c'était d'ailleurs l'une des excuses qu'il lui baratinait quand elle posait la question, mais Bella doutait qu'ils soient généreux à ce point. Alors, c'est ennuyant de me côtoyer ?, demanda-t-elle pour ajouter un peu de simplicité à leur échange. Son impression, elle ne disparaîtrait jamais, à moins de découvrir la vérité et Alejandro n'était pas prêt à la lui livrer. Rien ne servait donc d'insister. Elle parla plutôt d'Aedan, sujet qui était encore et toujours nébuleux. Récemment, elle ne l'avait pas beaucoup vu. Et voilà que son frère se disait vivre une vie de célibataire. Bella fronça les sourcils. Et, bah, une chance que je ne suis pas ta petite amie. J'aimerais pas trop savoir que mon copain se croit célibataire dans les moments plus occupés, pointa-t-elle. Alejandro passa un bras autour des épaules de la brune, dans un gloussement qui exprime sa plaisanterie. Bella adoucit son regard, même s'il la taquine, la catégorisant de furie. J'espère bien que tu me laisses payer ! grogna-t-elle alors qu'elle venait de lui piquer une crise pour sin indépendance. Mais je ne prendrai pas un second truc à boire, si ça ne te dérange pas, je vais terminer mon passion iced tea lemonade. Je peux prendre une... Elle réfléchit à ce qu'il y avait de moins calorique au menu. Un sandwich, ça te va, t'auras pas de soucis avec ton patron si je reste un peu ? Il mentionna la sortie d'hôpital et elle ne fit qu'hocher la tête, soudainement anxieuse, mais elle se laisse tout de même guider dans l'établissement. Tu sais, je vais bien, commença-t-elle. C'était vrai. Sa santé allait mieux, même si elle contrôlait toujours le nombre de calories ingérées. Son coeur, lui, par contre, il était en miette.

Alejandro se rattrapa, expliquant ce qu'il voulait dire par une vie terriblement ennuyante. Bella le regardait baragouiner des explications, les mains sur ses hanches, une moue douteuse en hochant la tête. M'ouais, c'est ça, dit-elle sur un ton perplexe. Bien rattrapé. Mais elle se permettait quand même de douter un peu, sans le lui avouer. Sa vie ne semblait pas si ennuyante que ça, quand sa soeur la voyait au travers de l'écran de son téléphone, sur son compte instagram ou facebook. Il compléta son affirmation par une pensée en suspens qui arracha un sourire triste et désolée à la brune, juste avant de daigner répondre. En effet, il faudra se faire une sortie. Mais il voudra payer. Bella reprit son petit air offusqué, petit chihuahua qui jappait fort, mais qui ne mordait jamais quand il était question de son frangin. Et je suis capable de payer pour mes propres choses, hein, Al ? Et s'il avait compris la nature de leur dispute d'aujourd'hui, il comprendrait qu'à cette question, il devait répondre oui. Depuis sa sortie d'hôpital, Bella ne s'était pas réellement retrouvé en public. La peur que l'on la juge pour ses choix et ses actions, personnels et amoureux, l'envahissait. La Bella battante, fonceuse, lionne, elle avait été emportée avec son trouble alimentaire, dès qu'elle s'était retrouvée dans le bureau de la psy. On ira faire du shopping, conclut-elle en descendant de ses grands chevaux. J'ai acheté des billets pour un festival de musique, faut que je me trouve une tenue. Et dans tenue, on entendait deux ou trois morceaux de tissus pour cacher sa peau, rien de plus, le reste pouvait être à découvert. C'était même mieux. Le calme semblait s'être installé entre eux. Pourtant, les réactions vives de la brune reprirent dès qu'il blagua sur son célibat momentané. J'te vois jamais faire la larve, s'empressa-t-elle d'ajouter en sourcillant. Puis, t'es toujours beau gosse, ajouta-t-elle en le soutenant du regard. Et la beauté, c'était de famille. Tous les Garcia en avaient hérité. En tout cas, c'est mieux de n'être que ça. Je l'aime bien, Aedan, moi. T'avise pas de lui briser le coeur, Don Juan ! Le grand frère, c'était lui. Pourtant, Bella, parfois, sentait le besoin d'agir comme l'aîné de la famille. Surtout quand il était question de ses amourettes. Avant Aedan, elle avait du mal à se souvenir d'une de ses relations sérieuses. Tout était un peu flou, quand il s'agissait de son frère et de son coeur. Il avait toujours été du genre flirteur, dragueur, même en couple. Cette attitude avait aussi déteint sur la cadette de la famille. Bella était souvent en mode drague, charmeuse, ce qui ne plaisait pas à son frère. Mais c'était difficile de