if you let me, i'll care of you + woody

@Woody Rutkowski
Cela faisait des semaines que je n'avais pas aussi  bien dormi. En fermant les yeux, hier soir, il me semblait entendre encore les cris et les rires de la fête forraine. Et sur ma peau, il me semblait avoir encore l'odeur de son parfum. Mon premier rencard avec Woody a été mémorable, avec un baptême d'une attraction à sensation forte. De quoi nous secouer pour un premier rendez-vous. C'est au sommet de la grande roue qu'il m'a embrassé, un baiser tant innatendu qui m'a fait oublier cette douleur au fond de ma poitrine.

Même si cette soirée m'a transcendé, je pense à Liam quand je passe le pas de la porte. Il y a un moment que je ne le croise pas. Je ne peux pas prétendre qu'il ne me manque pas. Lors de notre dernière rencontre, nous avons mis les choses au clair et il m'a fait comprendre qu'il n'était toujours pas prêt à se lancer dans une relation monogame. J'ai beaucoup pleuré le lendemain, et les jours suivants aussi. Puis, le destin a décidé que Woody me recontacte à ce moment précis. Le timing parfait. Allez savoir pourquoi, mais je ne pense pas que quelqu'un d'autre aurait réussi à m'arracher de ma peine de cœur.

Nous nous sommes donnés rendez-vous à l'animalerie. Pour la petite anecdote, j'ai gagné le défi qu'il m'a lancé au jeu de fléchettes. Tandis que je récoltais un poisson comme prix, j'ai préféré en faire don à un gosse. Woody, lui, prétendait en vouloir un. Alors j'ai envisagé que nous pourrions en adopter un pour nous deux. Bizarre pour un second rencard, n'est-ce-pas? Mais c'était typiquement ce que j'aimais avec lui. L'innatendue.

Trois essais de coiffure, quatre de outfits, mon reflet sur la vitre ne me plaît toujours pas. Je détache mon chignon et ajuste mon décolleté. Hum, bon, j'avoue avoir un peu exagéré sur le décolleté. Je porte une robe bleue pervenche, légère, fluide et confortable. Pour lui plaire, je me suis parfumée d'une brume aux fragrances de roses. Oh, mais je crois l'apercevoir à travers le reflet. Je me retourne, le cœur battant. Est-ce que je dois l'embrasser? J'en ai très envie, mais je n'ai pas non plus envie qu'il se sente oppressée. Plus il s'approche, moins je suis sûre de moi. Qu'est-ce qu'il compte faire, lui?

Lui aussi, quand il avait passé le pas de la porte, il avait pensé à Freja. Comme quoi, Charlie et Woody pouvaient se faire tellement de bien l’un et l’autre et pourtant, ils n’arrivaient pas totalement à chasser les ombres sur leurs tableaux maculés de peines d’amour encore trop récentes, trop fragiles. Qu’ils se donnent le temps. Que Woody ait réussi à rire aussi facilement, à se sentir tellement léger lui qui avait l’impression que son corps devenait de plus en plus lourd, c’était déjà signe que même après quelques heures à peine, Charlie était une influence positive pour l’extirper de sa noirceur. Il n’y avait qu’à voir l’éclat dans les yeux de la pâtissière pour comprendre qu’elle était une lumière même dans la nuit, telle une luciole pour émerveiller même les regards les plus fatigués. Et ce baiser, ce baiser pour couronner la soirée, ce baiser pour lui donner une douceur à se remémorer en fermant les yeux ce soir-là, c’était la preuve que le cœur de Woody ne s’était pas totalement éteint. Le lendemain, en fin d’après-midi, après le boulot de Charlie, ils s’étaient donné rendez-vous devant l’animalerie. Woody avait réorganisé son horaire de la journée pour que tous ses patients soient rencontrés avant l’heure de départ. Petit caprice que sa secrétaire avait dû détester. Mais le voilà, à l’heure précise, arriver devant la vitrine de l’animalerie face à laquelle Charlie se trouvait, en train de se regarder dans le reflet. Il sourit, et termina de marcher les quelques pas les séparant. « C’est un poisson qu’on pensait adopter, pas un chien. » Dit-il en désignant le petit chiot devant la vitre, même s’il savait fort bien que ce n’était pas lui qu’elle regardait à son arrivée. Ils se firent enfin complètement face et, sans trop savoir quoi faire à son tour, il s’approcha d’elle pour poser ses lèvres à mi-chemin entre sa joue et ses lèvres. Juste assez d’ambiguïté pour ne se classer dans aucune catégorie.

