Home sweet home. / LIBRE

Minuit.
Erica marchait depuis une petite trentaine de minutes dans les rues de sa ville natale. Elle n'était pas revenue depuis presque deux ans et, bien qu'elle ne l'avouerait jamais, cela lui avait semblé être l'éternité. Elle s'arrêta devant le bar qui avait si souvent animé ses soirées étudiantes et l'envie d'y faire un tour la traversa. Quelles rencontres allait-elle bien pouvoir faire ?
L'alcool qu'elle avait bu à l'heure de l'apéritif en compagnie de sa chère et tendre mère ne s'était pas tout à fait dissipé. Elle n'avait pas mangé. Elle avait vaguement songé à un plat de pâtes au ketchup, puis avait abandonné l'idée. Chez sa mère, il n'y avait pas de ketchup. Trop salé. Trop cheap. Mauvais pour la santé. Sa mère ne savait pas ce qui était bon. Elle aimait les plats sans goût, sans gras, sans sel. Puis derrière, elle s'enquillait deux bouteilles de vin. Prendre soin de soi, manger bio, faire de la gym le matin. Que des c*nneries. Deux bouteilles, hop ! Non monsieur, c'est pas mauvais pour la santé, ça permet de tenir. Tenir quoi ? Ben tenir la barre, la vie, le moral, pas sombrer, pas se taper la tête contre un mur, tout ça. Pas simple, la vieillesse, vous voyez ? On regarde sa tête dans le miroir, et on sait qu'elle est là. Et il faut vivre avec ça. Avec l'idée que l'on a passé notre moment de gloire, notre moment de force, le moment où l'on peut tout faire. On a eu notre mari, on a eu nos enfants, on a eu notre maison. Maintenant la vieillesse, la décrépitude, et la mort. Et tout ça, on doit l'affronter seul, de préférence, parce qu'on est devenu aigri sans s'en rendre compte. Non, franchement, l'alcool aide. Comme les légumes bio. Un peu de mal, un peu de bien. On fait des compromis. Bonjour hypocrisie.

Erica entra dans le bar et commanda un verre de vin. Pas de bière, non, pas la foi. Elle n'avait jamais vraiment apprécié ce liquide pisseux.  Le barman ? Elle ne le reconnu pas, un petit jeune, un nouveau. La vingtaine, comme elle.
Elle sortit, son verre à la main. Les gens discutaient à l’extérieur dans un brouhaha désorganisé. Elle se demanda si il y avait des musicien, parmi tous ces gens. Des bons musiciens. Des gens pour son futur groupe, car elle n'avait aucune intention de faire une carrière solo. Elle passa la main dans la poche de sa veste et tira une cigarette. Ça aussi, c'était drôle, la clope. Ça pue,  c'est cher, ça déchausse les dents, ça te bousille les poumons, et pourtant presque 15% de la population du pays la clope au bec. 15% de débiles, addict à de la merde. Pas de crise cardiaque, non, un bon vieux cancer du poumon des familles. Faut bien mourir de quelque chose hein ?

Bon. Elle fourra la cigarette entre ses lèvre et chercha son briquet. Introuvable. Dans aucune de ses poches. Zut. Oublié à la maison. Cet oubli lui permettrait au moins de lier connaissance. Elle se tourna la tête à gauche et à droite, repéra un groupe de gens pas trop demeurés et s'avança.
- Eh, vous auriez pas du feu par hasard ?
Une jeune femme lui tendit son briquet. Le petit clic du briquet fit plaisir à ses oreilles. Elle rendit le petit faiseur de feu à la jeune femme.
- Merci, princesse...
Elle ferma les yeux et souffla une bouffée de fumée. Voilà, elle était chez elle, à Bowen, devant SON bar. Au poil. Dans son souvenir, elle n'était jamais venue ici sans faire de nouvelles rencontres. Peut-être l'air du large pas loin, le barman qui mettait des substances illicites dans les crackers, l'ennui de vivre dans une ville comme Bowen, ou tout simplement la certitude que plus il y a de fous plus on rit. Toujours était-il qu'à cet endroit précis de l'espace-temps, les gens n'hésitaient pas à venir discuter spontanément.  Et tant mieux, car elle n'avait pas envie de rester seule, ce soir. Sa mère lui avait foutu un sacré cafard, et elle n'avait plus qu'une envie : s'amuser.

