lost in space (emrys)

Quelques jours à peine qu'elle respire les vapes de l'air australien, que l'océan teinte le fond de sa trame sonore. Ici, tout est différent de ce qu'elle connait. La chaleur, l'air, les sons, le paysage, les gens. Rien ne peut être son repère, tout lui est inconnu. Tout, excepté ce qu'elle pourrait reconnaitre entre miles : les livres. Beth déambulait dans les rues de Bowen, un peu perdue, un peu à la recherche de nouveaux repères, et elle s'arrêta devant la vitrine d'un commerce posé tout droit sur les rues commerçantes de la ville. L'appelle de la maison se fit ressentir, un sourire se logea sur son doux visage, au travers des mèches brunes de ses cheveux qui s'y fracassait par le vent chaud qui se levait. Une librairie. Et tout de suite, elle se sentit apaisée, la brune, elle se sentit comme à la maison, décidant d'y entrer pour que ce sentiment de légèreté lui donne la force qui lui manquait pour retrouver son chemin. Et l'odeur lui rappela la maison. Sourire satisfait sur son visage, Beth déambulait à présent dans les rayons, sans le besoin de se presser, elle caressait les couvertures rigides de certains ouvrages qui appelaient sa curiosité, tantôt les reposant sur les tablettes, tantôt les pressant contre son corps pour les ramener avec elle à son appartement. Une main venait se poser, ici et là, sur son ventre qui était à peine arrondi, que personne ne pouvait percevoir excepté elle. Ce sentiment d'être chez elle prit fin quand elle eut parcouru toutes les allées du magasin, quand elle arriva au bout des rangées et que l'angoisse lui reprit à la gorge, deux ou trois bouquins dans les mains, sa respiration qui se faisait plus courte. Ce moment d'accalmie n'avait qu'été d'une courte durée, maintenant, elle devait affronter à nouveau les rues et les chemins qui se ressemblaient, malgré la minuscule superficie de la ville en soit. Et c'est là qu'elle entendit une mélodieuse réplique qui lui rappela, à nouveau, chez elle, la langue de son pays, une conversation indistincte. Était-ce un mirage auditif, ou avait-elle réellement bien compris ? Avait-elle bien entendu ? Est-ce que cet homme avait réellement l'accent de sa patrie ? Ou rêvait-elle ? Beth s'avança timidement vers la caisse pour payer les livres qu'elle avait sélectionnés, sans pour autant ne pas tirer une oreille curieuse à la voix de cet homme. Et une fois ses bouquins encaissés, elle se tourna vers ce mystérieux inconnu. De quelle partie de l'Angleterre venez-vous ? Pas de bonjour, pas de présentation. Son visage s'empourpra. Pardon, j'aurais dû vous saluer d'abord, ajouta-t-elle en se reprenant.