Woody me surprend à regarder mon reflet dans la baie vitrée et durant ce court moment où nous devons nous saluer, je sens une atmosphère lente et lourde J'ai envie de l'embrasser, j'ai envie qu'il le fasse, mais je ne sais pas ce que lui, a envie. Puis finalement, contre toute attente, il dépose ses lèvres au coin des miennes. Malaise. Du coup, je ne sais pas trop quoi penser. Je soupçonne que lui aussi ne savait pas comment me saluer. Mon manque de confiance en moi me dit que je suis ridicule. Ma fierté, elle, me dit que je devrais être plus distante. Ses deux émotions me submergent et malgré ça, je m'efforce à sourire. Tu vas bien? Je n'ai pas envie de lui paraître froide, mais je n'ai pas non plus envie de me montrer collante. Toute cette hésitation, ce n'est tellement pas moi! Je crois bien que la tornade Liam m'a laissé des séquelles bien plus profondes que je ne l'imaginais. Le problème, c'est que Woody me plaît vraiment. Si seulement il existait un simple mode d'emploi pour recoller les morceaux de son cœur! Est-ce que deux âmes brisées peuvent-elles se soigner? Et dire que j'en étais persuadée il y a à peine quelques minutes...

Aussitôt ses lèvres retirées du coin des lèvres de Charlie, aussitôt Woody ressentit l’ampleur du malaise qui emplissait désormais l’espace entre eux deux. Il s’efforça de ne pas trop montrer son trouble, lui qui aurait froncé les sourcils dès la première seconde de ce faux-pas. Il avait tant attendu de la retrouver et tout d’un coup, après un seul geste, voilà que toute la légèreté d’hier s’était envolée. Un sourire presque tremblant s’afficha sur les lèvres de la pâtissière. « Je vais bien. Et toi ? Bien dormi ? » S’inquiéta-t-il, cherchant sans doute à expliquer cette soudaine distance par toute autre justification que sa propre hésitation. Woody n’était pas un homme de romance, Woody n’était pas le grand prince charmant. Ses histoires d’amour étaient parsemées de cassures, de non-dits et de souffrances. Il aurait été illusoire de s’imaginer qu’en désirant reprendre sa vie en main, son chemin bifurquerait drastiquement. Il avait beau vouloir changer, évoluer, Woody partait de loin et la route devant lui était longue, et lui si las. Réapprendre à aimer, c’était tout un art, pour un homme qui n’avait jamais eu la fibre artistique qui plus est. Il esquissa un sourire en regardant les animaux à travers la vitrine. Chasser le malaise, dissiper les doutes. « T’es prête à aller choisir l’heureux élu ? Woolie ne sait pas ce qui l’attend. » Réaffirmer son envie de partager avec elle cette petite folie, peut-être était-ce là le moyen de lui montrer que hier n’était pas si loin que ça. Que la nuit les avait peut-être séparés mais que sa tête, et un peu de son cœur aussi, étaient encore au même endroit. Surtout avec un décolleté comme celui qu'elle arborait, mais ça, il tentait de ne pas trop le contempler.

