Hermia a grogné contre l’infirmier du taxi médical qui lui a tenu compagnie pendant le trajet qui l’a amené jusqu’au bureau du psychologue en centre ville. D’abord, elle pourrait très bien y aller à pied, c’est une aberration du point de vue écologique. Elle vient toujours à pied en centre ville d’abord, quand elle va faire des courses. Enfin , qu’elle fugue. Preuve aussi que l’aide soignant n’est pas utile du tout. Bon. D’accord, la première fois , elle n’avait pas compris pourquoi on l’emmenait et elle a tenté de le mordre. Mais depuis le temps, ça va, elle sait. Elle connaît. Et puis d’abord, elle pourrait ne pas y aller du tout. Elle passe son heure de consultation à fixer méfiante le type qui est censé être psychologue et qui tente de lui poser les questions auxquelles il n’obtient jamais aucune réponse. Ce type est louche. Il pose TROP de questions. En plus, Hershel n’y va pas lui, alors qu’il devrait. C’est injuste. Elle, elle n’a même pas le droit de se défiler, ni de prendre des trucs pour s’occuper. Cette fois ci, cependant, elle ne s’est pas trop rebeller quand il a fallu y aller . Elle a confié Oberon-le-chat à son mari, avec un ordre tacite de garder un oeil sur lui parce que monsieur le roi des fées a fait une rechute en kleptomanie de bonneterie  et qu’il a ramené 7 chaussettes sur ces derniers jours qui ne sont pas au couple. Le matou a ronronné en se frottant contre les jambes de son maître, sa longue queue en plumeau s’agitant dans l’air.

La voilà maintenant seule ou presque dans cette salle d’attente. Elle est recroquevillée sur la chaise où l’infirmier l’a posé un peu plus tôt, sa jolie combinaison pantalon en lin d’un bleu sombre , décorée en motif floraux d’inspiration japonisante semblable à un kimono peine à cacher sa maigreur , d’autant qu’elle est sans manche. Hershel l’a probablement acheté en pensant à la femme d’avant et il fait bien trop chaud pour espérer passer un gilet et masquer les débats. Ses cheveux ont été mis en un joli chignon coincé dans une pince, dans un élégant coiffé-décoiffé, la coiffeuse est passée ce matin. Patiente. Elle lève ses yeux vif vers l’homme en face d’elle, méfiante. Elle ne le connaît pas , elle ne sait pas s’il est un ennemi ou un ami, elle reste mefiante. D’ailleurs, d’un geste , elle décale sa chaise pour l’avoir en face de lui complètement et mieux le voir. Au vu de sa carrure, pas sûr que ça change grand chose si il l’attaque mais au moins, elle l’aura vu arriver. Maigre consolation. Elle reste cette enfant boudeuse de trente ans passé, qui le défit du regard et dont on lit la seule envie actuellement. Fuir. Partir loin, retourner chez elle et y rester. Et puis quelque chose la travaille profondément, beaucoup trop pour qu'elle puisse l'ignorer …

D’un geste brusque , elle se redresse , envoie valser en deux grands mouvements de bras le contenu de la table de magazine au sol. Pour le bazar, le sol c’est mieux.  Elle cherche et tri ses échevettes en tailleur assise sur le sol chez elle, ses vêtements jonchent souvent le sol. Le sol c’est bon. Pas les meubles.

Rentrer, elle veut rentrer, elle veut fuir cet endroit oppressant où elle n’a pas choisi d’être, retourner auprès d’Hershel, veiller sur lui, qu’il ne refasse pas de bêtises en jouant avec sa propre vie. C’est important et elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas le retard du médecin, s’il était professionnel, il la prendrait à l’heure, elle et l’autre type pour qu’elle puisse retourner au plus vite à ses obligations. Cependant, ça ne semble pas à l’ordre du jour, même le vacarme ne l’a pas attiré hors de son bureau. Un instant, Hermia se demande si envoyé ladite table contre la porte le ferait réagir mais elle se ravise assez vite. Premièrement, ça conforterait le type sur le fait qu’elle est vraiment folle et qui dit ça, dit hospitalisation forcée, Hershel encore plus tout seul, Hershel à l’hôpital, Obéron qui déprime, bref, la fragile mécanique de leur vie qui se grippe à cause d’un grain de sable –table de salle d’attente. Elle s’abstient donc, fixant assise cette table vide. C’est apaisant. Le bazar n’est plus ou plutôt il a rejoint sa place véritable : le sol. La jeune femme fixe le sol maintenant jonché de magazine hors d’âge.