Malgré ses étagères débordantes d’ouvrages, Emrys se trouve régulièrement à court de matière à lire, de pages à enfiler et à défiler. Plusieurs fois par semaine il se rend à la bibliothèque de Bowen, parfois juste pour se balader dans les allées bien rangées, parfois pour emprunter quelques ouvrages qui lui font de l’œil. Parfois il lui arrive de vouloir quelque chose d’un peu plus rare, qu’il ne peut trouver à la bibliothèque, il se rend donc dans une librairie du centre ville qu’il connaît bien depuis le temps qu’il est en Australie maintenant. Il cherche ses livres, si par chance il les trouve, il débarque rapidement au comptoir, sinon il prévoit de les commander. Il pourrait faire comme beaucoup le font à présent et commander sur internet et recevoir ses ouvrages directement dans sa boîte aux lettres mais il n’aime pas ça. Il n’achète jamais rien sur internet et réserve l’usage de cet outil quasiment exclusivement à des recherches pour son travail. En entrant dans la boutique, la petite clochette retentit, indiquant qu’un nouveau visiteur est là. Les quelques personnes présentes sont pour la plupart trop absorbées par leurs recherches ou leur lecture pour faire attention au jeune homme. La personne derrière le comptoir le regarde d’un œil, en le reconnaissant elle retourne à ses activités, sachant que s’il a besoin d’elle, il lui fera savoir. Le jeune professeur se dirige d’un pas confiant vers la section histoire de la boutique, celle qu’il connaît par cœur à présent. Après avoir sélectionné deux ouvrages, il se rend vers les romans et jette un œil aux nouveautés et aux recommandations des libraires. Il sait ce qui lui plaît comme type d’ouvrages mais parfois il se laisse aller à quelques folies en achetant des livres qui ont particulièrement plu aux professionnels. Avant d’aller payer il échange quelques mots avec un libraire sur une nouveauté qui l’intrigue. Celui-ci lui recommande chaleureusement cette nouveauté, Emrys se laisse convaincre. Alors qu’il se retourne pour aller payer ses acquisitions, une demoiselle, qui doit avoir dix ans de moins que lui, lui demande d’où il vient sans plus de formalités. Emrys étant assez à cheval sur les bonnes manières et la politesse, il se renfrogne un peu. Son visage se radoucit quelques peu lorsqu’elle s’excusa de l’avoir abordé si abruptement. Cependant il reste méfiant, se demandant pourquoi cela peut l’intéresser. Il remarque bien sûr son accent, bien différent de celui d’un australien et il se dit qu’en l’entendant cela a pu lui faire penser à son pays natal. « Je viens de Londres. Je suppose que vous n’êtes pas australienne non plus. » A chaque fois qu’il rencontre quelqu’un qui vient de son pays alors qu’il se trouve à des milliers de kilomètres de ses terres, il sent comme un grand vide en lui, comme si tout ce qu’il avait voulu fuir revenait le hanter. Il tenta de chasser ces idées sans que cela ne fonctionne vraiment.

Les livres ont cette capacité à l'apaiser. Beth ne saurait dire si leur effet thérapeutique se dégage plus par leur odeur, leur familiarité ou leur touché. Ce que la brune sait avec certitude, pourtant, c'est que partout où il y a des ouvrages, elle s'y sent bien. Cette librairie n'échappe pas à la règle. Ici, il n'y a pas vraiment d'achalandage. Et, pourtant, l'industrie du livre fonctionne encore très bien. Cependant, la majorité de ces consommateurs optent pour des options d'achats plus modernes : boutiques en ligne ou, même, livres audios. Aux yeux de la traductrice, c'est un réel sacrilège. L'expérience de la lecture commence par le tâtonnement du bouquin choisi, de l'effleurement de ses pages, de la lecture de son prélude ou de son résumé. Et bien qu'elle soit jeune et dans l'ère moderne, adepte déjà des nouvelles technologies, à ce niveau, Beth est terriblement vieux jeu. La librairie qui est apparue sur son chemin, un peu comme un signe du destin, vient soulager le coeur affolé de la Britannique. Perdue, elle ne savait plus où mettre les pieds. L'appel de sa passion lui fait oublier que quelques minutes auparavant elle était perdue dans la ville, maintenant perdue dans sa sélection de livres. Et une fois les choix terminés, l'angoisse reprit jusqu'à ce qu'elle intercepte une conversation qui attira son attention. Ça ne lui ressemblait pas, de se montrer aussi indiscrète. D'abord, elle avait manqué de se présenter, d'accorder des salutations dignes de ce nom à celui qu'elle avait verbalement agressé. C'était le stress, il était le dénominateur de toutes ses fautes. Le visage de l'homme changea, Beth se fondit en excuse, yeux à présent baisser vers la pile de livres qu'elle tenait dans ses mains. Non, affirma-t-elle, piteuse, avant de relever le regard. Je suis aussi de Londres. Je viens tout juste de m'installer à Bowen. Il n'en avait rien à faire de ses explications, pourtant, Beth se sentait obliger de se justifier, de justifier son insolence. Pardon, encore, commença-t-elle, Je suis perdue, votre accent m'a rappelé, au travers de l'angoisse, la maison. Désolée de vous avoir importuné.

