#14 - De l'utilité d'avoir un agenda quand on ne le regarde pas (Jo et Jojo)

John et Jonelle - Appartement 14

La pénombre commençait à tomber sur la ville et dans son petit appartement, Jonelle semblait soudainement plus active que ces derniers temps. En effet, après avoir passé plusieurs jours, plusieurs soirées à ne rien vouloir faire, à errer chez elle, lasse de son destin, la jeune Brannen effectuait aujourd'hui bien des allers-retours dans les trois seules pièces de son logement. Soupirant, elle se laissa tomber sur son canapé, observant autour d'elle le véritable chantier dans lequel elle évoluait depuis plusieurs heures déjà. Deux piles de documents en tout genre stagnaient sur la table. Lettres du notaire, des assurances, demandes de résiliation et même cartes de condoléances, tout cela s'entassait à une vitesse fulgurante, laissant Jonelle particulièrement perplexe et débordée. Dans l'entrée, une bonne dizaine de cartons venaient s'entasser allant même jusqu'à envahir une partie du palier. Evidemment, les déménageurs avaient choisit ce jour pour aller vider la petite maison du Commandant Brannen... Sans oublier ces fameux appels qui ne semblaient pas vouloir cesser. A croire que c'est toujours dans les moments où l'on aimerait oublier un temps soit peu quelque chose qu'il y a toujours un évènement certain qui vient vous rappeler à l'ordre. Jonelle n’échappait pas à la règle en faisant face à toutes ces démarches suivant la tragique disparition de celui qui l'avait si bien élevé et aimé. A peine le temps de se reposer, la sonnerie stridente de son portable se mit à retentir pour la septième fois de la journée. Énervée de la situation, à bout de nerf, elle décrocha rapidement et s'énerva alors sans même laisser le temps à son interlocuteur de se présenter. « Non mais sérieusement vous avez vu l'heure ? Il faudrait penser à me laisser respirer un peu maintenant c'est bon. Vous avez besoin de m’appeler combien de fois et de m'envoyer combien de courriers pour enfin comprendre que non, il ne s'est pas suicidé mais s'est fait tuer au combat bordel »

John et Jonelle - Appartement 14

« Monsieur ? Un autre café… »
John releva la tête de la montagne de sucre qu’il était en train de construire avec ce qui lui restait des trois cafés qu’on lui avait servi. Secouant doucement la tête, il évita le regard condescendant que le serveur avait pour chaque personne s’étant fait posé un lapin. Il avala le reste de café froid qui traînait au fond de sa tasse et se leva pour sortir. Bien que Jonelle ait montré des visages plutôt surprenants et qu’à première vue elle n’ait pas été la femme la plus sympathique du monde. Faut dire qu’elle lui avait passé un sacré savon… Elle avait montré la plus agréable des personnalités une fois le stress oublié. Il ne pouvait s’ôter de l’esprit qu’il avait dû se passer quelque chose pour qu’elle l’oublie comme ça. De la même façon il essayait de rafistoler son ego un peu meurtri d’avoir attendu seul à une table.
Sortant son téléphone de sa poche, gadget dernier cri rempli d’applications dont il se servait assidûment sans qu’elles aient une réelle utilité, il composa le numéro de la jeune femme et attendit qu’on réponde.

« Non mais sérieusement vous avez vu l'heure ? Il faudrait penser à me laisser respirer un peu maintenant c'est bon. Vous avez besoin de m’appeler combien de fois et de m'envoyer combien de courriers pour enfin comprendre que non, il ne s'est pas suicidé mais s'est fait tuer au combat bordel »

Rendu muet par la salve de reproches qui s’était abattue sur lui, il s’éclaircit la gorge avant de tenter un timide. « Jojo ? John à l’appareil… » Puis un rire franc lui échappa. « Est-ce que je vais devoir en passer par là avec toi à chaque fois ? Pas que ce soit vraiment désagréable de te voir en colère mais quand même… » Il eut un regard pour l’enseigne lumineuse du café et haussa les épaules. Pas pour cette fois comprenait-il. Il était évident que la médecin était sur les nerfs. Qui était mort ? Il redoutait de poser la question. Il ne voulait pas avoir l’air de remuer le couteau dans la plaie.

