weakening walls -r.

  Je venais de courir une vingtaine de minutes sur le tapis roulant, à une vitesse plus basse qu'à mon habitude dû à la douleur que je ressentais dans mes jambes. Je les sentais fatiguées avant même de monter sur l'appareil d'entraînement. Foutue sclérose en plaques, elle aura ma peau. Peut-être même plus tôt que ce que j'avais envisagé. Je n'en parlais à personne, surtout pas à Sara, parce que je me refermais souvent lorsqu'on en parlait et même je devenais agressif, car pour moi l'idée qu'un jour j'allais déprendre d'elle et de mes amis pour effectuer certaines tâches me rendait déjà honteux. Et j'avais peur. Alors je taisais les symptômes en les subissant seul. Sauf qu'aujourd'hui, le fait de sentir ma capacité physique s'amoindrir me mettait d'une humeur massacrante.

J'arrêtai ma course et décidai de me concentrer sur les machines de musculation, pour me sentir puissant de nouveau. Mon circuit durait une trentaine de minutes, puisqu'à chaque machine je faisais trois répétitions de vingt mouvements, entremêlées de pause d'une trentaine de secondes. Il ne m'en restait qu'une à faire à mon parcours, et quand j'arrivai vis-à-vis celle-ci, une femme aux cheveux bruns attachés en une parfaite queue de cheval se tenait adossée à la machine, parlant au téléphone. Je lui donnai un trente secondes, me disant qu'elle était peut-être juste en train de récupérer avant de remonter sur la machine, mais passé les trente secondes je n'hésitai pas à aller me foutre devant elle. « Tu l'utilises ou pas, la machine ?? » Humeur massacrante, j'ai dis. Puis au même moment où je lui demandais cela d'un ton énervé, je reconnus Selina, que j'avais d'abord rencontré ici-même, au gym, avant de commencer à la croiser dans différents endroits par pur hasard. Le courant ne passait absolument pas. On s'envoyait des piques à n'en plus finir et, comme si ce n'était pas assez, on se retrouvait constamment dans des situations comme celle-là. Comme si Selina était payée pour me mettre des bâtons dans les roues, ou juste pour me faire chier. Mais bordel qu'elle était canon, cette femme. J'avais toujours eu le fantasme de la baiser comme un animal, avec toute la haine et le dégoût que j'éprouvais envers sa personne, mais avec toute l'excitation que j'avais pour son corps de déesse. Maintenant que j'étais en couple avec Sara, je ne pouvais me permettre d'entretenir ce genre de pensées malsaines, mais c'était difficile de faire autrement. Je ne laissai toutefois rien paraître de mon extase devant son habit d'entraînement serré sur ses jambes. « J'aurais dû me douter que ce serait toi ... tu fais toujours juste semblant de t'entraîner ... » C'était faux, mais j'aimais bien la mettre en colère.

 Le regard noir que me lança Selina ne me laissa pas de marbre. J’aimais bien cette femme qui savait se défendre, cette femme de caractère et cette femme forte dans tous les sens du terme. Bien d’autres personnes auraient, sous mon commentaire assez mauvais, seulement cédé leur place afin de ne pas avoir à gérer mes humeurs. Elle, elle n’hésita pas une seule seconde à me répondre du tac au tac. « J’ai vraiment mieux à faire qu’à te suivre, Jenkins. Crois pas que le monde tourne autour de toi. » Lui répondis-je sèchement, franchement irrité par le fait qu’elle m’accusait de la suivre. Je n’en revenais tout simplement pas, cette fille n’était pas croyable. « Et pour ton information, ici c’est un gym, pas un centre d’appels téléphoniques. Si t’utilises pas la machine, tu dégages. J’te la redonnerai avec plaisir quand j’aurai terminé. » Alors que j’allais déposer ma serviette et ma bouteille d’eau sur l’espace réservé aux effets personnels tout près des machines, Selina s’empressa de raccrocher et de se remettre à s’exercer sur la machine que je convoitais. Je soupirai en la regardant. « T’es sérieuse, là ? Prête à raccrocher au nez de quelqu’un juste pour me faire chier ? » Je secouai la tête et je regardai la machine d’à côté, qui travaillait un muscle que je n’avais pas travaillé aujourd’hui. Il ne faisait pas partie de ma routine habituelle mais tant qu’à ne rien faire et la regarder forcer sur moins de la moitié du poids que je pouvais mettre, aussi bien faire quelque chose moi aussi. Je me dirigeai donc vers cette machine en lâchant un « Chieuse » à son attention. Je m’installai, ne lui portant plus aucune attention. Je commençai à forcer des jambes. J’avais plus de difficulté qu’à l’habitude. Assez que le poids que j’avais mis me semblait insurmontable. Ça, c’était ma putain de maladie qui avait choisi ce moment-là pour rompre le signal nerveux avec mes jambes. Discrètement, j’enlevai un peu de poids sur la machine, espérant que Selina ne remarque pas. Je n’avais pas envie de passer pour un lâche, et encore moins de devoir lui dire que j’avais la sclérose en plaques. Dans tous les cas j’étais dans une impasse.

