Sans alcool, la fête est plus folle (Beth)

Une musique de fond retentissait au sein du Hendrix et se mêlait aux rires et conversations joyeuses des nombreuses personnes qui le fréquentaient. Accompagnée de Shelby, Ella se faufilait parmi les tables, récupérant les commandes des clients et apportant les boissons soigneusement préparées par Azriel. Elle aimait les soirées comme celle-ci, animées, durant lesquelles la jeune femme ne voyait pas les heures passer. Un constat d'autant plus véridique quand ils avaient des clients sympathiques et avenants, à l'image de cette table de jeunes femmes, dans la vingtaine, qui s'amusaient et riaient à gorges déployées. Ella fit plusieurs allers-retours entre cette table et le bar, afin de servir les boissons qui annonçaient une soirée bien agréable. Et à chaque fois, elle glissait un petit mot sympathique qui les faisait toutes rire. Le patron du Hendrix tenait à ce qu'il y ait de la convivialité et des échanges, et ce n'était pas Ella, dont la joie de vivre se lisait sur son visage, qui allait se détourner de tels objectifs. Alors que le service se tassait un peu, la jeune femme prit place derrière le comptoir afin d'apporter son aide à Azriel, mais elle fut bien vite interpellée par l'une des jeunes femmes présentes à la table du fond. S'approchant d'elle et lui demandant ce qu'elle pouvait faire pour elle, Ella prit la nouvelle commande de la demoiselle, une boisson sans alcool, bien loin des commandes qu'elle avait eu de la part de ses amies. La jeune trentenaire s'exécuta rapidement, afin de ne pas la faire patienter trop longtemps. Elle déposa le verre sur le comptoir, ainsi que la bouteille de la boisson désirée, esquissant un sourire alors qu'elle lui demanda :  "Vous êtes celle qui doit toutes les ramener à la maison, ce soir, non ?" Non, ce n'était pas de la curiosité malvenue mais plutôt un côté maternel qui transparaissait. Le jour où Noah aura son permis et qu'il sortira avec sa bande d'amis, elle espérait sincèrement qu'il y en ait un qui joue le rôle du capitaine de soirée...

Chauffeur désigné. Il va sans dire que dans sa situation, Beth n'avait pas réellement d'autres choix que d'être le taxi de toutes ce soir. Jeune et innocente, elle l'est, mais pas complètement. Alcool et grossesse, ça n'a jamais fait bon ménage. Enceinte de maintenant 4 bons mois, la voilà donc dans une fête organisée pour le 25e anniversaire d'une amie de Althea, où elle ne connait pas la moitié des gens, complètement à jeun alors que toutes ces autres filles un peu hystériques, elles, ont consommé tellement de cocktails que la brune a finis pas en perdre le compte. Rondes après rondes, apportées à leur table par la serveuse bien trop aimable, elles dansaient, s'amusaient, alors que Beth revêtissait le plus faux des sourires au milieu des « c'est ma chanson ! » et des « putain, j'suis tellement saoule » de ces autres. Et ça, c'était quand on ne lui demandait pas « aller, Beth, juste un verre ! », demande qui étouffait la Britannique, prise au piège dans son propre jeu. Besoin d'air, besoin d'une minute de calme, besoin d'une seconde où elle ne mentirait pas à tout le monde, même à elle, elle se retira sans pour autant manquer d'en aviser sa meilleure copine, Althea, qu'elle gratifia d'une bise avant de s'éclipser. Ses pas la menèrent vers le bar où elle s'adossa miraculeusement. La soirée était bien entamée, le Hendrix, qu'elle ne connaissait que de nom avant d'y venir ce soir, elle qui avait été enceinte depuis son arrivée à Bowen et qui n'avait pas pu tester les plaisirs de la ville avant de s'y installer, était bondé, grouillant de monde un peu partout. Impossible pour elle de dire s'il s'agissait d'une bonne soirée ou, plutôt, de l'ordinaire. Elle put quand même prendre place au bar, puis, une fois son souffle reprit et ses esprits retrouvés, loin de celles qui lui faisait sentir comme si elle devait taire qui elle était réellement par peur du jugement, Beth se tourna vers la serveuse qui la reconnu. Un coca, merci, demanda-t-elle simplement, faible sourire aux lèvres. La brune s'exécuta sans attendre et lorsqu'elle revient avec sa boisson, elle gratifia Beth d'une question dont le ton se voulait rassurant, presque maternel. C'est ça, oui, répondit alors Beth en hochant la tête, versant son coca dans le verre qui l'accompagnait. Il en faut bien une pour s'occuper d'elles, ajouta-t-elle en riant, un oeil curieux vers sa table pour regarder ce qu'elles faisaient à présent que la seule personne dans un état normal venait de les quitter.