Reposée après cette semaine d'anniversaire - car oui, pour Charlie, un anniversaire n'était non pas une fête qui tenait sur une journée mais bien sur une semaine, au moins - la jeune chirurgienne était partie prendre un verre après le service avec quelques autres internes. Tout sourire, quelques bières s'étaient enchaînées, et finalement la soirée s'était prolongée, plus longuement que prévu. Rien qui ne puisse faire peur à la jeune femme, cette boule d'énergie qui pouvait parfaitement enchaîner une nuit de garde avec une énorme fiesta. Ou l'inverse. Pas très professionnel, tout ça, vous allez me dire, pourtant la jolie brune était quelqu'un de raisonnable et connaissait ses limites. Si elle le faisait, c'était qu'elle savait qu'elle pouvait tenir le coup le lendemain à l'hôpital en étant entièrement concentrée. Jamais elle n'aurait pris le risque de faire une erreur à cause de la fatigue ou d'une trop grosse gueule de bois. Non, généralement, les lendemains de veille, on pouvait voir la jeune fille fraîche comme un gardon, son sourire lumineux éblouissant quiconque la croiserait. Même si elle adorait se plaindre de ses courbatures et de son mal de crâne. Au bloc comme avec ses patients, elle était entièrement focalisée sur sa tâche, imperturbable, pleinement dévouée à sa mission. Ce soir, donc, était le moment de décompresser en longueur, et elle ne craignait pas le réveil du lendemain. Elle s'était bien reposée ces derniers jours et il ne lui en fallait pas plus pour recharger ses batteries qui aux yeux de beaucoup, paraissaient inépuisables. Le petit groupe d'étudiants en médecine étaient sortis dehors, pour laisser l'occasion aux fumeurs de s'intoxiquer les poumons. Charlie faisait parfois partie de ces gens, même si elle n'était pas fumeuse, il lui arrivait de s'allumer l'une ou l'autre cigarette en soirée, ou parfois lors d'une pause à l'hôpital, quand on lui en proposait une. Mais sinon, ce n'était pas dans ses réflexes, comme ce soir. Peut-être s'en allumerait-elle une dans deux ou trois bières, qui sait. C'était juste un petit plaisir occasionnel, et encore, plutôt parce qu'elle se laissait influencer socialement, que par réelle envie de sa part. En soirée, la brunette était encore plus spontanée que d'habitude et surtout bien moins raisonnable, acceptant généralement tout et n'importe quoi. D'accord, peut-être pas n'importe quoi. Mais il y avait bien moins de réflexion derrière ses prises de décision. C'était à ça que ça servait, décompresser, non ? Une jeune femme aborda le groupe, demandant un briquet, ce à quoi Charlie ne prêta pas attention au début, le regard posé sur son collègue, écoutant la conversation en prenant une gorgée de bière. Mais la voix de l'inconnue attira son attention, et elle tourna la tête vers la jeune femme. Immédiatement, ses yeux s'agrandirent et son expression rappela celle d'un merlan frit. « Erica ? » souffla-t-elle à travers le groupe, avant de s'avancer vers elle, éberluée. Si elle avait hésité, maintenant qu'elle se retrouvait face à elle, elle était certaine de ne pas faire erreur sur la personne. C'était bien son amie, qu'elle n'avait plus revue depuis des lustres, sans savoir ce qu'elle était devenue depuis la dernière fois.

Elle entendit son prénom et ouvrit instantanément les yeux. Une jeune femme se fraya un chemin entre les rires et les nuages de fumées. A sa grande surprise, elle s'arrêta à sa hauteur et la regarda avec l'air de la personne qui t'a déjà vu quelque part. Elle était jolie, elle avait à peu près son âge. Erica ne la replaça pas tout de suite et pour gagner du temps et déstabiliser la belle , elle lança d'un air nonchalant un petit :
- j'te connais ?
