Le secret de la tarte aux pommes + Léo

Le secret de la tarte aux pommes, c'est des pommes parfumées, sucrées et juteuses. Nous sommes au marchand de fruits et légumes avec mon frère. Je prends une pomme rouge, aux formes généreuses, puis la mets sous le nez d'Ariel. En gros, vas-y dis qu'elle sent bon ou sinon je te colle toutes les pommes du stand dans la tronche.

Maintenant que j'habite chez lui, je vais pouvoir partager ma farandole d'entremets et de gâteaux. C'est ce que j'aime le plus dans la pâtisserie. Rendre les gens obèses, partager. J'entrepose une dizaine de pommes dans un sachet en papier et me dirige vers le vendeur. Je me tourne vers Ariel T'as pas 47 cts pour faire le compte juste? Tandis qu'il fouille ses poches, je vois bien au loin un visage familier. Je serre le bras d'Ariel. Peut-être un peu trop fort car mes ongles ont frôlé sa peau. La panique. Oh putain regarde c'est qui là-bas! Et il est canon. Encore plus qu'avant. Léo Emerson.

Tu crois que ça craint si on fait demi-tour? Putain, putain! Je suis trop moche, là, en plus! Comme par hasard c'est quand je suis habillée tel un sac à patate que je revois le mec qui a brisé mon cœur lorsque j'étais une demi-adolescente. Par tous les caleçons les plus avachis de Merlin. Ce mec est vraiment canon. 

Faire le marché avec Charlie. C'est comment dire .. épuisant. La jeune femme a développé une passion inconditionnelle pour les fruits frais et quand elle m'a demandé ce matin avec son petit minois tout mignon de l'accompagner, j'avais pas pu résister. Alors elle m'a traîné là. Elle parle de pommes, de poires et moi je hoche la tête avec docilité. Elle me colle une pomme sous le pif, je lève les yeux au ciel avec amusant. Et je joue la comédie pour l'amuser. "Mmmmmh mais quel fruit délicieux nous avons là!" En fait, j'sais qu'après, j'aurais le droit à un désert trop bon, alors c'est le prix à payer. Et puis, en vrai, au fond, j'suis content d'être là.

Alors que j'fouille dans mes poches à la recherche de quelques pièces de monnaies, je sens ma sœur qui ma broie le bras. "Aïe mais enfin!!" Réflexe. J'lève alors automatiquement le regard et j'fronce des yeux pour mieux voir. J'reconnais alors Léo. Alalala, quelle histoire ça encore! Un drama d'adolescent. "Putain c'est Léo!" J'souris, en vrai, c'était un bon pote avant, avant qu'il se tape ma sœur quoi. Mais j'suis quand même content de le voir. Charlie veut faire demi-tour parce que soit disant elle est moche. J'la regarde amusé. "T'as encore le béguin pour Léo?" Mon dieu, qui utilise encore ce terme? Appelez moi, Ariel le ringard. "Mais non t'es très belle." J'tends la monnaie au vendeur et attire Charlie dans la direction de Léo. Et j'l'interpelle. "Léo ! Putain ça fait un bail!" On doit avoir l'air de deux tarés. Va-t-il nous reconnaître ? En vrai, ce marché prend une tournure que j'adore. Bordel, enfin un peu d'action!