Il y avait une certaine légèreté qui envahissait l'atmosphère présente dans le bar, ce soir. Le Hendrix était réputé pour être un endroit branché, où bon nombre de personnes se retrouvaient après le boulot ou les cours pour partager un moment convivial. A l'image de ces filles qui, visiblement, fêtaient un anniversaire, ce soir. Ella se surprit à poser un regard mi-amusé, mi-envieux sur ces jeunes femmes, dont l'insouciance était le maître mot. Elle n'avait pas vraiment connu cela, elle, la mère adolescente qui avait grandi et mûri trop vite. Chaque soirée qu'elle avait pu passer avec des amis n'étaient pas totalement libératrices. Elle avait toujours eu un œil inquiet sur son téléphone portable, de crainte de recevoir un appel ou un message lui annonçant que Noah était malade. Maintenant que son fils était grand et qu'il se débrouillait très bien sans elle, Ella avait gardé ses réflexes de mère casanière, comme si elle avait l'impression que les soirées de ce genre n'étaient plus pour elle. C'était comme si elle avait vieilli avant l'âge. Comme si elle était devenue tellement prévenante qu'elle en oubliait de s'amuser. Ce décalage, elle le ressentit chez cette jeune femme qui vint vers le bar pour passer sa commande. Ella avait remarqué qu'elle était dans son coin, ne se mêlant pas totalement aux délires de ses amies, malgré quelques sourires qui voulaient laisser croire qu'elle s'intégrait parfaitement au groupe. Allant chercher une bouteille de coca bien fraîche et déposant à ses côtés, un grand verre rempli de glaçons, la brune se permit un petit constat qui expliquerait pourquoi la demoiselle ne buvait pas d'alcool. Un constat bien vite affirmé par la jeune femme, ce qui arracha un sourire à la jeune serveuse. Elle suivit le regard de la jeune femme qui s'était posé sur la table où ses camarades continuaient de rire à gorges déployées. « Il en faut toujours une pour materner et raisonner, surtout quand ça termine dans cet état-là. » Materner... le terme parfait pour cette demoiselle qui cachait sa grossesse. Mais c'était la vérité. Il y en avait toujours une pour jouer la maman et empêcher les autres de faire quelques bêtises qu'elles regretteraient bien vite. Ella l'avait dit avec amusement, sachant pertinemment qu'il y en aurait plus d'une qui allait finir avec un beau mal de tête, le lendemain. Elle jeta un bref regard sur son interlocutrice, glissant subtilement : « Et vous, vous passez une bonne soirée, malgré tout ? »

Si la serveuse s'autorisait à poser un sourire mi-amusé mi-envieux vers les filles qui accompagnaient Beth, cette dernière partageait le sentiment, sans même savoir qu'elles étaient, au fond, bien plus similaires que ce qu'elles pensaient respectivement. Envieuse de leur plaisir, de leur insouciance, de n'avoir aucun compte à rendre, aucune responsabilité autre que leurs envies. Beth, elle, se souciait de deux, de trois même. Elle, le bébé et Rafael. Rafael qui faisait des colères chaque fois qu'un homme s'approchait un peu trop de la brune à son goût. Rafael à qui elle avait encore refusé le terme petit ami, par peur. Peur de ne pas être à sa hauteur, lui qui, à la trentaine passée, savait exactement ce dont il avait besoin dans sa vie. Mais Beth, pauvre Beth, elle n'avait aucune idée de ce dont elle avait besoin. Ni même de qui elle deviendrait. Par ce qui l'habitait dans son ventre, ce qui grandissait en elle, elle savait bien qu'elle était à des années-lumière de ces copines, à des lustres de comprendre leur réalité, sa vingtaine qui s'envolait en fumée, elle qui n'aurait plus ce genre de moments pour en profiter. L'angoisse à la gorge, elle s'éclipsa, essayant de retrouver sa respiration, s'accoudant au bar où elle demanda à celle qui s'occupait d'elles depuis le début de leur soirée, une boisson sans alcool. Toute la soirée, elle avait eu peur que ses commandes ne trahissent son état. Ou était-ce l'arrondissement de son ventre qui commençait réellement à transparaitre, encore plus dans cette robe de soirée bien trop ajustée. La serveuse tenta de consoler Beth, croyant qu'elle ne servait que de chauffeur pour la soirée, alors qu'en réalité, la triste réalité, elle n'avait pas vraiment le choix de se restreindre. J'envie peut-être leurs rires, mais pas le mal de crâne qu'elles auront demain matin, avoua tout de même la brune à la serveuse quand toutes les deux se mirent à regarder en direction des fêtardes. Mais sa prochaine question surprit la traductrice qui fit volte-face pour regarder l'employé du Hendrix. C'est pas le même amusement, disons, dit-elle dans un rire pour cacher sa surprise. Ça va. Je n'ai juste pas l'impression d'être cent pour cent moi-même, finit-elle par confier. Elle baissa les yeux vers son verre avant d'ajouter : Pardon, je ne sais pas pourquoi je vous embête avec mes états d'âmes.