« Ecoute… Comme de toute façon j’avais ma soirée prévue rien que pour toi, qu’est-ce que tu dirais de me donner ton adresse ? Tu… Je… Je peux peut-être me rendre utile. »

John et Jonelle - Appartement 14

« Jojo ? John à l’appareil… » Ou comment réussir à se sentir stupide en l’espace d’une petite seconde seulement. Réalisant son erreur, Jonelle resta un instant silencieuse, s’en voulant quelque peu de s’être énervée après ce pauvre John qui ne méritait en rien d’être traité de la sorte. « Ah John.. » répondit-elle confuse « Je… Je croyais que c’était quelqu’un d’autre désolée. Je n’ai pas regardé le numéro avant de décrocher. ». Après tout ce n’était jamais que la deuxième fois que la jeune urgentiste en venait à élever la voix contre lui, un record pour elle qui, d’ordinaire arrivait généralement à garder son calme dans bien des situations. En réalité, depuis plusieurs jours, elle arrivait à changer de comportement en un rien de temps. S’énervant au quart de tour, elle était capable de se mettre à pleurer la seconde d’après, juste en pensant à son défunt père. Non, elle n’allait pas bien et au fond, cela se voyait réllement.

« « Ecoute… Comme de toute façon j’avais ma soirée prévue rien que pour toi, qu’est-ce que tu dirais de me donner ton adresse ? Tu… Je… Je peux peut-être me rendre utile. » C’est en écoutant ces quelques mots et en feuilletant simultanément son agenda laissé à l’abandon qu’elle se rendit compte de sa seconde erreur. Non seulement elle n’arborait pas un comportement des plus agréable mais en plus de cela, elle avait totalement oublié le rendez-vous qu’ils s’étaient fixé au café du coin. Félicitations mademoiselle Brannen…

Observant l’état actuel de son appartement, elle esquissa une légère grimace. Toutefois, elle ne comptait pas refuser la proposition de John. Après tout, elle lui devait bien ça pour tenter de se faire pardonner. « Euh oui bien sûr… Après tout ça me fera sans doute du bien d’avoir un peu de compagnie. Je vis dans le grand immeuble du quartier sud. Au numéro 14... Tu n'as pas peur du désordre j'espère ? »

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« Ah John.. . Je… Je croyais que c’était quelqu’un d’autre désolée. Je n’ai pas regardé le numéro avant de décrocher. » John se mordit la lèvre à l’autre bout du fil. Il n’avait pas voulu embarrasser Jonelle et il savait combien elle s’était sentie désolée déjà la première fois qu’elle lui était tombé dessus. C’était pour cette raison qu’il n’avait pas pu lui en garder rancune.

« J’espère bien… Sinon je vais finir par devenir parano. » Tenta-t-il pour faire à nouveau de l’humour. En même temps il avait senti une telle détresse à l’autre bout du fil qu’il ne pouvait pas lui faire une scène pour quelques mots lancés trop hauts. En revanche il le savait, il ne pouvait la laisser seule dans cet état et heureusement pour lui, en acceptant son aide elle lui évita l’embarras de devoir lourdement insister.

« Euh oui bien sûr… Après tout ça me fera sans doute du bien d’avoir un peu de compagnie. Je vis dans le grand immeuble du quartier sud. Au numéro 14... Tu n'as pas peur du désordre j'espère ? »
De nouveau il se mit à rire. « Le désordre ? Tu veux rire j’espère. Tu parles à un homme qui a dû élever sa fille seul. Le bordel ça me connaît et pas qu’un peu. » Même aujourd’hui son organisation était déplorable et il s’était fait à l’idée que souvent il serait obligé de mettre des chaussettes de couleur différentes ou de retrouver les céréales dans le frigo. Il comptait sur le fait que Galadriel grandisse assez vite et prenne le relais des tâches ménagères.
Rendez-vous pris il fila de nouveau jusqu’à sa voiture en faisant une escale dans un coffee shop où il acheta des tonnes de beignets au glaçage multicolores et aux parfums extravagants et deux énormes cafés allongés au lait et aromatisés à la noisette. Une douceur parfaite pour cette époque de l’année.

Quand elle lui ouvrit la porte il s’engouffra dans l’appartement, accompagné d’une forte odeur de café, pour ne pas lui laisser l’occasion de refuser. Puis il posa ses courses là où il trouva de la place, entre deux cartons.
« J’ai pris de quoi manger un peu et si on a besoin de plus consistant je connais par cœur les numéros de téléphone d’un paquet de livreurs. »
Se tournant enfin vers elle il demanda. « Si tu me disais ce qui se passe maintenant ? Pour mon ego je préférerais croire que tu ne m’as pas totalement oublié. » Elle avait parlé d’un décès mais il ne pouvait pas lui-même mettre le sujet sur la table.