Sa liste de course entre les mains, Léo parcourait les allées du marché en sifflotant presque, presque parce qu’il ne savait pas siffler, mais ça aurait sûrement eu du charme s’il avait su, avec une baguette de pain sous le bras et il aurait été transporté à l’autre bout du monde, sur un marché en Provence ou quelque chose du genre, avec les cigales qui chantaient au loin et le poissonnier qui criait qu’il était frais son poisson. Pour aujourd’hui il n’était qu’à Bowen mais le ciel était bleu, au loin on n’entendait pas les insectes mais les vagues qui lui rappelaient que son pays natal était tout aussi agréable que celui de sa famille maternelle. Pour ce soir il avait invité quelques copains à un barbecue dans son jardin, son équipe de rugby favorite jouait gros dans un match qui s’annonçait serrer alors c’était l’occasion parfaite de faire une soirée. Il avait donc prévu de s’arrêter sur l’étale du boucher pour de la bonne viande, du maraîcher pour quelques légumes frais à faire griller à côté, sûrement que si son marchand de vin favori était là il lui prendrait quelques bouteilles et puis pour le reste il ferait à l’envie, en fait sa liste c’était surtout un bout de papier pour s’occuper les mains parce qu’il ne la regardait même pas. Dans les allées il regardait les passants, les commerçants, les couleurs et il profitait des odeurs, tout ça lui donnait envie de dégainer son appareil photo pour capturer ces scènes de vie qui lui plaisaient tant, mais il n’avait aucun matériel sur lui. Il salua furtivement un voisin qu’il venait de croiser et ne faisait pas attention au joyeux duo qui s’avançait vers lui jusqu’à ce que l’homme l’interpelle. Cette voix il la connaissait, bien qu’il ne l’ait pas entendue depuis des années et qu’elle ait un peu mûrit. En vérité s’il n’y avait eu que lui, avec cette barbe qui lui mangeait le visage et sa casquette vissée sur le front peut-être que Léo ne l’aurait pas reconnu tout de suite. Mais elle, Charlie, elle avait changé, c’était une femme à présent, il ne pouvait pas ne pas la reconnaître. Oh merde ! La famille Keynes en balade à Bowen ! Vous vous êtes perdus ou quoi ?! Il souriait, sincèrement surpris et en même temps heureux de retrouver le frère et la sœur qu’il n’avait pas vu depuis des années, bien dix ans, pas loin. Son regard passait d’Ariel à Charlie, de Charlie à Ariel, il remarquait que la jeune femme était rouge et qu’elle tentait de se planquer derrière son aîné, alors que lui était tout sourire, visiblement content de cette rencontre inattendue.

Alors je ne sais pas pour vous, mais moi quand je vois un ex (que la relation ait été minime ou non), je me sens super ultra gênée. Surtout que là, je vois Léo, méga beau gosse, et moi, un vieux tee-shirt pourri et sans une once de maquillage.

Ok respire Charlie. Tu peux encore faire demi-tour. Fais genre tu ne l'as pas vu, tu regardes ailleurs, et tu te fais la malle! Mais soudain Ariel l'interpelle. Je prends ma respiration et le fusille du regard. Ma voix n'est qu'un murmure, les dents serrées. Putain, espèce de sale petit... Léo se rapproche et je tente un sourire sincère qui j'espère, ne ressemble pas à une grimace. Je dois être aussi écarlate que la pomme entre ma main. Hey salut! J'ai envie de tuer mon frère. Il y a comme un goût de trahison, là, non? Je l'imagine en train de le secouer comme un cocotier et de l'étrangler. La famille Keynes en balade à Bowen. Oh oui Léo, et bientôt tu liras un fait divers dans le journal car j'aurais tué mon traître de frère!

Ouais, ça fait un bail pas vrai, Ariel? Je reste en retrait, juste derrière lui. Avec un peu de chance, Léo fera pas trop attention à moi. J'en reviens pas... On avait une chance minime de se sauver et non, c'est lui qu'il l'aborde. 

J'étais très clairement un homme mort. Je pense que je pouvais vraiment faire une croix sur ma petite tarde à la pomme et à la cannelle de ce midi. Charlie allait m'en vouloir au moins pour deux jours. Mais, qu'est ce que je trouvais ça drôle. Léo, c'était genre un très bon pote d'avant. Ca avait été un être très proche des Keynes. Il était venu un été en France, en vacances chez nous. C'était initialement un pote à moi. Et pendant cet été là, il s'était rapproché de Charlie, ils étaient sortis ensemble, genre en me le cachant et ça avait mal fini. Et tout avait foiré. C'était il y a presque quinze ans, pour moi il y avait prescription mais apparemment Charlie était encore sous le coup de l'émotion en voyant Léo.