Parfois, de part son attitude, sa prestance et son physique, Emrys peut mettre les gens mal à l’aise. Grand, les cheveux noirs et une barbe qu’il laisse pousser et le visage fermé peut enclin au sourire, on ne peut pas dire qu’il attise forcément la sympathie. Son caractère n’aidant pas, il parle peu et laisse les autres faire la conversation à sa place tout en se montrant exigeant sur ce qu’ils ont à dire. Il déteste qu’on lui pose des questions personnelles, qu’on s’immisce dans sa vie privée et qu’on rentre dans son jardin secret. Il a peu d’amis car il faut pour eux surmonter de nombreuses barrières avant d’arriver à voir le vrai Emrys, un peu moins austère et plus sympathique. Il se dit que la jeune femme a peut-être fait une erreur en venant lui parler à lui, car il n’est pas du genre très rassurant et amical. Cependant il a un peu de la peine pour elle, la voyant perdue et trouvant en lui une accroche parmi ce monde inconnu. Il peut comprendre que quitter sa vie, pour diverses raisons et aller s’installer à l’autre bout du monde à de quoi déboussoler alors voir quelqu’un qui nous ramène un peu à notre quotidien, à cette vie qui fait maintenant partie du passé, cela peut un peu soulager. « Je comprends, il est parfois bon de ne pas se sentir seul. » dit-il alors que lui se sent seul depuis de nombreuses années maintenant. Il a gardé des îles britanniques ses petites habitudes comme celle de boire du thé ou les auteurs anglais qu’il continue à lire et qui lui rappelle la vie anglaise qu’il a quitté alors qu’il l’aimait. S’il aime l’Australie il ne s’est jamais vraiment fait aux saisons inversées, au plages de sable blanc et à la chaleur toujours présente. Au moins il ne voit pas à chaque coin de rue quelque chose qui pourrait lui rappeler Liz, c’est déjà ça. « Bowen n’est pas très grand, vous devriez vite vous y retrouver. » dit-il un peu pour la rassurer.

Elle n'avait pas réfléchi. Elle s'était élancée vers lui, d'une confiance qui ne lui était pas propre, et avait adressé la parole à cet inconnu, simplement parce qu'il avait un parlé qu'elle pouvait reconnaître d'entre mille. Et, surtout, qui lui faisait sentir chez elle, à la maison. Parce que Bowen, ce n'était pas Londres. Elle n'y avait plus ses habitudes. Le petit café du coin où elle allait écrire pendant des heures, la librairie dont la propriétaire connaissait son prénom et lui suggérait des tonnes de nouveaux livres à découvrir, les pavés où elle aimait s'y perdre et sa famille, surtout. Sa famille qui n'était pas ici. Et qui pourtant aurait pu être d'une si grande aide, vu l'état dans laquelle Beth était. Seule, elle l'était. Complètement, même. Elle était entourée, certes. Des colocs qui lui étaient sympathiques, un amant retrouvé. Oui, tout ça, ça pouvait sembler suffisant pour une Anglaise nouvellement arrivée. Mais pas pour cette Anglaise, dont le secret se faisait si lourd que même entourée elle arrivait à se sentir seule. Dont le simple accent d'un étranger lui faisait sentir comme à la maison, comme si elle retrouvait ses repères. Vous avez raison, acquiesça-t-elle en hochant la tête, alors que l'homme semblait parler en connaissance de cause. Il tenta de la rassurer, Beth sublima son visage d'un léger sourire. Merci, souffla-t-elle, c'est une petite ville, oui. Je devrais m'en sortir sans trop de difficultés. Elle déposa les livres sur le comptoir, le libraire les enregistra dans la caisse. Un billet de cinquante dollars et elle s'empara du sac dans lequel le commerçant avait emballé ses achats. Beth, lança-t-elle à l'étranger, son sourire toujours un peu présent sur ses lèvres. Passez une bonne journée. Elle pointa un livre qui se trouvait dans la pile de l'anglais. Killing floor est un classique, vous allez l'adorer, décréta-t-elle. Lee Child est un de mes auteurs favoris. Elle souriait timidement. Pardon, s'excusa-t-elle à nouveau avant de prendre la direction vers la sortie.