L'alcool coulait à flots et retirait les dernières barrières de bienséance. Les rires s'amplifiaient, les blagues s'enchaînaient et les délires ne leur appartenaient qu'à elles. Mais il y en avait bien une qui semblait en retrait. Ella l'avait remarqué dès le début de la soirée, cette dernière se trahissant par ses boissons sans alcool. La serveuse crut d'abord qu'elle était celle désignée pour être le chauffeur de la soirée. Son regard ne s'était pas encore arrêté sur ce petit ventre qui apparaissait subtilement, mais qui pouvait sauter aux yeux de la mère qu'elle était. Alors, quand cette dernière vint au comptoir pour prendre une nouvelle boisson, Ella se permit d'établir le contact avec elle. Les deux jeunes femmes portaient le même regard sur le groupe de filles, sans se rendre compte que la même lueur brillait dans leurs yeux. C'était cette insouciance qui manquait à ces deux femmes que la vie avait fait grandir plus vite. Elle esquissa un léger sourire quand elle confia justement que les rires lui manquaient, mais pas la gueule de bois du fameux lendemain. « Je vous approuve totalement, pour le coup ! » répondit-elle, dans un rire. S'il y avait bien quelque chose qui la poussait à regretter les excès d'alcool, c'était bien la barre au crâne et l'impression d'être au ralenti, le lendemain. Ella reposa son regard sur la demoiselle et lui demanda si elle trouvait, tout de même, le moyen de s'amuser. Le regard surpris qu'elle posa sur elle la poussa à se demander si elle n'était pas trop indiscrète. Mais il y avait une telle douceur, une telle sincérité dans le regard de la serveuse que l'on voyait qu'elle ne voulait que du bien. Ce fut peut-être cela qui la poussa à répondre, à se confier même. « Pourquoi n'êtes-vous pas vous-même ? » demanda-t-elle, surprise, avant de secouer la tête quand la jeune femme s'excusa. « Vous n'avez pas à vous excuser. Parfois, ça fait du bien de lâcher ses états d'âmes à de parfaites inconnues... » Et sur ses mots, elle fit un petit signe de la tête pour l'inviter à continuer, à se lâcher sans aucune barrière...

Il y avait quelque chose dans les yeux de la serveuse, quelque chose d'apaisant, quelque chose de rassurant. Quelque chose qui poussa Beth à se confier, sans même savoir pourquoi. Et quand elle réalisa ce qu'elle était sur le point de faire, elle s'arrêta sèchement. Beth ne pouvait pas raconter son secret à n'importe qui, non pas qu'elle insinuait que la serveuse était n'importe qui. C'est que l'acteur principal de son secret, lui, n'en était pas encore au courant. Ni sa famille. Les seuls à savoir qu'elle portait la vie en elle étaient limités. D'abord Milo, lui qui l'avait surprit à la clinique médicale lorsqu'elle se cherchait désespérément un médecin acceptant de la prendre sous son aile. Olivia avait fini par le savoir, suivit de près d'Althea, deux amies en qui elle avait totalement confiance. Puis, finalement, il y avait Nastya qui, dans la même situation, était son alliée face à toutes ces nouveautés. Et, à vrai dire, c’était déjà trop. Trop de gens gravitaient autour de son secret, sans que Rafael, lui, ait été mis au courant. Et, pourtant, il aurait dû être le premier sur la liste. Les choses n'étaient pas si simples, elles ne l'avaient jamais été lorsqu'il s'agissait d'eux. Et plus elle attendait, plus le choc serait grand pour lui. Lui qui n'avait pas encore remarqué la rondeur qu'elle avait au ventre. Ou, alors, il ne s'était contenté que d'éviter de la commenter, par gentillesse, parce qu'on n'avise pas le poids des femmes comme ça, sans qu'elle l'ait demandé. Mais la douceur de la serveuse était sans comparable et bien que la raison était forte pour lui faire maintenir son secret, Beth soupira, les yeux qui s'emplirent d'eau. S'était trop, elle ne pouvait plus garder tout ça, elle ne pouvait plus le cacher, jouer un double jeu, camoufler son ventre et ses maux de coeur, s'inventer des mensonges pour justifier sa fatigue ou son absence d'alcool. Lorsque Beth remonta les yeux vers la brune, on pouvait y lire tout son chagrin, toute sa peur. Elle était terrorisée par la suite. Si je ne bois pas, ce n'est pas vraiment parce que j'ai choisi de m'abstenir, mais plutôt parce que je n'ai pas vraiment le droit de le faire... Ça sonnait comme si elle en avait eu l'interdiction, comme une dépendance, alors qu'en réalité c'était pour protéger l'être en elle. Il y a quatre mois, j'ai appris que j'étais enceinte, chuchota-t-elle presque, comme si la musique n'était pas assez forte pour maintenir le secret caché plus longtemps de celles qui ne devaient pas l'apprendre. Je suis tombée amoureuse d'un homme qui n'était pas libre. Il était de passage dans ma ville natale et... à son départ, j'ai appris que j'étais enceinte. Seulement, sa vie est assez complexe et je n'ai pas trouvé le courage de lui dire. Parce qu'il n'avait pas daigné répondre à ses messages, parce qu'il L'avait complètement zappé de sa vie à son retour à Bowen. Je suis venue le rejoindre ici.. Seulement, il n'est toujours pas au courant pour le bébé. Je ne sais pas comment lui dire... Parce qu'elle a vint-cinq ans, bien trop jeune pour être maman, et que lui a presque dix ans de plus. L'enjeu, pour eux, n'est certainement pas le même.