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« J’espère bien… Sinon je vais finir par devenir parano. » En entendant ces mots, Jonelle esquissa un très vague sourire qui ne resta peint sur son visage que très succinctement. Il n'avait pas de quoi être parano et au fond, il le savait probablement. Après tout, si la jeune femme avait réellement une dent contre lui, elle n'aurait même pas pris la peine de venir s'excuser la première fois. Puis, après tout, il faut dire que lors de leur premier rendez-vous, ils avaient su laisser ce petit épisode derrière eux afin d'apprendre à se connaître comme il se doit.

« Le désordre ? Tu veux rire j’espère. Tu parles à un homme qui a dû élever sa fille seul. Le bordel ça me connaît et pas qu’un peu. » Elle tiqua légèrement, cette situation ne pouvant que lui rappeler certains souvenirs. Ce cher Monsieur Brannen, bien que très minutieux et appréciant l'ordre dans le cadre de sa fonction militaire, semblaient perdre toutes ses bonnes habitudes lorsqu'il rentrait auprès de sa fille. Combien d'affaires avait-il brûlé en oubliant son fer à repasser ? Combien de fois avait-il retourné le salon pour retrouver ses clés de voitures ? Jonelle avait d'ailleurs pris l'habitude de s'occuper des tâches ménagères elle même, tout comme la cuisine. C'est elle aussi qui passait régulièrement dans la maison l'ayant vu grandir pour l'entretenir lorsque son père était envoyé en mission, même quand il ne l'était pas d'ailleurs...

Mais aujourd'hui, elle n'avait plus envie de trier quoi que ce soit. Aimant d'ordinaire mettre un peu d'ordre dans son appartement avant de recevoir une petite visite, elle ne comptait pas le faire aujourd'hui, restant dans le canapé jusqu'à ce que la sonnerie de la porte ne se fasse entendre. Laissant John entrer, elle le salua rapidement, en profitant pour le remercier d'avoir emmener quelques petites choses à manger et à boire.
« Si tu me disais ce qui se passe maintenant ? Pour mon ego je préférerais croire que tu ne m’as pas totalement oublié. ». Se mordant la lèvre, elle détourna rapidement les yeux. Sans trop savoir pourquoi, elle n'arrivait pas à affronter le regard des autres lorsqu'elle venait à évoquer le sujet. « Non je ne t'ai pas totalement oublié. Pas volontairement du moins... » Elle se dirigea alors vers la pile de carton avant d'en sortir une photo la représentant enfant dans les bras de son père... « J'ai juste la tête ailleurs en ce moment. Je... J'ai perdu le plus merveilleux des hommes de ma vie... » avoua-t-elle, laissant une larme glisser le long de sa joue.

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« Non je ne t'ai pas totalement oublié. Pas volontairement du moins... » Cela ne rassurait John qu’à demi. Elle n’avait rien à voir avec la jeune femme qu’il avait vu travailler à l’hôpital. Elle était ce genre de médecin qu’on ne pouvait qu’admirer pour cet espèce de dévouement aveugle dont elle faisait preuve dans son métier. Lui en aurait-il été capable ? Il ne le pensait pas. Il aimait son métier mais il n’y laissait pas des petits bouts de lui comme Jonelle avait à le faire sans cesse. Réparer des machines, mettre au point des programmes, rien à voir avec le fait de trifouiller des organes et remettre les gens en état de marche. Elle évitait son regard et il retint son souffle, s’attendant à quelque chose d’important et il eut raison.

« J'ai juste la tête ailleurs en ce moment. Je... J'ai perdu le plus merveilleux des hommes de ma vie... » Il détailla la photo, d’un père tenant sa fille dans ses bras. Les deux avaient le sourire et cette relique du passé était comme un poignard. Il le ressentait plus encore, parce qu’il avait créé un lien unique avec Galadriel. Il était son seul parent et elle était son trésor. Il ne pouvait imaginer que sa vie ait eut un sens sans elle. Voyant la larme rouler sur la joue de Jonelle il vint l’essuyer d’un geste tendre, comme il l’avait fait des milliers de fois pour sa fillette. Sécher des larmes, souffler sur un bobo pour le guérir.

« Jonelle je suis désolé. » Fit-il en attirant la jeune femme contre lui dans une douce étreinte pour lui permettre de s’abandonner à son chagrin. Il n’y avait rien de plus qu’il puisse dire. Rien qu’il puisse faire pour faire disparaître cette douleur-là. Aussi cruelles les choses soient-elles, c’était une blessure qui devait prendre le temps de guérir. Et ça pouvait être long. Il avait eu bien du mal à se faire à l’absence de la mère de Galadriel. Absence… pensa-t-il tristement alors qu’il savait qu’il n’avait jamais eu la force de dire la vérité à sa fille. Un joli mot pour cacher l’horreur de la vérité.