Qu'est-ce qu'il s'est passé durant cette nuit? Pourquoi sommes-nous si différent des Woody et Charlie d'hier? Est-ce qu'il regrette ce qu'il s'est passé? Ou bien est-ce qu'il s'est rendu compte qu'il ne voulait plus fréquenter une autre femme que son ex? Je n'ai pas oublié notre toute première conversation, lorsqu'il affirmait que cela faisait plusieurs années qu'il n'était pas en mood séduction, entre temps il a vécut 3-4 ans "on / off" avec elle - d'après ses mots. Quand bien même! C'est frustrant de passer d'une soirée à rire, se taquiner, se chercher, à... ça! Un malaise aussi lourd qu'une enclume. La Charlie d'avant n'aurait pas hésité à le prendre par le cou et l'embrasser. Tout ce que j'ai trouvé c'est de lui demander si il allait bien, en restant bêtement plantée devant l'animalerie, comme si je m'attendais à ce qu'il prenne la fuite. J'ai perdu totalement confiance en moi. Tandis qu'il me demande si j'ai bien dormi, j'ai le cœur qui s'allège en repensant que je me suis couchée avec les papillons dans le ventre. Très bien... et toi? Ma voix est un peu plus douce, sans pour autant être encore vraiment détendue. Je me détends un peu plus lorsqu'il évoque Woolie, le nom que nous donnerions à notre poisson. Oui, je crois bien que les poissons ne doivent pas avoir l'habitude d'être en garde partagée. Je devine que c'était sa façon à lui de me tendre une perche pour me rappeler à quel point on s'est amusé hier. Mon sourire se fait plus sincère, moins forcée. Et c'est moi ou il vient de mater mon décolleté, là? Je prend un peu plus d'assurance. Cela me fait penser que... Oh et, oui, je, j'ai ramené un petit quelque chose pour nous lui dis-je pendant que je farfouille dans mon sac. Je lui montre ensuite une petite boîte recouvert d'un film transparent. Elle contient quatre généreux muffins aux pépites de chocolat, que j'ai fait plus tôt à la fin de mon service. Mon grand classique, parce qu'en général tout le monde aime ça, et qu'en plus, cela ne prend pas plus d'une vingtaine de minutes à cuire. Dans ma tête j'avais imaginé qu'on puisse les manger après, tranquillement sur un banc. Puis pour je ne sais quelle stupide raison je me ravise. Je me suis dis que, choisir un poisson, ça creuse... Enfin... J'te les donnerai après, t'as pas de sac fais-je remarquer, en haussant les épaules, dans une lâche tentative. D'accord, d'accord, je me suis dégonflée! Je crois que tout d'un coup j'ai pensé que je ne voulais pas avoir l'air de la nana qui force à passer un peu plus de temps avec lui.

L’un et l’autre avait la gorge nouée mais pas par l’émotion, plutôt par la gêne, la distance. C’était comme si leurs voix étaient bloquées par la crainte que tout ce qui s’était passé hier faisait partie d’une bulle temporelle de laquelle ils s’étaient extirpés lorsque leurs chemins s’étaient séparés pour la nuit. Quand Charlie lui renvoya la question pour son sommeil, il esquissa un sourire et hocha la tête. « Très bien aussi. » Parce que maintenant, quand le souvenir de Freja hantait ses pensées, il tentait de la repousser et de se concentrer sur le visage de Charlie, sur son sourire, son odeur, son rire. Au-delà de la personne, elle représentait aussi l’espoir. Et Woody avait tellement besoin de s’y accrocher, d’y croire. « Faudra s’assurer que l’environnement autour de son aquarium se ressemble un peu … pour ne pas trop le dépayser à chaque semaine. » Il rit doucement, la tête penchée, ce qui lui permit en relevant les yeux de détailler davantage Charlie du regard. Elle était magnifique, dans cette robe bleue, dont le décolleté réveillait en lui des désirs endormis, lui qui n’avait pas eu de relations sexuelles depuis un an, maintenant. Depuis cette fois-là, au bar, avec Freja. Après ça, c’est comme si quelque chose s’était brisé en lui, un morceau s’était détaché et il n’arrivait plus à le retrouver. Peut-être que Charlie saurait rallumer le feu. La brunette le sortit de ses pensées déplacées en se rappelant leur avoir apporté quelque chose. Woody s’approcha de la petite boîte pour mieux regarder, à travers la pellicule plastique, les quatre muffins aux pépites de chocolat. « Ils ont l’air délicieux. Sac ou pas, on les mangera bien tous juste après, de toute façon, non ? Je pourrais aller nous chercher des cafés à quelque part, on se trouva bien un endroit où s’installer. » Rentrer et sortir d’une animalerie, ça lui paraissait court, comme second rendez-vous. Si c’était ce que c’était. « Si t’avais rien de prévu après, bien sûr. Et si t’es pas trop fatiguée de ta journée de travail. » Lui l’était, mais c’était un état constant, sa fatigue, désormais. Il devait apprendre à vivre avec.