Il y avait quelque chose chez cette jeune femme qui intriguait Ella, qui lui donnait envie de creuser, de comprendre ce décalage qu'elle avait avec ses amies. Au fond, c'était comme si elle se doutait que ce n'était pas une simple histoire de chauffeur pour la soirée. Et plus la conversation avançait, plus Ella comprenait qu'elle n'avait pas tout à fait tord. Il y avait autre chose derrière les regards envieux que la jeune femme posait sur sa bande d'amie. Et Ella était prête à l'écouter, si elle décidait de se confier à elle. Elle ne la jugerait pas, tout simplement parce qu'elle était une inconnue à ses yeux. Elle ne connaissait pas son histoire. Elle ne connaissait pas son passé. Elle ne savait pas qui elle était, quels étaient ses défauts et ses qualités. Elle avait un regard complètement neutre sur elle, ce qui lui permettrait de s'ouvrir totalement, sans craindre un mot plus mauvais que l'autre. D'abord hésitante, la jeune femme finit par poser un regard qui serra le cœur de la jeune serveuse. Dans ce regard, on pouvait lire de la peur. Beaucoup de peur et d'incertitude. Ella fronça légèrement les sourcils alors qu'elle commença sa phrase en disant qu'elle n'avait pas le droit de boire de l'alcool. Alcoolisme ? Maladie ? Grossesse ? Il y avait plusieurs hypothèses qui pouvaient tourner dans la tête d'Ella, mais elle ne se pencha pas dessus, préférant simplement attendre les mots de la jeune femme. C'était dit. Elle attendait un enfant. Ella posa un regard attendri sur le ventre de la demoiselle, hochant doucement la tête et chuchotant à son tour : « Oh... félicitations. » Mais évidemment, ce n'était pas aussi simple que cela. La jeune femme reprit la parole, évoquant alors le schéma familial auquel elle était confrontée. Elle était tombée amoureuse de l'homme qu'il ne fallait pas. De l'homme qui n'était pas libre, mais dont le cœur n'était visiblement pas suffisamment pris, puisque son regard s'était arrêté sur cette demoiselle au visage d'ange. « Sa vie est complexe ? Comment ça ? » Elle se permit de poser ces questions pour en savoir plus sur l'homme, sur son histoire, sur son état d'esprit qui lui permettrait d'accueillir cette nouvelle comme il devait l'accepter. Parce qu'évidemment, il n'était pas au courant. Et la jeune femme ne savait pas comment l'annoncer. « Comment a-t-il réagi quand tu t'es présentée à lui, à Bowen ? » Ella se rendit compte qu'elle venait de la tutoyer, ajoutant aussitôt. « Désolée, je te tutoie, mais ça rend l'atmosphère plus... sereine. Je peux même te dire que je m'appelle Ella, comme ça, les barrières sont complètement tombées. » Elle attendait son prénom afin de pouvoir reprendre la conversation et l'écouter attentivement en tant que future maman et non pas en tant que simple cliente...

Un poids de moins pesait sur les épaules de Beth. C'était dit. Pas à la personne qui devait l'entendre, mais elle avait tout de même fini par avouer qu'elle était enceinte. C'était un bon pas, non ? Peut-être que ça lui donnerait la force de le dire à Rafael ? C'était beau de rêver, non ? Et même si ce n'était pas la nouvelle qu'elle devait faire, même si elle ne l'avait pas encore dit au concerné de la situation, c'était vrai : ça lui faisait du bien de l'avoir enfin avouer. À force de le cacher, à force de tout faire pour que personne ne découvre son secret autour d'elle, Beth en était devenue presque paranoïaque. Et ce n'était pas saint. Ni pour elle, ni pour ce bébé. Ella et la confiance qu'elle inspirait avait su rassurer la jeune femme, lui donner le courage de mettre des mots sur son malêtre, de laisser les explications parler d'elles-mêmes. Elle n'était pas elle même, parce qu'elle cachait à tout le monde qu'elle était enceinte. Et, à force, c'était fatigant. C'était épuisant. Quand enfin elle eut prononcé les mots interdits, le visage d'Ella s'attendrit. Ses yeux se dirigèrent sur le petit ventre rond de la brune, petit ventre qui sur son corps frêle ne pouvait plus réellement cacher son secret. Si on posait attentivement les yeux sur l'abdomen de Beth, c'était évident. Étonnant que personne ne lui ait passé de remarque autour d'elle. Quand Ella leva enfin les yeux, sa voix se transforma elle aussi en un chuchotement pour la féliciter. Beth sourit faiblement, ne sachant pas vraiment s'il fallait la féliciter, elle. Elle n'avait pas choisi d'avoir ce bébé. Puis, elle questionna la brune sur la complexité qu'elle évoquait. Il doit régler ses problèmes familiaux, ici., commença-t-elle, incertaine de jusqu'où elle pouvait aller dans les détails pour garder un certain anonymat. Disons que nous ne sommes pas au même stade dans la vie. Lui, il a l'âge respectable d'avoir des enfants.., et surtout les moyens, .. et moi, j'en ai presque dix de moins que lui. Leur relation n'était pas évidente. Grossesse ou pas. Pas de soucis, je n'ai clairement pas l'âge d'être vouvoyez, lâcha-t-elle avec un rire. Beth, répondit-elle à la serveuse quand elle lui confia finalement son nom. Beth, diminutif de son prénom beaucoup trop prestigieux, comme la reine du Royaume-Uni. Tout le monde l'appelait comme ça et ça lui allait, beaucoup plus que Elizabeth. Bien. Mieux que moi, en fait, avoua-t-elle timidement. Il est en processus de séparation, il était content de savoir que je ne l'avais pas oublié, que je n'étais pas passé à autre chose. Beth hocha la tête, silencieusement avant d'ajouter : Mais je n'ai quand même pas trouvé la force de lui avouer que je porte son enfant.

