butterflies all having fun ⤅ madelaine

butterflies all having fun

Charlie avait envoyé un message de bonne heure en ce dimanche ensoleillé, proposant une de leurs habituelles balade photo à Madelaine. Elle était toujours contente de ces petites pauses plus tranquilles, où elle se concentrait sur son œil à travers l’objectif, apportant un peu d’apaisement à son caractère si énergique au quotidien. Les filles avaient décidé de faire un tour du côté du jardin botanique, profitant de l’opportunité qu’offraient ces centaines de fleurs pour améliorer leur technique de macrophotographie. « Salut toi ! » s’exclama joyeusement la brune en venant faire la bise à son amie, qu’elle retrouva à l’entrée des jardins. « Prête à faire de ces fleurs des stars ? » lança-t-elle avec un petit haussement de sourcil malicieux et enjoué. Hormis le fait qu’elle aimait bien ces moments de complicité avec Madelaine, elle avait aussi ressenti le besoin urgent de se confier à quelqu’un qui pouvait la comprendre. Après son date avec Alma, la jeune interne en avait été toute retournée. Si elle s’était d’abord précipitée chez Ariel en panique totale, pour se décharger du maelström d’émotions qui l’avaient survoltée, elle avait aussi très envie d’en parler de manière plus posée avec la photographe. Il n’y avait personne de mieux placé qu’elle pour la comprendre et la conseiller, à ce niveau. Si Charlie semblait transpirer la confiance en soi, ce n’était pourtant pas autant le cas que ce qu’on aurait pu croire, surtout quand il s’agissait de sa bisexualité, qu’elle assumait au final depuis peu de temps. La nuit qu’elle avait passé un an auparavant avec Freja l’avait beaucoup aidée dans ce cheminement personnel, mais elle n’avait toujours que très peu d’expérience avec les femmes et n’avait aucune idée de si c’était vraiment ce qui lui convenait, ce qu’elle voulait. Peut-être n’était-ce qu’une phase, au final, qu’est-ce qu’elle en savait ? Mais Alma avait touché des sentiments en elle qui allaient bien au-delà de la simple amitié, et qu’elle n’avait pas vu venir. Toutefois, Charlie était plus déboussolée qu’autre chose, et ces sentiments pour une personne du même sexe, qu’elle ressentait pour la première fois, avaient tendance à plutôt l’angoisser et à soulever une tonne de questions, s’ils étaient bien réels.

Charlie claqua la bise à son amie, tout sourire et impatiente de jouer avec leurs appareils photos et comparer leurs angles de vue. « Yep, ready comme jaja ! Il fait trop beau en plus. » renchérit la brune avec entrain avant de regarder autour d'elle, les innombrables allées fleuries, les petits carrés ou ronds d'herbe joliment entretenus où des buissons avaient été plantés avec un œil expert, et les bancs sous de jolies arches en treillis croulant sous des corolles de fleurs. « Alors là, aucune idée, j'y connais rien aux fleurs en plus. Mais les p'tites lilas là-bas ont l'air super mignonnes ! » fit-elle avec un haussement d'épaules avant de désigner les campanules, bien qu'elle n'ait aucune idée que tel était leur nom, se rendant jusqu'à elles avec Madelaine pour les voir de plus près. Après les avoir observé avec un sourire joyeux et presque attendri - ouais, c'était que des plantes, mais elle trouvait ça vraiment adorable -, Charlie s'accroupit pour tenter quelques clichés, changeant les réglages de son appareil photo selon les angles et la proximité. « Au fait, faut qu'j'te dise... J'ai été à un date l'autre jour. » entama-t-elle à mi-voix, le regard posé sur son appareil en faisant mine d'ajuster le mode de prise de vue. « Elle s'appelle Alma. » ajouta la jeune femme pour devancer la question, plongeant déjà son amie dans le vif du sujet qui allait suivre, en précisant qu'il s'agissait d'une fille et non d'un mec. Madelaine et elle avaient déjà discuté quelques fois de leurs attirances partagées entre les deux sexes, et le peu d'expérience qu'elles en avaient. Si Charlie n'avait aucun mal à embrasser une fille en soirée, déjà parce qu'elle était bourrée, ensuite parce qu'elle pouvait très bien enrouler une de ses potes juste pour rire et non à cause d'une quelconque attirance, elle avait en revanche bien moins de facilité avec tout ce qui pouvait aller au-delà de ce stade.

