i might have seen a ghost ft. gisella

Un samedi soir sans alcool n'est pas un vrai samedi soir. J'avais pris l'habitude de sortir au Hendrix, j'y connaissais beaucoup de monde là-bas, mon frère y travaillait ainsi que quelques amis et c'était donc mon endroit de prédilection. Rien de spécial n'était prévu pour ce soir, mon frère travaillais et ça s'annonçait être une soirée plutôt chillos, je prendrais quelques bières avec Fede et des amis finiraient surement par nous rejoindre. Comme à mon habitude, j'avais quand même pris le temps de soigner mon apparence, mes cheveux tenaient bien en place avec un peu de pommade et je portais mon parfum habituel, depuis que mon père me l'avais offert pour mes 14 ans, je n'avais plus changé de parfum. J'étais parti à pied de chez moi, le Hendrix n'était pas très loin, j'y allais la plupart du temps à pied, surtout lorsque j'en revenais, ça faisait toujours du bien de prendre le temps de digérer l'alcool avant d'aller au lit, ça c'était quand je ne finissais pas dans le lit de quelqu'un d'autre, parfois je ramenais aussi des filles chez moi, mais par respect pour Aura, j'essayais que ça arrive le moins souvent possible. Je sors une clope de son paquet et l'allume tout en marchant sur le trottoir. Pour me rendre au Hendrix, je dois passer devant le Elm Street, je me rend compte que je n'y suis pas aller très souvent depuis que je suis déménagé à Bowen. Je passe devant la vitrine et jette un coup d'oeil à l'intérieur avec ma clope au bord des lèvres. Je fronce les sourcils, la serveuse ressemble à quelqu'un que je connais, je m'attarde un peu, ralentissant ma cadence. Ce n'est que lorsqu'elle relève la tête que mon coeur s'arrête presque, j'ai l'impression de voir un fantôme de ma vie passée. Je jette ma clope au sol et me précipite à l'intérieur. Je m'arrête derrière la brunette. Ella? C'est pas possible qu'elle soit à Bowen, je vais surement avoir l'air d'un gros con lorsque la jeune femme se retournera et que je verrai que je me suis trompé de personne.

Assise sur des boites d'alcool pêle-mêle de la réserve, le portable appuyé sur les vestiges de cartons supplémentaires, Gisella contemple son reflet au travers de la caméra avant, tirant sur des mèches de sa queue de cheval bien haute pour la replacer, pour se donner un peu de dignité. Cette soirée est difficile, bien plus que les autres qu'elle avait eu à servir. Elle commençait à ressentir les effets du manque de son pays et le doute que sa décision de disparaître était la bonne. Peut-être même celle de s'enfuir pour Bowen. Tout était un champ de bataille dans sa vie actuelle, ses valises qui n'étaient toujours pas défaites et qui traînaient dans le coin de sa chambre d'hôtel qu'elle devra bientôt rendre à défaut de se trouver un appartement où s'installer réellement en témoignaient le chaos qui résultait de ses choix. Mourir. Elle n'avait pas pensé qu'elle devrait le faire, un jour, pour avoir enfin un sentiment de paix intérieure. Mais il l'avait fallu. Il avait fallu disparaître, s'évader et laisser tout de côté pour un système où les hommes avaient une emprise sur les femmes sous prétexte qu'ils étaient les plus forts. Si seulement Gisella avait appris à manipuler une arme, elle aussi, elle aurait pu jouer aux plus forts. Mais on ne montrait pas ces choses-là, aux femmes. Elle soupira longuement, trouvant le courage de remettre un sourire sur son visage, les clients du Elm Street, son nouvel emploi dans sa toute nouvelle vie, qui n'avaient pas à subir ses doutes et ses déboires. Elle se leva, récupéra l'appareil qui lui servait de miroir, l'enfouissait dans ses poches en traversant les allées de la réserve jusqu'à en pousser les deux grandes portes ballottantes, attrapant au passage une caisse où il s'y logeait deux ou trois bouteilles de forts, il lui fallait une excuse pour avoir passer un peu trop de temps dans la réserve, revenir les mains vides n'était pas une option. L'Italienne se dirigea vers le bar avec les bouteilles, sa longue queue de cheval brune qui descendait dans son dos nu, son haut noir aux bretelles fines qui donnait une vue somptueuse à ses muscles dorsaux et au hâle de sa peau naturellement teintée par le soleil. Une fois arrivée près de ce dernier, dos à l'entrée principale, elle s'affairait au remplissage des tablettes qui exposaient les différents alcools disponibles par l'établissement lorsqu'une voix vint figer ses mouvements, appellation qui ne pouvait pas être utilisé par n'importe qui. Ella, féminisme qui frôlait sa peau et qui la faisait se hérissait alors qu'elle se remémorait les nombreuses fois qu'il lui avait soufflé, contre sa peau, mais aussi, dans leurs adieux. Lentement, elle fit un tour sur elle-même, découvrant le brun de ses yeux et le visage bien trop familier de son... « Enzo », qu'elle laissa échapper dans un soupir, presque discret, presque imperceptible. « Qu'est-ce que tu fais en Australie? » Elle avait coupé ses contacts avec sa vie d'avant, facilitant sa fausse mort. Et depuis la réouverture de ses nouveaux réseaux, elle n'avait pas osé espionner ceux de son ex de peur d'être blessé. Il était le seul qui pouvait, éternellement, la faire craquer.