Depuis mon histoire avec Liam, je me persuade qu'aucun homme à mes yeux ne peut l'égaler. Aucun. J'éprouverais toujours une immense tendresse pour lui. Ces derniers mois étaient complètement fous, ponctués de hauts et de bas. Alors que notre montagne-russe prenait fin, j'ai rencontré Woody. Un adage dit, rien n'arrive pas hasard. Et si c'était vrai? Et si je l'avais rencontré au bon moment?

Selon lui, lui aussi avait très bien dormi et je décèle une sincérité dans sa voix. Nous avions eut l'idée farfelue d'adopter un poisson, que nous garderons à tour de rôle. Il suggère que nous choisissons un environnement similaire, pour ne pas le dépayser. Je suis impressionnée. Tu feras un très bon papa-poisson. dis-je sur le ton de la plaisanterie. Un sourire audacieux se dessine sur mon visage car je suis quasi certaine que son regard s'est porté sur mon décolleté. Je prends un peu plus d'assurance et lui montre les quatre muffins que j'ai pâtissé plus tôt. Puis je ne sais pas trop pourquoi, je bafouille dans mes propos, ne sachant pas trop si il voulait prolonger notre rencard (enfin, en est-ce vraiment un?). J'ai l'impression de trébucher alors que Woody me rattrape. Il propose que nous les mangeons ensemble, juste après. À moins que je sois trop fatiguée. Je ne réfléchis pas et répond du tac au tac Pas du tout... On y va? Je m'apprête à emboiter le pas, mais je me retourne. Mon instinct ou une pulsion, que sais-je, m'envoie un élan de bravoure. Non attends. D'un seul pas, je me positionne face à lui. Et comme il est assez grand, je me mets sur la pointe des pieds, pour lui déposer un baiser et l'embrasser. Un court baiser qui signifiait juste hé, tu me plaîs, ne l'oublie pas. Une fois de plus, j'ai un sourire audacieux. Je voulais juste le faire pour arrêter d'y penser. Oui, je crois que c'était la meilleure façon de reprendre confiance en moi.

Tu feras un très bon papa-poisson. Ça lui décocha un sourire mais ça lui écorcha aussi le cœur. Parce que Charlie aurait pu arrêter la phrase à papa et c’aurait été la même chose, juste plus douloureux encore. Papa, Woody ne le serait probablement jamais. Si Freja avait pensé que ce n’était que par sa faute, parce qu’elle était stérile et qu’elle ne pourrait jamais lui offrir la famille qu’il voulait au plus profond de lui-même, le trentenaire savait que ce n’était pas sa faute. Avec ou sans elle, il ne pensait pas avoir d’enfant un jour. Il n’en aurait plus la force, dans quelques années. Quel père ferait-il, à ne pas pouvoir prendre son enfant sur ses épaules, à ne pas pouvoir lui apprendre à monter sur sa bicyclette, à ne pas lui montrer à conduire ? Le rôle de papa-poisson, c’était bien le seul rôle qui se rapprocherait de tout ça. C’était tout ce qu’il pouvait avoir. « On verra, si Woolie est toujours vivant dans un mois. » Lâcha-t-il à la blague, pour détendre sa propre atmosphère mentale. Le décolleté de Charlie eut aussi cet effet d’apaisement, plus fort encore que l’humour. Elle sortit de son sac des muffins, qui avaient l’air délicieux et qui devaient sentir tellement bons, même si l’odeur ne se rendait malheureusement pas jusqu’à lui. Alors bien sûr qu’il proposa de les manger après leur achat, adoption, appelez ça comme vous le voulez. Charlie accepta. « Ouais, allons-y. » Il s’apprêtait à la suivre mais elle se retourna vivement, sans prévenir, et lui demanda d’attendre. Il s’arrêta net de marcher et fut surpris de la voir s’élever sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Rapide, trop rapide. Il n’eut même pas le temps d’en profiter. Il sourit. « Et maintenant c’est moi qui ne pourrai plus arrêter d’y penser … Bravo. » Sur ce, il se pencha à nouveau vers elle pour l’embrasser, allongeant un tout petit peu plus le plaisir cette fois. « Pour me faire patienter jusqu’au prochain. » Ajouta-t-il, avant de rire et d’aller lui ouvrir la porte de l’animalerie.