Madelaine ne sembla pas trouver d'objection au fait d'aller voir les petites fleurs aux couleurs pastels désignées par la jeune chirurgienne, et elles se mirent chacune à photographier ce qui attirait leur œil. Chaque photographe avait ses angles préférés, ses sujets qui attiraient plus sa créativité que d'autres. Même en restant dans le même rayon de quelques mètres, les deux jeunes femmes étaient capables de prendre des photos totalement différentes. C'était toute la beauté de la photographie et de l'art en général, cette subjectivité indéfinissable. La jeune femme laissa s'écouler quelques minutes, avant d'aborder le sujet de son date, l'air de ne pas trop y touche, feignant un air désinvolte. Mais son amie ne serait sûrement pas dupe, et elle était réellement une personne de confiance avec qui elle pouvait discuter des ces choses-là. Charlie savait qu'elle la comprendrait mieux que quiconque. La photographe lui demanda d'ailleurs avec douceur comment ça s'était passé. Pour une fois, la brunette ne rougit pas, parce que c'était le genre de sujet qu'elle avait envie de confier à Madelaine, et elle ne sentait aucune gêne enflammer ses joues quand elle en parlait avec elle. « Bien, en fait. Très bien. Trop bien, peut-être. » répondit l'étudiante après avoir pris un cliché, avant de baisser son appareil photo et de tourner son regard iceberg vers son amie. « Je crois que je sais pas trop ce que je veux. » avoua-t-elle avec un petit soupir. Il lui avait fallu du temps pour parvenir à cette conclusion et l'accepter. Ça ne l'avançait pas à grand-chose, mais c'était déjà une étape.

Si Charlie ne cachait pas spécialement sa bisexualité, elle était loin de l’afficher ouvertement et sans mal. Elle en avait déjà discuté, rapidement, à la va-vite au détour d’une conversation, le mentionnant brièvement à la plupart de son entourage. Pour ce qui était de conversations plus profondes à ce sujet, il s’agissait plutôt de personnes particulières dans son entourage, comme Madelaine, qui était bien placée pour la comprendre, et la conseiller. « J’essaie… J’ai peur de faire une connerie. » Rares étaient les moments où l’interne parlait aussi calmement, sans faire une tonne de drama inutile, se protégeant derrière un masque d’exagération pour au fond minimiser le problème de ses tergiversations. Elle ne savait tout simplement pas où elle en était. Est-ce que ce type de relation était bien réellement ce qu’elle voulait ? Ce n’était peut-être que passager, un simple crush qui s’évaporerait comme la brume du matin. Charlie préférait se convaincre de ça, cela rendait sa vie bien moins compliquée, que de s’imaginer ce que ça impliquerait d’être dans une relation homosexuelle. « C’est gentil. T’es une bonne personne, Mads ! » souffla la brunette, avant de se tourner vers son amie photographe, des traits plus légers éclairant son visage. Elle l’avait dit avec une pointe d’humour dans la voix, mais elle le pensait vraiment, la photographe était de ces personnes bienveillantes et simples qui étaient juste là, présentes, à l'écoute, comme elle venait de le dire. « Je peux pas m’empêcher de penser que c’est peut-être qu’une phase. Que j’ai juste une attirance physique, peut-être, parfois, mais que je suis pas réellement… Tu sais. Construite pour être en relation avec une meuf. » reprit l’étudiante en tentant de poser des mots sur ce sentiment difficile à saisir qui la torturait depuis un moment.