Les retrouvailles étaient un peu bizarres, Charlie était cachée derrière moi, elle était rouge comme une tomate et pas du tout à l'aise. Moi j'étais tout sourire et Léo semblait surpris. Un cocktail d'émotions différentes. "Ca fait plaisir d'te voir franchement !" Je désignais Charlie du regard et rajoutais "On est revenu vivre dans le coin! J'crois que tu manquais trop à Charlie!" Je rigolais, bien évidemment c'était une blague mais je savais que ma sœur allait me buter. Je rajoutais donc "Nan, en vrai, on est revenu ici pour être proche de notre père. Toujours là toi?!" Je lui souris, je savais que j'allais devoir faire la conversation, parce que Charlie devait déjà être en train de chercher une pelle pour creuser ma tombe. Moi personnellement, j'étais mort de rire au fond d'moi même. C'était un scoop quand même ! Charlie encore sous le charme de Léo !

Sans vouloir se prendre pour un bourreau des cœurs, si Léo devait se sentir mal à chaque fois qu’il croisait l’une de ses ex à Bowen alors il faudrait qu’il déménage ! Surtout si on considérait qu’une ex c’était une fille avec qui il aurait eu une petite amourette voilà de ça plus de dix ans. Autant dire, donc, qu’il n’était pas embêté le moindre du monde de se retrouver face à Charlie, aussi rougissante soit-elle. Il se souvenait de la jeune fille un peu timide, enfin assez peu pour que ça la rende attirante et un minimum entreprenante quand elle avait dix-sept ans. Il gardait un bon souvenir de ces vacances en France passées chez la famille Keynes, Ariel était un bon copain depuis toujours et ils avaient passé une bonne dizaine de jours à se marrer pour un rien, à enfiler les bières et les bons vins de la cave de son père comme s’ils étaient connaisseurs, en refaisant le monde du haut de leur jeune vingtaine. C’était un été chaud passé sur la côte d’azur, le plus clair de leur temps en maillots de bains. Ils mataient les jolies filles sur la plage et draguaient tout ce qui bougeait mais pour être honnête, cet été là le jeune Emerson n’avait d’yeux que pour la petite Charlie qui avait bien grandi et qui possédait à présent tout ce qu’il fallait pour la séduire. Et malheureusement pour elle, ce que Léo voulait, il faisait tout pour l’obtenir, tant pis le grand frère, il comprendrait… sauf qu’Ariel avait très moyennement pris cette idylle de gamins. Mais l’eau avait coulé sous les ponts et aujourd’hui Léo ne gardait qu’un souvenir presque amusé de cette histoire. Le sourire de son ancien ami ne le laissait pas douter que lui aussi avait passé l’éponge, du moins il l’espérait. Quant à Charlie… visiblement elle cherchait le meilleur moyen d’assassiner son aîné dans les plus brefs délais, certaines choses ne changeaient pas, le frère et la sœur, inséparables chien et chat ! Et l’autre remettait de l’huile sur le feu, riant de sa blague, évidemment ça fit rire Emerson aussi, tous les deux ils étaient revenus comme en 40, bien que Léo ne pût s’empêcher de lancer un furtif regard intrigué à Charlie. Ariel précisa finalement qu’ils étaient revenus pour leur père. Ça fait longtemps que je n’ai pas pris de nouvelles de votre paternel, des fois j’en demandais à ma mère, du coup elle m’en donnait un peu des vôtres quand elle en avait. Il va bien j’espère ? Tout d’un coup il espéra qu’il n’était pas malade ou un truc du genre, ce serait dommage. Tu vois, toujours là ! Je vadrouille à droite à gauche, mais je reviens toujours à Bowen. Il en avait souvent parlé, surtout quand il était plus jeune, de quitter cette ville où il ne se passait jamais rien. Mais d’une c’était faux, on ne pouvait nier que pour une petite bourgade Bowen était tout de même bien active. Et puis il y avait ses amis, sa famille, son fils à présent, alors même s’il adorait voyager, il savait que ce serait toujours sa maison.

La honte! Qu'est-ce qu'il a dis là? J'ai bien entendu? Tu manquais trop à Charlie?! J'ai l'impression d'avoir de nouveau treize ans et que mon frère me chipe ma brioche préférée. Parce que je dois bien faire la même tête. Incrédule, je croise les bras, déterminée à me fermer à la conversation. Ariel, tu ne paies rien pour attendre. Si je pouvais je te mettrais cette pomme dans le... Allez. Relax Charlie. Toujours aussi drôle, hein. Faut bien que je parle, même si c'est avec les dents serrés. Peut-être que mes envies de meurtres vont se dissiper.

