the walls we're all against (jorge)

Généralement, quand Nova se retrouvait bien trop ivre pour retrouver le chemin de son logement par elle-même, elle téléphonait au premier numéro que son index arrivait à appuyer dans sa liste de contacts. C’était souvent Alix ou Alex, parce qu’ils avaient l’honneur de figurer tout en haut de l’écran. Et comme ils étaient ses colocataires, c’était plus facile de se faire ramener chez soi par quelqu’un qui y vit aussi. Malheureusement, en égarant son sens des responsabilités ce soir, Nova y avait aussi laissé sa sacoche qui contenait son argent, ses pièces d’identité et son téléphone portable. Ce ne fut donc pas un ami qui la ramassa cette nuit au bord de la route, éméchée et hurlant après les voitures, ce fut deux policiers peu enclins à la discussion avec une fille trop saoule pour savoir de quoi elle se défend. Elle avait été trouvée coupable d’ « être trouvée gisant ivre ou flânant ivre sur la voie publique » et de « gêner la circulation ». 150 $ d’amende.  Gisant ivre, on aurait cru qu’ils parlaient d’une épave échouée. Était-ce l’image qu’elle projetait ? Ça lui donnait encore plus honte d’elle-même, alors qu’elle dégrisait dans une cellule en attendant qu’elle ne soit plus une Jane Doe égarée dans les rues de Bowen comme dans sa tête. Elle posa sa tête sur le mur derrière elle, ferma les yeux et soupira. Elle avait envie de vomir mais elle avait déjà fait une folle d’elle ce soir, elle n’allait pas continuer sur cette lancée, ou plutôt sur cette descendre. Nova ne rouvrit les yeux que lorsque la porte grillée de la cellule d’à côté s’ouvrit et que quelqu’un d’autre y fut enfermé. Bowen, quelle ville de délinquants, quand même. Elle regarda cette seconde personne, celle avec qui elle partagerait l’aube, aller s’asseoir sur le banc métallique à la même hauteur que le sien, mais de l’autre côté des barreaux qui séparaient les deux enclos de ces épaves nocturnes qu’ils étaient.

Le regard de Nova n’avait pas quitté la silhouette qui venait de pénétrer dans la cellule d’à côté. On était au beau milieu de la nuit, les commissaires avaient au moins eu la décence de fermer les lumières au-dessus des cellules, pour leur offrir le minime pourcentage de confort pour essayer de dormir, peut-être. Dormir alors qu’ils n’avaient qu’une froide banquette pour un lit. Les lumières du couloir et l’éclairage naturel de la lune arrivant à se frayer un chemin jusque dans le commissariat suffirent toutefois à Nova pour qu’elle puisse suivre le mouvement de l’homme qui s’assit pour se relever deux secondes après. Elle fronça les sourcils, la tête toujours appuyée contre le mur, légèrement tournée vers lui. Il rouspétait et tournait en rond, c’en était étourdissant. D’ailleurs, quand il s’adressa enfin à elle pour lui dire, sans classe, qu’elle puait l’alcool, Nova ne se gêna pas : « Eh toi t’es juste dérangeant. Si tu pouvais arrêter d’tourner en rond ça aiderait à c’qu’on ajoute pas l’odeur de vomissure à l’odeur d’alcool. » Leurs regards se croisèrent. Nova ne discernait pas grand-chose, sauf la lumière de la lune qui se reflétait dans le regard de l’homme, qui n’avait rien de bienveillant. « Quoi, j’fais juste prévenir. » Elle détourna enfin le regard après avoir haussé les épaules. Ça lui donnait réellement mal à la tête de le regarder bouger dans tous les sens, ou peut-être n’était-ce que sa gueule de bois qui commençait à pointer le bout de son nez. Elle dégrisait, lentement mais sûrement, ce qui ne faisait qu’exacerber ce désagréable sentiment d’avoir un tambour à la place du cerveau. Elle avait soif. Elle se leva enfin pour se rendre au bout de sa cellule, les bras balançant entre les barreaux de la porte. « Hé ! J’ai soif ! J’peux avoir de l’eau ? J’ai encore le droit d’combler mes besoins de base, non ? » Cria-t-elle au commissaire qui devait bien se trouver à quelque part au bout de ce couloir.

