you cut me deep and you left me wide open (aelya)

C'est le chaos. Et le seul endroit qui ne te le fait pas ressentir, c'est le sommet de cette falaise. Tout en haut, là où y'a que le bruit du vent et l'écho de la ville. C'est vide. C'est calme. C'est différent de ta tête et de ton coeur qui te donnent le tournis. Et du calme, t'en as grandement besoin. Brooke, tu t'es mis dans une merde pas possible. À force de faire des conneries, t'as tout perdu jusqu'aux gens à qui te tenait le plus. Et tu sais plus comment t'en sortir maintenant. Y'a la honte, y'a le manque, qui s'installent, mais y'a aussi l'orgueil et la colère. Ils t'ont abandonné. T'as tout fait pour, ok, t'es prête à l'avouer. Mais, putain, ils t'ont tous abandonné. Les uns après les autres, sans scrupule. Et t'es responsable de tout ça. Si t'étais pas aussi tordue, pas aussi détraquée, si seulement t'étais pas autant brisé, t'aurais pu accepter l'amour qu'on te portait, à ces différents niveaux, et les garder auprès de toi. Mais tu fais tout foirer, Brooke. Toujours. T'es incapable de bien faire les choses. Tu t'es laissé emporté par des conneries et voilà que tu te retrouves seule. Seule face au reste du monde. T'as plus de job, t'as plus de fric, t'as plus de passion, t'as plus rien. Rien, merde. Il te reste qu'une putain d'addiction à la cigarette que t'es pas en mesure de te départir. En même temps, merde, des changements, Brooke, t'en as fait beaucoup trop en si peu de temps pour t'enlever la nicotine du sang. Putain, tu finirais pas faire une crise de coeur à force de tout couper. Ça t'arrive encore de fumer un ou deux joints, mais t'as plus touché à la drogue. Pas depuis ce soir-là, le soir qui revient souvent en boucle. Le psy dit que c'est normal, que ça arrive souvent à des gens comme toi, brisés par la vie. Mais c'est dur à gérer tout de même. T'as encore des crises, parfois, mais pas aussi grandes que celle qui t'a mené à l'hospice, y'a quelques semaines. Celle qui a décrété l'état d'urgence dans ton corps, choc post-trauma qu'ils appellent ça. Toi, t'appelles plutôt ça, faire des cauchemars éveillée. À chacun son jargon. Bref, t'es là, perchée du haut de ta tour d'ivoire, le seul endroit de la ville qui te fait du bien depuis toujours, et les souvenirs reviennent te hanter. Tu revois Sacha et ses envies de fonder une famille avec toi, sans voir que toi, t'étais pas encore prête à ça, que t'étais encore trop torturée. Et plutôt que de lui dire, t'as fait éclater votre histoire, tu l'as poussé à aller voir une autre meuf et t'en as profité pour le maudire après coup. Tu revois Niels et la gentillesse qui l'a habité, voulant seulement te sauver et tout le mal que tu lui as fait au passage. Tu revois Aelya, apeurée, dépitée, qui avait besoin de sa meilleure copine plus que n'importe qui, mais que t'as laissé tomber, incapable d'avouer qu'elle avait raison. T'es lâche. Putain, Brooke, t'es lâche. Faut que tu règles ça. T'allumes une cigarette, merde t'en as besoin et t'entends pas que derrière toi, y'a une présence qui a exactement besoin de la même chose que toi, retrouver la paix.

La vie reprenait doucement et surement son cours avec son lot de bonnes choses et de mauvaises. Il y en avait une qui la travaillait un peu plus, et elle résidait dans ce manque qui lui nouait l'estomac. Elle était trop fière pour l'avouer, trop en colère pour l'admettre, et pourtant Aelya, elle entendait à chaque fois son coeur s'effriter dès lors qu'une pensée s'envolait vers Brooke. Elle se rangeait derrière la rage pour se donner de la force afin d'affronter une journée de plus sans elle, sans ses nouvelles, parce que c'était mieux ainsi. Elle le savait. Elle ne pouvait pas se permettre de revenir en lui donnant cette impression que tout serait toujours acquis alors qu'il n'en était rien, sa meilleure amie ayant franchit les limites de l'interdit, les limites de l'impardonnable, elle qui était arrivée avec son addiction comme une bombe, détruisant tout sur son passage. Elle lui en voulait d'avoir risqué la vie de son fiancé, la sienne, et du coup forcément celle d'Aelya également parce qu'elle dépendait étroitement de leurs présences à Niels et Brooke. Elle avait besoin de réfléchir, de se dépêtrer de cette colère qui s'accrochait aux pans de son âme pour mieux la pourrir, Aelya, elle s’écorchait dans les débris que son vide avait laissé. Elle avait marché jusqu'à la falaise, profitant de cette balade pour sentir ses muscles se tendre afin de détendre ses sentiments implosifs, aussi corrosifs que de l'acide.