Être proche de notre père? Pff tu parles. Je ris intérieurement. En tout cas ce n'est pas du tout la raison de ma venue, à moi. Et dire que je voulais retrouver mon frère! Là j'ai plutôt envie de l'étrangler. Je ne relève pas. Léo a la politesse de demander des nouvelles de notre père. J'hausse les épaules et acquiesce. Ça va.

Je me demande qu'est devenu Léo. Qu'est-ce qu'il fait dans la vie. Si il s'est marié. À l'époque il était passionné de photographie. Aussi, plus d'une fille tombait sous son charme. Je le vois là, plus âgé, toujours aussi élégant, l'air accompli. Alors que moi j'ai abandonné mes études... et l'amour. Mon égo en prends un coup, c'est moche de réagir comme ça, je sais.

J'crois que j'peux directement aller acheter une pelle dans le magasin de bricolage du coin et creuser directement ma tombe car d'ici ce soir, j'allais probablement être un homme mort. En même temps, il faut dire que je n'avais pas fait de cadeau à ma cadette. Charlie semblait vraiment encore éprise par le beau Emerson et c'était assez amusant à constater. Elle était tout penaude. Mignonne. Enfin, Léo semble aller bien. D'le voir, un peu vieilli par rapport à mes souvenirs me confronte directement à cet été chaud dans le sud de la France. On avait passé des vacances vraiment chouettes dans la résidence secondaire des Keynes. C'était le paradis. Du soleil, une piscine et puis la cave à vin du paternel qu'on avait largement sifflée avec Léo. Et puis il y avait eu cette amour entre Charlie et lui. Un point noir dans ces semaines ensoleillées. J'l'avais mal pris à l'époque, ma sœur me piquant mon meilleur pote et inversement. Ca m'avait foutu en rogne. On s'était engueulé à l'époque, comme des adolescents et puis le temps avait fait son travail. Tout ça n'était devenu qu'un souvenir lointain. Mais visiblement, pour Charlie, Léo n'avait pas perdu de son charme. Très clairement, cette dernière préférait parler en monosyllabes, et c'était à moi de faire tout le taffe. En même temps, elle n'avait jamais voulu cette discussion. Je complétais alors les paroles de ma sœur. "Ouais, il est toujours entre Bowen et Paris, notre mère vit toujours en France, ils sont plus trop un couple marié mais ils vivent souvent ensemble, on a jamais vraiment trop compris comment ils fonctionnaient, mais bon, ils vont bien." J'souris alors que je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. J'le saisis et constate que Charlie, ma meilleure amie, tente de me joindre. J'les regarde tandis que j'décroche. "Pardon, j'dois prendre cet appel." J'donne un petit coup de coude discret dans le bras de ma sœur et leur adresse un sourire à tous les deux. J'm'écarte alors et prend l'appel, "Charlie, salut, tu tombes à pic t'as pas idée! Ca va?" J'mets de la distance entre Charlie et Léo, laissant les deux amoureux déchus en tête à tête. Bordel, l'alignement des planètes, le karma, appelez ça comme vous voulez, mais moi, perso, j'vis ma meilleure vie. A croire que j'prends plaisir à mettre ma sœur dans de beaux draps.

