in the still of the night (emrys)

Le Soleil s'était évanoui dans le paysage, laissant les étoiles danser autour de la Lune maîtresse du ciel. L'enseigne du bar éclairait la ruelle de ses néons et les gens affluaient dans cet environnement que la jeune femme voulait échapper. Des longues minutes qu'elle était affalée contre à mur à écouter les mots d'un homme qui ne savait s'arrêter. Un simple client à la base et à ses yeux, il n'était rien de plus. Sûrement qu'elle s'était montrée trop sage et qu'il l'avait prise pour une oreille sûre, sûrement même qu'elle était trop innocente pour penser qu'il n'avait besoin que d'une écoute et rien de plus, que tout ça n'irait pas plus loin que des simples mots. Grace était aphone depuis, son regard perdu dans les âmes qui se bousculaient à l'entrée du bar, cherchant le meilleur moment pour s'échapper des griffes de cet homme dont le parfum commençait à s'allier à l'odeur d'alcool, elle ne comptait plus le nombre de verres qui avait défilé dans ses mains depuis le début de leur conversation. La châtaine ne réagissait que trop tard, lorsqu'elle sentait la pression d'une main autour de sa taille et que ses pupilles revenaient se poser sur son interlocuteur, bien trop proche d'elle. Il ne fallut que quelques secondes pour qu'elle utilise ce qu'elle avait appris dans des cours de self-defense – pour une fois qu'ils servaient à quelque chose, ces cours – mais les souvenirs de sa première agression sortaient déjà des archives de sa mémoire, faisant remonter des larmes jusqu'aux bords de ses yeux. D'un pas soutenu, la fleuriste s'éloignait pour ne pas attirer les regards, mais les insultes criées par l'homme frustré n'empêchait pas les regards curieux de l'atteindre. Grace sentait sa présence étouffante derrière elle, il faut dire qu'elle ne pouvait l'ignorer parce que les mots qu'ils faisaient claquer dans les airs s'approchaient de plus en plus d'elle. Ce ne fût que dans une ruelle silencieuse qu'elle accélérait son pas, sans vraiment avoir de but. Elle savait son nouveau quartier réputé pour ne pas être le meilleur et elle savait aussi que cet homme pouvait avoir des connaissances dans le coin, alors elle s’enfuyait, laissant sa course guider ses pas jusqu’à la porte d’un appartement qui lui était familier. Il était plus proche et elle n’avait plus le souffle d’aller plus loin. Ses poings s’heurtaient contre la porte, jusqu’à ce qu’elle entende les cliquetis de la serrure s’enclencher. « Emrys. Un sourire maladroit au visage, ses pupilles venaient croiser les siennes. Alors qu’elle entendait dans le bas de l’immeuble, l’homme hurler à nouveau. Est-ce que je peux entrer quelques minutes … s’il te plaît ? » Sa panique se mélangeait à de la honte lorsqu’elle se rendait compte du pourquoi elle venait l’ennuyer à cette heure-ci.