Elle s'était pas attendue à la voir. Pas maintenant, pas comme ça. Mais même si elle était de dos, elle l'aurait reconnu entre milles. Brooke. Son coeur s'était mis à battre soudainement plus rapidement, faisant remonter en elle tout un tas d'images qui les avaient liés ici, dans une époque où l'insouciance avait été leur mode de vie à toutes les deux.

- Toi aussi... Tu viens réfléchir ? J'aurais du me douter que ça t'aurait traversé l'esprit, de venir ici... Lâcha-t-elle de manière neutre, sans colère ni rancune, juste pour qu'elle se retourne afin d'amorcer un dialogue plus posé que le dernier qu'elles avaient eu.

Tu tires sur ta cigarette comme si c'est ta seule façon de te sentir vivante. Parce que depuis tout ça, tu le sens que t'es morte. Ouais, t'es articulée. Ouais, tu respires. Mais à quoi ça sert tout ça, si t'as toujours le sentiment d'être putain de morte ? C'est que t'as tout arrêté. De toute façon, t'as plus l'argent pour consommer. Après l'accident, t'étais plus en mesure d'aller travailler au club et de croiser Aelya tous les jours. Tu l'as fait deux ou trois fois, mais la douleur était trop forte. T'as donné ta démission, t'as même pas demandé à être payé pour la dernière semaine que t'as faite. Depuis, tu fais des petits boulots, ici et là, rien de sérieux. Tu promènes et gardes des chiens, c'est facile, ça paye assez pour manger, mais pas assez pour t'éclater. Au fond, c'est bon, ça t'a forcé à te sevrer. Sauf que t'as pas arrêté les clopes. Faut pas trop t'en demander. Et tu t'y rattaches comme si c'était ta raison de vivre. Derrière toi, une vix se faire retentir. Tu l'as reconnais, cette voix. Bien trop, même. Même de dos, tu sais quelle expression faciale elle fait, tellement tu la connais par coeur. Sa voix est calme, mais exempte d'émotion. Tu te retournes, mais ça fait mal. Ça fait mal de la voir et de savoir que tout est brisé entre vous. Évidemment, tu savais que fous finiriez par vous croiser, par vous revoir. Bowen, c'est pas le monde, c'est petit. Mais t'avais pas imaginé que la revoir ça te prendrait aux tripes de la sorte, que t'aurais envie de pleurer toutes les larmes de ton corps. C'est sans doute la fatigue. La fatigue, l'angoisse, la colère et la tristesse, tout ça en même temps. L'envie de lui avouer qu'elle avait raison, mais de lui dire qu'elle avait tort en même temps, incapable de lui accorder l'absolu. « J'aurais dû m'en douter moi aussi », souffles-tu en jetant ta clope. La falaise, c'était votre endroit. À toutes les deux. Ensemble ou seule. Mais plus souvent ensemble. Des discussions, assises sur le bout de ce rocher qui surplombait la ville, vous en aviez eu. Jusqu'à pas d'heure, jusqu'à ce que le matin se lèvre et à en faire crier vos parents d'inquiétudes. Mais qu'est-ce que tu en avais rien à foutre à l'époque. « Tu.. Tu venais méditer sur quoi, aujourd'hui ? », oses-tu demander. Surement qu'elle te remballera, mais tu ne peux pas faire semblant de ne pas t'intéresser.

Elle n'avait jamais vraiment eu de maisons, Aelya. Le murs où elle avait grandit n'avait jamais été assez solides pour enrayer toute la douleur qui s'était déversée en masse dans son coeur, jusqu'à pourrir une à une ses cellules. Mais il y avait eu Brooke, toujours présente quand il s'agissait de disperser quelques lumières dans son quotidien morose qu'elles avaient toujours réussi à effacer, le temps de quelques heures volées, au milieu de ce vide qui les rapprochaient toutes deux des étoiles. Elle n'avait jamais été très optimiste, Aelya, et pourtant, en venant ici, c'était comme si elle pouvait confier au ciel sa volonté d'un jour s'élever au travers des orages de sa vie. Elle ne s'était pas attendue à croiser Brooke sur cette falaise, et en même temps, c'était si évident qu'elle aurait pu presque croire à une volonté inconsciente de la retrouver, elle, sa meilleure amie. Le coeur palpitant, elle ne savait plus vraiment quoi dire, quoi faire, tant les mots qui avaient fusé avaient arraché leur amitié. Mais quelque part à l'intérieur, elle avait encore envie d'y croire. Parce que c'était sa famille, Brooke.