 Contrairement à ce que bien des femmes pouvaient penser de moi, je n'aimais pas non plus les femmes sans caractère et dépendantes de leur homme. J'avais la réputation d'être le mec macho qui traite les femmes comme des objets, qui les réduit à la forme des plus simples, et pourtant je savais les choisir tout autrement. J'aimais une femme qui savait se défendre, un femme qui n'avait pas peur de dire tout haut les vraies choses, une femme qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Je pense que c'est aussi pour cela que Selina m'avait toujours autant allumé. En plus de son physique irréprochable, elle arborait une attitude qui me donnait envie de la plaquer contre un mur pour lui fermer sa gueule, une bonne fois pour toute.

Ouf. Il fallait que j'arrête de m'imaginer cette scène, vraiment. Je ne me sentais pas correct envers Sara rien que d'y penser. Probablement parce que Selina habitait mes fantasmes depuis un bon bout de temps et que je savais maintenant que ces idées ne seraient sans doute jamais assouvies. Car je comptais faire de Sara mon épouse, un jour ou l'autre. Lui donner ce que Jamie n'avait pu lui donner. Bref, pour le moment, j'avais décidé de prendre une autre machine d'exercice étant donné que la chieuse avait choisi de se la jouer encore plus chiante qu'à l'habitude. « C'est toi qui viens de te traiter d'animal, les humains ont pas de pattes aux dernières nouvelles. » Je lui fis un clin d'oeil amusé par ma propre blague. J'avais alors commencé mon entraînement, réalisant bien vite que ma condition médicale me permettait de moins en moins de bien performer. Et il fallait que je me rende compte de cette dégradation aujourd'hui. Devant elle. Pour détourner l'attention de ma performance, je l'avais traitée de chieuse, tout simplement. Sa réplique me fit rire. « T'as qu'à me montrer ma belle, c'est pas comme si je pouvais avoir peur de ce que tu peux me faire. » Un "ma belle" méprisant comme on les aime. Je détestais me faire appeler "mon beau", et vu à quel point cela m'irritait, je me disais que l'effet serait le même sur Selina.

Un silence s'installa enfin entre la blonde et moi, alors que nous nous concentrions sur nos entraînements respectifs. Je pensais qu'elle regardait ailleurs quand, à mon plus grand désespoir, Selina releva le fait que je traînais. Et sa façon de le dire manquait affreusement de tact, comme d'habitude. Je ne pouvais lui en vouloir, elle voulait m'insulter pour remporter le jeu. Ressortir vainqueur. Peu importe par quel moyen. Sauf que sa réplique avait touché la corde sensible. Ma plus grande peur. Celle de ne plus pouvoir performer comme un homme de mon âge devrait pouvoir le faire. Il y a quelques années à peine j'étais le champion mondial de vélo de montagnes, et aujourd'hui je peinais à lever un peu plus de deux-cent livres sur une stupide machine. « Et l'institut pour les connes n'est même pas dans cette ville, alors dégage. » Je m'étais levé, ramassant mes effets personnels et me dirigeant, sans me retourner, vers la sortie. J'avais jeté mes choses sur la banquette arrière et j'étais allé m'asseoir sur le capot de ma voiture, fermant les yeux, tentant de calmer la colère et la peur qui grandissaient en moi.

Je fixais devant moi, le derrière toujours sur le capot de ma voiture. Je ne voulais pas prendre le volant dans un pareil état, je me sentais bouillonner de l'intérieur. Entre Selina et moi, c'avait toujours été un jeu. Je m'étais toujours amusé, et je pense qu'elle aussi. C'était un simple jeu, pas une méchanceté à l'état pure. Parce que les paroles que nous nous lancions n'atteignaient pas réellement l'autre. On savait que c'était juste une guerre pour savoir qui aurait le meilleur dernier mot. La meilleure réplique. La meilleure insulte. Je ne pensais pas toujours ce que je disais à Selina, même si la plupart de mes répliques contenaient un fond de vérité. Nous étions capables de faire la part des choses.