Maintenant calmée, elle se rend compte qu’elle ne peut pas laisser ça là, elle n’a pas ici d’Hershel ou d’aide à domicile pour le faire à sa place. Alors elle entreprend de ranger, ignorant un instant l’intervention de son compagnon d’infortune dans cette salle d’attente. Elle fait des piles, classant frénétiquement les magazines par thématique, s’étonnant rapidement de l’abondance des magazines tabloïd du début des années 2000 … Il y a vraiment des gens qui lisent ou qui ont lu ces torchons ? Ou ils sont spécialement faits pour les salles d’attente de médecin retardataire pathologique ? En même temps, les magazines à tendance scientifique grand public semblent encore plus ancien et parler vaguement de pseudo médecines en vantant le pouvoir de l’émeraude alors tout compte fait, il vaut peut-être mieux que les gens se renseigne sur la vie passée de bimbos oubliées que ça.

Le type insiste, Hermia relève la tête, le dévisage, comme si elle ne s’était pas aperçue ou qu’elle avait oublié sa présence en ces lieux. Elle ne dit rien, mais ses yeux parlent pour elle. D’abord furieux d’avoir été dérangés, ils semblent s’apaiser, devenir curieux. Il y a vraiment des gens normaux qui aiment déroger aux conventions sociales et préférer le sol aux fauteuils. En occident ? Toujours pas de mots, pas encore, trop tôt, juste un mouvement de hanche, elle se décale pour lui laisser de la place, retournant à son tri consciencieux, tombant sur un vieux magazine de musique, parlant de pianistes de l’époque à la mode. Elle se fige encore, caresse la couverture. Dans un des macarons qui ponctuent la une, il y a Hershel. Avec sept ans moins, une espèce de sourire façade qu’elle lui connait, il a toujours le même sur toutes les photos. Un sourire qui plait beaucoup aux groupies, beaucoup son ex et beaucoup moins à elle parce qu’elle sait peut-être, contrairement à elles, qu’il sonne horriblement faux. Brusquement, elle se retourne vers son compagnon d’infortune. Il n’a pas une tête à être féru de musique classique. D’ailleurs, c’est qui ce type. Elle ne parle toujours pas, le désigne du doigt, impérieuse. Le mari comprend sa langue des signes improvisée, il n’y a pas de raison que lui, pas.

Les sourcils d’Hermia se froncent plus que nécessaire. Lui. Bien évidemment  que c’est de lui qu’elle parle et pas d’Hershel. Hershel, cela fait 15 ans qu’elle le connait, intimement même, sous toutes ses coutures mentales et physiques alors elle n’a pas vraiment besoin qu’on le lui présente. Ce serait même probablement à elle de le présenter. Alors que lui, le barbu, elle ne sait pas qui il est alors la moindre des choses serait qu’il se présente, qu’il s’introduise. Bon alors, autant dire que la référence ne lui parla presque pas. Tout ce qu’elle savait d’Harry Potter, c’est que c’était l’histoire d’un jeune sorcier dans une école de sorcier (en même temps, c’était évident, il n’allait pas faire un apprentissage de vitrier, hein) et qu’il avait une chouette blanche dénommée Hedwige. La première partie, c’est parce que les journaux parlant du livre résumait la chose ainsi. La deuxième partie, c’était parce qu’une de ses étudiantes avait un sac à dos à l’effigie de ladite chouette et avait tenté de combler quelques une de ses lacunes en popculture. Elle avait cependant assez vide arrêté parce qu’Hermia lui posait trop de questions « logique ». Oui, la suspension de l’incrédulité, Hermia ne connait pas donc elle ne l’applique pas. Il faut dire qu’en 1997 date de sortie des livres, elle avait 9 ans, faisait déjà criser sa professeurs de mathématique de collège à Cambridge et négociait ardemment avec son parrain pour obtenir les deux nouveaux microprocesseurs qui allait sortir sur le marché. Elle s’intéressait donc plus au fonctionnement, tout neuf, de Google et la victoire de Deep Blue contre Kasparov. Quant à 2001, ses 13 ans, son entrée au lycée et sa passion dévorante pour les travaux d’Ada Lovelace avait occupé tout son temps alors le film et le cinéma en général lui était passé par-dessus les oreilles. Sachairi n’étant ni porté sur la littérature jeunesse, ni sur le cinéma récent, il n’avait pas pu aider plus que ça.

Du coup, Séverus, à défaut de penser « professeur de potion », cela lui avait plus pensé à la dynastie des Sévères, empereurs romains du second siècle de leur état et du cours qu’on l’avait forcé à suivre à son entrée à la fac pour ne pas qu’elle fasse « que des maths ». Maintenant qu’elle y pense, il ressemble beaucoup au buste présent dans le bouquin d’histoire qu’elle avait dû étudier. Il suffirait juste qu’il grimace d’une manière sérieuse. L’image mentale lui fait esquisser un sourire en coin et elle trouve que cette plaisanterie involontaire mérite bien quelques mots. Elle chuchote, la voie légèrement enrouée par le manque d’exercice.