Il embrassa le front de la jeune femme et la tenant toujours contre lui, frotta son dos comme s’il cherchait à la réchauffer. Mais ses tremblements n’avaient rien à voir avec la température extérieure. « Vraiment désolé… »

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Peinant à regarder ce cliché plus longtemps, elle le reposa avec les autres affaires de son père, le coeur lourd. Depuis plus d'un an, elle avait pourtant l'habitude d'être confrontée à la mort. En temps que médecin-urgentiste, elle avait souvent affaire à des cas particulièrement graves pour qui il fallait agir à une vitesse remarquable... Sauf que parfois, le temps se voulait mesquin et remportait le combat, emportant aussi bien des adultes que des enfants, des malades que des victimes d'accident. Destin cruel face auquel Jonelle avait réussi à effectuer un certain détachement afin de pouvoir rester professionnelle. Mais lorsque la mort, cette chimère, venait s'attaquer à la personne la plus chère à ses yeux, elle ne pouvait pas prendre du recul et rester de marbre. Elle avait perdu son soutien, son réconfort, son complice. Elle avait perdu celui qui, comme John aujourd'hui, l'avait prise dans ses bras à de nombreuses reprises.

Se laissant porter par sa peine, elle resta un instant blottit contre son invité, laissant les larmes s'échapper, tout simplement incapable de les retenir. Ce qui était le plus difficile au final, c'était qu'elle n'avait pas eu l’occasion d'en apprendre plus sur les circonstances du décès. Mort au combat restait une notion vague qui laissait la jeune femme sur une envie de savoir, savoir s'il avait souffert, comment ça c'était passé et surtout, qui avait lancé cette foutue attaque. Mais le secret professionnel interdisait quiconque de lui fournir ses renseignements, la laissant là avec un regret profond: ne pas avoir pu être aux côtés de son père alors qu'il venait à pousser ses derniers soupirs.

« Jonelle je suis désolé. Vraiment désolé… » En venant à se défaire de l'étreinte de John, elle essuya ses larmes d'un revers de main tout en essayant de se contrôler et de reprendre son calme. « C'est moi qui suis désolée. Je n'ai pas l'habitude de pleurer devant les autres, ni même d’embêter quiconque avec mes problèmes. » Expirant profondément comme pour laisser s'échapper le plus gros de sa peine, elle regarda autour d'elle, un peu perdue. « Je n'ai pas l'habitude de gâcher les rendez-vous non plus d'ordinaire... »

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John se sentait un peu gauche. Que dire de plus ? Que faire de plus ? Il savait combien il était difficile de se remettre d’un décès. Lui-même n’avait pu se faire à celui de sa femme. Et le pire était qu’il avait partagé ce secret avec bien peu de personnes. Il guidait sa vie encore aujourd’hui, puisqu’il n’avait trouvé le courage de s’établir dans une relation stable avec une autre femme. La seule qu’il avait complétement accepté dans sa vie était sa fille. Il pensait avoir fait tout ça pour son bien, mais il se rendait compte qu’il se cachait et se protégeait.

« C'est moi qui suis désolée. Je n'ai pas l'habitude de pleurer devant les autres, ni même d’embêter quiconque avec mes problèmes. » Libérant la jeune femme de son étreinte, il se sentit encore plus maladroit alors qu’elle tentait de masquer son chagrin. Personne n’aurait pu lui en vouloir de pleurer la perte de son père, c’était un événement tragique. « Tu ne m’embêtes pas voyons… » Il trouvait dommage de connaitre si peu la jeune femme. Ils ne s’étaient vus que deux ou trois fois, ce qui ne l’aidait pas à trouver les mots qui auraient pu la réconforter. Il avait peur de dire quelque chose de déplacé et ne se sentait pas de poser des questions. Il n’y avait rien de pire pour remuer le couteau dans la plaie.

« Je n'ai pas l'habitude de gâcher les rendez-vous non plus d'ordinaire... » Il soupira cette fois. Il ne pouvait pas la laisser s’accabler ainsi. « Tu ne gâches rien du tout Jonelle. Après une telle épreuve personne ne s’attend à ce que tu sois en pleine forme. Viens… » Posant une main sur le bas des reins de la jeune femme, il la guida jusqu’au canapé où il la fit assoir de force. Puis il alla chercher ses courses, et tendit un des gobelets encore fumant à la jolie brunette. Puis sur ses genoux il posa une des boites remplie de beignets.

« J’avais amené toutes ces cochonneries sans trop savoir ce qui se passait. Et je ne sais pas si le meilleur moyen de te consoler et de te faire prendre des kilos… Alors dis-moi ce dont tu aurais besoin Jojo. Il est difficile de te voir pleurer. » Doucement il vint essuyer de son pouce une larme qui s’attardait encore sur la joue de la jeune femme. Il aurait aimé croire qu’il n’échouerait pas à chaque fois. Pas comme avec sa femme dont il n’avait pu empêcher le suicide.