Elle n’avait pas peur, Nova. Ou plutôt, les effluves d’alcool qui enivraient encore son esprit annihilaient cette peur qu’elle aurait certainement ressentie en d’autres circonstances. Cet homme, à force de se déplacer dans sa cellule, avait laissé son visage baigner dans la lumière de la lune ou du couloir et Nova avait pu voir. Elle avait pu voir qu’une partie de son visage était abîmé, brûlé, cicatrisé, elle n’aurait pas su dire exactement. De quoi lui donner froid dans le dos même si ce n’était pas une réaction appropriée. Toutefois, comme Nova n’avait pas encore retrouvé toute sa tête, elle n’en avait que faire de cet homme dont l’attitude rendait encore plus abominable que son visage. « Tu tournes si tu veux alors j’dégueule si je veux. » Rétorqua-t-elle comme une jeune adolescente en rébellion. C’est lui qui avait commencé. La rouquine affirma qu’elle ne faisait que le prévenir, comme si elle agissait actuellement en bonne samaritaine, et l’homme lui répliqua qu’il en faisait de même. Elle leva les yeux au ciel en signe d’exaspération, ce qui lui fit légèrement perdre l’équilibre. Elle profita du fait de s’être retenue aux barreaux avant de la cellule pour se tourner face au couloir et héler le policier pour qu’il lui amène de l’eau. Elle avait la bouche pâteuse et l’impression que son cerveau déshydraté s’était réduit à une taille de petit pois. L’autre homme s’en mêla, forcément. Nova poussa un soupir d’agacement. « Moi j’t’ai rien demandé c’est toi qui as commencé à m’casser les couilles alors ta gueule hein. » Quelles couilles ? We’ll never know. Quand elle l’entendit affirmer qu’il n’avait rien fait, elle s’esclaffa. « T’existes, c’est ça le délit. Tu fais chier tout le monde. » Elle croisa les bras et retourna s’asseoir sur son banc, voyant que le policier l’ignorait.

Non mais il était borné, ce con. Nova le regarda avec exaspération. Pendant combien de temps allaient-ils s’obstiner sur le tournage en rond de l’homme et les vomissements de la rousse ? Elle ouvrit les bras le long de son corps. « Tu t’crois dans une prison de luxe là ? Tu penses que je contrôle mes allées et venues aux chiottes comme je veux ? Le temps que le flic vienne me sortir d’ici j’aurai eu le temps de vomir trente fois. » Elle ne connaissait pas grand monde qui puisse contrôler ou retenir une envie de vomir bien longtemps. Quand ça arrive, ça sort. Mais là, ce n’était pas trop d’une sortie dont Nova avait envie, mais d’une entrée. Elle avait soif, terriblement soif, et elle n’hésita pas à le crier au commissaire qui se cachait loin des deux grands enfants, là. Il lui ordonna à son tour de se fermer la gueule. Ils ne faisaient que se renvoyer la balle de vulgarité. Nova, elle, ça la rendait hilare maintenant. Leurs insultes ne menaient à rien du tout. Ils ne se connaissaient même pas et s’injuriaient à n’en plus finir. « Si tu dis aussi ça veut au moins dire que t’es conscient qu’t’emmerdes tout le monde. Le premier pas c’est de reconnaître la vérité, alors bravo. » Elle tapa dans ses mains, arrogante, en s’approchant de son côté de la cellule. Ça lui fit mieux sentir l’odeur d’alcool qui émanait d’elle. « My god, petite nature, t’es vraiment une princesse ou quoi ? Sauf que toi dans les films Disney on doit plutôt te comparer à la bête, pas vrai ? » Oups, coup bas.