« C’est Hershel »

Alors que le magazine annonce fièrement le nom d’Othniel Pacey. C’est un pseudonyme et ça, Severus peut peut-être s’en douter ou peut-être pas du tout. Le silence plane encore, elle se dit qu’il faudrait qu’elle détaille un peu plus, qu’elle donne plus d’information. Peut-être décrire son caractère … Mais Hershel ne se décrit pas en mot, il se décrit en musique ou en miaulement. Mais pour ça, il faut s’appeler Obéron et dormir dans une marmite. Ou alors, son dernier événement , son dernier fait d’arme …

« Il loupe les virages en ligne droite en voiture »

Certes, c’est son dernier événement à son actif. Certes, une simple recherche sur internet permettra de vérifier qu’Othniel Pacey a effectivement eu un accident de voiture il y a six mois. Mais on dira bien accident. Personne ne sait que l’accident avait un côté volontaire et auto destructeur.

Soudain , Hermia se redresse, passe un coq à l’ane

 « J’ai faim. ».

Il va bien, Hershel. Cette simple question l’avait plongée dans une réflexion plus qu’intense. Elle ne savait pas quoi répondre. Dire qu’Hershel ne va pas bien, malgré tout ce qu’il a pu faire croire aux différents praticiens, ce serait révéler un secret à un étranger. Ce n’est pas une information qu’on cri sur tous les toits, c’est fragile, soumis au secret médical. Et puis, est ce qu’elle est vraiment sûre qu’il ne va pas bien ? Elle n’est pas médecin et les médecins semblent dire qu’à part sa jambe boiteuse et plâtrée, cela va bien. Que sa tête va bien. Mais elle n’y croit pas. Tant qu’il ne l’aura pas étreint, qu’il n’aura pas prouvé qu’il est bien redevenu comme avant, elle n’en sera pas persuadée. De toute façon, il refuse pour l’instant, donnant fausses excuses sur fausses excuses. Dire qu’Hershel va bien, à cet instant, serait aussi dévoiler une information médicale, quelque chose privé. Peut-être qu’il ne veut pas que cet homme qu’il ne connait ni d’Eve ni d’Adam sache. Et puis, il y a la question de l’interlocuteur. Elle. Si elle est ici, dans ce cabinet, c’est que le monde la croit folle, les médecins la croit folle, ses ennemis et c’est bien pour ça qu’elle peut agir et leur mettre des bâtons dans les roues dans l’ombre. Bon, le problème, c’est qu’Hershel n’étant pas non plus dans la confidence, il la prend pour une poupée de porcelaine. Premier bruit depuis la question de sa part. La grogne. De colère. De frustration. Alors, quand il annonce qu’il n’a rien à manger, elle se lève d’un coup, ignorant la question sur son prénom. Elle se dirige vers la porte et l’ouvre dans un grand fracas.

« Y’a rien à manger ici. Donc on s’en va. »

Elle a dit « on »,  il est donc inclus dans cette fugue médicale sans qu’il ait pu donner son accord ou non. Elle s’en fiche, avec ou sans lui, elle sortira dehors pour manger. Elle n’a pas de sac, pas d’argent, pas de papier. Peu importe. Elle fixe quand même le type, tape du pied pour signifier son impatience, qu’elle l’attend. De toute façon, ils sont dans le même bateau, avec un incompétent comme médecin qui se planque derrière la porte de son cabinet. Il ne sortira pas de son trou, elle le sait. Elle ne l’a jamais porté dans son estime, comme tous les médecins et les gens de son espèce qui n’ont pas su prévoir qu’un jour, Hershel, épuisé de s’occuper de l’ombre de la femme qu’il avait aimé passionnément, aurait fini par baisser les bras. On lui avait prise, de manière définitive.

« Y’a rien à faire, nulle part. Donc il faut partir. Avec un peu de chance, ce qui est mauvais ne nous rattrapera pas. Parce qu’on courra assez vite. J’ai envie d’un burger et de frittes au cheddar. Hershel n’aime pas ça. Donc on n’en commande jamais. Mais là, Obéron garde Hershel donc ça va. On peut y aller. Toi, tu dois peut être en manger souvent. Parce que tu as des enfants. Statistiquement, c’est plus que probable. Que tu ais des enfants et que tu manges de burgers. Donc tu dois savoir où en trouver. »