La brise passant au travers de la fenêtre ouverte, faisant bouger lentement les rideaux, une mélodie de jazz très légère flottant dans l’air, une tisane fumant encore à côté d’une théière presque vide. Emrys profitait que son fils soit allé se coucher pour passer la soirée avec lui-même et un livre. Son appartement en est rempli. On pourrait penser qu’il les garde pour se donner un genre, le genre qui lit beaucoup. En vérité il passe la plupart de ses soirées le nez dans un bouquin, une tasse à côté de lui et une petite musique en fond pour accompagner le tout. Il se retrouve dans un autre temps, avec des gens qui n’existent pas, à vivre de grandes aventures ou au contraire une réflexion sur lui-même. Il donne ou revend régulièrement des livres, ceux qu’il a le moins appréciés, pour offrir de la place aux nouveaux. En général il commence par lire un livre historique, plutôt pour son travail comme professeur à l’université, même si ça reste un plaisir. Puis il prend ensuite un roman, quelque chose d’un peu plus légers que la guerre, les villes détruites et les personnes ravagés, enfin quoique. Assis dans son fauteuil qui a pris son empreinte avec le temps, il dévore les pages les unes à la suite des autres, n’étant pas près d’aller se coucher. Il ne dort pas beaucoup, il n’arrive pas bien à dormir de toute façon. En général il passe une partie de la nuit à lire, jusqu’à ce que ses yeux ne se ferment et qu’il décide d’aller dormir. Mais un bruit le sorti de ses pages. Quelqu’un venait de frapper à la porte. Enfin pas vraiment frappé, on venait plutôt de s’écraser violemment contre sa porte. Il regarda par le judas. Grace et elle n’avait pas l’air bien. Il ne pouvait pas la laisser dehors. Il tourna la clef dans la serrure et ouvrit la porte. Elle avait l’air désespérée et perdue. Il entendit un homme, au loin, dans la cage d’escalier crier, sans doute pour elle. Elle lui demanda si elle pouvait rentrer. « Vas-y. » dit-il en se décalant avant de refermer la porte derrière elle. Emrys ne savait pas ce qu’il s’était passée mais la jeune femme semblait un peu perdue, mal à l’aise. « Grace...que se passe-t-il ? » Et pourquoi était-elle venue chez lui ? Cette question aussi était dans sa tête mais il la retint. Elle avait vécu chez lui pendant quelques mois, quand il était parti et quelques semaines après qu’il soit revenu. Si elle s’est perdue, elle a peut-être pensé qu’à cette adresse pour se retrouver.

Était-ce la honte ou la course qui avait rougi ses joues ? Elle n'en savait rien. Son souffle s'était perdu dans les airs et elle n'avait pu le rattraper. Face à Emrys, elle perdait ses mots, ne sachant presque plus pourquoi elle était venue jusqu'à sa porte. Les hurlements venaient la raisonner et son angoisse s'évaporait la seconde suivante, lorsque derrière elle, son sauveur verrouillait la porte. Si l'expression qu'elle voulait renvoyer était d'une personne qui n'avait pas eu peur, son regard vitreux la trahissait quand son angoisse retomba. « Merci. Soufflait-elle de sa voix presque tremblante. J'espère que je n'ai pas réveillé Marvin. » L'enfant ne lui était venu que maintenant en tête. Elle avait peur que l'homme revienne dans cet appartement et qu'il trouve l'adresse où elle s'était cachée pour venir y faire du mal soit à Emrys ou son fils. Ses pensées allaient sûrement trop loin, mais c'était dans son caractère, de s'inquiéter de trop pour tout. Peut-être que ce dont elle avait le plus peur, c'est qu'il avoue tout à son ancien colocataire le pourquoi ils s'étaient rencontrés. Elle n'osait même pas imaginé sa réaction s'il apprenait qu'elle dealait et qu'il s'imagine qu'elle ait rapporté de sa ‘marchandise' à l'appartement, alors qu'il n'en était rien. « Rien. Elle venait chez-lui pour rien. Ce n'était pas crédible. Et pourtant, elle aimerait tellement qu'il se contente de ces mots. Enfin … Je ne pensais pas juste qu'un homme à qui on refuserait les avances se mettrait dans cet état. » Dans un sens, la vérité n'était pas loin. Elle s’était libérée de ses mains baladeuses et il n’avait pas apprécié. Un rire nerveux s’échappait alors qu’elle froissait un peu plus ses manches. « Il n’aurait peut-être pas tenu deux minutes de course en plus mais …  Elle n’avait aucune excuse pour sa présence.  Je ne sais pas … Je ne voulais pas qu’il me rattrape et tu étais la personne la plus proche. » Peut-être aussi qu’elle s’y sentait en sécurité dans cet appartement. Parce qu’il avait été le dernier qu’elle avait habité avant de se retrouver dans le sien avec où tous ses soucis semblaient se répéter. « Je n'aurais pas dû venir te déranger, je suis désolée. »