La scène était drôle, les deux hommes qui se fendaient la poire alors que la jeune femme était visiblement morte de honte, cherchant à se planquer le plus loin possible tout en espérant trouver le meilleur moyen d'assassiner son aîné, non franchement ça valait le coup d’œil. Léo n'avait aucune envie de rendre Charlie mal à l'aise, mais bon, il y avait prescription depuis le temps, elle avait eu d'autres amants ! La seule chose qui différait un peu dans cette histoire plutôt qu'une autre, c'est que le séjour de Léo s'était un peu terminé en jus de boudin finalement, mais là encore tout était oublié depuis le temps, non ? Ils parlaient rapidement du paternel Keynes, en vrai Emerson ne savait rien des relations que les enfants entretenaient avec leurs parents, de toute façon ça ne le regardait pas. Il savait qu'à l'époque les deux familles se fréquentaient et s'appréciaient, ils étaient à priori resté en bons termes, pour le reste, il s'en moquait, du moment qu'un drame n'était pas arrivé. Ariel répondit qu'ils allaient bien, leurs parents avaient toujours cette relation un peu étrange, le genre de relation qui intéresserait bien le photographe, assez libre quoi, enfin il se gardait bien de commenter. Puis il s'éclipsa en prétextant devoir prendre un appel, étrangement Léo le pris comme un bon moyen de s'échapper pour laisser encore plus sa sœur dans la merde, pas cool. Il hocha la tête en le regardant se retourner tout en se disant qu'il enviait leur relation, lui qui avait grandit en fils unique, même s'ils se chamaillaient, s'ils avaient parfois envie de s'étriper, de l'extérieur ça avait l'air chouette. Donc Emerson se retrouva face à Charlie qui n'avait plus de frère derrière lequel se planquer. Il lui sourit. J'vais pas te manger tu sais ! Il se fit bousculer par un homme pressé, en même temps ils étaient en plein milieu de l'allée. Tu veux qu'on aille se poser en face, en terrasse ? Allez je t'offre un verre. Ils se mirent alors en marche. Alors vous êtes là pour reste un petit moment si j'ai bien compris. Tu fais quoi dans la vie Keynes ? Elle pouvait bien lui parler d'un job ou de tout autre chose, avec tout le temps passé, ils en avaient des choses à rattraper.

Alors là il ne paie rien pour attendre. Il a de la chance que la peine de mort soit abolie. Je fusille du regard mon frère lorsqu'il prend cet appel et qu'il ose dire qu'il tombe à pic. Bon, ok, je vais devoir faire la conversation avec Léo. Moi et mon vieux tee-shirt tout pourri.

Faut que je me ressaisisse bon sang! Ça fait des millénaires que nous avons flirté moi et Léo. Ya prescription! Je sais pas pourquoi je suis si embarrassée. On s'en fout que je sois toute moche. Je sais bien qu'il ne va pas me mordre. Ça m'énerve qu'il dise ça. Contrariée, je fronce les sourcils. Ouais. C'est juste bizarre de te revoir. J'enfonce mes mains dans les poches et hausse les épaules. C'est stupide, je sais, je me souviens d'avoir ressentie des papillons dans le ventre pour lui. J'étais jeune. Je trouvais ça cool qu'un mec plus âgé que moi s'intéresse à moi. Quelle idiote. Cela remonte à tellement loin, comme un monde parallèle.

C'est vrai qu'on gênait le passage. Léo me propose d'aller boire un verre. Je jette un oeil vers Ariel qui semble bien occupé au téléphone. Humm... D'accord. Je fais signe à mon frère qu'on va en face. Comme je suis dos à Léo, j'en profite pour lui lancer une grimace féroce et forme silencieusement les mots PETIT CON.

On longe ensemble la rue et entame les banalités. Je suis pâtissière. D'ailleurs j'ai bientôt un entretien d'embauche à Imogen. Je n'ai aucune envie de parler de Sidney. À chaque fois que je pense à Sidney, je broie du noir. Inutile aussi de préciser que j'ai plaqué mon ex sans explication. D'où la vraie raison de ma venue à Bowen. Et toi? Toujours passionné de photographie? Un petit détail dont je me souviens encore.