Le désir d'être mère est encore très lointain pour moi, malgré que la trentaine approche à grand pas. Avoir un poisson rouge sera suffisant pour m'accabler de responsabilité. Moi non plus, je ne suis pas certaine que notre Woolie tiendra plus d'un mois, d'une garde partagée. En espérant qu'on tiendra plus longtemps à se fréquenter. D'après ma meilleure amie Billie, l'étape de définir une relation se situe au cinquième rencard. Ça me va plutôt bien, parce que cela me paraît encore loin. Faudrait-il encore que je prenne confiance en moi. Comprenez-moi, j'ai passé des mois à être éprise de Liam alors que je n'ai fait que repousser mes sentiments. Ces sentiments sont toujours là, abîmés et déchirés par le chagrin. Rien ne pourra les réparer, sauf Liam lui-même. Et comme lui, n'est pas prêt à être avec moi, j'ai pris la décision insurmontable de renoncer à lui. Ce n'est pas facile de vivre avec cette décision, sauf quand je suis avec Woody.

Tout est encore confus dans ma tête, je dois moi aussi réapprendre à séduire. Ça me semble plus facile pour moi. Je lui propose très maladroitement de manger les muffins que j'ai pâtissé après notre tour à l'animalerie. Il accepte et alors que j'allais rentrer dans la boutique plus joyeusement, un élan de courage vient en moi et l'embrasse. Un baiser volé, qui ne dure pas. Un baiser qui signifie simplement que la séduction est là. Dès son arrivée j'avais envie de le faire, j'ai tardé mais maintenant je l'ai fait. Je souris et lui aussi me sourit. J'aime l'idée qu'il n'arrête pas de penser à ce baiser. Je ne regrette pas. lui fais-je savoir avec défi. Parfois l'audace paye. Puis il se penche et m'embrasse à son tour. Woody allonge un peu plus ce baiser, et je me sens tout de suite plus légère. Cette fois j'ai un peu plus le temps de m'imprégner à ses lèvres. J'ai hâte d'avoir le prochain. T'es incorrigible. Tu veux toujours le dernier mot! Sous les rires, j'avance dans l'entrée. Le bruit des oiseaux nous accueille. Soit nous pouvons commencer directement le parcours des animaux, soit nous pouvons nous balader dans les rayons. On choisit d'abord notre poisson et après l'aquarium? Ce qui me semble plus logique à moi. Je souris encore. Je repense à notre baiser

Ils renonçaient tous les deux à quelqu’un d’autre, en se retrouvant l’un devant l’autre. Enfin, ça, c’était si on pouvait vraiment dire de Woody qu’il avait renoncé à Freja. Il lui avait promis de l’attendre, alors pouvait-on vraiment penser qu’il tournerait un jour la page, s’il ne faisait que vivre des en attendant ? Et s’il développait une histoire avec une autre et que Freja se montrait enfin prête à être avec lui, abandonnerait-il tout le reste, rien que pour elle ? Actuellement, il était persuadé que oui. Parce qu’il l’aimait. La présence de Charlie était pourtant tellement douce et apaisante. Avec elle, il avait l’impression de toucher une légèreté qui n’existait plus depuis belle lurette entre Freja et lui. Sans doute parce qu’avec Charlie, la page était encore vierge. Woody ne tarderait probablement pas à la barbouiller de sa noirceur, à son tour. Pour le moment toutefois, il profitait de la simplicité de leur relation toute naissante. Les baisers volés, les sourires échangés, les inside jokes qui s’accumulaient. Woody ne pensait plus revivre ça un jour. « J’te l’ai dit, que j’étais compétitif. C’est sur tous les fronts. » Il rit, avant d’avancer vers l’entrée pour ouvrir la porte à Charlie. Il la suivit à l’intérieur, cognant sa canne contre la petite marche en rentrant, juste pour lui rappeler qu’elle était toujours là. Comme s’il allait l’oublier. Charlie se tourna vers lui, proposant de choisir d’abord le poisson, ensuite l’aquarium. « Ça me semble le mieux. » Conclut-il sans trop de réflexion, tournant la tête vers les oiseaux qui piaillaient à côté d’eux. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu’il longeait une rangée jusqu’aux poissons, qui se trouvaient dans un couloir plus sombre, les aquariums tous éclairés de l’intérieur. Woody s’arrêta aux côtés de la pâtissière, suivant des yeux différents poissons qui nageaient face à eux. « T’en vois un qui te plaît ? » Demanda-t-il. Pour lui, en réalité, ça n’était que des poissons. C’était intéressant juste parce que Charlie était impliquée dans l’histoire.