Pas sur ce coup-là. Je n'avais pas été capable d'en rire. Je lui en voulais autant à elle qu'à moi-même. Probablement même plus à moi-même. Parce que je n'avais pas été capable de rester fort. Pour la première fois, elle avait vraiment gagné la partie. Habituellement, nous repartions tous les deux de notre côté sans avoir laissé de marque indélébile sur l'autre. Aujourd'hui, Selina avait envoyé son couteau imaginaire en plein dans mon coeur. En plein dans mes émotions les plus lourdes. Elle avait visé juste. Je n'avais pas su éviter l'attaque.

J'allais rentrer dans ma voiture quand la voix de Selina s'éleva dans les airs. Elle continua à arborer son attitude cinglante. Comme toute bonne joueuse le ferait en cas de victoire. Son arrogance ne fit que raviver la colère en moi, mais je tentai tant bien que mal de rester calme de l'extérieur. Je tournai la tête vers elle, pas un sourire, pas une seule émotion traversant mon visage comme figé dans le marbre. Seuls mes sourcils étaient froncés en la regardant. Je n'avais plus aucune réplique blessante à lui envoyer en pleine gueule. J'étais démuni, vulnérable, face à elle. Elle. « Ouais, je capitule. T'en vaux pas la peine. » Elle ne valait pas la peine que je me sente réduit à ce point-là alors que mon heure n'avait pas encore sonnée. Mais je savais que ces paroles étaient dures, même prononcées par deux personnes en constante bataille. Parce qu'au travers de ces moments particuliers, Selina et moi avions développé quelque chose de bien spécial, qu'on le veuille ou non. Pas de l'amitié, pas des ennemis, pas quoi que ce soit de descriptible. Mais quelque chose de bien vivant. « Alors tu peux dégager. On n'a plus rien à se dire, toi et moi. » Parce que notre relation ne s'arrêtait qu'à ça, les insultes. Et si nous n'en avions plus à nous dire, alors c'était fini, elle et moi. Pas vrai ?

Chercher la bête et repartir la queue entre les jambes. Ces mots me frappèrent comme un poing de fer. Une grosse claque en pleine gueule. Selina semblait gagner de plus en plus de points. Je me laissais abattre. J'étais une cible si facilement atteignable, moi qui avais toujours bien évité ses insultes pour mieux les renvoyer. Maintenant, chaque phrase prononcée par la jeune femme semblait m'affecter. Parce qu'elle avait raison. J'étais minable, en ce moment. À la laisser me briser. À la laisser me piétiner l'orgueil. Ma dignité. Celle qui s'estompait au fil et à mesure que ma maladie prenait le contrôle sur mon faible corps. Mon corps échec et mate. « Oh, mais que vois-je, Selina Jenkins qui en redemande ? J'pensais que tout ce que tu voulais c'était que je te fiche la paix. Visiblement, t'apprécies plus ma présence que ce que tu laisses croire ... » Dis-je avec un petit sourire séducteur. Mon meilleur moyen de défense, c'était ça. Tout tourner à la drague. Me remonter l'estime en jouant au macho. Je savais que si Sara me voyait, elle me trouvait con, ridicule, et que ses doutes referaient surface. Mais ce n'était aucunement dans le but d'amadouer Selina. C'était juste pour marquer des points, moi aussi, sans devoir répondre directement à sa question.

Quand je lui dis que nous n'avions plus rien à nous dire et qu'elle pouvait dégager, la jeune femme se fit bien claire quand au fait qu'elle ne partirait que lorsqu'elle le voudrait. J'haussai les épaules. « Je m'en fiche royalement, tu sais. Je n'ai qu'à embarquer dans ma voiture et partir. Tu resteras là, toute seule, autant que tu veux. Je n'en ai rien à faire. » Lâchais-je sans la regarder, les bras croisés, toujours assis sur ma voiture. Je savais que si je la regardais, alors un tourbillon d'émotions contradictoires allait s'emparer de moi, et je ne voulais pas être à la merci de mes sentiments. J'avais toujours détesté être sensible, alors je m'étais efforcé de le cacher à tout le monde.