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Habituellement, la jeune Brannen n'était pas du genre à faire part de sa vie et de ses ennuis à tout le Monde. Elle avait son confident attitré, celui à qui elle disait tout. Dès lors, elle savait qu'elle n'avait plus besoin de prévenir quiconque, son père étant la personne la plus à même de savoir faire le bonheur de sa fille. Sauf qu'aujourd'hui, il n'était pas là pour remettre un sourire sur le visage de sa fille, plus là pour essayer. Jonelle ressentait donc le besoin de parler, peu importe à qui, il fallait qu'elle confie sa peine.

« Tu ne m’embêtes pas voyons… Tu ne gâches rien du tout Jonelle. Après une telle épreuve personne ne s’attend à ce que tu sois en pleine forme. Viens… » Des mots rassurants, une main dans le creux de ses reins, un pouce venant essuyer une larme... Jonelle fut particulièrement surprise du soutien et de la chaleur humaine qu'était en train de lui apporter John. Après tout, ils ne se connaissaient pas depuis si longtemps que ça et ne s'étaient jamais vu que deux ou trois fois. Ils étaient presque des inconnus l'un pour l'autre, ne connaissant de l'autre que peu de choses. Se mordillant légèrement la lèvre, elle ne savait que répondre réellement. Une fois les aveux passés, continuer d'en parler restait une chose complexe. Chaque évocation de son passé était un risque supplémentaire de voir une nouvelle larme venir souiller son visage.

« J’avais amené toutes ces cochonneries sans trop savoir ce qui se passait. Et je ne sais pas si le meilleur moyen de te consoler et de te faire prendre des kilos… Alors dis-moi ce dont tu aurais besoin Jojo. Il est difficile de te voir pleurer. » Elle enroula ses mains autour du gobelet, comme pour se les réchauffer, avant d'apporter son café quelques secondes à ses lèvres pour en boire une gorgée. Le coeur encore serré, elle était toutefois soulagée de voir qu'elle n'était pas seule pour affronter cette difficile période et que certaines personnes étaient présentes pour prendre soin d'elle. Toutes ces petites attentions de John ne donnaient que plus envie à Jonelle d'apprendre à le connaître encore plus. Haussant les épaules, elle répondit enfin « Je crois que j'ai juste besoin de me changer les idées » montrant le désordre autour d'elle, elle continua « Je baigne dans tout ça depuis plusieurs jours déjà, je commence à étouffer à vrai dire. Je devrais penser à sortir pour faire autre chose que d'aller à l’hôpital. »

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« Je crois que j'ai juste besoin de me changer les idées. Je baigne dans tout ça depuis plusieurs jours déjà, je commence à étouffer à vrai dire. Je devrais penser à sortir pour faire autre chose que d'aller à l’hôpital. »

Pour John, à la mort de sa femme les choses avaient été plus compliquées encore. Il n’avait pas seulement eu des affaires à mettre en ordre, des cartons à faire, un tri dans toute une vie. Il avait eu dans les bras un tout petit bout de chou, minuscule mais qui avait volé son cœur dès les premiers instants et alors il n’avait pas eu le temps de s’apitoyer sur son sort et de se plonger dans les souvenirs. Il avait fallu apprendre à changer des couches et à avoir une autre personne à s’occuper. Tout avait été bouleversé en quelques instants. C’était le même genre de bouleversements qui attendaient Jonelle. Elle allait devoir apprendre à vivre sans la présence de son père. Il ignorait le genre de relations qu’ils avaient eu. La douleur dans le regard de Jonelle était suffisante. Dans son regard, il y avait souvent vu des choses bouleversantes.

« Bon… » Il regarda les cartons qui s’amoncelaient autour d’eux. Difficile d’y voir clair dans cet appartement avec toutes ces boîtes partout. « On va mettre un peu d’ordre dans tout ça et après on pourra aller faire un tour si ça te dis. Où tu veux… »

Ils mirent deux bonnes heures à faire le tri dans toutes les affaires du père de Jonelle. John dû descendre de nombreux sacs poubelles dans le local de l’immeuble. Il n’était pas nécessaire de garder tous les effets du militaire. Il fallait se concentrer sur quelques objets, des photos, l’essentiel des souvenirs de Jonelle porteraient d’eux-mêmes la mémoire de son père. Il n’y avait rien de plus précieux que cela.