- Je sais pas vraiment. J'avais besoin de réfléchir à tout et à rien... A nous aussi, surement, ajouta-t-elle en haussant les épaules, laissant la nonchalance altérer sa gêne.

Elle s'avança lentement, venant se placer à ses côtés, le regard perdu dans l'étendue infini qui s'ouvrait à elles.

- Ecoute Brooke... J'aurais pas du dire tout ça. J'étais tellement à bout de nerfs à ce moment... Admit-elle en soupirant, le coeur lourd. C'est pas toi qui l'a battu à mort. Et j'ai agis comme si c'était le cas alors que toi aussi, t'en as subis des conséquences... Continua-t-elle, préférant crever l'abcès même si c'était difficile de laisser les souvenirs remonter à la surface, comme de l'acide qui se déployait dans son esprit.

La cigarette grille dans ta main, elle se consume alors que tu ne regardes rien d'autre que Aelya qui vient de s'approcher vers toi, la lumière et l'obscurité à la fois. Ça fait du bien de la revoir, la dernière fois elle semblait avoir des couteaux dans les yeux alors que maintenant, elle te regarde avec moins de haine. C'est pas encore complètement gagné, mais c'est pas si mal, pas comme le soir de l'accident. Et autant que ça te fait du bien, putain que ça te brule de la voir, c'est douloureux, comme un incendie. T'as l'impression qu'on est passé sur ton corps avec un rouleau compresseur tellement que tu as mal, et t'as chaud comme si le chauffage était au maximum. Ça ne vous ressemble pas. D'Habitude, vous hurlez, vous laissez deux ou trois insultes vous gagner et vous essuyez les disputes. Mais cette fois, c'était des semaines sans vous parler que vous avez passé. Ta faute. T'as pas tenté de reprendre contact avec elle. À quoi bon, elle avait voulu te chasser de sa vie. Et toi, t'étais trop orgueilleuse pour t'obstiner. Et trop épuisée. Et coupable, aussi. T'aurais peut-être dû te battre encore plus, mais la force, tu l'avais plus. T'en avais déjà plus après la rupture avec Sacha, c'était pire maintenant que la seule personne que t'avais jamais vraiment aimée, ta seule famille, t'avait tourné le dos. En même temps, tu peux réellement lui en vouloir ? T'es une plaie. Une putain de plaie. Qui veut d'une plaie dans sa vie ? Pas Aelya. Elle en avait déjà trop sur les bras avec Niels. Elle avoue, pourtant, qu'elle avait besoin de réfléchir. À tout. À rien. À vous. Ça fait mal, t'as l'impression que c'est pas positif. Tu hoches la tête. « C'est le bon endroit pour réfléchir... », lâches-tu en te décalant quand elle s'avance près de toi, tu sais qu'elle vient s'asseoir, balancer les pieds dans le vide et regarder l'horizon qui laisse la ville de dessiner au travers des nuages. Tu lui tends un clope, mais elle a déjà commencé à parler. Et tu secoues la tête. « Arrête, dis pas ça... », souffles-tu en rallumant une nouvelle cigarette. « Tu l'as dit parce que tu le pensais... », murmures-tu en regardant ailleurs. « Je l'ai pas battu, mais c'est ma faute. Tu me l'as si bien fait comprendre... » Il fallait que ça sorte avant que tu puisses t'adoucir...

Le jour où Niels et Brooke avaient été admis à l'hôpital, c'était comme si un océan de douleur s'était déversé dans ses veines pour engloutir le peu d'espoir qui siégeait dans le creux de son coeur arythmique. Elle aurait voulu crier au monde entier à quel point elle se rejetait à subir cette injustice, cette souffrance qui avait tiré un à un ses nerfs jusqu'au point de rupture, le moment où ses émotions s'étaient déconnectées pour simplement laisser le vide planer au-dessus de sa tête. Si elle avait du encaisser l'accident, elle avait aussi du encaisser son éloignement abrupte avec sa meilleure amie qu'elle n'avait décidément pas ménagé. Aelya avait explosé comme un volcan en éruption, dévastant leur amitié de ses mots brûlants jusqu'à irradier la moindre once de bonheur déjà perdu dans leur regard. Et quand elle s'était posée dans sa solitude amère, qu'elle avait tenté de visualiser le dégâts, elle avait compris peu à peu, que Brooke n'y était pas pour grand chose dans cette histoire. Mais c'était trop tard. Elle n'avait plus pu retirer les couteaux de ses mots qui avaient déployés des maux inconsolables entre elles. Aelya était autant troublée que satisfaite de la revoir là, devant elle, elle qui peinait encore à comprendre comment elles avaient pu en arriver là, comment elles avaient pu tomber aussi bas.

