Dites cheese ! (Andréa)

J'admirais la naïveté des gens. Croyaient-ils sincèrement qu'ils me rendraient plus sympathique en me souriant ? Je baissai les yeux vers la main pleine de doigts qu'elle me tendait, et soupirai d'un air impatient tandis qu'elle se présentait. Au bout de longues secondes, je consentis à serrer très brièvement cette main, puis je croisai les bras sur ma poitrine. « Vous avez besoin de mes muscles, voyez vous ça ? » répondis-je, narquois. « Et on viendra encore me parler d'émancipation de la femme ». Ce genre de réplique expliquait sans doute mon nombre très peu élevé d'ami.e.s, mais c'était plus fort que moi. « Allons-y », et je me dirigeai d'un pas rapide vers l'extérieur de la salle de sport, « qu'on en finisse ! »

Mon regard scanna la rue, en attendant que la blonde aux yeux bleus vienne me rejoindre pour m'indiquer son véhicule. Je ne pouvais pas le sucer de mon pouce, et je m'impatientais déjà. Pour passer le temps - et parce que j'avais envie de pisser depuis de longues minutes déjà - je me retournai et fis quelques pas vers le côté du bâtiment. « J'arrive dans une seconde, allez déjà à la voiture » lançai-je sans plus de cérémonie. Et je me soulageai, dans la rue... j'étais complètement à l'aise. Puis je cherchai la jeune femme et son véhicule des yeux. Une fois face à celui-ci, j'attendis qu'elle me désigne ce dont elle avait besoin pour la séance photo, puis attrapai le matériel et l'embarquai vers la salle. Cette fille avait raison sur un point, j'avais des muscles - ce fut donc plutôt simple.

Une fois rentrés dans la salle, je me tournai vers elle et croisai brièvement son regard : « J'imagine que vous devez installer tout ça... je vais en profiter pour aller chercher mon tee-shirt du Club ». Je m'exécutai, et revins quelques minutes plus tard, le dit tee-shirt à la main. Je détestais porter ce truc, il était affreux. Je préférais mes débardeurs sans manches, et de loin !

La jeune femme n'avait pas chaumé pendant mon absence : tout était déjà installé. Je me plantai à côté d'elle, attendant la suite. J'avais conscience d'être rémunéré pour crier sur des gens à longueur de journée, et c'était l'aspect positif de mon travail. En revanche, et parce que j'étais rémunéré justement, je ne pouvais pas me permettre de refuser les aspects négatifs - dont cette séance photo faisait clairement partie. La blonde me remercia pour mon aide, d'une façon totalement ironique qui m'arracha un haussement de sourcils. « Qu'est-ce que vous faites là, alors ? » répliquai-je du tac au tac, quand elle me dit qu'elle ne voulait pas déranger mon train-train. Je sous-entendais clairement que c'était pourtant ce qu'elle faisait, mais j'étais persuadé qu'elle l'avait déjà compris. Elle n'avait pas l'air d'être idiote. Certaines femmes le portent sur leur visage. Elles ont ce sourire bête, ou cette façon de battre des cils qui fait d'elles de parfaites imbéciles... ce n'était pas le cas de la photographe. De plus, elle s'habillait simplement, ce qui signifiait certainement qu'elle n'était pas une pimbêche totalement abrutie. Ou alors, elle cachait bien son jeu. Elle m'ordonna de me mettre debout face au mur et d'essayer de sourire, si ce n'était pas trop me demander. Elle faillit m'arracher un sourire, son ironie m'amusait. « J'ai bien assez de clients comme ça, je vous rassure. On oublie le sourire, j'suis pas mannequin Colgate ». Ce n'était d'ailleurs pas faux, la salle était souvent bondée étant donné qu'elle était partie intégrante du complexe sportif de la ville.