Emrys plissa les yeux pour déceler chez la jeune femme des indices de la raison pour laquelle un homme la poursuivait en vociférant. Il a bien une idée mais il n’a pas envie de faire des conclusions hâtives. Il sait pour avoir plusieurs sauvé des femmes de griffes d’hommes un peu trop entreprenant, qu’il peut être dangereux de sortir seule le soir. Il trouve cela bien déplorable mais sait qu’il est assez impuissant face à ça. Il n’a jamais eu ce comportement envers une femme, même lorsqu’il avait trop bu. Dans tous les cas il n’est pas le genre d’homme vraiment intéressé par le sexe, il peine déjà à penser qu’il pourrait un jour être avec quelqu’un d’autre que Liz, alors sortir de son abstinence lui paraît à des années lumières. Grace le remercia avant de demander si elle n’a pas réveillée Marvin. Il la rassura rapidement. « Les enfants dorment plutôt bien à cet âge. » Il faut dire qu’il a connu pire comme bruit, notamment un père rentrant fortement alcoolisé chaque soir et mettant cinq minutes à ouvrir la porte avant de s’effondrer sur le canapé. Mais il est vrai qu’en dehors de ça, l’appartement est toujours resté calme, Emrys ne faisant jamais de soirées, à part peut-être un dîner avec des amis parfois, mais rien de bien bruyant ou extravagant. La demoiselle ne voulut pas immédiatement lui dire la raison de sa venue avant de confirmer les pensées du professeur. Il avait vu juste et il secoua la tête, tel un homme ne comprenant pas le monde dans lequel il vit. Parfois il se dit qu’avant la vie était peut-être mieux et au final il se dit que les femmes étaient tout autant jugé, seulement elle se rebellait moins et tout ça était considéré comme normal. Elle finit par s’excuser de venir le déranger. « Ne t’en fais pas, je comprends. Je ne dormais pas donc tu m’as seulement dérangé dans ma lecture, rien de bien grave. » dit-il en la rassurant. Il ne pouvait quand même pas la mettre dehors pour son confort personnel alors qu’elle risquait de se faire agresser en redescendant. Il aime sa quiétude et sa solitude mais il n’est pas sans cœur pour autant. « Tu veux un peu de tisane ? » proposa-t-il, ne sachant pas trop quoi lui proposer d’autre.

Fermer les yeux sur le danger qu'elle pouvait subir en continuant son activité était facile. Dans sa perpétuelle remise en doute, elle trouvait des raisons aux gens de pouvoir agir comme ils le faisaient à son égard. Grace devenait l'avocate de ses agresseurs. Peut-être que ça venait de ses vêtements, de ses gestes. Certains codes sociaux échappaient à son esprit, lui faisant parfois regretter une époque où la solitude et le calme régnaient dans son quotidien. Après avoir accomplie ses tâches, après avoir vendues ses louanges aux fidèles ou ceux qui avaient besoin d'être guidée, elle s'isolait pour puiser dans sa foi, prier pour les autres. Ses activités avaient empêché à Grace de s'attirer des ennuis. D'une sainte ermite, elle fréquentait à présent les endroits aux mauvaises réputations, où les gens s'agglutinaient pour accomplir toutes les sortes de péchés. Ce soir, en s'échappant de ces ruelles, prendre l'appartement d'Emrys comme abri était la seule solution qui s'était offerte à elle. Elle ignorait si c'était l'endroit ou la personne qui l'enveloppait dans un sentiment de sécurité, mais la porte refermée derrière elle faisait s'enfuir un sentiment désagréable de son âme. À sa réponse, la fleuriste lui offrait un sourire écorché par l'angoisse et la tristesse. Il y avait longtemps qu'elle avait abandonnée l'idée d'être mère. Son unique échec avait été