C'est vrai qu'il aurait pu éviter de lui dire ça, mais franchement, ils n'avaient plus quinze ans ou même vingt. Peut-être que Charlie avait eu un crush pour Léo, peut-être qu'elle ne lui était encore pas si indifférente que ça. Peut-être même que dans d'autres circonstances, avec une vie différente, Léo aurait pu se laisser séduire par ses manières d'adolescente et tenté de jouer avec, mais plus maintenant, il avait changé, il avait mûri et il aimait se dire qu'il s'était même assagi. Il avait une femme dans sa vie même si leur relation n'était pas simple, il ne regardait plus les autres avec la même envie. Et bien que la nostalgie de sa jeunesse frivole se rappelait parfois à son bon souvenir comme l'idée qu'il n'était plus aussi jeune, plus aussi fougueux, il ne regrettait pas de s'être calmé. Il sourit à sa réplique en passant une main dans sa tignasse à peine disciplinée. En débarquant à Bowen t'avais une chance sur deux de tomber sur moi un jour ou un autre ! Finalement, pour faire passer la gêne, aussi parce qu'ils étaient dans le passage et puis parce qu'il en avait envie, Léo proposa à Charlie de prendre un verre un peu plus loin et ensemble ils quittèrent le marché. C'était certes étrange de se retrouver en tête à tête mais il ne manquait pas de conversation et puis il était curieux de découvrir la jeune femme qu'elle était devenue. Imogen, vraiment ? C'est une enseigne réputée par ici, j'espère que tu obtiendras le job ! On dit que la proprio n'est pas toujours facile mais elle sait faire tourner une affaire. J'aime bien leur cookies personnellement. Tu as fais ta formation en France j'imagine ? La pâtisserie par ici n'est pas tellement la même, c'est moins... raffiné disons. En Australie vous ne trouverez pas tous les si bon gâteaux qui faisaient la réputation de la France, il fallait l'avouer, mais on n'avait pas tellement à se plaindre. Et puis on trouvait toujours un pâtissier français qui ramenait ses bonnes recettes et de vrais croissants au beurre. Il était surpris qu'elle se souvienne de son amour pour la photo, preuve qu'il était mordu depuis toujours et que ça ne passait pas inaperçu. Toujours oui. Au point d'en avoir fait mon métier. Je voyage beaucoup et je vends mes photos à qui veut bien les acheter, je travaille avec quelques magazines assez réputé de photo ou de voyage. C'est plutôt gratifiant.

Avec tout ce qu'il s'est passé dernièrement dans ma vie, je ne m'attendais pas à tomber nez à nez avec Léo. Il appartenait à un passé révolu. Certes il pouvait m'arriver de penser à lui, lorsque je pensais à mes vacances d'été sous le soleil de Paris. Je trouvais ça tellement cool de sortir avec un mec plus âgé que moi. Qu'est-ce que je me sens bête en y repensant. Il m'a toujours impressionné, lui et son regard dur. Alors qu'au fond, il est juste un homme gentil et courtois.

Il fait bien de briser la glace. Nous marchons au bar en face, pour boire un verre. Je suis beaucoup plus à l'aise pour aborder les banalités. Je lui parle de mon entretien d'embauche chez Imogen, qui a une bonne réputation à Bowen. Je sais. Ça serait le rêve qu'on me donne ce job. J'adore Ariel mais j'aimerais avoir mon propre appartement. Il ronfle pendant son sommeil. Et il laisse trainer ses caleçons, c'est dégoûtant. Je m'efforce de ne pas rire. L'accusé n'est pas là pour me contredire. Sincèrement, je ne me déplaîs pas chez Ariel. Cependant mon indépendance compte beaucoup pour moi.

Ma passion à moi c'est la pâtisserie, lui la photographie. C'est toujours satisfaisant d'entendre quelqu'un qui vit de sa passion. Génial! Je suis contente pour toi. On n'a pas tous la chance d'avoir un métier qui nous rend heureux. Nous sommes proche du bar, je me retourne pour apercevoir mon frère. Il est encore au téléphone.

Et tu as quelqu'un dans ta vie? T'enflamme pas, j'suis juste curieuse. Je lève délibérément les yeux au ciel. Qu'il ne croit pas qu'il m'intéresse. C'est assez le bordel dans ma vie sentimentale.

