Le tourbillon de la vie ou du cauchemar ? (Concho)

C’était comme si l’arrivée de cette petite fille nous offrait un second souffle, à Zelda et moi. Sûrement pas de ces souffles qui nous permettraient de nous reconstruire pour retrouver le couple que nous avions un jour été, non. Plutôt un souffle qui nous guiderait à nouveau vers cette belle amitié que j’avais eu l’impression de briser en mille morceaux. Des parents amis, c’est mieux que des parents séparés qui ne s’adressent plus la parole, n’est-ce pas ? Je souris quand elle me traita de crétin, à la place des insultes que je m’étais moi-même offertes. « Nul, idiot, crétin, ça ne revient pas tout à peu près au même ? » Demandais-je avec amusement. Plein de beaux synonymes pour montrer à quel point j’avais royalement foiré. Cette atmosphère plus détendue – la plus détendue des derniers mois – se transforma toutefois bien assez vite en chagrin, alors que Zelda m’affirmait qu’elle aurait tellement voulu vivre sa grossesse. J’hochai tristement la tête. Elle ne savait même pas à quel point j’aurais aimé, moi aussi, l’accompagner dans cette grossesse. Qu’on ait été ensemble et amoureux ou non. J’avais l’impression qu’on m’avait volé à deux reprises cette chance. Ally avait vécu sa grossesse loin de moi, sans daigner me mettre au courant. Zelda l’avait vécu ici, tout près de moi, mais dans l’ignorance la plus totale autant pour elle que pour moi cette fois. « Je sais. Je comprends. Et moi aussi. Mais l’important c’est que notre fille, et toi, vous soyez en santé … » J’esquissai un sourire. « Tu te rends compte de la combattante que t’es, Zeld’ ? » Je la regardai avec fierté dans le regard. Elle m’impressionnait, vraiment. Cette résilience face à toute la merde que la vie lui avait jeté en plein visage, il y avait de quoi l’être, impressionné. Et puis de savoir qu’elle me laissait toute la place qui me revenait auprès de notre fille, sans hésitation, sans remontrance … je pense que je ne l’avais jamais autant aimée qu’actuellement. Je ris de bon cœur lorsqu’elle me parla de ce qu’elle m’aurait fait, si j’avais assisté à l’accouchement. « J’aurais tout encaissé ça. Promis juré. » Je souris. Pour une fois, je ne me serais pas défilé. Tout comme je ne me défilerais pas maintenant, face à notre petite famille. Elle me parla ensuite des prénoms auxquels elle avait songé. Je souris en les entendant un après l’autre, avant de répondre : « J’avoue que j’ai toujours trouvé que Lara Croft était totalement badass. » Je baissai les yeux vers la petite. « Qu’en dirais-tu … Lara ? » Demandais-je autant à la mère qu’à la fille, même si cette dernière n’avait pas la possibilité de donner son avis quant à sa propre identité.

Pour moi, c’était une évidence, que Willow et Jason seraient marraine et parrain. De mon côté, je n’avais pas de famille, ce qui s’en rapprochait le plus c’était Lily-Anaëlle et Nelligan, et ce serait eux que j’aurais voulu nommer si ça avait été seulement de mon côté. Mais Jason et Willow faisaient bien plus de sens, ils avaient toujours été là pour Zelda et le seraient toujours. Et de l’époque où nous filions le parfait bonheur en tant que couple, ils avaient été proches de nous. Sa question ne me prit donc pas de court, et d’instinct, je lui répondis : « Ça ne me dérange absolument pas. C’est le meilleur choix possible. » Je lui souris, puis regarda Lara que nous venions de nommer officiellement. Et ça lui allait à merveille. Elle était déjà forte, elle avait su se garder en vie par elle-même, dans le plus grand des secrets. Elle avait déjoué la vie à son propre jeu. Zelda me proposa de la prendre dans mes bras, et les larmes me montant aux yeux, je m’approchai pour qu’elle me passe notre fille tout en douceur. Je la gardai contre moi, sa petite tête reposant contre mon biceps. Je souris, puis un léger rire de bonheur s’échappa brièvement d’entre mes lèvres. « Elle est … si fragile. Mais tellement belle. » Je l’aimais déjà tellement. Je me penchai doucement pour venir poser un baiser sur son front. « Y’a visiblement pas qu’au karaoké qu’on est capables de créer des chefs-d’œuvre, toi et moi. » Lançais-je avec humour, à voix basse pour ne pas déranger la petite, après avoir levé les yeux vers Zelda.
 