suffisant pour réduire son cœur en cendre. Dix ans qu'elle idéalisait un homme, qu'elle ne voyait sa vie qu'à ses côtés, oubliant les autres, mais celui-ci s'était échappé et il lui était impossible de remettre sa main dessus. Ses yeux se dispersaient dans la pièce, traversant les nombreux ouvrages qui décoraient les murs. Elle devait s'en douter, qu'avec toutes ces pages, l'homme qui se trouvait derrière ne devait pas avoir une vie remplie et si ce n'était pas la réponse correcte, ne devait que dormir que peu. Emrys se trouvait dans la deuxième option. « … S’il te plaît, oui. » Grace n’avait jamais eu pour projet de l’embêter longtemps. Quelques minutes, le temps que l’autre homme se perde dans ses pensées et elle se voyait déjà dehors. « Tu offres un plutôt bon accueil pour les femmes en détresse. Je devrais me diriger par-ici plus souvent. Lançait dans un rire, pas réellement convaincue de ce qu’elle venait de dire. Enfin … ‘Plus souvent’ … Ce n’est pas comme si ça m’arrivait tous les jours. Ça m’est même jamais arrivé avant ce soir. » Tais-toi. La châtaine inspirait doucement, essayant d’oublier le malaise qu’elle installait dans ses tentatives de discussions qui étaient voués à l’échec avant même qu’elle n’en prononce les mots. « Tu lis quoi, en ce moment ? Je n’ai jamais osé toucher tes livres, de peur de les abîmer ... » Conversation plus simple qui n’avait que peu de chances d’amener sa perte et d’éveiller les soupçons sans pour autant la désintéresser. Dans ce logement, elle n'avait été qu'une présence invisible et discrète, ne dérangeant rien, s'effaçant le plus possible par peur d'être de trop.

Emrys tenta de se montrer serviable et courtois avec la blonde bien qu’il ne sache pas vraiment aider les demoiselles en détresse. Cela ne lui arrive pas souvent, voir même jamais. Même s’il a des amies, il est are que ça soit elle qui ait besoin de lui, en plus de ça il ne se montre pas toujours très disponible. Il n’est pas le meilleur ami que l’on puisse espérer. Souvent distant et donneur de leçon, ce n’est pas la meilleure épaule sur laquelle s’épancher de ses malheurs. Il n’arrête pas de se dire quand cela arrive qu’au moins ces personnes n’ont pas perdues l’amour de leur vie bien qu’il est tout à fait possible que d’autres choses bien malheureuses leur soient arrivées. Grace accepta sa proposition de tisane. Le jeune professeur se dirigea vers la théière encore chaude posée sur la petite table à côté de son fauteuil de lecture. Il attrapa une tasse dans le buffet et la remplit doucement de tisane encore fumante. « Nuit calme, peut-être un présage pour la suite. » lui dit-il en trouvant cela ironique que le nom de sa tisane soit tout à fait contraire à la nuit qu’ils vivent tous les deux. Lui n’arrivant pas à dormir et elle poursuivit par un homme aux mauvaises intentions. Elle salua ses qualités d’accueil en lui disant qu’elle reviendrait plus souvent frapper à sa porte. Il espérait que cela n’arrive pas réellement. Il aime bien Grace mais il aime encore plus être seul. Se retrouver avec ses livres, ses meilleurs amis qui ont toujours été là et qui l’ont toujours un peu aider à leur manière à survivre. « Si cela t’arrive à nouveau je t’ouvrirai ma porte avec plaisir mais je pense qu’un commissariat serait sans doute plus approprié. » Ils seraient sans doute moins chaleureux et ne lui offriraient pas une tisane mais ils seraient plus à même de régler ce genre de choses. Emrys pourrait bien décider de devenir un justicier masqué et se mettre à combattre le crime la nuit mais il préfère davantage son confort et le calme de son appartement. Finalement la jeune femme lui demanda le livre qu’il était en train de lire en ce moment. « Tu aurais pu, ils sont là pour servir. » dit-il à propos des nombreux livres qui chargent sa bibliothèque. « En ce moment je lis Girl d’Edna O’Brien, pas vraiment le genre de livre qui aide à dormir. » En effet il ne suffit pas de boire une tisane nuit calme pour trouver le sommeil. Lire un livre un peu moins dur que le récit d’une jeune fille enlevée par des terroristes, aide sans doute aussi.