Elle vint s'installer à ses côtés de manière peu confiante, prenant la cigarette que Brooke vint lui tendre avant de l'allumer avec son briquet, tirant une bouffée dessus avant d'entendre ses premières réactions à sa confession.

- Ouais, j'le pensais. Mais ce que je pensais était faux justement, se justifia-t-elle. Evidemment que ça serait jamais arrivé si t'avais pas eu cette addiction. Mais ça explique pas le fait que c'est à toi de porter tous les torts. C'est à eux que j'aurais du m'en prendre depuis le départ, admit-elle, serrant la mâchoire en pensant à ces types qui leur avaient fait du mal. J'te demande pas de me pardonner, je voulais juste que tu le saches... Soupira-t-elle entre deux bouffées de nicotine. Tu sais quand t'es partie... C'était comme si le monde entier s'écroulait devant moi. Et quand j'ai compris que j'avais encore failli revivre la même situation avec les personnes qui comptent le plus pour moi... J'ai déraillé, avoua-t-elle, tentant de s'ouvrir sur ses faiblesses.

Cette nuit-là, la nuit où elle t'avait laissé tomber, où elle t'avait balancé tes quatre vérités, alors que t'avais déjà mal partout, t'avais cru mourir. Merde, elle t'avait achevé. T'étais sortie de l'hôpital en refusant les soins qu'on t'a proposés, l'aide qu'on aurait pu t'apporter. T'en avais rien à chier. Plutôt crever réellement, comme t'étais presque éteinte complètement. T'avais marché, comme un zombie, jusqu'à débarquer chez Sacha, une bulle au cerveau t'avait passé. Fallait que ça sorte, fallait déballer ton sac, te confier. Et il était là pour t'écouter. Parce que ta meilleure amie, elle, elle était voilée par sa propre douleur et ne pouvait pas entendre le moindre de tes mots sans penser que tu te défendais de ce que t'avais fait. Parce que, Brooke, à ses yeux, t'étais la fautive. C'était pas toi qui avais assaini les coups, c'était pas toi qui avais mis Niels dans le coma, mais c'était ça qu'elle t'avait reproché. Alors que toi aussi, t'étais mal en point. Alors que toi aussi, t'étais amochée, que t'étais aussi une victime dans tout ça. Aelya s'assoit à tes côtés, elle fixe l'horizon, elle et toi vous êtes pareilles, incapable de vous regarder pour l'instant, préférant vous voiler derrière la ville qui surplombe la falaise, ce lieu que toutes les deux vous choisissez pour vous recueillir, quand le besoin se fait ressentir. Tu lui tends une clope, incapable de faire autrement. Et elle te dit qu'elle aurait pas dû dire tout ce qu'elle t'a dit. Encore sur la défensive, tu lui mentionnes qu'elle le pensait. Si elle ne le pensait pas, merde, non, elle aurait pas dit ce genre de choses. Elle aurait compris. « Si Niels n'avait pas été là, si j'avais été la seule à me faire tabasser, si ça avait été moi dans le coma, t'aurais dit tout ça ? », demandes-tu en sachant très bien la réponse. « Non, c'est différent, parce que là c'était Niels dans cet état et qu'il te fallait un punching bag pour te soulager. Et ouais, bah moi j'étais la parfaite cible. », lui lances-tu en tirant ensuite nerveusement sur ta clope. Aelya te demande de lui pardonner, tu souffles la fumée de tes poumons en secouant la tête. « J'ai pas à te pardonner. C'est toi qui m'en veux... », avoues-tu. Toi, tu ne lui en veux pas. C'est elle qui a voulu couper les ponts, elle qui t'a empêché de voir Niels, elle qui a préféré s'éloigner. C'est elle qui t'en veut. « T'as voulu protéger la personne la plus importante à tes yeux, c'est pas pareil », finis-tu par dire en haussant les épaules. « C'est juste dommage que par la même occasion, c'est moi qui en a subit les conséquences. » Tu tournes ton visage vers Aelya, sourit faiblement. « C'est pas grave, j'aurais fait pareil. »

Trop de fois, Aelya avait compris qu'elle pouvait avoir un certain nombre de comportements toxiques, envers les autres, envers sa propre personne, elle qui avait l'impression de changer de visage selon la puissance de ses émotions qui la prenaient à la gorge. Ecorchée vive, à la merci de la moindre tempête qui menaçait continuellement son équilibre ténue, Aelya, elle savait que rien ne justifiait son attitude complètement destructrice envers son amie qui n'avait pas eu besoin d'elle pour comprendre qu'elle avait besoin d'aide. Mais ça avait été plus fort qu'elle. Elle avait u besoin d'expier sa noirceur, son mal-être, pour finalement finir vidée et usée de toutes ses plaies qu'elle avait elle-même ouvertes.