Excellente question. Charlie haussa les épaules, triturant les boutons de son appareil sans vraiment faire attention, en réfléchissant sérieusement à quel genre de connerie elle pourrait effectivement faire. Au final, était-ce si grave que ça ? Dans tous les cas, quoi qu’elle fasse, elle n’en mourrait pas. Mais Charlie n’aimait pas se tromper, tout comme elle n’aimait pas avoir tort. « De me mettre avec quelqu’un et peut-être me rendre compte plus tard que ce n’était pas vraiment ce que je voulais… » souffla-t-elle, pensive. Elle se sentirait si mal, si honteuse, si ça devait arriver. C’était plus simple de ne rien tenter, de rester le petit rayon de soleil qui buvait trop en soirée et ramenait parfois l’un ou l’autre homme dans son lit. Pas de relation sérieuse, ça voulait dire pas de questionnement sur si cette relation était hétéro ou homosexuelle, et donc pas de problème. « Comment t’as été certaine que t’étais bi ? » demanda soudainement Charlie en se redressant, croisant le regard de la jolie photographe. Qu’elle ait une certaine attirance physique pour les femmes, l’interne en était désormais certaine, mais de là à envisager de passer sa vie avec, c’était différent. Peut-être était-ce juste de simple crushs passagers qui se dissipaient avec le temps. Un bisou au détour d’une conversation lors d’une soirée, un moment intime le temps d’une nuit, peut-être quelques batifolages de plus, et c’est tout. Et si ce n’était rien d’autre que ça ? Mads avoua que c’était possible, et qu’elle ne pourrait en avoir le cœur net qu’avec le temps. « Je voudrais pas blesser des gens à cause de ça… Ni les perdre. » souffla Charlie sans pouvoir réprimer une expression dépitée. Que son amie lui assure que c’était normal et qu’elle pouvait prendre son temps, ça la rassurait, énormément. Ça lui faisait du bien. Mais à la fois, ça signifiait que si elle partait dans la mauvaise direction, elle blesserait peut-être des gens. Elle blesserait Alma. Et elle n’avait aucune envie d’être responsable de la tristesse de la jolie rousse qui avait touché son cœur.

Madelaine avait entièrement raison, pourtant la brunette n’était pas convaincue. Elle n’aimait pas l’échec, tout autant au niveau professionnel qu’à un autre. L’échec d’une relation n’était pas plus facile à surmonter pour elle, et c’était sans doute pour ça qu’elle n’avait jamais eu de très longues relations et ne s’engageait pas souvent, en tout cas pas dans l’optique de quelque chose de sérieux et solide. C’était plus facile de terminer une amourette que d’accepter qu’un couple dans lequel elle s’était réellement investie avait foiré. « Ouais, c’est vrai qu’ça a rien avoir avec le fait que ce soit un mec ou une meuf. » admit la chirurgienne avec une moue plus convaincue. Que ce soit une relation hétérosexuelle ou non, la peur que ça se termine mal était la même, au final. Mais c’était à croire que Charlie se cherchait toutes les excuses possibles pour ne pas assumer sa bisexualité. Elle sourit à la jolie photographe quand celle-ci lui conseilla simplement d’en parler honnêtement avec la personne concernée. Effectivement, dit comme ça, ça paraissait le moyen le plus simple et juste d’agir. La jeune fille posa ensuite la fameuse question, que sans doute la plupart des gens en quête d’identité se posaient. Comment savoir, comment être sûr ? La réponse de Mads était d’une évidence étonnante. Oui, c’était bien vrai, pourquoi est-ce que ça aurait dû être plus compliqué à déterminer qu’être attiré par les personnes de type masculin ? On se posait pas autant de question quand on était hétéro, on le savait, on faisait des expériences et voilà. Il n’y avait aucune raison que ce soit différent pour l’attirance vers des personnes de même sexe. L’expérience était agréable, et voilà. Aussi simple que ça. À nouveau, Charlie sourit, avec un petit gloussement face à ses propres prises de tête qui paraissaient maintenant bien bêtes. Au fond, pourquoi en faire toute une histoire ? Mais c’était plus facile à dire qu’à mettre en pratique. La brune ne pouvait pas empêcher son cerveau de réagir comme il le faisait, pour ça comme pour d’autres choses. Les paroles de Madelaine lui arrachèrent un petit rire, quand elle parla d’adolescence. « Ça doit être ça, j’suis encore un peu une enfant dans ma tête ! » plaisanta-t-elle. En réalité, cette discussion avec son amie lui avait fait du bien. Ça ne réglait pas tout d’un coup de baguette magique, ça ne répondait pas à toutes les questions, mais c’était rassurant, et Charlie était contente d’avoir quelqu’un à qui elle pouvait en parler si sereinement. « J’me pose trop de questions, hein ? » reprit-elle sur un ton léger, se moquant d’elle-même.