Étrangement, nos paroles échangées devenaient de moins en moins haineuses, de plus en plus senties. Comme si Selina en avait vraiment quelque chose à faire, de ma réaction peu ordinaire venant de moi. Comme si la tournure des événements l'inquiétait réellement. Finalement, j'osai tourner la tête vers elle. Nos regards se plongèrent l'un dans l'autre. Ses yeux étaient perçants, comme si elle essayait de lire au travers de moi-même, d'avoir accès à toutes mes pensées, afin qu'elle comprenne ce qui se passait, là, présentement et entre nous. « Quoi ?? » Demandais-je tout simplement. Sans réelle animosité. Une simple question. Savoir ce qu'elle cherchait vraiment à savoir, ou à prouver, en restant là alors que clairement je désirais être seul.

Selina marquait un point. Si j’avais vraiment voulu être ailleurs, n’importe où sauf ici, je le serais. Pourtant, une force quelconque me poussait à rester là, le cul posé sur mon capot, comme elle le disait. Cette force, elle provenait d’elle. De cette putain de bonde que j’aimais tant détester, sans jamais la détester réellement. Nous étions comme des aimants. Des champs d’attraction qui s’emmêlaient, tout d’un coup. J’étais confus. Parce que tantôt j’aurais voulu qu’elle dégage e qu’elle cesse de faire ressortir le mal en moi, et maintenant je voulais plus que tout lui vider mon cœur, me confier, et rester avec elle pour parler ou pour ne rien dire. Peu m’importait. Je me trouvais stupide de seulement penser que cela était possible. Je ne comprenais d’ailleurs même pas pourquoi j’espérais autre chose que de la méchanceté de sa part. Malgré tout, je restais là, attendant ce miracle. Sans même en prendre réellement conscience. « Ouais. J’suis encore ici. J’me demande encore pourquoi, d’ailleurs. » Conclus-je tout simplement. Parce qu’il n’y avait rien d’autre à dire. Aucune réponse à ma question. Ou alors une réponse que je n’oserais jamais révéler à Selina. Lui avouer que ma solitude me pèserait davantage que sa présence serait synonyme de capituler. Entre nous, ce n’était pas possible.

Quand nos regards se croisèrent, la décharge qui fut échangée ne fut pas sentie que par moi, je crois. En effet, Selina sembla elle aussi décontenancée par ce regard, et d’ailleurs elle explosa enfin, découvrant finalement le fond de sa pensée. La question qui tue. Ce qui devait lui trotter dans la tête depuis ma sortie brusque et imprévue. Inhabituelle, surtout. J’eus d’abord un rire, court mais presque hystérique, de la voir comme ça. « Et maintenant mademoiselle Jenkins voudrait tout savoir de mes secrets ? C’est pour les utiliser contre moi ? » Mais Selina était sérieuse et je ne lisais pas vraiment de la méchanceté dans son insistance, plutôt un réel souci ou intérêt. Curiosité mal placée ou inquiétude, je ne savais pas. Dans tous les cas, je soupirai en tournant mes yeux vers l’horizon, les perdant au loin. « Tu as trouvé mon point faible, c’est tout, Selina. Mes capacités physiques, c’est ça, la corde sensible. Parce que j’ai une maladie dégénérative et que le compte à rebours est déjà commencé. » Lui avouais-je tout d’un coup. Pour la première fois de ma vie, je parlais de ma maladie à quelqu’un de presque inconnu. Ciel, même ma propre sœur n’était pas au courant. Je relevai les yeux vers la jeune femme. « Satisfaite ? Contente ? Maintenant, tu pourras dire à tout le monde que Woody Rutkowski est un faible. Que t’as gagné. » J’eus un léger rire, nerveux et inconfortable, pour ponctuer ce partage nous ayant tous les deux mis mal à l’aise.