Les larmes lui montaient aux yeux, à Nova. Parce qu’elle en avait marre de cet homme, parce qu’elle avait mal à la tête, parce qu’elle était fatiguée, parce qu’elle voulait rentrer chez elle. Elle voulait voir Alix ou Alex, pas cet homme ignoble avec elle. « Je n’sais pas, ok !? J’sais pas ce qu’ils vont faire, parce que j’me suis jamais retrouvée en taule avant, ok !? » Cria-t-elle d’une voix bien moins assurée ou arrogante, d’un coup. Mais Nova, jamais elle-même bien longtemps, reprit le contrôle et essuya ses larmes d’une grande inspiration. Quand elle rouvrit les paupières, elle retrouva son regard perçant, hautain. Elle reprit ses attaques, ses insultes, contre cet homme qu’elle ne connaissait pas et qui ne connaissait rien d’elle non plus. Ça ne prenait toutefois pas une grande compréhension de quelqu’un pour savoir que lui emmerdait tout ce qui bouge. « Mon cul ouais que t’aurais rien dit. J’parie qu’t’aurais trouvé n’importe quelle excuse pour te montrer aussi chiant et méchant. » Alors que Nova se rapprochait de lui, défiante, lui ramena encore une fois l’odeur d’alcool qui émanait d’elle. Levant les yeux au ciel, la rouquine lui parla des films de princesse dans lesquels il se pensait peut-être, mais elle lui rappela bien vite que son rôle à lui était sans doute celui de la bête. Elle recula d’un pas, sursautant, un cri de peur s’échappant d’entre ses lèvres, alors que l’homme fonça contre les barreaux pour cogner dedans. Là, nul doute, on aurait dit un animal en cage. « Désolée. » Souffla-t-elle. « Peut-être que tu étais un peu plus gentil on remarquerait moins. » Ce n’était pas forcément une manière de se rattraper. Ce n’était pas vraiment son intention non plus. Il fallait juste que quelqu’un le remette à sa place, ce sauvage.

L’homme d’expérience parla, lui intimant de s’asseoir ou de se coucher sur le lit et d’y rester, tranquille. Elle arqua un sourcil en le regardant. Elle croisa les bras. « Si c’est ce qu’il faut généralement le faire pourquoi tu l’fais pas toi hein ? » Elle balança ses hanches d’un côté, prenant volontairement un air hautain. « T’es peut-être un habitué d’la place mais ça t’donne pas le droit de faire la loi. » Et sur ce, elle recommença à faire les cent pas, comme lui tout à l’heure, avant de revenir vers la grille qui séparait leurs deux cellules. Et c’est là que ça dégénéra un peu plus encore – quoique depuis le début cette conversation était un peu sur le bord de l’explosion. La tension – pas sexuelle, ne vous méprenez pas – ne cessait de grimper. Cette fois, Nova avait clairement dépassé les limites en s’en prenant au physique de l’homme. Elle aurait voulu ne pas être superficielle, la rouquine, mais elle l’était quand même un peu. Alors bien sûr, ce détail lui avait sauté aux yeux dès que la lumière lui avait permis de le remarquer. « Non, j’me crois pas drôle. Y’a rien de drôle dans tout ce que t’es. » Et c’est là qu’elle lui remit sous le nez sa méchanceté qui n’aidait pas sa cause. « J’ai l’impression que t’as envie d’être gentil avec personne et que tu dois te sentir bien seul. C’est pour ça que t’es abonné à la prison ? Les policiers c’est un peu comme tes seuls amis ? » Elle aurait pu choisir le droit chemin mais non, Nova repartit sur les insultes. L’alcool, ça lui enlevait aussi sa peur. Sa peur que ce mec-là puisse s’en prendre à elle quand ils seraient tous les deux relâchés. Elle n'avait aucune idée de ce dont il était capable. Il était peut-être complètement timbré. Il en avait tout l'air.