« Et voilà… » John croquait dans un beignet. Le café qu’il avait ramené avait été bu depuis longtemps et Jonelle en avait refait une pleine cafetière. Il fit passer la bouchée avec une belle gorgée. « Maintenant que ça a été fait, sortons d’ici Jonelle. Je crois que tu as assez vu les murs de cet appartement. » Il posa ce qu’il tenait dans les mains sur la table de la cuisine et, esquissant un sourire il s’approcha de la jeune femme. Délicatement, il enleva une poussière qui s’était accrochée dans ses cheveux. Puis sa main glissa sur la joue de la jeune femme.

« Fais un vœu jolie fille… Je me sens l’âme d’un génie ce soir. »

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« On va mettre un peu d’ordre dans tout ça et après on pourra aller faire un tour si ça te dis. Où tu veux… » Aussitôt dit, aussitôt fait. John et Jonelle s'étaient finalement mis au rangement des affaires entassées. La jeune femme avait du mal à effectuer ce tri, ayant du mal à se débarrasser de certains objets venant pour la plupart la replonger dans son enfance. Mais, elle avait conscience qu'entasser tout cela n'était pas la meilleure des idées, il fallait se défaire de ces cartons et ne pas repousser l'échéance...

A mesure du rangement, l'urgentiste arrivait à partager des morceaux de son histoire avec John, lui livrant par moment des petits bouts d'elle-même, des parties de sa vie. Descriptions de photos, narration d'anecdotes. Ce tri, bien que difficile, avait finalement permis de resserrer légèrement les liens existants entre eux deux. « C'est quand même mieux comme ça. ». Enveloppes en mains, elle jetait encore quelques lettres avant de ranger les autres courriers au fond d'un tiroir. Finalement, elle laissa son regard parcourir l'appartement avant de lâcher un petit soupir de soulagement, tout simplement heureuse que son chez-elle ait repris des allures normales. « Merci vraiment pour ton aide John ».

« Maintenant que ça a été fait, sortons d’ici Jonelle. Je crois que tu as assez vu les murs de cet appartement. » Après ces quelques mots, John s'approcha d'elle avant de glisser une de ses mains dans ses cheveux puis contre sa joue. Plus calme qu'il y a quelques heures, un sourire s'invita carrément sur les lèvres de Jonelle alors qu'elle plongea son regard dans celui du jeune homme. « Fais un vœu jolie fille… Je me sens l’âme d’un génie ce soir. » Amusée par ces dires, la jeune brune ferma alors les yeux un instant afin de prononcer intérieurement son vœu, un petit sourire toujours présent sur son visage. Laissant ses paupières s'ouvrir de nouveau, elle attrapa sa veste et ses clés avant de sortir de son petit logement. « Sortons d'ici. Monsieur le génie aura toute la soirée pour essayer de deviner mon souhait et le satisfaire ».

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« C'est quand même mieux comme ça. Merci vraiment pour ton aide John »

« De rien. C’était vraiment un plaisir. » Répondit l’informaticien. Et c’était vrai. Malgré la situation il avait passé une agréable soirée. Jonelle s’était livrée sans complexes en même temps qu’ils faisaient le tri dans les affaires de son père et la femme exceptionnelle qu’il avait soupçonnée s’était révélé dans toute sa splendeur. Elle ne portait pas de masque, comme la plupart des gens et il comprenait mieux son moment d’énervement quand le système informatique s’était retrouvé en panne. Elle avait craint pour ses patients. Elle mettait une part d’elle dans tout ce qu’elle faisait. Plus jeune que lui, elle prenait également beaucoup plus de risques avec la vie. Lui, il s’était réfugié derrière le suicide de sa femme pour ne plus avoir à se prendre la tête.

« Sortons d'ici. Monsieur le génie aura toute la soirée pour essayer de deviner mon souhait et le satisfaire » Proche d’elle il se sentait étrangement serein. L’envie de l’embrasser s’était imposée à lui, fugace et douce et il n’avait pu se résoudre à y céder, mais elle l’accompagnait alors qu’ils descendaient les escaliers et avançaient dans les rues. L’air plus frais de la nuit faisait un bien fou. Ils enlevèrent leurs chaussures en arrivant sur la plage et sous la plante de leurs pieds le sable était encore chaud de la journée. Les vagues venaient leur lécher les pieds alors qu’ils longeaient doucement la berge. John aimait vivre au bord de l’eau, il aimait sentir l’odeur des embruns quand il se levait et pouvoir aller nager quand l’envie l’en prenait. Il y avait une douceur au bord de l’eau qui n’existait pas à l’intérieur du continent. Un brin d’insouciance.

