never been claustrophobic, but now the walls are closing in (woody)

T’étais arrêtée au marché, ce matin. T’avais ramené plein de trucs : une baguette de pain, des légumes, des fruits, même un peu de viande parce que Woody était un carnivore si ta mémoire t’était fidèle. T’aurais pas pu faire un truc du genre à Avery… T’avais acheté des fleurs aussi parce qu’elles étaient belles et qu’elle mettrait de la vie chez Woody qui te semblait un peu morne. T’arrivais chez Woody parce que t’avais le double de clés, que tu déposais sur la table d’entrée. Tu retirais tes chaussures et t’avançais. « Debout, paresseux. » Que tu clames assez fort pour qu’il t’entende. « C’est Neeev! » comme s’il ne le savait pas déjà… Tu mettais les courses sur la table de la cuisine et les fleurs aussi. Tu te mettais à la recherche d’un vase puis tu trouvais une grande bouteille vide, ça irait. Tu la remplissais d’eau et tu mettais les fleurs dedans que tu installais sur la table. « Bon. » que tu dis une fois satisfaite. Tu défais les courses dans le frigo de Woody et tu grimaces lorsqu’il arrive derrière toi. « Nom de Dieu, c’est quand la dernière fois que t’as fait les courses? On dirait que personne vit ici… » que tu t’exclames vivement. « T’as de la lessive à faire? » que tu lui demandes en t’agitant. T’étais pas reconnue pour être la plus calme des Rutkowski… Oh wait… En fait, si… Sauf que t’étais la figure la plus maternelle entre les 4 enfants et là, c’était à toi de prendre contrôle de la situation et ton aîné n’allait certainement pas être d’accord.

Plus de trois mois après l’accident, plus de trois mois après le décès de leur mère, la famille Rutkowski n’avait toujours pas recollé les morceaux. Même si Avery et lui avaient discuté - ce qui était déjà mieux que le silence radio des premières semaines -, Woody savait que quelque chose entre eux était brisé. Avec Elias, c’était difficile parce que son petit frère voulait tellement l’aider mais l’aîné avait encore du mal à l’accepter, ce soutien. C’était à peu près pareil avec sa sœur la plus proche en âge, Nevaeh, qui venait d’ailleurs tout juste de débarquer chez lui à l’improviste. Couché dans son lit, Woody se maudissait de ne pas lui avoir repris ce foutu double des clés de sa maison. Il soupira en l’entendant lui demander se lever, le paresseux. Au-delà de la paresse, l’homme était fatigué. Les derniers mois avaient été éprouvants pour son corps, car le stress et la peine étaient des facteurs qui déclenchaient des poussées de symptômes. Il n’arrivait pas à retrouver un équilibre, il n’arrivait pas à retrouver une paix intérieure qui l’aiderait à réguler son mal physique. Mais puisque cette fois, Woody cherchait sincèrement à aller mieux, à repousser les démons, il se leva. Il attrapa sa canne posée contre sa table de chevet, et il descendit lentement les escaliers pour se rendre jusqu’à la cuisine, où Nevaeh défaisait les courses qu’elle avait visiblement faites pour lui. À sa question, il se gratta la tête, les yeux encore endormis. « La dernière fois c’est quand j’y ai croisé Avery et que j’ai laissé mon panier en plein milieu de l’allée. » Affirma-t-il en s’avançant vers les fleurs posées sur la table. Il en toucha une pétale, distraitement. Il tourna la tête vers sa soeur alors qu’elle lui demandait s’il avait de la lessive à faire. « J’ai dû avoir un moment d’absence. Je ne me souviens pas t’avoir engagée comme femme de ménage. » Woody savait que sa soeur voulait l’aider. Il appréciait l’intention. Et il avait effectivement pas mal de lessive à faire.

Tu avais fait pas mal de trucs, en fait… T’étais de retour lorsqu’on t’avait annoncé la nouvelle, en laissant tout en plan derrière toi, puis t’étais retournée en Angleterre quelques semaines pour régler de la paperasse administrative de ton ancienne flamme. Puis maintenant, tu te retrouvais encore à Bowen et t’étais bien consciente qu’Elias en avait fait pas mal pour tenir tout du bout des bras.

