there's no hide and seek, I see you you see me (victoria)

Son sens de l’humeur, un peu pince-sans-rire, beaucoup moqueur, te faisait bien rire – une fois que tu t’y habituais. Si au départ tu ne savais pas trop comment interpréter les répliques de Victoria, après une dizaine, tu pouvais dire que tu commençais à comprendre son style. Et ça te faisait assez rire, malgré les quelques malaises évidents que cela pouvait créer chez toi. Visiblement, c’était l’effet escompté, parce qu’à chaque fois elle se foutait de ta gueule, tout en douceur. Tu ne le prenais pas mal, au contraire. Si elle arrivait à agir de cette manière, ça devait être qu’elle n’était pas complètement inconfortable en ta présence, pas vrai ? « Pourquoi on n’en sortirait pas vivant ? Parce que les insectes vont nous bouffer au grand complet, ou bien c’est toi qui vas t’en charger ? » Demandais-je avec un sourire. Après tout, nous étions effectivement un grand buffet ouvert pour les insectes. Mais Victoria était peut-être l’incarnation humaine d’une mante religieuse ou un truc du genre. Bon t’allais pas lui faire part de cette réflexion-là … de quoi t’en prendre réellement une en pleine gueule. Tu te tins donc calme jusqu’à la fin du shooting. Après, tu te rhabillas, tu consultas avec satisfaction les quelques clichés qu’on vous montra, et tu rejoignis Victoria qui était en train de préparer son départ avec Max. Par moquerie, mais aussi avec une pointe de sérieux, tu lui reparlas de ce café sur lequel elle était visiblement en train de passer son tour. Tu ris en l’écoutant, avant de baisser les yeux. « Ah, ça m’arrive tout le temps … » Tu secouas la tête de gauche à droite, l’air piteux, avant de rire. Victoria demanda alors si j’étais venu en voiture. « Oui. Dans mon infaillible Toyota Corolla 2005. » Dis-tu en pointant ta voiture à quelques autos de là, dans le stationnement, un sourire qui se moquait de toi-même cette fois. T’avais pas les moyens pour autre chose. « J’sais pas, t’es plutôt Starbucks ou p’tit café local ? » Demandas-tu tout en déverrouillant les portières de ta voiture.

T’étais tellement habitué à draguer, du temps où t’étais en tournée avec le cirque, que t’avais un peu de mal à adopter une autre approche que celle-là. Après tout, à l’époque, ça ne posait absolument aucun problème puisque les relations éphémères étaient les seuls liens que tu pouvais tisser avec les autres. Jouer aux séducteurs allait donc de soi. Le lendemain, tu repartais sur la route et tu ne revoyais jamais ces gens-là. Il n’y avait que les membres de la famille de Cirkaös avec qui tu avais pu vivre quelque chose de durable. Mais ils étaient ça, justement, de la famille. Hormis Brooke, bien sûr, qui était bien plus que ça. Mais Brooke, elle avait toujours été seule dans sa catégorie, à part, et ce serait sans doute toujours ainsi. Bref, tout cela pour dire que même une fois bien installé à Bowen, tu ne savais pas ce que c’était que d’entamer une relation amicale à plus long terme. Il était donc vrai que tu étais peut-être un peu en mode séducteur avec Victoria, mais en même temps … aurais-tu été contre quelques rapprochements ? De vrais rapprochement, pas ceux forcés par la photographie ? Sans doute. Tu remarquas sans doute qu’elle se fermait un peu, alors tu te promis de ne pas dire tout ce qui te passait par la tête. En tout cas, tu ferais l’effort, surtout si ça ne se terminait pas là pour aujourd’hui et que vous alliez le prendre, ce café. Tu le lui rappelas, dans le parking, lui proposant une grande chaîne ou plutôt un petit café local. Tu fronças les sourcils, en pleine réflexion, alors qu’elle te parlait d’Imogen. « Ça me dit vaguement un truc, j’porte pas toujours attention aux endroits où j’rentre, tant que ça sent le café. » Avouas-tu, coupable, un sourire aux lèvres. « Mais si leur latte est à tomber alors, vendu ! On y va. » Tu entras finalement dans ta voiture, derrière le volant, démarrant après que Victoria ait attaché sa ceinture. « Tu sauras me guider ? » Puisque t’avais aucune idée de la direction à prendre. Tu suivis ses indications pour sortir des routes plus forestières, avant d’arriver vers la grande route principale. Victoria en profita pour reprendre une conversation plus poussée que de simples indications de GPS. « Ça va bientôt faire un an, en juillet. Alors j’sais pas si on considère ça longtemps ou pas, j’ai encore l’impression de découvrir la place jour après jour alors, j’imagine que je suis encore un peu newbie. » Tu souris, puis tournas la tête vers Victoria. « Et toi ? Tes huit années de mannequinat, tu les as faites dans le coin ? » C’était surprenant, t’aurais pas été prêt à parier que Bowen serait un emplacement idéal pour vivre ce genre de carrière.

