Everyone thinks I'm a liar || Olivia

Quand Olivia avait insinué qu'il serait peut-être bon pour le moral de son cadet qu'il trouve un travail, et quand bien même elle avait ajouté que balayeur ferait aussi bien l'affaire, elle ne s'était pas attendue à ce que pour une fois, il l'écoute. L'autre Carteret semblait pourtant assez constant dans sa défiance à toute forme d'autorité qu'elle pouvait tenter de lui imposer. Elle n'était même pas parvenue à le faire monter dans la voiture pour le conduire aux réunions des addict anonymes ! Et voilà qu'il avait trouvé, allez savoir comment, le moyen de se dénicher un travail ? Dieu les protège, tout semblait partir à vau-l'eau dans leur petit monde déjà fort peu organisé. A cet effet, il paraissait important d'y remettre un semblant d'ordre. Et pour ce faire, elle allait devoir employer les grands moyens.

Inutile de se le cacher, Olivia n'était guère habituée à ce genre d'endroit. Déjà, de par son sexe et sa condition de femme du monde, il n'y avait aucune raison pour qu'elle trouve un plaisir quelconque à se divertir dans un club de strip tease. Autrement dit, un endroit où, disait-on, des femmes à la cuisse légère, étaient payées pour se dénuder devant un public d'hommes aux yeux luisants de concupiscence. A l'image de toute personne à qui les stéréotypes collaient autant à la peau qu'à l'esprit, elle s'était toujours représentée ces endroits comme des antres de débauche, au parquet et aux comptoirs collant, voire aux banquettes tâchées de fluides corporels indéterminés, empestant la sueur et la bière rance. De plus, rappelons que feu son très cher époux avait trépassé dans les bras d'un homme de petite vertu, probablement rencontré dans un lieu approchant à celui dont elle venait de franchir la porte. Ce fut donc pleine d'apriori, le nez légèrement plissé, qu'elle alla s'installer sur une banquette libre, renvoyant un regard amer à la serveuse joviale qui vint prendre sa commande. Cette dernière ne parut pourtant pas surprise de trouver une telle dame sur son lieu de travail. Quelque chose devait échapper à la Carteret. « Je voudrais un mojito, je vous prie. Apporté par votre barman. » répondit-elle en désignant le brun affairé un peu plus loin. La rousse sembla, cette fois, pour le moins étonnée. « Aucun problème. Mais vous savez, vous faites pas trop d'espoir, je pense pas que vous soyez trop son genre ... » La fille paraissait vraiment vouloir lui donner un coup de main. Adorable. Il n'en fallait pas moins pour éveiller la joueuse en elle. « Vous m'en direz tant, ma jolie. En réalité, j'aimerais m'entretenir avec lui pour voir si je suis plutôt le vôtre. » Clin d’œil à l'appui. L'employée rougit avant de pouffer peu gracieusement. « Vous êtes plus drôle que vous en avez l'air ! Allez, je vous fais amener tout ça, Chuck compris ! » Olivia lui sourit avec bonne humeur, se faisant la réflexion que son interlocutrice, elle, était plus intelligente qu'elle l'aurait cru.

Les minutes s'égrainèrent lentement. La jeune femme en observait une autre se déhancher lascivement contre une barre de pole dance. Elle n'était pas loin de piquer du nez quand la voix de son frère lui vrilla les tympans. Il était choqué. A juste titre. Et toujours aussi sur la défensive, à en juger par son choix d'attaque frontale. « A une question près, tu dépassais ton quota habituel. J'imagine que te contenter d'une à la fois serait trop te demander. » soupira-t-elle, faussement agacée. Elle tendit la main. « Mon mojito, s'il te plaît. Il fait une de ces chaleurs, ici ! » Elle s'éventa avec les doigts de sa main libre, l'autre s'emparant du verre qu'elle avait commandé. Elle prit le temps d'en siroter une bonne rasade avant de reprendre. « Je te dirais bien que je suis venue admirer la vue, cela nourrirait ton humour gras et bas du front, mais malheureusement, ce n'est pas le cas. » Évidemment, elle évita avec soin l'allusion à Sam. « Il était temps que je m'intéresse à ce que tu faisais de tes soirées. Et le majordome a pris sa soirée. Je me suis dit que je pouvais autant venir voir par moi-même ce que tu trafiquais. Persuadée que tu profitais de mon argent, bien sûr, pas que tu officiais ici. Je te rappelle, car cela semble nécessaire, que tu ne peux rien signer sans mon accord. Je doute que ton employeur soit ravi d'apprendre que ton contrat de travail est, en théorie, caduque. » C'était bas et vile, cette façon de lui rappeler qu'ayant hérité de sa tutelle, elle contrôlait une bonne partie de la vie de son cadet. Disons que depuis des mois qu'il lui compliquait la sienne, elle avait bien droit à ce petit plaisir. Il n'oserait pas faire une scène sur son lieu de travail, si ?

