ils nous pissent dessus sans même essayer de nous faire croire qu’il pleut ▽ selma

ils nous pissent dessus sans
même essayer de nous
faire croire qu’il pleut

Le metal, c'était pas vraiment le style musical qu'il affectionnait par-dessus tout. Le rock, ouais, le hard rock à la limite, ça lui plaisait vachement bien aussi. Mais le concert qu'il allait voir ce soir, c'était vraiment pas son quotidien. N'empêche, une fois de temps en temps, ça faisait pas de mal et il parvenait encore bien à s'accorder sur le rythme de la musique, l'agressivité des notes et des voix lui plaisait bien le temps d'une soirée, de temps à autres. Puis, c'étaient des places gagnées, Viktor avait accepté sans se poser de questions quand des potes lui avaient proposé. Enfin, plutôt des connaissances, c'était pas vraiment des gens proches. Mais bon, c'était gratuit, alors il n'avait pas craché dessus. Ils faisaient la file, sous un ciel qui laissait à désirer, quelques gouttes de pluie avaient commencé à tomber. Pestant intérieurement, le blond tenait difficilement en place, mécontent de devoir attendre encore des plombes pour entrer dans la salle. Attendez, j'vais voir si y a moyen de couper court. Il partit vers l'avant, couper court signifiant dans son langage dépasser des gens. Il se fraya un chemin dans la foule en attente, prétextant une urgence pour une personne qu'il connaissait plus loin devant, et se moquant un peu de bousculer des gens au passage. Dans la vie, fallait se battre pour sa place, parce qu'on n'allait pas la lui laisser gentiment. Puis qu'est-ce que ça pouvait bien foutre, une personne en plus devant soi. Il avait simplement pas envie d'attendre, et il se moquait bien des regards outrés et des soupirs exaspérés sur son passage.

Selma avait réservé sa place quelques jours avant le concert, il n’était pas encore complet mais il ne restait plus beaucoup de places disponibles. Elle ne connaissait pas le groupe mais la description parlait de groupe de métal, exactement ce qu’elle voulait. Dans sa vie elle a écouté plein de genre différent, elle s’est même retrouvée à Woodstock entourée de toute part par des gens venus des quatre coins du pays et même parfois du monde entier, comme elle. Après elle a fait quelques autres festivals, de moins grandes envergures mais tout aussi sympathique. Cette fois elle voulait seulement assister à un concert d’un genre qu’elle n’a jamais beaucoup écouté : le métal. Mais elle a toujours entendu des gens lui dire que les concerts de métal étaient les meilleurs et qu’il fallait qu’elle teste ça un jour et ce qu’elle va faire. La vieille dame, encore bien agile pour son âge, se rendit donc devant la salle de concert et attendit, accompagnée des autres spectateurs. Elle était venue seule, ne doutant pas qu’elle trouverait bien des gens avec qui partager ce moment sur place. Le ciel c’était couvert et une petite pluie commençait à tomber. Dire qu’on lui avait vendu l’Australie comme un paradis sans pluie. Heureusement elle a toujours de quoi se couvrir sur elle. Elle sortit un fouloir qu’elle noua sur sa tête, elle ressemblait encore plus à une grand-mère avec ça. Quelques instants plus tard un jeune homme fendait la foule, n’hésitant pas à bousculer du monde pour remonter la rivière. Lorsqu’il arriva à la hauteur de Selma, celle-ci l’arrêta avec son bras. « Tu vas attendre comme tout le monde ! » dit-elle d’un ton ferme en le regardant.

Ce fut un bras déterminé qui arrêta le jeune homme dans sa progression. Il stoppa et se tourna vers la personne qui avait eu l’audace d’intervenir, haussant les sourcils en découvrant une vieille dame couverte d’un foulard, son regard lui envoyant des éclairs. Pour le coup, il resta pantois le temps de quelques secondes. Elle était sûre qu’elle s’était pas trompée de file ? Non parce que grand-mère qui choisit d’aller se déchaîner sur du metal, ça ne le laissait qu’à moitié convaincu. « Calmos, mamy. » lâcha-t-il tout de même, un peu froid et surtout blasé. Non mais elle allait pas lui chercher des noises, la vieille, surtout qu’elle s’était sûrement plantée de concert. Elle avait peut-être Alzheimer, tiens, si ça se trouve. En tout cas, il avait pas la patience d’écouter le sermon qu’elle allait certainement lui sortir. Une personne en plus devant soi, c’était pas la fin du monde, tout le monde rentrerait à l’intérieur, au final. Bon, peut-être qu’elle était pressée parce qu’à cet âge-là, le temps lui était bien plus compté. « J’rejoins juste des potes à l’avant. » se justifia-t-il en formulant son mensonge sans aucun scrupule. Elle avait l’air déterminée, la mamy, mais c’était clairement pas une vieille branche qui allait lui foutre les jetons (ou des remords).