Dès l'instant où la jeune femme annonça sa grossesse, Ella vit les traits de son visage se décrisper, comme si elle était soulagée de le dire à quelqu'un. C'était triste comme situation, c'était triste de se sentir seule dans un moment pareil. Même si Ella n'avait pas eu ses parents avec elle lors de sa grossesse, elle avait au moins eu sa tante et son oncle derrière elle. Et cela avait été un soutien indéniable. Portant son regard sur le ventre de la demoiselle, Ella la félicita avec un large sourire, sans savoir que la situation était encore plus complexe qu'elle ne l'imaginait. La vie du futur papa était complexe, familialement parlant, d'après les paroles de la jeune femme. Cette dernière lui avoua alors la différence d'âge entre cet homme dont elle était tombée amoureuse et elle. Il était à un âge où l'on commençait à avoir des enfants, alors que pour elle, c'était moins le cas. Pourtant, elle devait avoir dans la vingtaine. Elle était une jeune adulte. « Tu sais, je crois qu'il n'y a pas d'âge pour être prêt à avoir des enfants. Tout se passe dans la tête, en réalité. Alors, la différence d'âge, ça ne veut plus dire grand chose. » Une gamine de 20 ans pouvait être plus apte à avoir un enfant qu'une femme de 30 ans, si tant est que la maturité était là. Et de nos jours, les couples avec une différence d'âge, c'était devenu commun. La jeune femme lui annonça alors son prénom, ce à quoi Ella répondit par ce sourire toujours empreint de douceur. Elle était incapable de l'expliquer, mais elle tenait à rassurer cette jeune femme. Elle tenait à ce qu'elle parte d'ici en se disant qu'elle vivait une belle histoire, qu'elle allait devenir une maman et que même si cela faisait peur, c'était l'une des plus belles expériences que l'on pouvait connaître au sein d'une vie. Alors que la jeune serveuse lui avait demandé comment avait réagi l'homme en voyant Beth débarquer à Bowen, Ella fut rassurée par la réponse : « Il est en train de régler ses problèmes conjugaux, c'est déjà une bonne chose. Et s'il ne t'a pas oubliée, c'est encore mieux. » Mais il y avait encore tout un chemin à faire entre être heureux de revoir l'une de ses conquêtes et apprendre qu'elle portait son enfant. C'était là que la maturité du futur papa entrait en jeu. « Ce n'est pas une annonce facile à avouer, je me doute bien. Mais ça va finir par se voir et ce serait dommage qu'il l'apprenne en voyant ton ventre s'arrondir de jour en jour. » Beth devait bien le savoir tout ça. « Tu penses qu'il va réagir comment ? Tu crois qu'il est prêt à avoir un bébé ? » Peut-être qu'ils en avaient déjà parlé tous les deux, sur le ton de la plaisanterie... peut-être qu'il lui avait déjà montré qu'il était un homme responsable, qui assumerait la paternité de cet enfant.

Ella avait bien raison sur ce point, c'était un poids de moins sur les épaules de la brune d'avoir enfin avoué à haute voix sa grossesse et tout ce qu'elle invoquait. Parce que certains savaient qu'elle l'était, enceinte, des gens qui l'avaient su avant même le père de cet enfant, mais personne n'était au courant de l'enjeu complet de cette grossesse. Pas même Ella, au fond, Beth maintenait tout de même quelques informations secrètes. Pour se protéger, pour protéger Rafael, pour protéger sa dignité. Comment expliquer qu'elle était tombée amoureuse d'un homme pas encore divorcé, d'un homme pas du tout libre, qu'elle en été tellement amouraché qu'elle a décidé de venir le rejoindre, sans même le lui dire à l'avance ? Comment justifier tous ces secrets ? Beth savait bien que son histoire n’avait ni queue ni tête, Ella aurait bien le droit de la juger dans ses choix. Mais, au contraire, elle ne le faisait pas. Son regard était doux, elle était attentive, à l'écoute, elle tentait d'apaiser la panique qu'il y avait dans le regard de la traductrice déchue. La différence d'âge, ça ne veut rien dire, précisait Ella pour rassurer la jeune femme qui se faisait du sang avec ce détail. Elle hocha la tête, signe qu'elle entendait les paroles encourageantes de la serveuse. Je crois que tu as raison, fit Beth en regardant son propre ventre dans lequel un petit être prenait vie. Mais je crois tout de même qu'il y a certains pré-requis avant de fonder sa famille. Et même si certaines femmes sont devenues mères sans s'en attendre, même si elles s'en sont bien sorties, ce n'est malheureusement pas le cas de toutes. Et si Beth n'avait pas de capacité parentale suffisante pour élever un enfant ? Si elle n'avait pas la maternité innée ? Peut-être qu'elle s'en mettait beaucoup sur les épaules, peut-être que le poids de son secret qui venait de la quitter laissait tout l'espace à un autre de s'installer. Ella abordait un bon point : même si Rafael réglait ses problèmes conjugaux, il ne l'avait pas oublié. Ce n'est pas une annonce facile, non, dit-elle en regardant à nouveau son ventre qui prenait de l'ampleur, déjà. Beth secoua la tête, souriant faiblement. Pour ça, je ne crois même pas qu'il le remarquerait... La brune grimaça, entrant réellement dans les détails de sa relation. Nous n'avons toujours rien fait depuis mon arrivée à Bowen. Elle en était presque honteuse, comme s'il était d'une importance capitale d'avoir ce genre de relations. C'est que j'en suis incapable..., avoua-t-elle, blocage que son corps ne pouvait surmonter. Je pense qu'il veut un enfant plus que tout, finit-elle par trancher. Mais je ne crois pas qu'il en voudrait un de cette façon-là...