Ce n’est jamais très rassurant de se retrouver à des milliers de kilomètres de chez soi, parfois sans personne avec qui parler, personne avec qui partager ses souvenirs qui viennent d’un autre pays. Emrys connaît ça mais ce n’est pas pour trop le déranger. Il est parti, justement pour s’éloigner de ses souvenirs, de l’Angleterre, qu’il aimait pourtant beaucoup. Mais il s’est tout de même senti un peu perdu en arrivant. Le climat est différent, les gens, les coutumes, il faut du temps pour se faire à tout. Il sentit que la jeune femme avait besoin d’être rassuré, qu’on lui dise que tout irait bien. Ce n’est pas vraiment le genre du jeune professeur de dire des choses juste pour faire plaisir aux gens. Il préfère être honnête. Mais il sentit que ses quelques mots avaient apaisés la jeune femme. Elle paya à son tour ses livres. Alors qu’il allait partir, elle se présenta et lui souhaita de passer une bonne journée tout en glissant une remarque sur l’un des livres qu’il avait acheté. « Emrys. » dit-il à son tour avant d’ajouter « Ne vous excusez pas, il est parfois difficile de se retenir de glisser quelques compliments sur un livre qui nous a plu. » Il se sentait plus détendu. Les livres sont une passion pour lui et comme pour toutes ses passions, elles lui délient la langue et le rendent plus sociable. « Je le découvre en ce moment et pour l’instant j’aime beaucoup. » Il ne va pas lire tous ses romans dans l’immédiat mais il aime bien en lire deux ou trois d’un auteur pour bien le découvrir. Il lui arrive de ne pas aimer le premier mais d’adorer les suivants alors il ne s’arrête pas. « Ça me fait plaisir de rencontrer quelqu’un qui trouve que la lecture n’est pas qu’un passe temps ennuyeux. »

Elle n'y pouvait rien. Dès qu'il était question de littérature, Beth était en transe. Transformée en encyclopédie sur deux pieds. Et encore plus lorsqu'on parlait de littérature anglaise. C'était sa favorite. Rien à avoir avec le fait qu'elle soit née à Londres... Bon, peut-être un peu, tout de même. Mais c'était aussi, surtout, dû à son travail. Elle avait dû étudier les différents styles, lire des auteurs qu'elle ne connaissait pas, apprendre des formes dont elle n'était pas familière, parce qu'elle devait être en mesure de comprendre toutes les subtilités de la langue pour en faire la traduction. En français, en italien, en espagnol. Les langues, c'était son deuxième dada, après la littérature. Elle trouvait quelque chose de doux et de mystérieux à la fois dans le langage étranger. Et quelque chose de romantique, aussi. D'ailleurs, les premiers mots étrangers qu'elle demandait à apprendre, sans exception, c'était comment dire je t'aime. Elle en connaissait trente-deux, à ce jour, façon de dire je t'aime. I love you, je t'aime, te amo, te quiero, ich liebe dich, saranghae, mwen renmen'w et tellement d'autres. Beth effectua un commentaire sur l'auteur choisi par l'inconnu, puis s'excusa avant de reprendre la route, gênée d'être en plus entrée dans son intimité littéraire sans avoir été invité. Emrys se nomma, commenta le comportement de la brune. Vous avez raison, il est difficile de contenir cette passion, affirma-t-elle avant qu'il ne lui laisse savoir qu'il était heureux de rencontrer quelqu'un pour qui la lecture n'était pas un passe-temps ennuyeux. Elle sourit, un sourire franc, C'est même plus que ça, pour moi, annonça-t-elle, c'et mon gagne-pain, la littérature., confia-t-elle en laissant découvrir à l'inconnu maintenant doté d'un prénom ce qu'elle faisait pour gagner sa vie. Je suis traductrice. Le mystère était résolu sur sa passion pour les livres. Vous aussi, vous travaillez dans la littérature ?