- Non parce que dans cette situation t'aurais été seule. J'aurais surement été capable d'exploser autant avec n'importe qui si quelqu'un t'aurait foutu dans cette merde, Brooke, répondit-elle, consciente que ce qui l'avait fait explosé était surtout le prétexte de cette rencontre liée à la drogue. C'est vraiment comme ça que tu crois que j'te vois ? Comme un punching-ball ? Rit-elle sans joie, secouant la tête. Tu crois vraiment que j'attends la moindre occasion pour te tomber dessus alors que depuis tout ce temps, j'ai juste essayé de t'aider, de te soutenir ? J'suis pas parfaite je sais, mais de là à penser que j'avais de mauvaises intentions envers toi... A ce moment là en plus... Souffla-t-elle, baissant le regard en tirant sur sa cigarette, altérée par ses mots. Je t'en veux plus. Si je discute avec toi là, c'est parce que tu me manques et que je veux vraiment me rattraper, admit-elle, l'écoutant parler sans l'interrompre, avant de retrouver son regard tristement. Brooke... Arrête de tout le temps penser que je te choisis jamais. Que c'est tout le temps toi que je préfère emmerder plutôt que Niels ou les autres. C'est faux. Je comprends que tu le penses, surtout après ce que je t'ai dit, mais c'est pas ça du tout... Lâcha-t-elle, tentant de réfléchir à ce qu'elle voulait lui dire. Ca m'a rendu dingue de savoir que t'étais accro à l'héro... Que tu te détruisais comme ça, et que tu t'en fichais parce que t'étais bien là où t'étais. Ca m'a fait du mal de te voir comme ça... Je te l'ai jamais dit, parce que j'suis pas le genre à dire ce que j'ressens mais c'est vrai. Et sous la pression, en te voyant dans cet état, et en sachant Niels dans le coma... Ca m'a fait péter un plomb parce que moi aussi, sur le moment j'ai compris que tu choisissais la drogue à moi, avoua-t-elle, ses pensées douloureuses la refaisant revivre toutes les sensations qu'elle avait vécu ce soir-là.

C'est de l'orgueil, un peu, et beaucoup de douleur, dans ta voix, dans le choix de tes mots. C'est parce qu'en ressoudant vos liens, à Aelya et toi, y'a un peu plus qu'un an, quand t'as choisi de revenir te percher à Bowen, jamais tu pensais te retrouver à nouveau dans cette position avec elle, au bord du gouffre. Des disputes, entre vous, y'en aura toujours, c'est plus fort que vous, c'est votre façon de vous aimer, caractères trop forts pour ne pas se faire violence, mais pas des grosses comme celle-là, pas de celles qui brisent des amitiés et qui laissent des marques permanentes sur vos corps. Celles-là, y'en a eu qu'une, celle à ton retour du monde, quand elle a vu ta silhouette dans les rues de Bowen et t'as chevelure de feu percer la nuit, sans l'avoir avisé à l'avance que t'avais enfin posé bagage. T'étais prête à porter le blâme pour tout, parce que c'était plus facile comme ça, pour elle, pour toi, c'était plus facile d'accepter qu'elle t'en veuilles que de ressentir sa pitié alors qu'au fond, son pardon, tu l'as attendu depuis des semaines. C'est comme s'il y avait quelque chose de brisé éternellement entre vous, aussi triste que ça puisse sonner, quelque chose qui vous éloignait alors que tu ne souhaites que la voir s'approcher de toi. Y'a la froideur dans ton discours, le détachement aussi, c'est une carapace, une façon de te protéger pour éviter de souffrir à nouveau. À force de vivre des déceptions, t'as endurci ta résilience par les moyens qui se portaient à toi. « Justement, j'aurais mieux fait de l'être, seule... », souffles-tu en même temps que la fumée de la clope dans un nuage qui s'autodétruisait devant toi exactement comme ta propre personne. Si seulement ils avaient pu s'en prendre plus à toi, à te mettre dans le coma à sa place, à te tuer, même, s'il le fallait. « J'ai pas dit que ça tu l'as fait par plaisir », t'obstines-tu en secouant la tête. « Il fallait un coupable, j'étais là, j'étais responsable, voilà tout. » Et sur ça, elle ne pouvait pas dire le contraire, c'était toi, la fautive. Toi et ton histoire de manque. Tu l'as brisé pour un peu d'héro dans ton sang qui te donnait l'impression d'être bien durant trois secondes avant que le mal ne refrappe. Tu l'écoutes parler, jettes le mégot de ta cigarette dans le vide, loin, là où tu peux plus la voir, souffles le reste de la fumée entre tes lèvres pincées. « C'est pas que tu me choisis jamais, Aelya... C'est que la vie a changé et que les priorités aussi. » Tu soupires, lèves les yeux vers le ciel, t'as pas envie de lui montrer que ça te fait mal. « Je croyais qu'on allait être toujours les meilleures alliées, mais j'ai eu tort. Je pensais pas que la vie nous séparerait comme ça, qu'on deviendrait presque des étrangères l'une pour l'autre... T'as rencontré Niels, j'ai rencontré Sacha et.. Peut-être qu'au fond, on a plus de place l'une pour l'autre. » C'est faux, mais c'est sans doute plus simple de dire ça que tu l'aimes à en crever. « Tu le choisiras toujours, c'est lui ta famille maintenant. Et ça, tu ne peux pas le nier. »