Ella ne savait pas pourquoi, mais elle sentait le besoin d'alléger les doutes de Beth. Peut-être parce qu'elle était, elle aussi, passée par une telle étape, par la peur de ne pas être une bonne mère, sous prétexte qu'elle ne remplissait pas les conditions pour élever correctement un enfant. Ces conditions formatées par la société : avoir le bon âge, être en couple depuis un moment, avoir une situation stable. Ella n'avait rien eu de tout cela et Noah avait pourtant eu une enfance heureuse. « Je ne suis pas d'accord avec ces pré-requis. Chaque famille a son histoire, avec les obstacles qui viennent avec. Il n'y a pas d'âge pour devenir mère. Il n'y a aucune obligation d'avoir un mec ou une grande maison pour élever un enfant. Tu peux avoir une situation stable et être une mauvaise mère, tout comme tu peux être une mère en pleine galère, célibataire et aimer son enfant comme il se doit. » La jeune femme lui adressa un sourire avant de reprendre : « Tu sais, j'étais comme toi. Je ne remplissais pas les pré-requis quand je suis tombée enceinte. J'étais seule, abandonnée par le père, reniée par mes parents et surtout âgée de 16 ans quand j'ai eu mon fils. Moi aussi j'ai eu peur de ne pas m'en sortir... et rien que le fait d'avoir cette peur, ça montre à quel point tu seras une bonne mère. Ce n'est pas inné, ça s'apprend de jour en jour. » Elle espérait adoucir quelque peu ses craintes, même si Beth les traîneraient jusqu'à l'accouchement et encore longtemps après. En tout cas, le père, même s'il n'était pas encore au courant, semblait être présent dans le tableau et auprès de la jeune femme. Mais Beth ne disposait pas de nombreux mois pour annoncer la nouvelle. Son ventre la trahirait bien vite, malgré tout les vêtements larges qu'elle pourrait porter. Pourtant, elle lui confia que le futur père ne se rendrait sûrement pas compte de tout cela, en évoquant le manque de rapprochement entre eux. Elle sentait presque la honte dans ces quelques mots. « Ce n'est pas une honte... » souffla-t-elle, doucement.Un couple, ce n'était pas que du sexe. Encore plus dans une situation comme la sienne, où Beth allait avoir besoin de soutien, de présence et d'attention. Et même s'ils ne faisaient rien sur le plan charnel, le futur papa n'était sûrement pas aveugle. Il allait vraiment finir par voir ce ventre rond. Restait à savoir s'il était prêt à avoir un enfant, ce qui relevait de sa dernière question. Ella esquissa un léger sourire quand Beth lui informa qu'il était le genre d'homme à vouloir un enfant. Mais quand elle entendit ces derniers mots, la brune hocha doucement la tête : « S'il y a le désir d'avoir un enfant au préalable, ça peut laisser croire que c'est un homme qui prendra ses responsabilités. » Elle garda son regard sur elle et reprit avec douceur : « Je l'espère vraiment pour toi. » Elle méritait d'être heureuse, cette jeune femme.