Je ne m'attendais vraiment pas à voir le fantôme de ma vie passée à Bowen en train de travailler au Elm Street. Je ne savais même pas qu'elle était seulement en Australie. Ella ça remonte à loin, j'étais adolescent quand notre histoire à commencer, encore à ce jour, je crois toujours qu'il s'agisse de la seule femme que j'ai réellement aimée. C'est d'ailleurs probablement toujours le cas, si ce n'était pas de mon déménagement, je ne l'aurais jamais quittée, mais la vie en a voulu autrement. Nous n'étions pas prêts pour une rupture, nous nous aimions encore et pourtant, c'était inévitable. Je suis bouche-bée, j'ai probablement l'air d'une statue alors qu'elle se retourne et que je découvre enfin son visage. Il s'agit bien de Gisella, ma Gisella. Je finis par briser le silence après quelques secondes d'hésitation. Qu'est-ce que je fais en Australie? Je te pose la même question... Je cligne rapidement des yeux, je ne sais pas si je dois lui faire une accolade ou bien m'abstenir, je suis complètement pris au dépourvu. Pourquoi avait-elle décidée d’emménager dans la même ville que moi? Je savais bien que je n'en était pas la cause, mais ça restait une coïncidence assez incroyable. Je l'observe de haut en bas. Tu travaille ici? Évidemment qu'elle travaille ici, mais j'ai besoin de l'entendre de sa bouche pour vraiment y croire, tout ça est si surréaliste que mon cerveau n'arrive pas encore à mettre tous les morceaux ensembles.

Si Gisella s'attendait à tomber sur ce fantôme de son passé, elle aurait bien choisi une autre ville que Bowen pour s'établir dans sa nouvelle vie. Parce qu'elle s'exposait à la dangerosité que son secret soit dévoilé. Aux yeux des gens qui avaient côtoyé Gisella Monti, elle devait être morte. Et si elle était ici, c'était seulement pour porter une surveillance accrue sur son ex-mari, celui sur qui on avait menacé de s'en prendre si jamais l'avocate venait à vouloir quitter l'organisation criminelle pour laquelle elle oeuvrait. Passée pour morte, elle avait eu peur pour Ciàran, peur que les menaces se concrétisent, et Bowen avait été sa destination finale. Revoir Enzo, c'était aussi déstabilisant que rassurant. Et pour toutes ces raisons, Gisella ne savait pas sur quel pied danser. Retournée vers lui, elle avait souri devant l'hésitation de son ex jusqu'à ce qu'il réponde enfin à la question qu'elle lui avait posé. Enfin, c'était vite dit. Il avait plutôt esquivé la réponse, lui retournant la question ce qui fit élargir le sourire de la brune. « J'y vis », répondit-elle simplement alors qu'il déduit qu'elle travaillait au Elm, ses cheveux remontés dans une queue de cheval qu'elle aurait préféré relâcher et son tablier qui témoignait qu'elle rangeait les pourboires dans sa poche avant. Elle hoche la tête. « Je te sers à boire? » C'était ce pourquoi elle était payée, après tout. « Tu m'as pas répondu, qu'est-ce que tu fais en Australie? », demanda-t-elle à nouveau, cherchant à comprendre la raison qui l'avait mis sur sa route. « Tu parcours le monde ou t'as décidé de t'arrêter ici? »