Elle avait laissé des plaies béantes dans son cœur, creusant des sillons profonds là où Aelya savait qu'il y en avait déjà. Mais elle n'avait jamais été capable de se contrôler, de se raisonner quand ses démons la prenaient à la gorge, la laissant à vif dans son incendie émotionnelle. Elle avait toujours su qu'elle était capable de briser, sans jamais qu'elle ait eu à apprendre à réparer. Parce qu'elle n'avait pas évolué dans un milieu où on se souciait des sentiments, elle qui avait appris à faire le bien par ses propres moyens, de manière bancale, rafistolée avec ce qu'elle avait cherché à trouver pour réparer les pots cassés qu'elle semait. Et Brooke, malgré tout l'amour qu'elle lui portait, faisait partie de ses dommages collatéraux, comme elle avait pu l'être elle aussi quand sa meilleure amie avait décidé de déserter Bowen pour son bien.

- T'aurais simplement mieux fait de pas te retrouver dans cette situation. Mais je t'en veux pas d'avoir une addiction. On le choisit pas, admit-elle, cherchant à la faire déculpabiliser. T'as simplement entraîné Niels dans tes problèmes. Il est venu te sauver parce qu'il sait que tu comptes énormément pour moi. Et c'est toujours le cas. Les responsables c'est les connards qui vous ont fait ça surtout. Je sais que je t'ai fait penser que tu étais responsable mais t'as jamais voulu voir les choses prendre cette tournure. Je le sais, c'est juste que j'ai été conne de m'être emportée comme ça. Vraiment, avoua-t-elle en soupirant, sa main portant la cigarette à ses lèvres pour s'imprégner de nicotine, le regard fixé devant l'étendue d'eau qui bougeait calmement. Tu crois que si les rôles avaient été inversés, que si c'était Niels qui t'aurait mis en danger pour de l'héro, je lui aurais donné raison ? Demanda-t-elle, fronçant les sourcils avant de se débarrasser de son mégot, écoutant ses mots qui lui brisaient le cœur, parce qu'elle ne voyait pas les choses de la même façon. À quel moment avoir Niels ou Sacha devrait nous interdire de nous avoir aussi en priorité ? Oui. Je l'aime. Et alors ? J'ai de la place pour toi aussi. Les choses ont changés, on a évolué, mais avant on vivait presque ensemble. Évidemment que c'est plus comme avant. Mais ça veut pas dire que je t'aime moins pour ma part, répondit-elle, touchée. Brooke... Soupira-t-elle. Y'a pas de choix dans cette histoire. C'est vous deux, c'est tout. Quand je t'écoute j'ai l'impression que Niels est intouchable. Il a pris Niels. On s'est déchirés, on s'est vraiment fait du mal aussi. Je l'ai rejeté par dépit, il en a fait de même, on s'est retrouvés et c'est ce qu'on appelle les relations humaines. Je lui ai fait du mal un nombre incalculables de fois, et jamais une seule fois, il m'a fait penser que c'était toi ma priorité pour le coup. Parce que ça n'a rien à voir.

Elle avait du mal à s'y retrouver, à laisser parler son cœur alors qu'il était en pleine hémorragie.

- Je comprends pas où tu veux en venir. Moi je veux vraiment avancer, te revoir, qu'on passe plus de temps ensemble et même sans Niels et Sacha, ça me va. J'ai fait des erreurs, je le sais, mais je suis vraiment attachée à toi. Si je m'en foutais, j'aurais fait demi tour en te voyant. Qu'est ce que je peux faire pour que tu essayes de croire en nous ?