Tu regardes ton ainé qui te parle d’Avery et tu grimaces un brin. « Ça s’améliore toujours pas de ce que je comprends… » que tu échappes finalement, sans réel tact. T’étais pas connue pour passer par quatre chemins. Tu sors du poulet que tu coupes et des légumes aussi. Tu cherches des épices. Tu t’affairais pour que ton frère mange un peu. Des fajitas, c’était ça que t’allais faire. T’étais pas mauvaise en cuisine, mais t’excellais pas non plus. Woody allait devoir s’en contenter. Tu levais les yeux au ciel face à sa remarque. « T’as pas le choix, j’suis là. » que tu lui dis avec un sourire. Ça et puis, t’avais pas vraiment mieux à faire, ta chronique de la semaine était déjà faite. Tu l’informes de tes plans : « Assieds-toi, j’vais te faire à manger. » que tu lui dis en lui frottant l’épaule. Puis, de toute façon… t’avais un truc à demander à Woody. Tu lui sers un verre d’eau bien froide en même temps. « Thing is, j’ai quelque chose à te demander… » Et tu te retenais de lui dire que ça n’allait pas lui faire plaisir. « J’vais faire ta lessive après dîner. » que tu l’informes alors que ton cerveau se promène à vitesse grand V.

Ignorant lui-même si la situation s’était améliorée ou non avec Avery, vu leur conversation au supermarché, Woody haussa les épaules. « Elle a besoin de mettre la faute sur quelqu’un. C’est normal que ce soit moi. » Après tout, c’était pas mal ça. Woody était le responsable de l’accident. Certes, c’était ça, un accident, jamais il n’avait souhaité le causer, encore moins entraîner le décès de sa mère, mais s’il avait été moins têtu par rapport à sa maladie, s’il avait eu moins de choses à se prouver, ce ne serait jamais arrivé. Il n’aurait pas pris le volant. Voyant Nevaeh s’affairer à préparer un repas et parce qu’il n’avait pas la force de l’en dissuader, il s’installa à côté de l’ilôt de cuisine, sur un tabouret, tel qu’elle lui demandait. « T’es vraiment pas obligée, Nev … » Elle lui frotta l’épaule, doucement. « Mais merci. » Bien sûr qu’il appréciait. Il ne mangeait que très peu et son corps lui en voulait, de ce laisser-aller. La jeune femme déposa un verre d’eau froide devant lui. Il esquissa un sourire après que sa soeur admette avoir quelque chose à lui demander. Elle passa directement à la question de la lessive. Il haussa les sourcils. « C’est ça ta demande ? » Demanda-t-il, sarcastique, avant d’ajouter sans attendre : « Shoot. Qu’est-ce que tu veux ? » Ça ne pouvait pas être si terrible que ça. Après le drame de novembre dernier, rien ne pouvait être pire. Pourtant, il sentait quand même la nervosité le gagner.

« C’est pas normal de mettre la faute sur quelqu’un. Et encore moins sur toi. » Que tu lui dis avec douceur. « La seule chose qui est importante maintenant, c’est que tu prennes soin de toi et que tu t’assures d’avoir un suivi convenable. » Tu le regardes sans ciller. Tu continues de préparer à manger. « Je sais, ça me fait plaisir. » Tu lui fais un sourire sincère. Il te remercie et toi, tu hausses les épaules. « C’est naturel. » Il te répondait avec tout le sarcasme dont seul Woody savait faire preuve. « Non, ce n’est pas ça ma demande. » Il te questionne et te demande ce que tu voulais. « Tu sais, je reviens ici et j’ai toujours ma chambre d’adolescente chez… » « Papa. » Que tu reprends avec un léger malaise. « Tu penses que tu pourrais m’héberger quelques temps? » que tu lui demandes. « Je pourrais m’occuper des repas et de l’état de la maison… Puis on verra ensuite si je peux trouver du boulot. » Cette dernière partie était plus pour toi que pour lui parce que t’avais déjà ta chronique au journal de Bowen et tu ne savais pas trop quoi faire. Tu continues à cuisiner. « Je veux rester le temps qu’Elias se repose, qu’il me laisse gérer la paperasse et qu’il puisse retourner aux études, comme il le souhaite. Je veux qu’Avery prenne le temps de faire son deuil correctement et qu’elle prenne soin d’elle. » Tu t’arrêtes et tu regardes Woody tendrement. « Et toi, toi, j’veux t’aider à prendre soin de toi. Et qu’on affronte la maladie ensemble. » T’es terriblement honnête et t’es même un peu effrayée, mais tu ne pouvais pas laisser ton frère entre ses propres mains. Puis tu te disais que s’il ne le faisait pas pour lui ou pour votre mère, qu’il pourrait le faire pour toi, non? C’était si égoïste?