Soupirant à l'idée de ce qui m'attendait, je finis par décider de me jeter à l'eau. Mieux valait être débarrassé de cette épreuve rapidement. J'attrapai mon débardeur par le bord inférieur et le retirai d'un geste souple, laissant apparaître ma musculature un bref instant. Torse nu, je croisai le regard de la blonde - une lueur étincellait dans ses yeux, ou je rêvais ? « Qu'est-ce qu'il y a ? » lui demandai-je, un brin agressivement. Je pris le tee-shirt du Club, assorti au logo sur le mur, et l'enfilai rapidement avant de poser à nouveau mes yeux sur elle. Je m'installai ensuite là où elle me l'avait demandé, et attendis la suite sans bouger, les bras le long du corps. Je ne savais pas dans quelle position me mettre.

La jeune femme me fixait, la bouche entrouverte... et sans aucune gêne, tandis que je changeais de tee-shirt. Elle avait presque un filet de bave au coin des lèvres, et elle ne se gêna d'ailleurs pas pour me faire remarquer que j'avais un corps de rêve et qu'elle s'était copieusement rincé l’œil. Sa réplique me surprit véritablement. Pas à cause de mon corps, non... mais surtout de la façon dont elle l'avait dit ! Quelques clientes avaient bien cherché à me faire comprendre qu'elles étaient intéressées, mais jamais aussi directement. La photographe n'avait pas froid aux yeux, c'était le moins que l'on puisse dire. Et le pire, c'était que je ne pourrais même pas me venger sur elle en séance et lui faire passer l'envie de me faire du rentre-dedans, puisqu'elle ne venait pas ici pour le sport ! « Vous êtes gonflée » lui répondis-je, sans parvenir à masquer ma surprise. Plus jeune, lorsque j'étais au lycée - puis à l'Université - je passais mon temps à faire ce genre de remarques aux filles... mais jamais une seule ne m'avait tenu pareils propos auparavant. Cette mademoiselle Logan avait le mérite de sortir du lot.

Dos au mur, j'attendis qu'elle me dise comment me mettre pour sa stupide séance photo. Elle me regarda quelques secondes, puis fit quelques pas vers moi et m'attrapa par les hanches pour me placer comme elle en avait envie. Je n'aimais pas spécialement qu'on me touche, je me laissai faire pour abréger le moment au plus vite - non sans souffler d'exaspération, histoire de bien lui faire comprendre que ça me saoulait. Elle me dit de croiser les bras sur mon sublime torse, puis se retourna pour reprendre sa place un peu plus loin. « Vous allez vous en remettre ? » ironisai-je, en ayant déjà repris mes esprits par rapport à la surprise que sa première remarque m'avait causée. « Si vous voulez, je vous dédicacerai une photo » commençai-je, en croisant les bras comme elle me l'avait demandé. Puis j'ajoutai, plein de sous-entendus : « ou autre chose ». J'étais un homme dans la forme de l'âge, pas un eunuque. Peu de gens savaient que j'étais veuf depuis près de dix ans. La plupart de mes collègues me prenaient pour un homme marié, probablement à une Sainte d'ailleurs... puisque je portais toujours mon alliance. Ainsi, beaucoup de gens se faisaient de fausses idées à mon sujet lorsqu'il m'arrivait de manifester un quelconque intérêt sexuel à une femme. Les rumeurs ne me dérangeaient pas. Leur avis m'importait peu, ces gens ne comptaient pas pour moi - c'est pourquoi je les laissais penser ce qu'ils avaient envie. Je préférais passer pour un connard et ne pas avoir à me faire d'amis, parmi eux. Il n'y en avait de toute façon aucun qui m'inspirait le moindre respect. En revanche, il arrivait à certaines femmes de m'inspirer autre chose. Et cette Andy n'était vraiment pas laide, dans son genre. En plus, elle semblait être une proie facile. Presque trop... « Bon, ça y est ? » m'impatientai-je, bras toujours croisés.
 

