Lost in the dark [Feat. Clay Dietrich]

Comme tous les soirs, Shelby avait confié son fils aux voisins afin qu'ils puissent veiller sur lui. La blonde commençait à en avoir assez de sortir ce même mensonge à tout le monde. Serveuse dans un bar avec un enfant, on est d'accord, c'est pas vraiment compatible. Jusqu'à maintenant c'est comme ça qu'elle s'en était sortie, mais tôt ou tard, elle savait que tout ça allait lui retomber dessus.

Après s'être vêtue de sorte à attirer la gent féminine, la jeune maman alla à cet endroit où elle se rendait tous les soirs, comme une sorte de point de rendez-vous. Sa frêle silhouette recouverte à moitié par une jupe en cuir, une veste sur ses épaules malgré les tremblements qu'elle ne pouvait contrôler. Son visage pâle ressortait d'autant plus avec la lumière du réverbéré sous lequel elle se situait. Elle attendait dans le froid les clients. Encore une nuit qui s'annonçait longue, il ne restait plus qu'à espérer que les clients soient plus cléments..

Les rendez-vous s'enchaînaient et la blonde regagnait son bout de trottoir sous l'oeil avisé des hommes pour qui elle travaillait. Elle savait que dans l'obscurité il y avait des hommes qui veillaient sur elles, ou plutôt sur leur efficacité à récolter de l'argent pour le distribuer à leur patron après.

Shelby tenta tant bien que mal de paraître heureuse, un faux sourire visé sur ses lèvres, elle abordait les clients comme si elle aimait passer du temps avec de parfaits inconnus qui ne lui accordait aucune importance et qui la jetait aussitôt leur objectif atteint. Soudain, elle vit une voiture s'approcher, elle s'extirpa de l'ombre pour se placer sous la lumière blanche et ainsi accoster la personne se trouvant dans cette voiture, peu importe qui s'y trouvait.

Il venait d’arriver, Clay. Il n’était pas très sage... Il n’allait pas très bien. Il avait bu un peu d’alcool dans l’avion, une coupe de vin en accueillait une autre. Il avait dégrisé, modérément. Le vol avait été difficile sans son ex-femme. Il était brisé, Clay. Il avait été démoli par sa femme de qui il était maintenant veuf, de l’enfant qu’il attendait jadis et de ses parents. Brisé. Enivré d’alcool. S’il avait refusé la drogue, il n’était pas certain d’en avoir la force pour l’alcool. Il passait dans le district de l’est avec sa voiture, il savait que ce n’était pas très digne d’un flic, mais il s’en foutait. Il allait prendre une gentille petite blonde pour combler ses envies... Les calmer aussi. Peut-être finirait-il en larmes dans le lit? Il n’en savait trop rien pour le moment, il se contentait que de vivre, de respirer : d’inspirer et d’expirer sans paniquer. Il s’arrêtait directement devant une demoiselle qu’il ne reconnut pas à prime abord. L’homme conduisait en direction d’un hôtel non-loin où il louerait une chambre. « Ton nom? » demandait-il platement sans réaliser à côté de qui il était.

Shelby était habituée à trouver des hommes à moitié saouls faisant appel à ses services, elle faisait toujours attention, parce que ces hommes là étaient tout simplement imprévisibles. Il lui arrivait aussi de tomber sur des hommes plus jeunes qu'elle qui cherchait à se sentir désiré. C'était la partie qu'elle trouvait assez mignonne, mais celle qu'elle craignait par-dessus tout, ce sont ces hommes violents, que ce soit verbalement, physiquement ou pendant le rapport. La blonde est une jeune femme en apparence heureuse qui est tout simplement brisée en mille morceaux à l'intérieur. Des morceaux qui lui semblent impossible à recoller.