Je ne connais pas du tout les raisons pour lesquelles Ella est venue ici, en fait depuis la dernière fois où je l'ai vue, c'est à dire il y a quelques années, je n'ai plus eu de nouvelles d'elle. Aucune idée où elle a vécue durant tout ce temps ni même si elle a eu des relations sérieuses. Elle me dit simplement vivre ici, rien de plus. Ça me laisse un peu perplexe je dois avouer, j'ai l'impression qu'elle ne désire pas s'étendre sur le sujet finalement. Je devais normalement passer la soirée au Hendrix, mais je savais que je ne pouvais pas partir comme ça, pas après avoir revu Ella. Elle me propose donc de me servir à boire et j'accepte un rhum and coke avant de m'asseoir à l'une de ses tables libres. Elle me demande une seconde fois ce que je fais ici. C'est vrai que je n'avais pas répondue à sa question, à vrai dire je ne m'en était même pas rendu compte. Je m'éclaire la voix. Oui euh, Fede habite ici depuis quelques années, moi et Aura on venaient souvent lui rendre visite et on a finalement décidés de venir y habiter. Ça c'était la version officiel, mais il y avait une toute autre raison pour notre déménagement à Bowen, ça ressemblait même un peu aux même motifs que ceux de Gisella, la mafia nous avait forcée à l'exil. Dans mon cas, je ne pouvais pas risquer la sécurité de ma soeur jumelle. C'est moi qui nous avait mis dans un sale pétrin, pas question qu'elle paie pour mes erreurs, mais je savais que si la mafia voulait me faire du mal, ils s'en prendraient à ceux que j'aime avant de s'en prendre à moi. Aura était la seule au courant et c'était pas plus mal, je n'avais pas envie d'inquiéter personne. T'es déménagée y'a pas longtemps? Sinon je l'aurais très certainement remarquée avant, je traîne souvent au centre-ville.

À l'instant où ses yeux se posent sur Enzo, à l'instant où elle réalise qu'il est là, bien réel devant elle, qu'il ne s'agit ni d'un mirage ni d'un rêve trop fou, toutes les raisons qui l'ont poussée à fuir l'italien, toutes les raisons qui justifie sa présence à Bowen s'envolent. Elle est saisie sur place, comme attaquée par un coup de foudre, un sourire bien trop niais à son visage alors qu'elle lui propose un verre. Enzo accepte, Gisella contourne le bar, attrape les bouteilles de rhum et de cola pour mixer la boisson qu'il a quémandée. Elle lui passe le verre, sa main frôle celle de son ex, un frisson étrange lui parcourt le corps. Comment il peut avoir encore autant d'emprise sur elle, des années après leur histoire ? Comment peut-être lui faire perdre encore la tête alors qu'elle ne sait rien de lui, du Enzo qu'il est devenu. Des années sont passées, des années qui ont forgé leurs vies, leurs personnalités. Des années qui les ont changés, complètement. Et malgré tout, il réussit toujours, de son regard, à la bouleverser. La brune ose lui reposer la question qu'il a évitée, peut-être était-il aussi abasourdi qu'elle quant à la découverte qu'il avait faite, justification pour l'exemption de réponse. « Alors, c'est tout le clan Luciano qui est à Bowen », souffle-t-elle dans un sourire presque soulagé et surpris à la fois. Combien y avait-il de chances pour qu'ils se retrouvent tous dans la même ville, à Bowen, une toute petite ville que peu de gens connaissaient? Les probabilités étaient minces. Et malgré tout, les voilà tous au même endroit. « C'est compliqué », avoue-t-elle lorsque Enzo la questionne sur son emménagement. Gisella lui accorde un doux sourire avant de poser ses coudes contre le bar, se penchant légèrement vers l'avant, s'approchant de lui comme pour qu'il soit le seul à entendre ses confidences « J'y avais déjà emménagé, il y a deux ans. », fait-elle dans une vérité sans secrets. « Et je viens tout juste d'y revenir. J'imagine que la région me manquait » laisse-t-elle en suspend avant de rire maladroitement, secouant la tête. « J'y crois toujours pas... Enzo... » Son coeur s'emballe. Il lui fait du bien. Et elle est à la fois anxieuse. Il faudra lui parler de Ciàran, de son mariage, de son changement de carrière. Et tout ça, ça lui fait peur.

Je suis assis avec mon verre encore plein devant moi, je n'ai pas encore pris une seule gorgée tellement je suis impressionné d'avoir Gisella devant moi. Ouais, toute la fratrie est à Bowen. Après être souvent venu profiter des plages australiennes et du canap de Fede, Aura et lui avait fini par faire leur nid ici. Ils avaient eut de la chance, ils avaient trouver un grand appartement qui leur coûtait une fraction du prix de ceux qu'ils avaient connus auparavant, ils avaient sauter sur l'aubaine et s'étaient installés rapidement. Après lui avoir demandé depuis combien de temps elle est là, elle me confit avoir déjà vécu ici il y a deux ans de cela, incroyable. J'hausse les sourcils. J'y crois pas trop moi non plus je dois avouer. Je souris et baisse le regard vers mon verre un instant. J'aime pas comment je n'ai absolument aucun contrôle sur moi en ce moment. Elle me désarme complètement. J'ai envie de me laisser aller, mais je joue le rôle du mec désinvolte et tombeur depuis trop longtemps. Tu dois connaitre des gens ici alors, tu as des amis? Surtout si elle dit y avoir habité auparavant. Je ne connais pas encore toute l'histoire et si je finis par connaitre la vérité, je serai surement choqué.