Elle savoura la déconfiture passagère qui monta aux joues de la femme. Elle en profita pour la détailler. Cette fille lui disait quelque chose, en effet. Un petit air de famille. Mais cela faisait des années qu'elle ne l'avait pas revu. Il mit un peu de temps avant qu'un prénom se mit à résonner dans sa mémoire. Elle sourit, afin de rassurer son amie.
- Charlie... wah. ça fait un bail... Merde alors, t'es toujours aussi jolie.
Son sourire s’agrandit et plissa ses yeux. Elle écrasa sa cigarette par terre et l'invita à s'éloigner un peu du groupe.
- Si j'vous l'embarque un instant, ça irait ?  Mince, Charlie... qu'est ce que tu deviens ?

Visiblement, celle qu'elle avait considéré comme une amie durant des années - et considérait toujours maintenant, en fait - ne semblait pas avoir le même sentiment à son égard, car elle ne sembla absolument pas la reconnaître. Pourtant, c'était pas comme si ça faisait dix ans qu'elles ne s'étaient plus vues, non plus. Deux ou trois ans, quelque chose comme ça, même si elle ne pouvait pas donner de chiffre exact. Charlie fronça les sourcils, accusant un petit mouvement de recul. Elle était prise de court, ne comprenant pas comment il était possible qu'Erica ne la reconnaisse pas, et quelque part, ça la blessa. Ce pincement au cœur était amplifié par les quelques bières qu'elle avait dans le gosier et dans le sang. Parce que si déjà, elle la considérait comme une amie de longue date, elle n'avait pas non plus oublié le rapprochement qui s'était un jour opéré entre elles, même si cela faisait bien longtemps. Les joues de la brunette se teintèrent d'un rose pâle, partagée entre une certaine déception et une énorme gêne, mais son interlocutrice prononça alors enfin son prénom, semblant la replacer. L'étudiante remonta ses iris azur vers la jeune femme, ses joues encore plus enflammées quand elle lui dit qu'elle était toujours aussi jolie. Reprendre contenance, Charlie, vite. Tu vas quand même pas te laisser abattre pour si peu. « Ouah grosse tu m'as fait peur, j'l'aurais vachement mal pris si tu m'avais pas reconnue ! Ou bien c'est que tu te rappelles pas bien de ma beauté naturelle. » répliqua la jeune fille en lui assenant une petite tape sur l'épaule, optant pour l'humour, comme bien souvent, pour reprendre pied et ne pas se laisser submerger par la gêne - du compliment, des souvenirs flous mais brûlants, et du fait qu'elle ne l'avait pas reconnue immédiatement. Erica indiqua au groupe qu'elle empruntait Charlie à leur compagnie pour quelques minutes, ce à quoi la jolie brune rit en évitant de rougir, passant une main dans ses longues boucles. Malgré les années, la jeune interne se sentait toujours un peu intimidée par la jeune femme, sans qu'elle ne puisse expliquer pourquoi. Ça avait toujours été ainsi, même quand elles étaient proches. Sans doute parce qu'Erica était une fille pleine d'assurance, qui se moquait du regard des autres et paraissait pouvoir tracer son chemin seule sans aucun problème, sans avoir besoin de personne pour lui dire qui elle était. Charlie aussi avait confiance en elle, mais pas autant que ce qu'elle laissait paraître, quand il s'agissait du regard des autres. Elle était sensible à ce que son entourage lui soufflait, à ce que d'autres auraient pu penser de son image, même si elle n'aimait pas l'admettre. Certes, elle était pleine de vie, toujours à sauter partout et à faire la folle, se moquant d'épuiser les gens autour d'elle, mais au fond, elle était vite déstabilisée et influençable. « Bah écoute, j'ai commencé mon internat en chirurgie pédiatrique il y a près de deux ans. Sinon, rien de fou, j'ai jamais bougé d'ici. Mais toi alors ? T'es revenue depuis quand, qu'est-ce qu'il s'est passé dans ta vie ces dernières années ? Raconte ! » s'emballa la brunette, son regard océan pétillant d'impatience. Autant elle n'était pas entièrement à son aise, autant elle était réellement heureuse de retrouver son amie.