Y'a tout qui s'était écroulé quand elle t'avait révoqué votre amitié. T'avais déjà tout perdu avant elle. Jackson, Sacha. Et maintenant, Aelya. La vie t'en voulait pour te faire agir de cette façon, pour te faire perdre tout ceux à qui tu comptais. Des semaines que tu avais passées sans elle. Des semaines que tu te ressassais le passé, les évènements. Ouais, t'aurais pu faire des choix différents. Ouais, t'aurais pu éviter de sombrer dans la drogue. Mais, est-ce que vraiment c'était toi qui avais choisi l'addiction ? Ça ne se contrôle pas, ce genre de choses. Et dans le manque, dans le mal, merde, t'avais vu juste ça comme lueur pour te tenir debout. Elle enfonce le couteau dans la plaie, te rappelle que t'aurais simplement pas dû t'enfoncer dans cette addiction. Merde, ouais, tu le savais ça. Et c'était pas ce que t'avais fait. Tu soupires. Elle poursuit. « J'ai pas entraîné Niels dans mes problèmes. » T'avais pas crié à l'aide. T'avais pas voulu qu'on te sauve. Il s'était mis le nez là-dedans sans que t'aies besoin de le lui demander. Elle ose te demander si tu crois fermement que, rôles inversés, elle lui aurait donné raison. Tu hoches la tête. « Franchement, oui. » Ta voix est triste, tu baisses les yeux. « J'ai l'impression qu'il n'y a que lui qui compte à tes yeux. Que lui qui peut te comprendre. Alors, oui, si tu me demandes si j'ai cette impression, j'te réponds oui. » Ce n'était pas un reproche, seulement ta façon de lui faire comprendre comment tu te sentais face à son couple et, aussi, comment tu te sentais depuis quelques semaines. Niels, envers et contre tout. Et toi, toi t'étais le passé. Un vague souvenir qui ne faisait que la sombrer plus bas. « J'suis pas blanche comme neige, j'sais que j'ai mes torts et que peut-être que je t'ai poussé à penser comme ça. Je t'ai repoussé jusqu'à ce que tu me sortes de ta vie », avoues-tu dans un reniflement. « J'te demande pas de faire de moi ta priorité. J'ai juste l'impression de ne plus avoir ma place dans ta vie, tout simplement. J'ai l'impression que tu m'as remplacé et pas que par Niels, mais toutes ces autres sphères de ta vie et que si un jour il t'arrivait un truc, je ne serais plus la première personne à qui tu t'empresserais de le dire. » Toi, t'en avais des choses à lui confier. Et t'avais eu envie de le lui dire depuis longtemps. Mais tout ça, t'avais dû le retenir, parce qu'elle t'avait sorti de sa vie. « Je sais pas s'il y a un truc à faire ou si seulement le temps fera les choses... »

Elle avait parlé trop vite, trop fort, éclatant en morceaux leur amitié qui avait toujours été un long chemin sinueux jusqu'au ciel. Aelya, elle l'aimait Brooke, et elle n'avait jamais fait que ça, même dans le pire, même quand sa colère remplaçait les rires. Elle ne savait pas comment le dire, elle qui était habituée à garder ses émotions pour les emprisonner dans son esprit. Mais cette fois-ci, devant elle, elle ouvrait sa coquille, histoire de la remplir de tout ce qu'elle peinait à dire.

- T'as rien fait pour qu'il te vienne en aide. Je sais que c'est pas ton genre. Mais tu voulais qu'il fasse quoi ? Dans tous les cas, Brooke, j'aurais pas pu me faire à ta perte, avoua-t-elle, baissant le regard, admettant qu'elle tenait bien trop à elle pour supporter son absence. T'as le droit de penser ce que tu veux. Comme moi, j'peux penser qu'avec tout ce que tu me dis, j'ai l'impression que t'aurais juste voulu que j'sois seule. Tu passes tout ton temps avec Sacha, ou avec Jackson, et je t'ai jamais fait sentir que c'était pas normal à ce que je sache, non. Je suis heureuse pour toi que tu sois entourée, lâcha-t-elle. Je suis désolée que t'aies cette impression. Mais j'ai l'impression que tu comprendras jamais que Niels c'est juste l'homme de ma vie, explique-t-elle calmement, peinée de savoir qu'elle se sentait mise à l'écart alors qu'elle restait sa meilleure amie, celle qu'elle n'avait que fait de chercher quand le noir la happait. Ouais, Brooke. J'te connais. Tu fais que ça, de repousser les gens. Parce que tu te sens mauvaise. Mais moi, j'suis toujours là pour te rappeler le contraire. Parce que je pense vraiment que t'es une bonne personne, répondit-elle, hochant doucement la tête, pensive. On s'est éloignées parce que y'a des sphères de ma vie que t'as pas réussi à digérer, comme Niels. T'as plongé, t'étais déconnectée pendant un bon moment. J'me sentais pas de te faire part de mes problèmes alors que t'avais les tiens à gérer. Ça a jamais été une question de toi qui n'a jamais eu sa place. Tu l'as toujours eu. Même quand t'es partie, elle est restée vide, personne l'a prise, avoua-t-elle, le cœur ouvert, amoché par ses plaies. Ça a jamais été simple entre nous. On fait tous des erreurs. Je sais pas quoi faire pour te prouver que je t'aime. Parce que tant que t'y crois pas, j'vois pas ce que je peux faire... Soupira-t-elle, les larmes aux yeux. Je veux être là pour toi. Quand t'as besoin. Je veux aussi être au courant de ce qu'il t'arrive. Parce que tu comptes.