« Au final… » Commença-t-il après qu’ils aient gardés un moment le silence. « Ca faisait longtemps que je n’étais pas allé à un rendez-vous aussi agréable. » John n’était pas un sauvage, et quand son célibat s’était éternisé bon nombre de ses amis s’étaient mis en tête de l’aider à trouver la perle rare. Il avait rencontré toutes sortes de femmes, mais aucune qui ne lui donnait envie de sortir autant de sa réserve. C’était troublant. Troublant et délicieux tout à la fois.

Souriant, gêné et troublé il baissa le nez vers ses pieds en secouant la tête. « J’ai très envie de t’embrasser en fait. »

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Ils avaient finalement opté pour une ballade nocturne le long de la plage. Le temps particulièrement calme laissait toutefois une fine brise glisser dans les cheveux de Jonelle qui observait tantôt l'océan, tantôt le ciel étoilé. Étrangement, elle ne se sentait pas oppressée. Son état anxieux et sa tristesse semblaient s'être estompés le temps d'une soirée, laissant alors place à une tranquillité semblant sans failles. Ce soir, elle se sentait tout simplement bien, paisible. L'air marin lui apportant un apaisement que les murs de son appartement et ceux de l’hôpital ne lui procurait pas. Et puis, l'homme qui marchait actuellement à ses côtés y était sans doute pour quelque chose lui aussi.

« Au final… Ça faisait longtemps que je n’étais pas allé à un rendez-vous aussi agréable. » Jonelle ne pu s'empêcher de sourire maladroitement en entendant le ressenti de John. En réalité, elle n'en pensait pas moins. Avant le décès de son père, elle ne se souciait que trop peu de ses relations, qu'elle soient amicales ou amoureuses. Elle avait côtoyé plusieurs hommes et plusieurs lits mais n'avait jamais pensé à entamer une relation sérieuse. La disparition de son père l'avait en revanche fait réfléchir à tout cela. La solitude pesante qui l'enveloppait bien souvent en ce moment lui avait fait réaliser que comme tout un chacun, elle avait besoin d'un réconfort, d'un soutien. Toutes ces petites choses que John avait réussit à lui apporter ce soir, rien que par sa présence. « Je dois dire que je passe un agréable moment aussi. Je suis vraiment contente que tu sois là... avec moi. »

« J’ai très envie de t’embrasser en fait. » La jeune femme resta un instant silencieuse, comme songeuse. Quiconque aurait pu être étonné voir choqué de la rapidité à laquelle ces mots étaient prononcés. Après tout, il est vrai qu'ils en savaient suffisamment l'un de l'autre mais pouvait-on dire que trois rencontres suffisent à franchir le pas ? Gardant quelques secondes ses yeux azurés fixés vers l'étendue de sable, elle s'arrêta soudainement afin de se poster devant John, redressant la tête pour trouver son regard. C'était fou cette sensation de bien être, cette attirance soudaine. « Il faut céder à ses envies parfois... », murmura la jeune femme avant de se jeter elle aussi à l'eau, déposant délicatement ses lèvres contre celles de l'informaticien. Oui, c'était fou, mais également incroyablement agréable et enivrant.

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« Je dois dire que je passe un agréable moment aussi. Je suis vraiment contente que tu sois là... avec moi. » Peut-être que c’était l’aveu de Jonelle qui l’avait poussé à faire le sien. Mais John était d’avantage certain qu’il aurait avoué son envie, peu importe les mots qui auraient franchis les lèvres de la jeune femme. Parce qu’il lui était impossible de se mentir à lui-même et pare qu’il avait rarement été aussi certain de vouloir quelque chose. L’hésitation de la jolie brunette en revanche lui donna l’envie de prendre les jambes à son cou. Jamais secondes n’avaient parues aussi longues que celles pendant lesquelles elle se tourna vers l’océan. Est-ce qu’elle pensait que c’était une mauvaise idée ? Est-ce qu’elle ne le voyait que comme un ami sympathique ? Grimaçant il se demanda même s’il n’était pas trop vieux pour être désirable. 10 ans de différence, ça comptait. Surtout qu’il partait avec ce qui était considéré comme un handicap dans une relation, un lourd passé et un enfant à charge.

Il s’était tellement perdu dans ses pensées l’espace de quelques secondes qu’il fut surpris quand Jonelle s’arrêta devant lui. « Il faut céder à ses envies parfois... » Ne mesurant pas tout à fait la portée de telles paroles, il laissa leurs lèvres s’effleurer, figé par la surprise. Lorsqu’ils se séparèrent, il contempla longuement la jeune femme et se mordit la lèvre, avec sur les siennes le goût de celles de Jonelle. Enivrant. Troublant. Terriblement délicieux. Il ne réfléchit pas longtemps avant de glisser une main derrière sa nuque pour chercher ses lèvres à nouveau, tandis que l’autre venait enserrer la taille fine de Jonelle et la plaquer contre lui. A la surprise il substitua la frénésie, une envie brûlante qui se communiquait par son baiser passionné, par leurs deux corps pressés l’un contre l’autre. A en perdre le souffle.