Charlie était décidément toujours aussi mignonne, avec son petit rose au joue qui montait quand elle perdait contenance. Selon Erica, faire rougir Charlie aurait pu être une occupation à temps plein tant c'était adorable.
Elle marchèrent un peu côte à côte en sans trop s'éloigner du bar, toutefois. Erica sirotait son vin rouge en écoutant les nouvelles de son amie et manqua de s'étouffer lorsque la jeune femme lui raconta ce qu'elle faisait.
- Internat en chirurgie pédiatrique ?! Rien de fou ? Tu déconnes ! lança-t-elle, admirative. Jamais elle n'aurait eu la patience de faire un truc comme ça. Elle aurait probablement fini par tuer un nouveau né chieur et morveux, serait passée au tribunal et aurait fini ses jours en prison. Je savais que tu réussirais, t'as toujours été brillante !
Charlie semblait la placer sur un piédestal alors que la seule chose qu'elle avait fait dans sa vie avait été de fuir Bowen avec sa moto.
- J'ai fini mon master d'info, puis je me suis barrée d'ici... J'ai du passer... euhm deux ans à me balader. J'ai enchainé plein de petits boulos, rien de fabuleux, mais j'ai pu voir du pays, et ça c'est cool. La nature, la liberté. Je me suis pas mal améliorée en guitare, à défaut d'un piano. Pas très pratique à trimbaler. Puis je suis revenue il y a quelques jours, histoire de passer voir les vieux, les copains, enfin ceux qui sont encore là... C'est drôle Bowen, parce qu'en deux ans, ça n'a pas changé, mais je ne reconnais plus personne... J'suis contente de te voir, d'ailleurs..
Elle évita de mentionner que son père s'était barré et que sa mère picolait. ça faisait moche sur le cv. Mais elle était sincère quand elle disait qu'elle était contente de revoir Charlie. Elle avait envie de l'embrasser, d'ailleurs. Pas sur la joue.
C'était drôle de la revoir. Charlie n'était pas du tout le genre de personne avec qui elle aurait pu être amie, a priori. Pas tout à fait sûre d'elle, un peu chiante, un peu paumée. Mais elle avait ce truc un peu magnétique, hyper attachant. Erica aimait son enthousiasme, ses blagues, et son côté passionné. Elle était vraie, et c'était reposant. Il n'y avait pas tant de gens que ça qui étaient vrais et non insupportable.
- Tu danses toujours ?