Elle n'avait fait, me sembla-t-il, que quelques clichés... mais je m'impatientais déjà. Lorsque je lui demandai si ça y était, la photographe explosa et me foudroya du regard. A vue de nez, elle devait faire un mètre 70 à tout casser. Elle n'était pas franchement impressionnante. En revanche, elle était vexée et ça se voyait. « C'est vous qui parlez de respect alors que vous me matez comme si j'étais un steak ? » ironisai-je, bien conscient que la plupart des femmes devaient souvent avoir cette impression. Pas que ça me gênait, mais j'étais têtu et j'aimais avoir le dernier mot. Mademoiselle Logan me tournait le dos, occupée à s'affairer sur son ordinateur portable et à faire semblant de ne pas m'entendre. Bon débarras, avait-elle dit... je ne pouvais pas être plus d'accord avec elle, cette séance avait été pénible pour moi, bien que courte. Je n'aimais vraiment pas les photos. Toutefois, je vis les images par-dessus son épaule et je m'approchai avec curiosité. Elle m'ignora, continuant à observer le résultat de son travail. Je restai là quelques secondes, observant d'un œil critique mon propre reflet. « Franchement, ce tee-shirt est odieux et avec le rappel du logo sur le mur, ça ne donne aucun contraste. J'aime pas ». Elle ne m'avait pas demandé mon avis, mais je ne pouvais pas m'empêcher de le donner. A peine avais-je fini de le faire que j'ôtai le dit tee-shirt, cherchant mon débardeur des yeux. Je me demandais où j'avais bien pu le laisser traîner, je ne le voyais pas. « Puis ça aurait été mieux avec un sourire, ce mec a l'air désagréable » ajoutai-je, exprès pour l'énerver. Je ne pensais pas que sourire ou pas aurait changé quelque chose, mais j'avais juste envie de l'ennuyer un petit peu. Juste pour voir, juste... pour rire.
 

La photographe se retourna, visiblement mes commentaires avaient totalement l'effet voulu : ils l'énervaient. Ce n'était pas gentil de ma part, certes... mais c'était vraiment plus fort que moi, j'avais remarqué qu'elle ne supportait pas mon attitude et j'aimais sa façon de réagir. Elle était piquante, c'était divertissant et ça me rappelait mes années universitaires. Quand je rencontrais des femmes pour le côté physique de la chose, c'était souvent comme ça que ça se passait : elles faisaient ressortir le Trevor Seyton des années fac. Elle me répondit calmement, non sans avoir coulé un regard azur sur mon torse nu. « Vous n'aurez qu'à me donner des cours particuliers, puisque je ne sais pas poser » lançai-je, en détachant les yeux d'elle un instant pour chercher de nouveau mon débardeur - qui resta introuvable. Andy me proposa de refaire quelques photos, qu'elle présenterait au manager. Je n'étais pas contre l'idée, les autres ne donnaient vraiment rien avec le tee-shirt du Club. Si j'avais pu le jeter au feu, celui-là, je ne m'en serais vraiment pas privé ! Je haussai les épaules, croisai son regard tandis qu'elle me souriait. Ce sourire eut probablement l'effet souhaité, puisque j'en vins à me demander à quand remontais la dernière fois où j'avais caressé le corps d'une femme. « Très bien, on en refait quelques-unes... je suis content de voir que vous prenez mes conseils en considération » répondis-je, une fois de plus pour la faire enrager un peu. « Mais avant... », et disant ces quelques mots je me laissai presque tomber au sol en position pompage. J'en enchaînai une vingtaine, juste histoire de gonfler mes muscles. C'était beaucoup mieux, si je devais poser torse nu. En plus, j'étais sûr que Mademoiselle Logan n'en louperait pas une miette, et à présent que j'envisageais... disons, autre chose, je voulais mettre toutes les chances de mon côté ! Bien que j'étais tout de même convaincu que ça ne serait pas bien compliqué de la faire succomber. C'est toujours comme ça, avec les femmes : plus on est désagréable, et plus elles nous mangent dans la main. Je n'en connaissais pas beaucoup qui aimaient les gentils garçons. Pas même Scarlett. A cette pensée, mon cœur se serra légèrement mais j'essayai de la chasser au plus vite et repris position devant le mur. « Bras croisés, Andy ? » demandai-je, en insistant volontairement sur son prénom.