Elle le regarda avec un regard signifiant : ne me cherche pas ou tu risques de me trouver et ça ne va pas te plaire. Selma est une femme sûre d’elle qui avec les années s’est de plus en plus affirmée. A présent qu’elle profite du statut de personne âgé, elle n’hésite pas à aller au devant des emmerdeurs et à leur rendre la monnaie de leur pièce. Elle rit en voyant qu’il l’appelait mamie. Elle voyait bien le genre, petit jeune arrogant qui n’aime pas l’autorité et qui se croit tout permis. A une époque elle était comme lui, elle n’hésitait pas à envoyer balader ceux qui l’emmerdaient ou qui ne faisaient pas les choses comme elle voulait. Il lui dit qu’il allait juste rejoindre des amis un peu plus devant la queue. « Y’a pas le feu au lac, on va tous rentrer alors tu vas attendre ici comme tout le monde. » lui dit-elle d’une voix ferme avant d’ajouter « Si tu étais arrivé en même temps qu’eux tu n’aurais pas eu à doubler tout le monde. La prochaine fois tu arriveras à l’heure ! » Oui elle aime bien faire la morale aux gens et utiliser son statut de vieille sage également. Même si en réalité on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit sage et qu’elle se rapproche d’un moine bouddhiste.

Le tatoué haussa un sourcil, franchement sidéré par mamy qui voulait pas lâcher l’affaire. Non mais elle allait vraiment continuer à lui casser les couilles ? En tout cas, elle semblait bien partie pour. Il afficha un sourire mauvais, non mais elle se prenait pour qui la vieille. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre, sérieux, avec son petit foulard sur la tête et ses yeux qui lançaient des éclairs, là. Si elle croyait l’impressionner, elle se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au cerveau. Viktor leva les yeux au ciel, exaspéré, quand elle insista sur le fait qu’il allait attendre comme tout le monde, accompagné d’un sermon. Putain, c’était pas sa mère, elle allait faire quoi, appeler les flics ? Il devait bien reconnaître qu’elle avait du cran, mais ça ne la rendait pas moins chiante. « Bon, tu vas quand même pas me faire un caca nerveux pour une place dans la file ? D’ailleurs, tu t’es trompée de concert, l’orchestre symphonique c’est pas ici. » Viktor commençait doucement à s’échauffer, et il ne mâchait pas ses mots. C’était lui qui avait démarré toute cette situation, et il méritait d’être remis à sa place, c’était sûr, mais il s’en tapait comme de l’an quarante – c’était sans doute la date de naissance de mamy ici présente – d’être un insupportable petit con. Ça l’empêcherait pas d’avoir sa place devant. Si elle continuait à le saouler comme ça, il allait vraiment s’énerver, mais il avait quand même pas envie de s’en prendre physiquement à une personne âgée, c’était limite.

Selma c’est pas le genre de personne qu’on peut emmerder sans conséquences. Pas franchement le genre à la fermer, pas franchement le genre à ne pas se faire remarquer. Elle profite de son âge et donc de paraître comme une figure d’autorité pour remettre les gens à leur place. Évidemment personne n’a rien dit quand ce type a commencé à passer devant tout le monde, les gens l’ont fermé même si intérieurement ils étaient tous agacé mais pas la vieille dame. Non quand elle est emmerdée par quelque chose, elle le dit sans aucune hésitation. Il n’a pas peur d’elle mais elle s’en fiche, ce n’est pas la première fois qu’elle se confronte à un mec comme lui et puis les hommes d’avant étaient encore moins conciliants, elle a eu de l’entraînement avec les années ! « Si, si je vais réellement m’énerver juste pour ça ! Les gens qui se croient tout permis ça a tendance à m’agacer fortement. » dit-elle avant d’ajouter, par rapport à sa blague plutôt foireuse sur son âge « C’est mignon de penser que les vieilles personnes sont juste...des vieilles personnes. » Et elle leva les yeux au ciel. Sous prétexte qu’elle n’a pas vingt ans elle devrait écouter de la musique classique plutôt que du métal ? C’est tout à fait stupide. Mais au moins dans les files pour de l’orchestre les gens sont bien mieux élevés et ils ne doublent pas tout le monde juste pour être devant.

Visiblement, elle allait pas lâcher le morceau, non. Il devait le reconnaître, elle avait du tempérament, la mamy, et elle avait pas l’air d’être le genre à se laisser impressionner. Mais quelle vieille teigne, franchement. Cependant, ça le faisait un peu sourire, quand même. Elle avait quoi, septante balais, au moins ? Et elle lui tenait tête sans hésitation, sans même ciller, bien décidée à lui casser les couilles jusqu’au bout. Ouais, Viktor se croyait tout permis. Enfin, pas tout, y avait des limites quand même, mais il pouvait enfiler le manteau du parfait petit con quand ça lui prenait, c’est-à-dire souvent. Le tatoué haussa un sourcil à la remarque de la vieille, qui se moquait de sa conception des personnes âgées. « Donc t’es vraiment venue voir Earth Rot ce soir ? » demanda-t-il avec une pointe d’arrogance dans la voix et une bonne dose de sarcasme, mais sa curiosité avait été piquée. Si c’était le cas, mamy remontait un peu dans son estime. Il avait du mal à concevoir qu’elle soit réellement venue voir ce groupe de metal.