Nova arqua un sourcil, dubitative, avant de juste hausser les deux en soupirant et en détournant le regard, les bras toujours croisés. « Ouais, j’dois avouer que ça me choque. » Et surtout, elle ne le croyait pas une seule seconde. Il devait même connaître par cœur le nombre de tuiles au plafond. Elle n’ajouta rien à ce propos, ce qui ne l’empêcha pas de se mettre davantage les pieds dans les plats un peu plus tard, en l’insultant à propos de quelque chose qu’elle n’aurait jamais eu l’audace – ou la méchanceté – d’aborder si elle avait été sobre. Il semblait furieux. « J’parle parce que j’ai l’droit et que j’ai rien de mieux à faire !! » Se défendit-elle. « Parce que tu crois que si j’pouvais m’occuper autrement j’perdrais mon temps à t’parler ? Nooon, merci. » Elle fit un volte-face qui envoya voler ses cheveux roux et qui lui donna un peu le tournis. Elle l’accusa de ne vouloir être gentil avec personne et de se sentir un peu seul, et il lui donna raison, au moins sur la première partie du moins. Elle soupira, agacée. « Et toi t’as vu comment tu m’parles ? Non mais t’es pas mieux, et tu comprends pas que j’dis que justement si t’agissais pas comme une merde peut-être que j’te parlerais mieux. » Ça ne menait à rien, ils étaient dans un cercle vicieux d’insultes et de paroles crachées. Elle le vit s’asseoir et, sans trop réfléchir, elle finit par aller se poser à son tour. Elle appuya sa tête contre le mur derrière elle et, après quelques minutes de doux silence, elle tourna la tête vers lui. Juste pour voir s’il était toujours en vie, quoi. « Alors, qu’est-ce que t’as fait pour te retrouver ici ? » Demanda-t-elle.

Entre parler à ce grand con ou compter les barreaux de sa cellule, il est vrai que Nova aurait peut-être moins l’impression de moins perdre son temps si elle pratiquait sa capacité de concentration et d’addition. C’est qu’il ne disait pas toujours que de la merde, lui. « Plaisir, j’sais pas, mais c’est vrai que ça me ferait probablement moins chier. » Répondit-elle du tac au tac. La rouquine ne le fit cependant pas, même si l’idée de le faire rien que pour l’emmerder lui avait effectivement traversé l’esprit. Elle se serait probablement énervée elle-même, du même coup, et elle avait déjà assez hâte comme ça de sortir d’ici, elle n’allait pas rallonger les secondes. Si l’humain enfermé à côté d’elle avait pu être ça, justement, humain, le temps aurait été moins long. Malheureusement, comme elle le lui dit, il était méchant et ne donnait pas envie de se forcer à agir autrement vis-à-vis de lui non plus. Il sembla douter que Nova puisse être gentille en d’autres circonstances, et elle ne fit que lever les yeux au ciel en guise de réponse. Le silence s’étira à partir de ce moment-là, la thanatologue allant s’asseoir à son tour. Il sembla parti pour une trêve, une pause, whatever, alors elle allait pleinement profiter de cette accalmie, elle aussi. Elle s’était suffisamment mis les pieds dans les plats déjà. Mais, incapable de se taire plus de dix minutes, Nova lui demanda finalement ce qu’il avait fait pour être arrêté. Elle tourna la tête vers lui en l’écoutant se défendre, encore et encore, un sourire amusé aux lèvres. « Et sur quoi ils se basent pour t’accuser, alors, si tu l’as pas fait ? » Elle croisa les bras, suspicieuse. « En tout cas, moi, j’ai été arrêtée parce que j’étais ivre … Tu peux l’croire, ça ? Enfermée pour ivresse, non mais on n’a plus l’droit de rien faire ici ou quoi ? » Se plaignit-elle.