Tandis que ses collègues accostent des hommes dans la rue, la jeune maman voit une voiture se rapprocher et ralentir. Elle sort son plus beau sourire - factice évidemment - puis se penche vers l'homme qui l'invite à monter dans son véhicule. Une fois à bord, la blonde sent comme une sorte de tension. Pas la tension sexuelle habituelle, il y a autre chose. Et puis, en y regardant bien, le visage de l'homme lui rappelle certains traits d'un visage qu'elle a connu, mais son esprit lui joue des tours. Soudain, la voix de son client la fait presque sursauter. Le silence a été brisé par cette simple question. Depuis quand un client se souciait de son prénom ?

" - Calypso monsieur." répondit-il avec un sourire fabriqué de toutes pièces.

Shelby avait comme toutes ces collègues un nom de "scène", il était très rare que des prostituées utilisent leur vrai prénom. Pour sa part, elle n'avait pas cherché très loin et avait pris son deuxième prénom en guise de pseudo. Ça permet aussi de se mettre dans la peau d'une autre personne et de se dire qu'en rentrant chez soi, on met le costume au placard pour le ressortir que le lendemain. En théorie c'était ça, mais la vérité c'est que le costume vous colle à la peau quoique vous fassiez.

Il avait l’habitude de rencontrer des escortes, Clay. Il n’avait personne dans sa vie, aucun ami et très peu pour lui de passer par les boîtes de nuit et de faire des pieds et des mains pour peut-être ne rien obtenir. Il préférait mettre l’argent directement à une dame qui ferait bien ce qu’elle voulait plutôt que de s’enivrer, l’enivrer elle aussi puis qu’elle lui pose un lapin à la dernière minute. Clay, il les respectait les femmes, mais il les préférait consentantes et l’argent achetait bien le consentement, aussi moralement incorrect que cela était. Calypso, son nom. La femme avec qui il était. Il savait aussi qu’elles avaient toutes leurs noms de scène et pourtant, celui là lui convenait amplement pour le moment. Il se remettait à rouler en direction d’un hôtel à proximité. Il louerait une chambre pour la nuit, une nuit de plus où il pourrait se tirer sans rien dire le lendemain. Il s’arrêtait devant l’hôtel quelques minutes plus tard. Elle n’était pas bavarde et lui non plus. Il donnait ses clés au valet et allait ouvrir la portière de la dame. Il ne voyait pas encore son visage et il l’invitait à pénétrer dans le grand hall de l’hôtel. Il réservait une chambre avec deux lits, si elle voulait y dormir, elle pourrait. Lui, il aimait dormir seul. Il ne dormait avec personne depuis que sa femme était décédée. Il prenait deux clés à la réception et au moment où il se retournait vers la femme qui l’accompagnait, sa mâchoire se décrochait et aucun mot n’en sortait. Eh merde. « Shelby? » Risquait-il en arquant un sourcil, presque dégouté de sa propre attitude.

Même si Shelby avait une mémoire assez précise des visages qu'elle rencontrait, cet homme ne lui disait rien. Du moins, pas en tant que client. La blonde aurait aimé ne jamais retenir ces visages, pouvoir les effacer, mais ils restaient là, ancrés en elle, la suivant où qu'elle aille. C'était aussi à ça que leur servait leur pseudo, à pouvoir séparer leur métier et leur quotidien. Du moins en théorie, pour les demoiselles comme Shelby qui avait été prise au piège dans ce réseau, la réalité était toute autre.

Assisse confortablement dans le véhicule de son futur client, la jeune maman n'avait pas pour habitude de faire la conversation, et visiblement, l'homme à ses côtés en était venu à la même conclusion. Si bien que le silence envahit l'habitacle jusqu'à leur lieu de destination. L'hôtel. Une pensée ne cessait pourtant pas d'agiter son esprit. Ce visage. Ces traits. Tout cela avait quelque chose de familier et pourtant, il lui était impossible de trouver d'où son esprit l'avait déjà rencontré.