parler, quand lui-même agissait de cette façon. Il l'invita à entrer, Bella se demanda s'il allait être sous les griffes de son patron si elle restait. Quand elle sut assurer qu'il n'y avait pas de problèmes, elle accepta de rester un moment. En s'installa à une table, Alejandro lui demanda donc comment elle allait, depuis sa sortie d'hôpital. Comment allait-elle ? Physiquement, pas si mal. Mentalement... Était-il possible de passer à une prochaine question ? Il ne la crut pas quand elle dit aller bien, Belle se vexa à nouveau, volcan en éruption, prête à exploser. Si je te dis que ça va, ça va, décréta-t-elle avec fermeté dans la voix. C'est compliqué, fut pourtant la seule réponse qu'elle lui donna quand il se montra curieux face à Milo et Elmo. Elle attendit qu'il revînt avec son sandwich pour finalement vider son sac. Tu veux savoir quoi, Al ?, soupira la Costaricaine en regardant le sandwich qui ne lui faisait plus appétit. Milo m'en veut parce que j'ai couché avec son meilleur pote. Elmo ne veut pas de moi. Je sais pas quoi en dire de plus. Elle picorait dans on assiette, juste pour dire qu'elle mangeait un peu et donner l'impression qu'Al faisait son travail en s'occupant de sa table. T'façon, selon cet article, moi j'suis qu'une pauvre traînée.

Bella imagina son frère sur des patins à roulettes, un sourire s'esquissa sur son visage rond, un rire qu'elle étouffa, à la fois, visualisant bien la scène où son aîné serait très certainement maladroit, entrainant dans sa chute la brune. Cette idée lui plaisait bien. Puis il évoqua le bowling, nouveau sourire qui tapissa les lèvres de la Costaricaine alors qu'il insinuait qu'elle pourrait le blesser, volontaire ou pas, tout dépendait de comment on voyait les choses. Et cette idée, elle était bien évidemment fausse, Bella serait incapable de faire du mal à son frère, du moins volontairement. Ça te ferait peut-être une leçon, lança-t-elle, le regard joueur, alors qu'elle entrait dans son jeu avant de lui proposer l'idée ultime : une partie de shopping, activité qui ne semblait pas égayer Alejandro. Ils n'étaient jamais sur la même longueur d'onde, tous les deux, en matière de vêtements. Bella suivait les modes, habillant ses courbes au gré des tendances qui, ces derniers temps, semblaient comporter peu de tissu et beaucoup de jambes dénudées. Alejandro fulminait quand il la voyait ainsi, lui passait des commentaires et des regards noirs. À en croire son frère, la brune ne devrait porter que des cols roulés et des pantalons longs, éviter de se montrer désireuse auprès des hommes. Et éviter de draguer, aussi. Éviter de sortir avec quelqu'un, de faire l'amour. Tout ça, c'était proscrit pour la petite Bella, selon le maître de sa vie. Alejandro qui prenait un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. Oh, allez, Al' !, bougonna-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. J'sais à quoi tu penses. J'ai vingt-et-un ans, ça va, j'suis plus un bébé. Et j'ai des envies... pensait-elle. Des envies qui comportaient un certain italien, qui plus est. C'est toi le beau gosse, répliqua la brune alors que son frère reprenait son compliment. Elle souriait timidement, impossible de se trouver moindrement jolie après son séjour à l'hôpital et ses kilos qu'elle pensait avoir en trop. J'espère bien que tu l'aimes, Juliann, râla la brune à nouveau en roulant les yeux au ciel. Bella suivit son frère à l'intérieur, répondant poliment à ses questions. Comment allait-elle ? Mal. Mais ce n'était pas une réponse suffisante pour Alejandro. Et il faudrait justifier. Et Bella, elle en avait marre de justifier. Ce qu'elle voulait, c'était tout oublier. Oublier l'hôpital, oublier son coeur qui souffrait. C'est pas vrai, ça, d'abord ! Tout le monde le lit ce putain de blog à rumeurs. Et pleins de gens ont commenté, justement. Elle secoua la tête en soupirant. J'veux pas d'un autre, Al. C'est lui que je veux. Maintenant. Mais j'peux pas. Plutôt mourir seule alors. Impatiente, Bella. Immature, Bella, à vouloir l'impossible. Il plaisanta sur le mec qui lui faudrait et les yeux de sa soeur s'assombrirent, prirent un sérieux qui ne lui était pas habituel. T'auras pas besoin de l'accepter, y'en aura pas d'autres. J'ai vu personne depuis Elmo. Et je compte bien continuer sur cette lancée. Si Elmo, lui, comblait son manque dans les relations éphémères, Bella, elle, se résignait à la solitude.