Ça en est dur. Trop dur. Elle est là, Aelya, devant toi. T'as envie de la prendre dans tes bras, de l'attirer vers toi. Et, pourtant, t'as l'impression d'être loin, tellement loin. Vous êtes à des années-lumière. Sur d'autres planètes, d'autres galaxies. Et pourtant si proche. Tu te défends quand elle insinue que t'as entraîné son petit ami dans tes soucis. T'as pas crié à l'aide, t'as pas supplié qu'on vienne te secourir. T'as même protesté. Et encore, ce qui s'est passé ce soir-là, c'est vague. T'arrives plus à trop le raconter. D'une part, ton cerveau tente de l'effacer, de l'autre t'arrives plus à mettre les événements un à un comme si le temps faisait son action et que cette partie de ta vie voulait disparaître. Seulement, elle ne peut le faire réellement. « J'voulais qu'il me laisse crever », craches-tu avec haine. Ps envers Aelya, mais envers la vie. Envers cette bienveillance qui, finalement, aurait tellement été plus simple que de regarder ta relation avec ta meilleure amie se dissiper, disparaitre, mourir sous tes yeux et sentir que t'es la pire merde que le monde a mise au monde. Et ce que la brune te dit par la suite, ça te fait encore plus colérer. Ça monte, ça monte, jamais vous vous entendrez là-dessus. « Tu racontes n'importe quoi, tu sais même pas ce que tu dis. » Un rire sort de ta bouche, un rire exaspéré et à la fois blessé qui veut le cacher. « Sacha ne fait plus partie de ma vie. Et Jackson.. Jackson... » Tu soupires. « J'ai revu Jackson pour la première fois depuis que j'ai appris qu'il est débarqué à Bowen par pur hasard, sans même l'avoir provoqué. Et il m'en veut. Parce que j'fais plus de tissu avec lui, parce que j'ai changé, parce que j'suis la merde que je suis devenue. » Un rire noir s'échappe de tes lèvres. « Alors, ne viens pas me parler de ce qui m'entoure dans le savoir. J'ai rien qui m'entoure. Et je m'en plains pas, je l'ai choisi, je me suis mise dans cette merde toute seule. Mais la vérité, c'est que j'avais que toi. Et que toi, t'as tout le reste. Et que ça compte bien plus que la putain de Brooke qui te ramène dans cette phase de ta vie que tu veux effacer. Tu t'en rends pas compte, Aelya, mais on dirait que c'est ce que tu veux. Que tu veux m'effacer. Que Niels c'est ton monde, que plus rien n'existe parce qu'il est là. Tant pis pour ton amie de toujours. On s'en fiche. On s'en balance. Sauf que, j'te connais bien mieux que lui. J'te connais depuis bien plus longtemps que lui. Mais on dirait que tu veux oublier cette époque, parce que c'est plus facile de la laisser derrière et d'avancer avec Niels, qu'avec lui. Rien que lui. J'ai pas de place dans ta vie. J'ai plus de place, dans ta vie. » Tu prends une pause parce que les mots sont sortis sans te donner la chance de respirer. Une pause qui dure à peine deux secondes, juste le temps de reprendre avec un sourire triste et les larmes aux bords de tes yeux. « Je sais que tu m'aimes. Et j'espère que tu sais que je t'aime aussi. C'est juste que je ne trouve plus ma place entre nous... Moi aussi, je veux être là pour toi, toi aussi tu comptes pour moi, mais je veux aussi avoir ma place... Sentir que j'ai ma place. »