C’était soudain, électrisant et presque dévastateur. Ce sentiment qu’il éprouvait. Et il avait toujours pensé que c’était mort en lui. Il ne voulait pas le reconnaitre encore, parce que la rapidité avec laquelle ça s’était installé en lui l’effrayait. Alors qu’il avait toujours lutté contre. L’amour. Il avait souhaité ne garder le sien que pour sa fille, pour ne pas souffrir à nouveau. Mais c’est s’il s’était tenu loin de Jonelle qu’il aurait véritablement souffert. Leurs lèvres se séparèrent mais il la garda fermement contre lui, caressant sa joue de son pouce, sa main soutenant toujours son visage. Il reprenait son souffle, son regard plongé dans celui du médecin. Elle était belle à se damner. S’il était en train de faire une bêtise, il ne s’en souciait pas pour le moment.

Esquissant enfin un sourire il dit. « Tu avais raison. Il aurait été dommage de louper ça. » Il perdait pied si facilement. Dès le départ il lui semblait avoir été touché par elle. Ca n’avait pas de sens pourtant, elle l’avait traité comme le dernier des imbéciles et lui tout ce qu’il avait retenu de sa terrible soufflante c’était à quel point elle pouvait être canon. Il ne savait pas quel était son secret, mais elle mettait à mal toutes ses barrières.

« Je me rends compte que toute la semaine je n’ai attendu que cette soirée. Je ne t’aurais pas laissée t’échapper. Ca fout la trouille… » Avoua-t-il. « C’est si rapide… »

John et Jonelle - Appartement 14

Le moment était somptueux, magique, éternel. En parfaite harmonie l'un avec l'autre, plus rien ne semblait exister alentour si ce n'est ces deux êtres. Eux, et leurs sentiments. D'aussi loin qu'elle puisse se souvenir, jamais la jeune médecin n'avait connu quelque chose de si passionné. Evidemment, bien souvent par le passé, elle s'était amusée, échangeant des baisers volés qui pourtant, n'avaient jusqu'à présent pas réussit à la combler. Jamais elle n'avait ressenti quelque chose d'aussi puissant et fabuleux. S'en était presque absurde et irréel. Comme un rêve insoupçonné. Ses lèvres pressées contre celle de John, elle se laissait porter par la passion, fermant un instant les yeux. Doux moment savoureux. Elle avait peur. Peur de se réveiller et de faire face à un vide sidéral. Peur que tout cela ne soit que pur imaginaire et que ce bonheur s'emparant de la moindre partie de son corps ne la quitte soudainement.

Laissant ses paupières s'ouvrir de nouveau, elle vint alors se perdre dans le regard de cet homme merveilleux qui lui faisait face. « Tu avais raison. Il aurait été dommage de louper ça. » Restant silencieuse, comme envoûtée, fascinée, elle ne fit qu'acquiescer d'un large sourire. Elle se sentait bien dans ses bras. Des étincelles s'étaient installées dans ses yeux, témoignage de cette allégresse ressentie. Pourtant, il y avait sans doute milles et unes questions à se poser. N'était-ce pas trop rapide ? Était-ce judicieux de craquer pour un homme de presque dix ans son aîné ? Sans oublier la fille de John. La jeune adolescente était elle prête à accepter ce qui était en train de se passer entre son père et Jonelle ? Oui, il y avait de nombreux doutes et pourtant, en l'espace d'un baiser, ils avaient tous étaient balayés de l'esprit de la jeune femme. La seule et unique chose lui important étant le moment présent.

« Je me rends compte que toute la semaine je n’ai attendu que cette soirée. Je ne t’aurais pas laissée t’échapper. Ça fout la trouille… C’est si rapide… » A ce moment précis, Jonelle se rendit compte de ce qu'elle aurait pu rater si jamais elle n'avait pas décrocher à l'appel en début de soirée ou encore, si elle avait été amenée à refuser la proposition de John pour venir chez elle. « Rapide mais tellement beau » avoua-t-elle en venant appuyer son front contre celui de l'informaticien. Elle avait envie de figer le temps, de rester là, ici, avec lui. « Tu es en train de changer mon destin John... Et même si ça aurait tendance à me faire peur, ça me comble bien plus que tout. »