Elle n'était plus un bébé. Était-ce réellement ça le problème ? Ou était-ce la surprotection qu'Alejandro accordait à sa soeur, et ce même depuis qu'elle était un bébé, justement. Bella comprenait d'où ces craintes venaient, qu'elles soient celles de ses parents ou bien même celles de son grand-frère. Elle avait frôlé la mort, elle avait subi une grande opération à un si jeune âge qui a laissé, sur son abdomen, une cicatrice marquée à vie. Avec les années, elle était devenue plus petite, plus pâle, beaucoup moins apparente, mais la protection de l'aîné de la famille, elle, n'a cessé d'augmenter avec les années. Sa vingt-et-unième année bien entamée, elle n'avait plus rien de la petite fille fragile qu'elle avait toujours été. Et Alejandro devrait l'accepter. Elle était devenue une jeune femme avec des ambitions, des rêves, des envies, des passions, des opinions, des valeurs, des besoins, des responsabilités et bien d'autres choses. Quand il plaisanta sur son âge, la brune roula les yeux une nouvelle fois. Il la taquinait, elle le savait bien, mais il s'agissait de toute l'issue de leur dispute d'aujourd'hui, l'argent qu'il avait glissé dans sa boite aux lettres en étant le déclencheur, son manque de confiance la source principale. Faudra t'y habituer, mon vieux, je ne rajeunirai pas à mon prochain anniversaire. C'était bien le contraire même, cette année la brune soufflera sa vingt-deuxième bougie et sa première année en appartement. Elle suivit son frère à l'intérieur où les choses se compliquèrent. Il lui demanda le fin mot sur son moral, depuis sa sortie d'hôpital, discussion que la brune voulut éviter. Elle n'allait pas bien, c'était la vérité, elle comptait encore toutes ses calories, mais, cette fois, elle faisait attention de ne pas se rendre aussi faible qu'elle avait pu l'être la dernière fois. Mais ça, elle ne pouvait pas en parler avec son frère, Bella, sous peine qu'il le lui remette sous le nez son immaturité pour cause de son si jeune âge. Alors ils enchainèrent sur le sujet Elmo. Et tant qu'à parler de lui, Bella aurait peut-être préféré parler de sa santé mentale, plutôt. Les garçons, c'était un sujet encore plus explosif entre eux que la surprotection de son frère. M'en fiche des autres, lâcha-t-elle en souriant en coin, répondant à la blague de son frère pour apaiser les tensions. J'pense plutôt à devenir lesbienne... Au moins, les femmes, je sais comment elles fonctionnent ! Cette fois, ce fut un réel rire qu'elle laissa s'échapper. Tes talents d'entremetteurs ne serviraient à rien, Al', continua-t-elle. J'suis intouchable pour Elmo. Plus maintenant qu'on est dans notre état normal. Parce que la seule nuit de leur échappatoire, ils avaient beaucoup trop consommé pour être raisonnables. C'est le meilleur ami de Milo, Al', Milo, son ex, et il a encore des sentiments envers moi... Elle soupira, l'émotion qui l'envahissait. Dans le café, quelques clients commençaient à faire la file. Je vais rentrer, on en reparlera. Elle sourit avant de se lever pour poser un gros baiser sur les lèvres de son frère. À bientôt.

FIN