La chirurgienne rit doucement devant la réaction de son amie, qui manqua de s'étrangler avec son vin quand elle lui révéla son occupation. C'était d'ailleurs bien plus qu'une occupation, mais une véritable vocation, et elle en parlait toujours avec passion, cela pouvait se lire dans son regard pétillant. Elle était faite pour ça, personne n'en doutait, et on ne voyait jamais Charlie plus disciplinée et professionnelle qu'à l'hôpital. « Merci, c'est gentil. En vrai, j'adore ce que je fais, non, j'en suis amoureuse même. Ça rend pas mal de choses plus faciles. » sourit-elle, touchée par les compliments d'Erica. Certes, Charlie avait toujours été une excellente élève, décrochant des notes exceptionnelles, et passionnée d'apprentissage, mais elle n'en était pas moins contente lorsqu'on la complimentait là-dessus. La jeune interne coupa cependant rapidement court aux louanges sur sa personne, pour s'intéresser à la vie de sa vieille amie, on ne peut plus curieuse de connaître ce qu'il s'était passé ces dernières années. « Ouaaaah, ça a dû être super intéressant ! Franchement, tu me vends du rêve là : voyager sans barrières avec une guitare... Wouw, vive la vie d'artiste ! » s'enthousiasma la brunette. Elle avait toujours eu beaucoup d'admiration pour les gens capables de mener une vie nomade, ou quelque chose qui y ressemblait. Elle, elle avait souvent été tentée de s'envoler vers d'autres contrées, de découvrir d'autres cultures, et idéalement d'apporter ses compétences médicales dans des zones reculées où les centres de soins et les chirurgiens compétents se faisaient plus rares. Mais la jeune femme n'avait jamais vraiment eu une âme d'aventurière et l'idée de quitter tout ce qu'elle connaissait, ainsi que son cercle d'amis et sa famille, ses piliers, l'effrayait beaucoup. « Moi aussi, je suis super contente de te revoir. » avoua Charlie en plongeant son regard brillant dans celui de la belle brune, toujours un peu soufflée de la croiser par hasard après tant de temps, mais réellement heureuse. Ça lui avait manqué, de passer des moments avec Erica, elle s'en rendait compte maintenant. Tout à coup, elle avait le sentiment que leur amitié appartenait à une autre vie. Et à la fois, elle avait envie de faire une danse de la joie à l'univers de la retrouver aujourd'hui, et de peut-être retrouver leur connexion d'antan. « Oui, aussi ! On m'a souvent dit que je surcharge mon emploi du temps, mais je peux pas m'en passer. Puis, j'voudrais pas perdre la main, enfin, le pied. » sourit-elle, terminant sur une de ses énièmes vannes pourries. La danse lui prenait beaucoup de temps aussi, combiné au reste de ses nombreuses activités, mais c'était sa deuxième passion la plus importante dans la vie, et elle en avait souvent réellement besoin, pour déconnecter, se vider la tête et se défouler.

La vie d'artiste... sans barrières... oui, c'était un peu à cela s'aspirait Erica. Elle savait la chance qu'elle avait, qui lui facilitait infiniment le travail : des parents comme plan B, et une assurance à toute épreuve. La réussite de tenait qu'à elle, mais elle n'avait pas le moindre doute qu'elle réussirait. Et puis, aussi admirative qu'elle pouvait l'être des longues et prestigieuses études, elle savait que ce n'était pas cela qu'elle cherchait dans la vie. Elle, elle cherchait le vent en poupe, et la possibilité de chavirer à tout moment. Elle avait besoin du frisson de l'incertitude, et elle avait besoin d'être sur la route. Ses deux dernières années avait seulement confirmé ses fantasmes d'adolescente. La vie à Bowen était trop étroite pour elle. Elle y étouffait.
- Oui, pas simple tous les jours, mais dément. Après, ça fait toujours du bien de revenir aux sources.
Elle le formulait pour la première fois depuis qu'elle avait reposé pied dans sa ville natale. Les petites habitudes, les petites routines, tout cela l'ennuyait, certes, mais voir qu'il y avait au moins un endroit de la planète qui ne changeait pas était assez réconfortant, quelque part.
Charlie avait toujours la passion en elle. Elle était mut par plus grand que sa conscience. Cela prévalait pour son travail, mais également pour ses activités. Erica se souvenait avoir été très impressionnée par la grâce de danseuse de Charlie, l'aisance et la précision de ses gestes. Très heureuse de voir que malgré son train de vie déjà bien rempli, elle ne lâchait pas la barre.
- Boh, si tu arrives à tout gérer, c'est l'essentiel. Surchargé, c'est bien.
Elle se tut et plongea ses yeux gris vert dans ceux de son amie d'enfance. Un sourire espiègle étira son visage.
- Tu me montres tes progrès ?
Elle finit son verre d'une traite et prit la main de Charlie sans lui demander son avis.
- Viens, on va danser un peu ! Allez quoi ! Tes amis vont pas s'envoler !
Elle l'entraina à l’intérieur où la musique avait commencé à jouer plus fort à partir de minuit. Pas tout à fait l'ambiance pour la danse classique, mais bon, Charlie lui montrerait ça demain ! Quelques personnes se dandinaient sur la piste de danse. The elm street était un des seuls bar à encore jouer un peu de rock à ses heures perdues.