Elle avait peur. Et elle se cachait derrière ses appréhensions en créant des excuses qui ne tenaient pas la route. Elle se sentait mauvaise. Impostrice dans le corps qui portait la maternité. Voleuse des rêves de ces mères qui, elles, n'arrivaient pas à enfanter. Elle, elle ne l'avait pas demandé. Et, pourtant, voilà qu'elle le vivait. Sans avoir été en mesure de le dire, à haute voix, alors que la nouvelle ne devrait pas être aussi honteuse. Sa famille l'ignorait, encore heureux, parce qu'ils auraient sans doute vu l'abomination dans l'acte qu'ils avaient fait, alors que le père de cet enfant n'avait toujours pas prononcé son divorce. Ils l'auraient forcé à se faire avorter, à oublier Rafael, à laisser derrière elle la possibilité qu'il serait peut-être heureux d'apprendre qu'il en aurait, un enfant. C'était ce qu'il avait toujours désiré. Mais avec Héléna. Pas avec Beth. Pas avec une jeune femme en pleine découverte de sa vie, en construction. Ella, elle, ne partageait pas cette pensée. Et quand elle lui expliqua pourquoi, la brune compris. C'est qu'elles avaient été, sans vraiment l'être complètement, dans le même bateau. Maman à 16 ans, abandonnée, sans ces prérequis qui étaient dressés par la société d'aujourd'hui. Beth hocha la tête, son coeur qui se serrait. Et, au-delà de ces prérequis qu'Ella ne remplissait clairement pas, parce qu'elle avait été une jeune maman monoparentale, elle avait tellement l'air d'être bonne dans son rôle. Elle avait la tendresse d'une maman, le regard d'une maman, les mots d'une maman, la douceur d'une maman. Toutes ces choses que Beth, elle, elle n'avait pas. Ça ne parait pas, souffla-t-elle. Que tu n'avais pas les prérequis, je veux dire. C'est que cette femme, bien qu'elle ne soit que leur serveuse pour la soirée, elle lui inspirait une confiance. Je crois que ton fils est chanceux de t'avoir comme mère. C'était les hormones. L'émotion qui montait à ses yeux. Et, aussi, un peu des excuses dissimulées, d'avoir insinué qu'il fallait impérativement remplir certaines conditions pour être mère. Et même s'il ne fallait pas de conditions particulières, si Beth n'arrivait pas à être une amante, pourrait-elle être une mère ? Elle confia à la serveuse qu'elle n'y arrivait pas, à trouver une intimité, sachant qu'elle cachait à son amant le plus gros secret qu'il pouvait avoir, le plus gros changement d'une vie. Ce n'était pas une honte, qu'Ella lui confiait. Un peu, tout de même..., confia-t-elle. Ce n'est pas par manque d'envie... C'est toute cette histoire de grossesse cachée.. Parce qu'elle sentait qu'elle le trahissait, Rafael. Et s'il avait seulement envie de repartir à zéro, de se trouver une nouvelle vie, comme son ex-femme n'a pas pu lui donner celle dont il aspirait au départ ?, demande-t-elle, terrifiée, et si, moi, je lui imposais quelque chose sur laquelle il a mis une croix ?

Elle comprenait tellement ses peurs, ses appréhensions, cette impression de ne pas être à la hauteur. Elle avait vécu cette situation, Ella. Elle avait vécu une grossesse surprise, non prévue alors que d'autres donneraient tant pour être mères. Elle avait vécu neuf mois de grossesse remplis de doutes et de peurs. Mais dès qu'elle avait croisé le regard Noah, dès qu'elle l'avait pris dans ses bras, elle avait su ce que c'était qu'être mère. C'était un renouveau, une nouvelle vie, un nouveau souffle donné par un nouveau-né si fragile. Avec lui, elle avait appris à devenir à la fois la lionne protectrice, à la fois le doux agneau. Noah, c'était son talon d'Achille, celui qui l'adoucissait, celui qui pouvait la pousser à devenir terrible si l'on touchait un seul cheveu de son enfant. Après avoir révélé son histoire, la jeune femme esquissa un sourire aux paroles de Beth. « Je ne les ai toujours pas ces pré-requis. Mais j'ai appris à devenir une mère, malgré tout. Et j'apprends encore aujourd'hui. » C'était vrai, elle ne roulait pas sur l'or. Elle venait à peine de se mettre en couple, elle qui était mariée avec le célibat. Elle était toujours loin de ces pré-requis. Elle sourit de nouveau quand elle parla de la chance que son fils avait de l'avoir comme mère. « C'est gentil... Mais il me le rend bien. » Beth découvrira l'amour d'un enfant, celui qui vous fait élever les montagnes, qui vous ferait faire n'importe quoi. Ella vit le regard ému de la demoiselle, ce qui l'amusa quelque peu quand elle demanda : « Les hormones, non ? » ça aussi, c'était l'une des joies de la grossesse... Puis, vinrent les questions intimes, cette honte que la jeune femme avait face à une grossesse cachée, qui l'empêchait de s'épanouir de ce côté-là. Ella l'avait compris, mais ce n'était que l'histoire de quelques semaines, le temps d'avouer la nouvelle. A ce moment-là, la jeune femme ne savait pas encore que Beth allait attendre des mois et des mois. Trop de mois. Entendant ces dernières paroles sur la nouvelle vie que cet homme voulait s'offrir, Ella tiqua sur son ultime phrase. « Pourquoi dis-tu directement imposer ? Peut-être vas-tu simplement lui offrir quelque chose sur laquelle il avait mis une croix ? Peut-être que c'est toi qui vas lui offrir cette nouvelle vie, ce à quoi il aspirait... » Il n'y avait qu'une conversation avec l'intéressé qui lui apporterait toutes ces réponses.