 Je ne saurais même pas expliquer, maintenant que les mots étaient sortis de ma bouche, pourquoi j’avais décidé de dire la vérité à Selina. J’aurais pu inventer n’importe quelle excuse, n’importe quelle connerie, après tout j’étais bon menteur surtout envers Selina lorsque venait le temps de l’insulter. Pourtant, moi qui détestais parler de ma maladie de peur d’attirer la pitié, j’avais décidé de me confier à elle. Elle, qui était la candidate idéale pour ensuite me blesser le plus possible avec cette information. Pas forcément consciemment, non. La jeune femme était exaspérante, mais pas cruelle. Elle ne se rendrait pas aussi loin seulement pour gagner à notre petit jeu d’échecs. Sauf qu’elle allait certainement changer d’attitude, s’adoucir, faire attention pour qu’un événement comme aujourd’hui ne se reproduise plus. Changer de comportement envers moi, complètement. Et ça, ça, c’était ce qui me blesserait le plus. Parce que je demeurais Woody malgré cette putain de maladie, je demeurais fort, du moins pour le moment, et je n’avais pas envie qu’on s’occupe de moi comme si j’étais fait de porcelaine. Surtout pas venant de Selina, cette femme qui justement n’y allait pas de main morte avec moi. J’aimais cela de notre relation. Et peut-être venais-je de tout gâcher.

Merde. Les premières paroles qui sortirent de sa bouche après cette bombe. J’hochai la tête. « Ouaip’. Merde, tu l’as dit. » Déclarais-je avec un petit rire quasiment muet. Nous demeurâmes en silence quelques instants, assez pour que je regrette ce dévoilement et assez pour que Selina trouve ses mots. Je relevai le regard vers elle lorsqu’elle m’assura que si elle l’avait su, elle ne l’aurait pas dit. J’haussai les épaules. « Et c’est exactement pour cette raison que tu ne le savais pas. » Parce que ce n’était pas tant le fait qu’elle l’ait dit qui me dérangeait, c’était juste qu’elle ait visé aussi juste dans ma faiblesse. Plutôt que de me questionner sur mes états d’âme et comment je vivais la chose, Selina me demanda pourquoi j’avais décidé de le lui dire à elle. J’hochai la tête à toutes ses justifications allant à l’encontre de ma décision. Elle avait raison en tous points. « Je ne sais pas. Sérieusement … je ne sais même pas quoi te dire. J’déteste en parler, j’déteste que les gens sachent … mais … j’avais besoin de t’en parler, là. » J’haussai de nouveau les épaules, le regard posé vers mes mains dont les doigts s’entremêlaient. « Je ne sais pas pourquoi j’avais besoin de t’en parler à toi, par contre. » Avouais-je, sans vouloir être méchant, mais elle comprendrait.

Je relevai la tête et, d'un regard sincère, je la regardai et lui dit : « Merci. » Tout simplement. Il n'y avait rien de plus à dire, mais ce remerciement était sincère parce que contre toute attente, je savais que Selina serait réellement une bonne oreille pour moi si jamais je ressentais de nouveau le besoin d'en parler. Je comptais un tas d'amis dans ma vie, plus qu'il n'en fallait pour un seul homme, et pourtant, j'avais l'impression que si le besoin se faisait sentir, Selina serait l'une de mes premières bouées de sauvetage. Cela m'aurait semblé improbable il n'y a de cela que quelques minutes, sauf que vue sa réaction, je me sentais maintenant plus à l'aise de me montrer vulnérable devant elle. Elle avait un bon fond, la Jenkins. Pas que j'en aie déjà réellement douté, mais son côté chieuse avait toujours pris le dessus. La jeune femme m'assura alors que si je n'aimais pas en parler, nous n'en parlerions plus. J'hochai la tête. Non seulement je ne voulais plus en parler, mais je voulais aussi faire en sorte que ça ne plane plus dans sa tête.

Après un court moment de silence durant lequel nous nous étions tous les deux replongés dans nos pensées troublées, autant par la bombe que je venais de lâcher que par cette nouvelle relation qui avait pris naissance entre nous l'espace d'une confidence, Selina retrouva son air habituel et m'ordonna presque de l'emmener faire un tour. Je souris en jetant un coup d'oeil à ma voiture, puis à elle. « Pour entendre ta voix énervante une seconde de plus ? Pas question. » Je me levai quand même le derrière - sexy, selon elle - du capot et je déverrouillai les portes. « Allez, monte. » Terminais-je par dire, capitulant. Selina fit le tour et alla s'asseoir sur le banc du passage. Je démarrai ma voiture dans un grondement, et avant de rouler, je me tournai vers elle. « T'es quand même toujours aussi chiante, hein, crois pas que parce que je te laisse embarquer avec moi ça veut dire que t'es un ange. » Je lui fis un clin d'oeil très rapide puis reportai mon attention sur la route. Je quittai le gym, pris le boulevard principal et tournai sur la première sortie d'autoroute que je rencontrai. Rouler pour rien, rouler plus loin, rouler pour le plaisir de se perdre dans l'inconnu.