Ils sont tous là, Fede, Aura, ils sont tous à Bowen. Et la surprise lui jette un froid dans le dos. Gisella fuyait son passé qui la rattachait à l'Italie, à cette mafia qui en avait sans doute après elle et qui attendait qu'elle fasse un geste de travers pour la retrouver. Et la voilà dans la mire d'un fantôme de son passé, quelqu'un qui la connaissait beaucoup trop, quelqu'un qui pourrait, sans le vouloir, trahir son secret. Mais, rapidement, tout ça semblait ne plus avoir d'importance, alors qu'elle croisait son regard et que tout son monde s'était écroulé. C'était comme si les années avaient arrêté d'avancer, de passer, comme si elle était figée dans le temps, qu'elle les revoyait, gamins, s'aimer si fort que ça faisait mal de s'imaginer loin. Et, pourtant, c'était bien ce qu'ils avaient dû faire, s'éloigner. Elle avait peine à y croire. Et lui aussi, Enzo le confessa, le sourire mutin sur ses lèvres et son regard fuyant qui le confirmait. Mais comme pour faire diversion, il se renseigna sur la vie de la brune à Bowen, ses fréquentations. Elle sent un peu de jalousie dans sa voix, le mâle qui chercher à marquer son territoire. Sans doute qu'elle devrait lui parler de Ciàran, mais pour l'instant elle se permettait de n'être qu'évasive. « Pas vraiment », avoua-t-elle en baissant les yeux vers ses ongles qu'elle malmène. « J'ai connu des gens, oui, mais je ne suis pas restée assez longtemps pour me faire des amis, du moins pas beaucoup. Peut-être un ou deux, sans plus. » Mais son sourire se perdit. Elle inspira en fermant les yeux. « Il y a mon ex-mari, ici », avoua-t-elle en osant finalement le regarder. « Ça fait maintenant deux ans que nous sommes divorcés. Il est important pour moi, mais pas de cette façon », tentait-elle de justifier avant de venir poser une main contre celle d'Enzo. « Mon père est mort. Ma mère aussi. Je n'avais plus personne en Italie, j'avais besoin de me sentir entourée, d'avoir le semblant d'une famille, tu comprends ? » Mais ce n'était pas exactement ça. Il y avait tout ça, oui, la mafia en plus.

C'était comme si on ne s'étaient jamais quittés. Elle n'avait pas changée, à vrai dire je crois que oui, elle a changé, elle est encore plus belle que dans mes souvenirs. Je n'arrive pas à la regarder trop longtemps, je me perd dans ses yeux foncés, dans ses cheveux ondulés, sur ses joues, sur ses lèvres... On a une conversation plutôt superficielle, mais quoi dire après autant d'années? On parle de nos vies respectives, de la famille, de nos amis. Elle m'avoue ne pas en avoir beaucoup ici, par contre elle finit par me dire que son ex-mari habite Bowen. Déjà, je ne savais même pas qu'elle avait été mariée, donc encore moins divorcée. J'imagine que la surprise se lit sur mon visage, mais je la laisse terminer. Elle semblait vouloir que je sache qu'il ne se passait rien entre eux au niveau sentimental. J'ai presque envie de sourire, mais je me retient. Je me dis que si elle a tenu à le préciser, c'est qu'il y a une raison. Je comprend. Dis-je simplement, ne sachant pas trop quoi dire à propos de l'ex-mari. Si je devais perdre ma famille, je crois que je péterais un câble. Je passe une main dans mes cheveux. Un léger malaise s'installe, j'imagine que l'histoire de l'ex-mari nous a un peu refroidit. Je lève de nouveaux les yeux vers Ella qui me regarde. J'ai des amis à rejoindre. À vrai dire, j'aurais préféré passé la soirée avec elle, à rattraper le temps perdu et à rire comme on avait l'habitude de le faire, sauf que je sens mon portable qui vibre dans ma poche sans arrêt. J'ai été ravis de te revoir. Surpris, mais surtout ravis. J'offre un grand sourire à la somptueuse brune avant de sortir un billet de mon porte-feuille et le déposer dans sa main. J'effleure ses doigts et je me fige un instant à ce contacte, j'imagine que j'essaie de le faire durer plus longtemps qu'il ne le devrait. Je me ressaisit, puis approche mon visage du siens pour lui faire la bise à l'italienne, bien entendu. Son parfum me fait tourner la tête, il faut que je sorte d'ici, sinon je crois que je vais devenir ivre d'elle. À bientôt Ella. Dis-je en passant la porte, je lui offre un dernier sourire avant de m'éclipser et un clin d'oeil, nous nous reverrons.

Faut bien clore ces vieux sujets pour en ouvrir de nouveaux...