Pour ça, Erica et la jeune chirurgienne étaient à l'opposé l'une de l'autre. Si l'une avait la liberté dans le sang et le besoin de se laisser porter par la vie, pour atterrir là où le destin déciderait de la mettre, l'autre avait besoin de ses repères et de ses piliers, sans quoi tout pouvait rapidement s'effondrer. La preuve, elle avait réellement failli sombrer après l'accident de Niels et d'Aelya, et la perte de leur bébé, qu'elle n'avait pu sauver. Cette histoire avait ébranlé des convictions pourtant profondément enracinées en elle. Elle avait perdu confiance en ses compétences, desquelles elle n'avait pourtant jamais douté auparavant, et son amitié avec Aelya avait pris un coup très dur à ce moment. Le tout ensemble l'avait très facilement déstabilisée et il avait fallu du temps et beaucoup de gens la tirant vers le haut pour qu'elle se remette de cet incident et reprenne la confiance qu'elle avait toujours eu en son parcours et sa vocation. « Tu m'étonnes, ça doit être incroyable ! J'suis contente que tu sois revenue à ces sources, en tout cas. » sourit la jeune femme en passant une main nerveuse dans ses boucles brunes. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire face à Erica, mais ces retrouvailles imprévues réveillaient également une petite appréhension au creux de son ventre. « Du coup, là c'est toi qui viens chambouler mes petites habitudes ! » s'amusa l'interne avec un clin d’œil et un sourire complice. Elle ne se plaignait absolument pas de ce chamboulement, d'ailleurs, on pouvait le lire dans ses iris couleur iceberg. Mais cela venait également soulever quelques questions qui n'avaient plus effleuré son esprit depuis des années. Erica enchaîna sur la danse avant de lui proposer, sourire taquin et presque provocateur au coin de ses lèvres minces, d'aller montrer ses progrès en live, en dansant toutes les deux au rythme de la musique enjouée à l'intérieur du bar. Et quand son amie de longue date vida son verre, Charlie n'eut d'autre choix que de faire de même et de la suivre à l'intérieur, faisant un signe de la main distrait et empressé à son groupe d'amis pour leur signifier qu'elle partait à l'aventure. « Ouuuh, t'es pas prête, j'vais t'éblouir comme un feu d'artifice, meuf ! » s'exclama l'australienne avec un air de défi, haussant un sourcil enjôleur, totalement exagéré. Elle avait toujours la main d'Erica dans la sienne et étrangement, n'avait pas spécialement envie de la lâcher. Pour ne pas se poser plus de questions à ce sujet, Charlie entama des pirouettes de rock comme une danseuse professionnelle, alors qu'il n'en était rien, le son de ses rires se perdant dans la musique, mais se marquant sur ses traits lumineux de bonheur.