C'était difficile de croire que quelqu'un pouvait la comprendre. Parce que dans cette situation, elle avait tellement l'impression d'être seule au monde. Il était difficile pour elle de se dire que d'autres avaient vécu la même chose qu'elle, qu'elles étaient passées par les mêmes épreuves. Elle le savait, pourtant, parce que Beth n'était pas stupide. Elle savait qu'il y avait d'autres jeunes filles qui s'étaient mises dans la même situation qu'elle, à quelques différences près, et, pourtant, maintenant qu'elle y baignait, c'était comme si elle était seule au monde. Ella, pourtant, la ramenait sur le droit chemin, lui faisait voir clair, mettait de l'ordre dans ses idées. Parce qu'elle comprenait mieux que personne ce que le Britannique vivait, ce par quoi elle devait passer. Et, sans le lui dire, sans l'avouer, Beth devait se rendre à l'évidence : qu'est-ce que ça faisait du bien de se sentir comprise, enfin. Et, surtout, d'avouer ce qui pesait lourd dans son esprit. Je pense qu'au contraire, tu les as, ces pré-requis, insista la brune. Tu as la patience et, aussi, l'amour. Au fond, c'était peut-être ça, les réelles qualifications pour être une mère. Pas l'argent, pas la maison, pas la situation civile. L'amour et la patience d'une mère. Et ça, certaines femmes ne l'avaient pas. Et peut-être que toutes ces choses, finalement, Beth ne les avait pas. Elle salua la confiance, mais surtout, la bonté que la brune lui inspirait, au passage. Ella la remercia et salua, à son tour, les hormones qui laissaient Beth dans tous ses états, bien trop souvent. Comme ce soir, d'ailleurs. Oui, gloussa-t-elle en essuyant ses larmes. C'est de la joie, mais aussi de la peine à la fois, tu vois, justifia-t-elle alors qu'elles commençaient à couler sur ses joues. Et c'est comme ça tous les jours, conclut-elle en riant en imaginant à quel point elle était stupide à cet instant. Je ne crois pas..., souffla-t-elle finalement lorsque la serveuse répondit à ses doutes. Ra... Beth s'arrêta, sur le point de trahir l'identité du père inconnu. Il ne cesse de me dire que je suis jeune. Qu'on a tellement d'écart d'âge. J'ai peur de le décevoir, d'aller trop vite... Et à nouveau les larmes. Je te vole trop de temps... Et ses amies allaient sans doute se demander ce que Beth pouvait bien faire au bar depuis si longtemps.

hj:

Ella savait que dans des périodes comme celles-ci, on pouvait vite se sentir seule, incomprise, abandonnée. Les premières semaines de grossesse, Ella les avait passées dans le noir, ne voyant que du négatif. Puis, elle avait pris ses valises, était partie aux Etats-Unis et avait trouvé refuge chez sa tante. Sa tante qui avait été le plus beau soutien. Il était donc normal que la jeune femme endosse ce rôle face à tant de détresse. Elle avait envie que cette jeune femme voit plus clair, qu'elle se rassure et qu'elle vive à fond ce moment qui était unique. Peu importe l'après. Peu importe les doutes et les peurs. Ella esquissa un léger sourire en voyant que les pré-requis matériels avaient vite été remplacés par l'amour et la patience. C'était des pré-requis beaucoup plus naturels. Plus vrais. « J'ai appris à aimer. J'ai appris à être patiente. Surtout quand ton enfant devient un ado. » ajouta-t-elle pour alléger l'atmosphère. Mais elle reprit plus sérieuse : « Je ne le dis pas souvent, parce que j'ai honte de dire cela, de dire ce que j'ai ressenti, mais pendant ma grossesse, j'avais du mal à aimer ce bébé. Malgré les échographies, les changements du corps, les mouvements du fœtus, ce bébé est bien trop abstrait pour moi. C'est le jour de sa naissance que j'ai reçu cette vague d'amour. Tu la vivras aussi. Il faut juste que tu acceptes de lâcher du lest, de briser la carapace. » Laisse-toi aller, dirait-elle, même. Mais elle craignait que ses hormones ne lui jouent encore plus des tours. Ella lui lança un regard plein de douceur quand elle les évoqua, ces hormones. « Ne t'en fais pas, tu redeviendras normale. » Les émotions finiront par se tasser. Cela finira pas s'atténuer quelque peu quand elle aura eu la conversation avec le père, qui lui permettra d'avancer enfin correctement. Pour l'instant, elle restait ligotée par ses doutes, la crainte de ne pas avoir le soutien du père, la peur de le perdre aussi, probablement. Beth remit en doute les paroles d'Ella, renvoyant cette différence d'âge, ce fait d'aller trop vite. « Hey... arrête de pleurer... » souffla-t-elle avec douceur. « Tu te rends malade, là. Attends de voir ce qu'il en est... » Si ça se trouve, le père allait accepter le bébé et la mère, il allait être le plus heureux. Elle se sera rendue malade pour rien. Face à ces derniers mots, Ella reprit : « Tu ne me voles pas du temps. » Elle jeta un regard en arrière. « Par contre, je crois que tes amies commencent à s'inquiéter. » Elle voyait les regards posés sur elle. « Essuie tes larmes, souffle un bon coup et profite de ta soirée... Et si jamais tu veux parler, si jamais tu as besoin d'être écoutée, tu sais où je travaille... » Et ce n'était pas des paroles lancées en l'air. Ella espérait être une oreille pour elle, si besoin. Même si elles allaient sans doute se retrouver dans une toute autre situation...

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