Nous avons tous une part d'ombre en nous. Tout le monde a déjà souffert ou fait souffrir, intentionnellement ou non. Le karma ne m'a pas épargné. Il m'a suivi jusqu'à Bowen et il a l'air décidé à s'acharner sur moi. D'un coté, j'ai trouvé un job super et j'ai retrouvé mes amis. Néanmoins d'un autre côté, je me suis attachée à Liam et ont suivi des semaines de chaos. Me voilà maintenant avec un autre homme, Woody, avec qui je passe du bon temps c'est vrai. Je me sens bien, comme je me sens constamment menacée qu'on me reprenne ce petit bout de bonheur. C'est aussi pour cette raison que je n'ai pas confiance en moi. Je savoure ce baiser, de façon puérile, certes, parce que ce genre de plaisir ne dure jamais avec moi.

D'un pas plus léger, je rentre dans l'animalerie. Nous décidons ensemble de choisir d'abord un poisson et ensuite un aquarium. Alors que nous nous approchons de l'allée où se trouvent les poissons, Woody me demande si il y en a un qui me plaît. J'hausse les épaules. Pas vraiment et toi?  Puis je remarque un poisson aux couleurs vives et lumineuses, que je reconnais aussitôt par ses caractéristiques. Je me tourne vers Woody et lui pointe du doigt. Tu connais le combattant? Un jour mon oncle en a acheté deux. Quelle grosse erreur! Il ne savait pas que ce genre de poisson n'aime pas la collectivité. Alors t'imagine pas la tête de mon oncle en constatant avec horreur que ses poissons étaient en train de s'attaquer. True story. Cette histoire m'a tellement marqué. Depuis mon oncle Joey a adopté une inoffensive tortue.

À son tour, Woody haussa les épaules. Difficile maintenant de les imaginer en train de s’occuper avec passion de ce poisson, alors qu’au moment de choisir ni l’un ni l’autre ne portait de réel intérêt à toutes ces petites bêtes qui nageaient face à eux. C’était un joli tableau coloré, certes, mais Woody avait son attention ailleurs. Tournée vers celle à côté de lui. Celle dont la main effleurait son bras, lors de légers mouvements de leurs corps les rapprochant et les éloignant, telles de lentes vagues. « Pas encore. » Répondit-il, continuant de balayer les gros aquariums du regard. Charlie fit de même, et après quelques secondes, elle pointa un poisson qui se démarquait des autres de par ses couleurs bien plus flamboyantes. Woody rit à l’anecdote partagée par la jeune femme. « Je ne connaissais pas, non. Mais j’aurais bien aimé voir sa tête. » Il sourit. Woody s’approcha un peu plus près de la vitre, pour regarder le poisson en question. « Le combattant. » Répéta-t-il, songeur. « Ça me parle. C’est con à dire mais, j’ai l’impression qu’lui et moi on s’comprendrait bien. » Il eut un léger rire, gêné. « T’es partante pour Woolie le combattant ? » Demanda-t-il, déjà pris d’affection pour ce poisson qui lui ressemblait dans ses traits de personnalité. Il n’y avait que ses couleurs vives qui détonaient à côté de la noirceur de l’être humain qui s’apprêtait à l’acheter.