Ma tentative de blague fut d’abord un échec, quand Zelda me répondit avec un regard noir. Je ne savais plus sur quel pied danser, mais je ne pouvais lui en vouloir. Avec la fatigue, en plus, ses émotions devaient être sens dessus dessous. J’hochai la tête alors qu’elle me disait être toujours furieuse contre moi, mais que ça partirait avec le temps. « Je ne m’attendais pas à ce que tu me pardonnes en un claquement de doigts, Zeld’. Je ne te demanderais jamais ça. » J’esquissai un faible sourire. Le simple fait qu’elle ouvre la porte à l’idée qu’un jour, sa colère s’adoucirait, ne faisait que prouver sa maturité. J’avais eu de la chance de tomber amoureux d’une femme comme elle. « Merci de réagir comme ça. Tu pourrais continuer à déverser ta colère sur moi-même devant Lara, y’en aurait plein qui aurait fait ça. Mais pas toi. Et je t’apprécie beaucoup pour ça. » Dis-je calmement, la petite Lara contre moi. Puis, Zelda revint sur ma stupide blague de tout à l’heure à propos du karaoké, en lâchant que si elle devenait chanteuse, elle allait se marrer. Je ris, retenant ce rire d’ailleurs pour ne pas déranger notre fille. « Si on se fie à la génétique … y’a de fortes chances. » Après tout, Zelda et moi étions des chanteurs hors-pairs. Je posai les yeux sur mon ex. « T’as l’air exténuée. On devrait peut-être te ramener à ta chambre pour que tu te reposes ? » Proposais-je. Je savais qu’elle aurait du mal à délaisser Lara, mais il le faudrait bien, pour qu’elle reprenne du poil de la bête. Autant l’une que l’autre, en fait.  

Je tentais d’être doux, presque docile, parce que je savais que j’avais tout à me reprocher et pas elle. Son attitude en dent de scie, plus souvent du côté coupant que non, me laissait comprendre qu’elle n’avait pas tourné la page, que ses moments de moquerie n’étaient que des parenthèses à la tempête. Je ne lui demandais évidemment rien de ça, mais je dois avouer que j’avais un peu de mal à jongler entre la colère et les sourires. « Ils t’ont bien appris. » Les miens se disputaient souvent, quand j’étais gamin, et puis un jour mon père était parti et ma mère, devenue monoparentale, avait décidé de se tirer aussi. Mais de vraiment se tirer, quoi. Voyant la mine fatiguée de Zelda, je proposai de la raccompagner à sa chambre. Elle m’affirma avoir froideur ne pas avoir besoin que je prenne soin d’elle. Ne plus en avoir besoin. « J’essaie juste d’aider … » Dis-je doucement pour me défendre, comme je pouvais. L’infirmière sentit sans doute ce moment tendu puisqu’elle vint reprendre Lara pour la remettre dans sa couveuse. Zelda posa alors d’elle-même ses mains sur les roues de sa chaise et s’en alla après m’avoir souhaité une bonne journée, d’un ton neutre. « Bonne journée … » Soufflais-je en la regardant s’éloigner. Elle n’avait pas entendu, elle ne cherchait pas à entendre une réponse de toute façon. Je soupirai, ravalai mes larmes, passai une main nerveuse dans mes cheveux, et restai quelques dizaines de minutes de plus à regarder Lara de l’autre côté de la vitre. Puis, je m’en allai.  

FIN