Erica n'était pas une pro, non plus. Pire, elle n'était même pas danseuse. Mais il se trouvait qu'elle avait appris les quelques pas de base du rock. Tout de même. Et elle avait l'immense avantage d'avoir appris à faire le rôle du garçon. Elle avait un sacré talent pour faire tourner les filles. elle trouvait ça beau, une fille qui dansait, beau et émouvant. Et en effet, Charlie était éblouissante ce soir, peut-être de revoir Erica. L'idée lui fit plaisir. Elle prit le lead et fit quelques passes, faisant tourner Charlie sur elle même plusieurs fois.  La musique était entêtante, dynamique, elles riaient de leur retrouvailles impromptues, des pas de danses libérateurs, et de l'ivresse des retrouvailles. Ça swinguait. Quel pied ! Erica riait aussi, mais en réponse aux rires de son amie. Sa proximité, sa peau contre la sienne, douce comme de la soie, douce et brûlante. Il faisait une chaleur dans ce bar. Plusieurs chansons défilèrent, toujours assez rock.  La tête lui tournait, pas tant du verre de vin qu'elle avait pris au bar, mais plutôt des autres verres qu'elle avait bu chez elle. Elle n'avait toujours pas mangé et cette ivresse latente lui était bien plaisante. Elle perdait le rythme, mais elle s'en fichait bien. Le but était de se bouger, de s'amuser, de fêter. A la fin d'une des chansons, elle se retrouva si proche du visage de Charlie qu'elle sentit son souffle rapide contre ses lèvres. Elles restèrent un moment face à face, à quelques centimètres l'une de l'autre, le souffle court. L'espace entre deux chansons. Elle étaient si proche et cela fit remonter tout un tas de souvenirs à la mémoire de la rockeuse. Bons. Les souvenirs. Très chauds, très agréables. Il y avait les lèvres de Charlie à quelques centimètres et elle ne pu résister à l'envie de les embrasser, comme on aurait fait la bise, mais sur la bouche. Elle l'embrassa, doucement, sans lui demander son avis, juste voler un baiser avec ce naturel sensuel et dévastateur qui lui était propre. Puis elle lui sourit avec bienveillance, se retira. Une nouvelle chanson avait reprit. Elle ne sentit pas le besoin de s'excuser, elle faisait ce qu'elle voulait, quand elle voulait, de façon à maximiser son bonheur. Et embrasser les gens, ça rendait heureux. Sans aucun doute. Elle n'attendait rien en retour. Une impulsion, c'était tout.
Elle était à bout de souffle. Trois chansons de rock et elle était k.o., aucune endurance !
- Eh bien, on voit que c'est toi la danseuse ! J'ai pas l'habitude ! Je t'offre un verre ?

Ce n'était pas le type de danse qu'elle maîtrisait le mieux, étant danseuse classique et contemporaine, rien à voir avec le rock, donc, mais elle aimait tellement ces airs entraînants et se marrait tellement à tourner dessus que c'était suffisant. Elle suivait le rythme donné par Erica, ce qui aidait pas mal aussi, et au final, le principal pour Charlie était de s'amuser et de partager ce moment avec son amie, peu importe qu'elles aient l'air douées ou ridicules sur la piste de danse. Pour ça, elle se fichait bien du regard des gens, trop heureuse que de pouvoir se défouler sur les notes enjouées et en tournant sous les bras de la belle brune. L'espace de quelques minutes, l'étudiante eut l'impression qu'elles ne s'étaient jamais quittées, comme si la dernière fois qu'elle avait vu Erica n'était qu'en fait la veille au soir, et non plus de deux ans auparavant. Elle s'extasiait de voir que leur lien ne s'était pas terni, qu'elles passaient toujours autant un bon moment toutes les deux, comme avant. Dans cette danse de la joie et des retrouvailles, Charlie brillait d'une aura joyeuse et pleine de chaleur, comme si rien ne pouvait jamais aller de travers dans la vie, comme si les problèmes et les doutes n'existaient pas, et n'avaient jamais existé. Elle riait à en perdre ses poumons, dansait comme un feu follet, tout ça aux côtés de son amie, heureuse de constater qu'elles étaient toujours aussi proches, souriant de plus belle alors que leurs visages n'étaient qu'à quelques souffles l'un de l'autre. Les lumières du bar se reflétaient dans ses iris océan qui pétillaient de joie, alors qu'elle avait le regard plongé dans celui d'Erica. Et presque inévitablement, leurs lèvres se retrouvèrent, rien qu'un instant, d'un baiser aussi furtif qu'un oiseau-mouche, aussi simple qu'une fleur des champs. Charlie ne pouvait même pas dire que le geste de la jeune femme était inattendu, elle aurait été de mauvaise foi. Parce qu'elle s'y attendait. Même, elle en avait eu envie. Elle n'aurait pas dû, mais c'était comme ça, tout simplement. Et bien qu'elle le regretterait plus tard, en cet instant, elle trouvait cet acte d'une évidence implacable. Peut-être qu'intérieurement, tout au fond de son esprit, elle était un peu déstabilisée, mais elle ne prit pas le temps de le réaliser et rebondit sur la proposition de la belle brune. « Le cardio, girl, le cardio ! » s'esclaffa-t-elle avant de suivre la jeune femme à l'écart de la piste où d'autres personnes continuaient à se déhancher tout leur saoul. « Proposé si gentiment, je ne pourrais pas refuser, voyons ! » fit-elle avec un clin d’œil en acceptant de bonne grâce le verre que lui proposait son amie. Elles rejoignirent le bar où Charlie commanda une bière après qu'Erica ai passé sa commande, puis but une bonne gorgée rafraîchissante. « Hé ben, j'aurais pas cru que ma soirée prendrait cette direction. » lança-t-elle, une expression ravie sur le visage, contemplant le fait de ces retrouvailles inattendues.