En entendant la réponse de sa sœur, Woody secoua la tête. « Non, me défends pas, surtout pas pour ça. » Elle avait mal, Avery, et puisque Woody se trouvait également fautif dans cet accident, alors il acceptait de recevoir toute la haine de sa plus jeune sœur. S’il pouvait au moins la délivrer de ça, il encaisserait. « Je fais tous mes suivis. J’ai pas manqué un seul rendez-vous. » Autant ses rendez-vous de psychologue que ceux avec son médecin. Il avait fait une promesse à Elias et cette fois, il ne voulait pas décevoir. Il avait assez fait de mal autour de lui pour une vie, Woody. Il avait déçu Charlie, récemment, mais il était convaincu que c’était pour le mieux. Pour elle comme pour lui. Nevaeh, tout en continuant à préparer le repas, mentionna avoir une demande pour lui. Et ce n’était rien en lien avec la lessive. Le trentenaire redoutait un peu les mots qui sortiraient de la bouche de sa soeur, et effectivement, sa demande le laissa un peu perplexe. Indécis. Tout en l’écoutant continuer de justifier la requête, Woody faisait tourner lentement son verre d’eau entre ses mains. Elle ne lui avait même pas encore laissé le temps de répondre, en fait. Quand elle sembla avoir arrêté d’expliquer le pourquoi du comment, le trentenaire releva la tête vers sa sœur. « Ok. Mais je veux que tu me promettes deux choses. » Commença-t-il. « Un. Tu me demandes pas de rester ici juste pour pouvoir garder un oeil sur moi, surveiller tout ce que je fais. J’ai besoin de soutien, ouais, mais j’ai aussi besoin de savoir que je peux faire ça par moi-même. Au moins un peu. » Elle ne voulait peut-être pas le laisser entre ses propres mains, mais à quelque part, c’est ce dont Woody avait besoin. « Deux. Tu vas penser aussi à toi dans tout ça. Elias, Avery et moi, on doit dealer avec nos shits par nous-mêmes. T’as pas à tout prendre sur tes épaules. Toi aussi, t’as un deuil à faire. » Et il avait comme l’impression qu’elle était en train de se perdre dans toute cette entraide, pour taire le chagrin.

Tu fronçais les sourcils. « Woody, c’était pas délibéré, ton geste. » Que tu lui rappelles. Avery n’avait pas besoin de défoncer Woody physiquement ou émotionnellement, ce n’était pas à lui de le recevoir. En attendant, ton ainé te disait qu’il avait fait tous ses suivis et qu’il n’avait pas manqué de rendez-vous. Tu hochais la tête. « C’est bien. » que tu commentais en continuant la cuisine. Il te faisait promettre deux choses. « Au moins un peu. » Que tu répètes comme pour le convaincre et te convaincre. Il te dit que tu devais penser à toi aussi et tu déglutissais difficilement. Tu baissais le regard vers la casserole avec tes yeux qui s’emplissaient d’eau et tu ne voulais pas que ton frère le voit. Tu ne voulais pas susciter des questions. « Je sais. » Que tu dis finalement et tu essuies tes larmes comme si rien n’était. Ton cœur était brisé, tu avais perdu ta mère et l’être aimé. Tu ne pouvais que prendre soin de ta fratrie pour ne pas te briser toi-même en mille morceaux. Tu sors les assiettes en évitant soigneusement le regard de ton frère puis tu les remplis et tu lui déposes la sienne sur la table devant la tienne. « J’ai pas trop envie de parler de mon deuil. » Que tu confies finalement. « Tout va bien pour le moment. » Que tu dis alors qu’en réalité, tu affrontais deux deuils.

« Non, bien sûr que non. Mais ça aurait pu être évité. » À quelque part, il en voulait à Nevaeh d’être aussi clémente et bienveillante envers lui. C’était probablement plus facile d’accepter la haine d’Avery que d’accueillir le pardon de Nev’, au fond. Il pouvait continuer de se haïr si sa fratrie le détestait aussi. Mais si tout le monde croyait en lui, comme le faisait Elias, comme le faisait Nevaeh, alors il allait devoir faire la paix avec lui-même. À la requête de sa soeur d’habiter ici pour un temps, l’aîné de la famille lui demanda de lui promettre deux choses : qu’elle ne le suggère pas seulement pour être en mesure de garder un oeil sur lui, et qu’elle prenne le temps de faire son deuil, elle aussi. Il soupira discrètement alors qu’elle affirmait ne pas avoir envie d’en parler, de la mort de leur mère, et que tout allait bien pour le moment. Woody aurait été bien mal placé pour la contredire quant à ses méthodes. Il était le pire pour gérer ses émotions et guérir. Elle le savait aussi bien que lui et elle le lui reprocherait bien assez vite. Il se contenta de répéter : « Pour le moment. » Il lui jeta un coup d’oeil plein de sous-entendus avant de terminer son verre d’eau. « T’auras qu’à prendre la chambre qu’occupaient Circé et Olympe. » C’est-à-dire leur cousine et leur nièce. Les deux avaient habité avec Woody pendant plusieurs mois puisque leur passage à Bowen n’était que temporaire. La chambre d’invités n’avait reçu personne d’autre depuis. Peut-être qu’un peu de vie, ici, finalement, ça lui ferait du bien.