Arrivés à l'hôtel, le jeune homme agit comme s'il était habitué avec ce genre de situation. Inutile de se mentir, pour la plupart des clients qu'elle avait, Shelby savait qu'ils avaient au moins déjà une fois eu recours à ce genre de femme. L'homme finit par se retourner vers elle, mettant ses traits en valeur. Et visiblement, c'était pareil pour lui, puisque son visage se décomposa en l'observant. Shelby. Il connaissait son vrai prénom, et c'est ce choc électrique qui fit réagir la jeune maman. Clay. Son frère. Ça faisait tellement d'années qu'ils ne s'étaient pas vu, ils avaient tous les deux changés et la blonde ne l'avait même pas reconnu, il faut dire que dans le noir, il est difficile de cerner tous les détails d'un visage.

" - Je.. Euh.. Je.. Oui.."

Inutile de lui dire qu'elle aussi venait de prendre conscience de qui se trouvait en face d'elle. Soudain, elle se sentait incroyablement mal à tel point que ses mains se mirent à tirer sur sa jupe, dans l'espoir de camoufler son corps. L'oxygène venait à lui manquer et la jeune maman prit alors une décision, qui sur l'instant, lui semblait être la meilleure.

" - Je suis désolée..." souffla-t-elle avant de quitter l'hôtel en courant, retrouvant alors le froid de la nuit.

La blonde était tellement chamboulée qu'elle s'arrêta le long d'un mur pour vomir ses tripes. Des larmes recouvrit alors son visage pâle.

Les visages passaient et allaient. L’homme n’en retenait que quelques uns lors d’occasions spécifiques. En attendant, il ne reconnaissait pas sa sœur. Il ne la croyait pas capable de faire ce genre de choses. Il tremblait, qu’est-ce que ça signifiait ce genre de choses? La femme de sa vie le faisait bien pour d’autres raisons... L’homme tremblait en revoyant sa sœur sous ses yeux, alors qu’il comptait bien s’amuser avec l’escorte. La sœur de Clay s’éclipsait en s’excusant alors que lui avait le haut le cœur. L’homme la laissait partir quelques instants avant de repartir à la course, le cœur au bord des lèvres... Shelby vomissait quelques mètres plus loin... C’est de famille, les nausées?! Il s’approchait d’elle, retirait son blouson qu’il mettait sur ses épaules. Il commençait à avoir l’habitude de ces situations là... Il y avait eu Cleo quelques temps plus tôt. « J’en parlerai à personne. » avait-il alors dit pour rompre le silence et les larmes de la blonde. Doucement, il lui dit : « Viens là. » Elle lui avait tout de même manqué sa petite sœur... Il l'étreignait avec douceur pour calmer ses sanglots, comme lorsqu'ils étaient enfants.

Comment la jeune femme devait réagir face à une telle situation ? Avec des clients masculins ce n'était déjà pas aisé de faire en sorte de les aborder, de faire comme si elle aimait son métier, mais alors face à son frère, que va-t-il penser d'elle ? Que c'est une vulgaire trainée qui fait le trottoir parce qu'elle est incapable de trouver un boulot mieux que celui-ci ? Ou alors peut-être bien qu'il va penser qu'elle aime ce qu'elle fait. Quelle est la pire hypothèse dans tout ça ? Le simple fait de se retrouver face à cet homme était déjà la pire situation qu'elle pouvait être amenée à vivre.

Immédiatement, Shelby se mit à fuir. Comment pouvait-elle affronter le regard de son frère après ce qui venait de se passer ? Ou plutôt de ce qui allait se passer. Quoiqu'il en soit, elle n'était pas assez forte pour assumer tout cela. Elle savait qu'elle allait devoir des explications à Clay, et que peut-être il serait à même de l'aider par la suite qui sait.. Mais elle refusait de le mettre en danger à cause de sa situation à elle.