Erica reprit du vin. Blanc, cette fois-ci, avec un glaçon dedans pour le rafraichir. Une rockeuse qui ne buvait pas de bière, voyez-vous ça. C'était la faute de ses parents ça, trop distingués pour la bière. Non monsieur, pas de cet alcool de prolo à la maison ! Non, non, non ! Elle avait été élevé au whisky on the rock et au vin de bonne qualité.
Elle aurait bien prit un petit rhum, mais c'était un alcool qui se buvait malheureusement trop vite, et Erica avait envie de prendre son temps. Cela dit, l'envie était là.
Elle regarda avec affection Charlie boire une gorgée de bière. Beaucoup de gens avait peur de se mettre à nu sur le dance floor, les garçons bien évidemment, mais également beaucoup de filles. Mais Charlie n'était pas comme ça, elle aimait se déhancher, se défouler. La danse faisait partie d'elle, et c'était lorsqu'il y avait de la musique qu'elle abandonnait son côté sérieux et se laissait vraiment aller. Erica aimait cela, la voir se dévoiler complètement, juste apprécier le moment présent et oublier tout le reste. C'était libérateur.
- Si les soirées étaient prévisibles, elles perdraient de leur intérêt.
répondit la jeune femme, tout en buvant à son tour une gorgée de vin. Non vraiment. Ce petit rhum manquait. Elle se rappelait de soirées enfiévrées avec Charlie, et le rhum avait toujours été un péché mignon. Elle se tourna vers le serveur
Hey ! On voudrait deux shots de Bacardi ambré, aussi
Elle en offrit un à son amie.
- A nos retrouvailles, ma belle, c'est fête !

Le regard des gens avait tendance à la perturber, souvent, selon le sujet, mais quand il s’agissait de danser, ou de faire la folle que ce soit d’une manière ou d’une autre, Charlie n’en avait strictement rien à faire. Elle voulait mettre des paillettes dans sa vie, et dans celle des autres, voilà tout. Et rien ne l’empêchait d’être pleinement elle-même quand elle laissait exploser son énergie et sa bonne humeur communicative. Après une gorgée de bière, la jolie brune acquiesça aux paroles de son amie d’un hochement de tête affirmatif marqué, grand sourire aux lèvres. Erica décida soudainement de reprendre une commande, demandant deux shots de Bacardi, arrachant un haussement de sourcils surpris mais amusé à l’étudiante. Ça traînait pas, ce soir ! « Je vois que t’as soif ! » commenta-t-elle avec un air taquin, avant de prendre le petit verre entre ses doigts et de trinquer avec la belle brune. « C’est bien, moi aussi. À nos retrouvailles ! » fit-elle en claquant son verre contre celui de sa partenaire, avant d’avaler le contenu, laissant l’alcool fort lui réchauffer la poitrine. « Et du coup, tu comptes revenir à Bowen pour un petit temps ? » questionna-t-elle ensuite, curieuse. Elle aurait été très contente qu’Erica reste dans les parages, elle qui ne pensait plus jamais la revoir. Retrouver leur complicité d’antan ne pouvait que l’enthousiasmer et elle espérait que la jeune femme se réinstalle ici pour un moment.