Les hommes un peu ténébreux ça impressionnait toujours les filles et Léo il aimait en mettre plein la vue. Pourtant il n'était pas si mystérieux que ça et son regard dur il le devait à cette vie que son père lui avait fait mener et qu'il n'avait pas toujours apprécié, à ses années à se chercher pour sortir de l'ombre de ce patronyme trop difficile à porter. Il n'en parlait pas, il préférait la déconne, les potes et la fête. Mais ce regard là, il ne pouvait pas s'en séparer, il faisait partie de lui. Certaines filles craquaient, parce qu'il y avait tout le package qui allait avec, belle gueule, corps travaillé, bons gênes en général et le bagou qui allait avec, il était plutôt bien né pour ça, Emerson. Mais il préférait les séduire avec ses récits de voyages, avec son appareil photo, sans trop à avoir à parler de lui. Charlie c'était différent, elle connaissait son histoire familiale et puis c'était facile, elle était jeune, il l'était aussi et un peu moins qu'elle, elle le bouffait du regard sur la plage, il avait juste eu à la flatter un peu et à se cacher d'Ariel, la partie la moins simple dans ce jeu cet été là. Enfin ce n'était pas tellement un jeu, elle l'attirait vraiment, la jeune Keynes, mais il savait que ça ne durerait qu'un été, il n'était pas naïf. Puis à Bowen ou ailleurs d'autres l'attendaient, il voulait profiter de la vie. Aujourd'hui c'était un peu différent, il ne jouait plus le séducteur, il en était revenu des histoires d'une nuit ou de quelques semaines. Il aspirait à plus de stabilité, il était plus mature. Tout homme qui se respecte laisse traîner ses caleçons, c'est une règle d'or ! J'crois qu'on cherche à marquer notre territoire, un truc comme ça. Enfin il comprenait que Charlie ait besoin de son indépendance maintenant qu'elle était revenue vivre à Bowen. Si elle se débrouillait bien il n'y avait pas de raison qu'elle ne soit pas prise chez Imogen, une raison de plus pour Léo d'aller y acheter un café et quelques douceurs de temps en temps. Non c'est vrai, vivre de sa passion c'est même un luxe, j'en suis conscient. D'autant plus que sa carrière ne partait pas dans ce sens au départ, lui qui aurait dû marcher dans les pas de son père et reprendre le flambeau familial, il avait dû se battre pour ses rêves et puis pour se faire un prénom dans le milieu de la photo sans passer pour le fils à papa qui faisait son caprice. Pour lui c'était d'autant plus complexe qu'en vérité ce n'était pas un gagne pain, il avait déjà un compte en banque bien garni depuis l'enfance, c'était juste une forme d'indépendance et d'accomplissement personnel mais ça, il évitait de s'en venter. T'en fais pas, il saura où nous trouver quand il aurait terminé son coup de fil, tu dis que t'en as marre mais t'es la première à le chercher ton frangin ! Mais ce genre de chose il avait du mal à le comprendre, lui qui avait grandit en fils unique. En arrivant près de la terrasse la question de la brunette le fit rire. Ils s'installèrent à la première table libre qu'ils trouvèrent. J'ai un fils, déjà, qui me fait garder un peu les pieds sur terre. Et puis oui, il y a une femme, je crois que ça commence à ressembler à quelque chose de sérieux. Il sourit presque timidement. Et toi, tu as trouvé ton bonheur à Bowen ? Ou ton doberman de frère surveille tous tes potentiels amants ? Il fit signe au serveur qui s'approchait déjà d'eux.

Vivre avec Ariel me rappelle notre adolescence. Maintenant nous sommes adultes, on est censés avoir plus de retenue. Pas nous. La familiarité est toujours de guise et intacte. La preuve, sa chambre représente exactement sa vie. Un désordre où des caleçons peuvent parfois s'y perdre. Selon Léo, une loi totalement banale chez les hommes. Beurk. Je ne te regarderais plus jamais de la même façon! je lui lance un air faussement incrédule et rigole. J'admets avoir idéalisé le beau Léo. Imaginez, moi ado, flirtant avec le mec le plus canon de l'été. Les filles étaient mortes de jalousie. Jusqu'à ce qu'Ariel l'apprenne et que je sois à mon tour morte. Bien entendu, j'exagère.

Léo remarque que j'ai plusieurs fois jeté un œil en direction d'Ariel. Désolé... lui dis-je sur un ton d'excuse. Tu sais ce qu'on dit? Qui aime bien, châtie bien. On s'engueule parfois. Mais il est le meilleur frère du monde. Je me précipite de rajouter Ne lui répète surtout pas! J'aurais du mal à définir notre relation. Nos parents n'étaient pas vraiment des parents débordant d'affection pour leurs enfants. J'haïssais comment ils se comportaient avec mon frère, le soit-disant bon à rien de la famille. Je pense que c'est pour ces raisons que je considère mon frère comme mon seul repère familial. Lui sera toujours présent pour moi, n'importe où, m'importe quand. Pour l'instant il est le seul centre de mon univers.