En route vers ce café, le Imogen, Victoria en profita pour te poser quelques questions supplémentaires. Après tout, hormis pendant le temps de préparation, vous n’aviez pas vraiment eu l’occasion d’apprendre à vous connaître. Pendant le shooting, si vous vouliez avoir des clichés corrects, il avait fallu que vous gardiez vos poses et pour cela, impossible de se taper la discussion. Et puis, même avant de passer devant la caméra, avec des pinceaux dans le visage et des peignes dans les cheveux, t’avais pas été trop à l’aise de déranger les professionnels en parlant et en gesticulant, retardant donc le travail. Ce petit café, loin du set et loin de l’appareil photo, allait vous permettre d’être un peu plus tranquilles. « Ah ouais ? Et après combien de temps j’pourrai dire que je ne suis plus nouveau, alors ? » Demandas-tu en riant. Tu tournas la tête vers la gauche alors que Victoria t’indiquait que vous étiez arrivés. Pendant que le feu de circulation était toujours rouge, tu renvoyas la question à la mannequin. « La Grosse Pomme ! J’y suis allé aussi, avec le cirque. Impressionnant. C’est vraiment la ville qui ne dort jamais … Pourquoi t’es rentrée au bercail, si j’peux demander ? Le american dream n’est pas ce qu’on pense ? » Tu t’intéressais vraiment à la réponse, toi qui avais souvent songé à aller poursuivre ta carrière d’acrobate là-bas, depuis la fermeture de Cirkaös. Quand le feu tourna au vert, tu te rangeas dans le stationnement qui se trouvait de l’autre côté et tu arrêtas l’auto une fois garé. Victoria faisait alors l’éloge d’une enfance à Bowen. « Je pense que j’aurais aimé grandir ici, ouais … Mais de mon côté, j’ai passé mon enfance entre l’Angleterre et l’Espagne. J’suis né à Albacete mais j’ai aucune attache. Ni à l’un ou l’autre des pays d’ailleurs. » Expliquas-tu, un peu plus distant. Tu sortis de tes pensées avec un sourire. « Bon, allons m’faire découvrir ces lattés. » Tu ouvris la portière et rejoignis Victoria sur le trottoir vers le café.

En entendant la réponse de Victoria, tu sifflas, malgré ton air amusé. « Une autre année complète, hein ? » Elle ajouta une autre année, si tu n’étais pas sage. « Bon alors on peut déjà dire deux. » Répondis-tu dans un rire. T’avais pas l’habitude d’être sage, enfin ça dépendait évidemment à propos de quoi, mais disons que tu n’étais pas trop du genre à t’asseoir le dos droit, les mains poliment posées sur tes genoux, à attendre que la vie passe. T’avais des aventures à vivre et tu y fonçais, parfois tête baissée. « T’as raison, ça me donne le temps de partir entre-temps, tout ça … J’suis condamné à être forever un nouveau ici. » Tu plaisantais, pour le moment tu n’avais aucunement l’intention de partir, mais deux ans c’est long. Qui sait ce qui se passerait d’ici-là. T’avais quelques attaches à Bowen, c’est sûr, mais rien qui ne t’obligeait à rester ici si d’autres occasions se présentaient. Et comme tu caressais encore le rêve de redevenir acrobate dans un cirque, tu sauterais dans le train direct, s’il passait. Victoria avait vu juste, pour ça. Tu questionnas finalement la jeune femme sur New York et les raisons de son retour en Australie alors que l’endroit pour briller dans le mannequinat, à ton avis, c’était bel et bien en Amérique. Tu hochas la tête en apprenant que des soucis familiaux l’avaient forcée à revenir. « Je suis désolé. J’espère que ça va, maintenant. » Dis-tu, avant de demander : « Et tu n’as jamais songé à y retourner ? » Si elle avait si bien vécu son american dream là-bas, rien ne l’empêchait d’y retourner un jour, à priori. Rien ne t’empêchait de retourner en Espagne non plus mais tu ne le faisais pas pour autant. À chacun vos raisons, vos décisions. « Ouais, exact. C’est à peu près à mi-chemin entre Madrid et Murcia, si tu connais. » Expliquas-tu. Ne voulant pas rentrer davantage dans les détails de ta ville natale, puisque ces détails-là étaient quasi inexistants, tu proposas d’enfin découvrir ces lattés. Une fois à l’intérieur, tu fus tout aussi gourmand face à tout ce qui se trouvait devant vos yeux. « Aaah, du coup il ne faut pas que j’aie un coup de cœur pour une pâtisserie, au risque de devoir faire un sevrage dans six mois ! » Déclaras-tu avec un sourire, même si au fond l’idée de faire un roulement était une très bonne idée. La nouveauté, au fond, c’était bien. Ça te changerait de ton traditionnel éclair au café que tu mangeais toujours aux Jardins de Circé. Tu laissas Victoria commander en premier puis, concentré sur tous les choix, puis par la suite, tu levas enfin la tête vers la serveuse pour répondre « Je vais vous prendre un latte moi aussi, et un Paris-Brest s’il-vous-plaît. » La plus grosse pâtisserie dans tous les choix. Tu souris à Victoria, coupable. « Le photoshoot m’a ouvert l’appétit on dirait. » La serveuse annonça finalement le prix et tu t’empressas de sortir ta carte. « Hé, c’est moi qui t’invitais. » Tu payas sans contact et attrapas ta petite assiette contenant ta pâtisserie, ainsi que ton latté dans une grosse tasse blanche, et tu suivis Victoria jusqu’à une table en coin, au bord de la fenêtre.