Des centaines de poissons sont face à nous et le choix est très large. Parmis tous, je remarque le combattant, et ses longues nageoires. Il est dans un aquarium, seul. Je raconte à Woody cette anecdote où mon oncle s'est rendu compte, à sa grande horreur, que ses deux combattants étaient en train de s'entretuer. Il observe alors le combattant de plus près et finit par me dire qu'ils se comprendraient bien. J'hausse les yeux au ciel, m'approchant de lui. Pourquoi ça ne m'étonne pas? Les combattants ont une tendance à être dominant et j'y reconnais un peu le caractère compétitif de Woody. Je me justifie aussitôt, amusée : Monsieur qui veut toujours avoir le dernier mot! Moi ce que j'aime surtout chez ce poisson, c'est son dégradé de couleurs lumineuses. Va pour Woolie, le combattant. Il nous a fallut vraiment peu de temps pour se décider, j'en suis agréablement surprise. On s'est mis d'accord super vite. lui fais-je remarquer avec un sourire. Je ne m'en plains pas. Au moins on pourra se retrouver plus rapidement en tête-à-tête.

Charlie leva les yeux au ciel en se rapprochant de lui, un sourire aux lèvres alors qu’elle ne s’étonnait pas que Woody se reconnaisse dans le combattant. Elle n’imaginait même pas encore à quel point. Il rit à sa remarque, elle voyait au moins juste sur le fait qu’il voulait toujours avoir le dernier mot. Et si elle continuait à le fréquenter, elle apprendrait bien vite à connaître toutes les autres facettes de l’explication. Sans doute, à ce moment, prendrait-elle enfin la fuite. « Heureusement avec lui, j’sais que c’est toujours moi qui l’aurai ! » Blagua-t-il. Après tout, deux combattants ensemble, elle le disait elle-même, ils se seraient attaqués. Mais l’un était petit poisson, l’autre était humain. La question était assez vite réglée. « Ça, ça te surprend, par contre ? » Demanda-t-il à propos du fait qu’ils s’étaient mis d’accord très vite sur le choix du poisson qui porterait le nom de Woolie. Il sourit, avant de demander à un commis de leur sortir le combattant de l’aquarium, puisqu’ils se l’achetaient. Il tourna la tête vers Charlie. « C’est toi qui paies ? Après tout, c’est ta faute si on n’a plus celui d’hier … » Elle l’avait donné à ce groupe de gamins, sans le consulter. Bien sûr, il la taquinait. Comme toujours, entre eux deux, décidément.

Nous venons de prendre la décision d'adopter un combatant. Et selon Woody, notre poisson Woolie hérite déjà de ses traits. Un poisson dominant. Avec lui il aura toujours le dernier mot, m'a t-il dit. Je ris. Il y a des chances. Les poissons ne sont pas très bavards. dis-je avec un sourire malicieux. Quand nous avons commencé à discuter sur le chat, j'étais attiré par l'auto portrait de Woody - qui pourtant était doté de défauts. C'est justement ses imperfections qui m'ont attiré. Je voyais en lui ce que je voyais en moi. Son orgueil, son esprit de compétition, son entêtement. Oui, t'es têtu, je suis têtue. J'imaginais qu'on allait s'entretuer. On dit qui se ressemble, s'assemble. Il est trop tôt pour définir notre relation et si celle-ci va durer. Une chose est sûre : j'ai toujours eut plus d'affinité avec les hommes de caractère mais très peu supportent le mien. Woody finira bien par le découvrir. Tiens, comment ça c'est moi qui paies? Bien sûr, c'est moi qui paie! Je croise les bras et affiche un regard courroucé. Premièrement : tu crois vraiment que j'allais te laisser payer? Deuxièmement : je te rappelle que tu voulais un poisson rouge parce que, je TE cite "on en sera débarrassé le plus vite". Alors qu'est-ce qu'il a à dire pour sa défense?