Paraît-il que les choses changent lorsqu'on a un enfant. Incroyable mais vrai, Léo est père. Je suis abasourdie, béat, de le voir sous un autre angle. Un fils, waouh. Tu prends un coup de vieux, Emerson. Il s'appelle comment? L'amour semble compliqué pour tout le monde. Il m'infirme qu'il entretient une relation qui - je cite - commence à devenir quelque chose de sérieux. Vint mon tour de répondre. J'aurais mieux aimé éviter le sujet. Argh... c'est, tu sais, compliqué... Mais non, je n'ai pas envie de savoir qui sont toutes les gourdasses que mon frère se tape. Je pense que pour lui, c'est pareil. Enfin assis à une table, je commande un cappuccino avec un nuage de lait. Mes pensées sont en encore accaparées par la nouvelle précédente. Léo, papa, et apparemment sentimentalement rangée! Je me réjouis pour lui, sincèrement. Il existe encore des couples qui sont heureux en amour.

Léo sourit à la grimace de Charlie, il exagérait évidemment, sans être quelqu'un de maniaque, il était relativement ordonné et c'était rare qu'on puisse voir un caleçon ou une chaussette traîner sur le sol de sa chambre, mais il se souvenait de sa chambre d'adolescent et des multiples fois où sa mère avait levé les yeux au ciel en voyant le désordre qui y régnait. En parlant d'adolescence, il se souvenait que déjà à l'époque, Ariel et Charlie ne se loupaient pas, mais la réflexion de la brune lui arracha un nouveau sourire, il ne comprenait pas vraiment ce lien si particulier mais il avait des amis qu'il considérait comme des frères et sœurs, ceux avec qui il avait toujours vécu et grandit, ceux qui comptaient plus que tout. Alors il hocha la tête. Ton secret sera bien gardé. Même s'il savait que c'était exactement la même chose du côté d'Ariel. Une fois installés ils se parlaient un peu d'eux, Léo confia volontiers à Charlie qu'il avait un enfant et visiblement cette annonce fit son petit effet auprès de la jeune femme. Il passa la main dans sa barbe, rictus au coin de la bouche. J'prends pas un coup de vieux, je prends en sagesse, nuance. Si seulement ça l'avait vraiment assagit, pour certaines choses oui, mais pas pour l'essentiel. Il s'appelle Jonah, il aura bientôt quatre ans. Il ne s'attarda pas sur les circonstances de sa conception ou même de sa naissance qui étaient loin d'être idylliques, cet enfant n'était malheureusement pas le fruit de l'amour mais d'une relation fiévreuse et conflictuelle qui avait pris fin avant qu'Emerson ne soit même au courant de cette vie qu'il avait engendré. Il n'en était pas fier pour être honnête, mais il espérait s'être rattrapé depuis lors, puisque son fils il l'aimait plus que tout, c'était toute une vague de sentiments qui l'avait submergé lorsqu'il était né. Visiblement Keynes était un peu gênée par sa question, Léo ne voulait pas la mettre mal à l'aise, mais après tout, elle était la première à avoir demandé. Il commanda un expresso avant de hausser doucement les épaules. Là où il n'y a pas de passion, là où c'est trop facile, il n'y a pas d'amour ... Cette réflexion valait tout autant pour elle que pour lui, la vie lui avait prouvé mainte fois que ça ne pouvait jamais être simple quand il s'agissait d'amour. Ou alors peut-être qu'il était du genre à se compliquer la vie, à chercher les relations conflictuelles, mais il préférait mettre ça sur le compte de la vie pour mieux se dédouaner. Il sourit en la regardant. T'es belle, Keynes, surtout quand tu relèves tes cheveux quand il fait chaud. J'ai aucun doute que tu les fera tous tomber. Et il en serait presque jaloux.