Quittant les lieux, la jeune maman s'était mise à courir jusqu'à un endroit où son corps se vida de toute cette tension qu'elle ne supportait plus. Elle fut rapidement rejointe par son grand frère. Elle n'osa pas sonder son regard pour savoir ce qu'il pouvait penser de tout cela. Il devait être autant surpris de la trouver en train de faire ce métier, tout comme elle, surprise qu'il ai recours à ce genre de demoiselles pour combler ses envies. Clay la rejoignit, passa sa veste sur ses épaules et la prit dans ses bras, comme lorsqu'ils étaient sous le même toit. La blonde se sentit immédiatement protégée et rassurée. Ses pleurs s'arrêtaient assez rapidement après cette étreinte qui lui donnait la chaleur dont elle avait besoin.

" - Je suis désolée Clay.. Je.. Tu n'aurais pas dû assister à ce genre de choses.."

Shelby s'en voulait aussi de ne pas avoir reconnu son frère. Peut-être qu'elle était tellement dans son rôle, qu'elle en avait presque oublié le reste.

C’était un métier difficile, sans doute qu’il s’en doutait, Clay. De voir sa frangine dans ce genre d’emploi le rendait un peu plus mal à l’aise. Il l’accepterait éventuellement, comme il accepterait le fait qu’elle n’était plus une enfant. Les pleurs de la blonde cessaient et doucement, il recommençait à respirer. Elle s’excusait, il secouait la tête. « T’en fais pas. » Dit-il lentement sans plus. Il n’y avait pas grand chose à pardonner, après tout c’était la vie de Shelby, pas la sienne. Elle avait quitté l’Allemagne depuis si longtemps, comment pouvait-il lui en vouloir? L’homme soupirait platement en passant une main maladroite dans son visage. « En effet. » Avait-il confirmé alors que lui non plus n’aurait pas dû témoigner de son côté plus pervers avec sa sœur cadette. « C’est pas grave. » Dit-il doucement comme pour mieux se ressaisir et se rassurer lui même que ce n’était pas grave. « Tu vas comment? » lui demandait-il finalement à s’attendant à tout comme réponse.

Autant faite semblant devant les autres n'avait jamais gêné Shelby, autant devant son frère, il y avait quelque chose qui faisait qu'elle était tout simplement incapable de faire comme si tout cela était normal. Rien de tout cela n'était normal, elle n'aurait jamais dû tomber dans ce piège, et pourtant, elle avait été assez naïve pour croire à ce diamant qu'on lui offrait. Résultat des courses, aujourd'hui elle devait vendre son corps pour payer le loyer de l'appartement insalubre dans lequel elle vivait avec son fils.

La jeune maman se sentait vraiment mal d'avoir confronté son frère à son métier. Ce n'était pas du tout une fierté d'exposer son corps ainsi, mais elle n'avait pas eu le choix, si elle avait été seule, probablement qu'elle aurait tenté certaines choses pour s'en sortir, mais ils connaissaient sa faiblesse : son fils, et ils s'en servaient contre elle.

Timidement, l'allemande tenta d'affronter le regard de son frère, comme pour déceler un quelconque sentiment : du dégoût, de la pitié, de la compassion. Ce genre de sentiment qu'elle subissait pour chaque personne qu'elle pouvait côtoyer et qui connaissait son quotidien.

Shelby se décala lentement de son frère et remit son masque, celui qu'elle portait au quotidien. C'est la raison pour laquelle lorsqu'il lui demanda comment elle allait, elle se mit presque à sourire afin de le rassurer.

" - Ça va, je vais bien.."

Elle tenta de faire la femme forte, mais devant Clay, tout s'effondra, elle n'arrivait pas à lui mentir.

" - En fait ça ne va pas du tout.. Je n'en peux plus de faire ça.. J'arrive plus à voir tout ces hommes agir comme si j'étais toute sauf humaine.. Je.. Je n'y arrive plus Clay, mais je n'ai pas le choix.. Ils ont menacé de me prendre Noah si je tentais quoique ce soit.. Et c'est la seule bouée de sauvetage qui me reste."

La demoiselle était en détresse mais ne l'avouait jamais.

" - Je ne savais pas que tu étais en ville, ça fait longtemps ?"

Elle espérait fortement qu'il ne soit pas uniquement de passage.