Depuis le temps qu'ils partageaient désormais la même maison, leur quotidien et qu'elle subissait les incessantes logorrhées de son cadet, Olivia commençait à prendre l'habitude de ses petites litanies sous fond de victimisation. Tandis qu'il discourait, entre plaintes et complaintes dignes de ... Et bien de Charles II Carteret, en somme, sa sœur avait déjà laissé son regard dériver sur les lieux. Les filles paraissaient à l'aise dans cet environnement de débauche, malgré les regards lubriques que ces messieurs leur renvoyaient, qu'elles se déhanchent sur la scène ou dans les allées, des verres en équilibre précaire sur des plateaux aussi attendus que les danseuses. L'ambiance était d'ailleurs moins poisseuse que ce à quoi elle s'était attendue. Bien sûr, on restait dans un club de striptease d'une petite ville australienne et non dans un bordel pour gros bonnets de Londres, aussi la déco avait-elle quelque chose de franchement cheap. Tout comme la musique, d'ailleurs. Cependant, à bien y réfléchir, l'endroit était tout de même drôlement bien assorti à son cher frère. Cette pensée lui arracha un sourire sarcastique que ce dernier lui pensa certainement destiné. Elle prenait rarement au sérieux ce qu'elle qualifiait de diarrhée verbale. Preuve en fut de la réponse qu'elle lui rétorqua : « Blablabla. Tu aurais bien besoin de changer de disque. Et ce bouge aussi, soit dit en passant. Rihanna, hm ? N'est-ce pas un peu dépassé aujourd'hui ? » Le tube relatant les faits d'un obscur parapluie devait bien dater de quinze ans. Autant que la rengaine de Chuck. Toujours bon à rien, foutu pour foutu, selon lui. A croire que les sommes astronomiques qu'elle déboursait à son psychiatre ne servaient qu'à financer sa nouvelle résidence secondaire. La seule évolution dans la vie de son cadet était ce job probablement sous-payé pour lequel il s'affairait derrière un comptoir. Quoi que cela avait le mérite de l'occuper. Si l'on exceptait les pilules qu'il gobait à longueur de journée, semblait-il que du reste, il était toujours sobre. « Bien sûr, que c'est pour te faire chier. » répondit-elle finalement avec un haussement d'épaules, l'injure résonnant bizarrement dans sa jolie bouche d'habitude si châtiée. Mais elle ne faisait que reprendre les mots de son frère. « Je te l'ai dit, tu hantes mes journées de ton ineffable emmerdement. Tu permettras que je vienne ruiner l'une de tes soirées. Ce n'est qu'un juste retour des choses, après tout. » Elle se rencogna dans son siège en vinyle, jouant avec la paille de son cocktail. La garce arborait un léger sourire empli de satisfaction. « Mon prochain plan est donc de finir ce mojito fadasse en te regardant inutilement stresser sur le sort que je te réserve. Un junkie n'a rien à faire dans un bar, Chuck. Toi et moi, on le sait. Ce que j'ignore, en revanche, c'est comment tu parviens à ne pas vider les réserves pendant ton service. Pour quelqu'un qui est convaincu d'être bon à jeter, tu fais preuve d'un contrôle pour le moins impressionnant. » Etait-ce un ... Compliment ? En tout cas, cela y ressemblait fortement. Du moins, autant qu'un Carteret pouvait se le permettre.