in one unending moment, you fall within my reach (zelda)

12 juillet 2020, au soir
Après cette journée plus qu’éprouvante, une journée que jamais je n’aurais pensé vivre dans ma vie, de terreurs en terreurs en pensant perdre deux femmes plus qu’essentielles à ma vie, la maman de ma fille et ma fille, j’avais été incapable de les perdre de vue. Dès que nous avions retrouvé Zelda, qu’elle avait été prise en charge par les policiers pour recueillir des informations et témoignages, et que sa visite à l’hôpital s’était soldée par un congé, je m’étais imposé pour la nuit. Les médecins sur le cas de la rouquine m’avaient effectivement conseillé que Zelda ait quelqu’un pour l’accompagner et veiller sur elle pour les prochains jours, les prochaines semaines peut-être même. Elle aurait des rencontres avec des psychologues à venir, pour gérer le traumatisme, mais en attendant, il valait mieux qu’elle ne soit pas seule. De toute façon, je ne l’aurais pas laissée l’être, avec ou sans les conseils des médecins. Je ne me voyais même pas rentrer chez moi seul, ce soir. J’en serais incapable. Jason était venu à l’hôpital pour voir sa sœur et nous ramener Lara, qui avait passé la journée avec lui après qu’elle eut été retrouvée abandonnée dans un parc. Après la visite de son frère et de sa sœur inquiets, nous étions rentrés tous les trois, la petite famille éclatée, chez Zelda. Je préférais qu’elle se retrouve dans ses affaires, plutôt que dans les miennes qui auraient un peu plus un goût d’étranger, même si elle était venue chez moi à plusieurs reprises. Lara dans les bras, je tenais Zelda bras-dessus, bras-dessous, comme si j’avais peur qu’elle s’envole en fumée et que je n’aie d’autres manières de la rattraper, de la sauver. Je déverrouillai l’appartement de la jeune femme avec les clés trouvées dans son sac, et j’allumai toutes les lumières après avoir refermé, et reverrouillée la porte. « Tu as besoin de quelque chose ? Tu as faim ? Je peux nous cuisiner quelque chose. » Proposais-je, Lara toujours bien serrée contre moi. Il fallait m'occuper l'esprit, autrement, j'allai craquer, encore. Pour la énième fois aujourd'hui. Pourtant, elles étaient bien là, saines et sauves, avec moi. Mais la peur qu'on me les enlève à tout moment était maintenant bien ancrée, là pour rester.

Bien sûr que c’était idiot de penser à manger après tout ce que nous avions traversé. Enfin, idiot, oui et non. Je ne savais même pas si Zelda avait mangé quelque chose depuis qu’elle avait été … kidnappée – good lord, rien que de penser à ce mot, c’était surréel. À l’hôpital, je savais qu’on avait voulu lui faire reprendre des forces avec quelques collations, mais elle avait été incapable d’avaler quoi que ce soit. Elle avait été nourrie par intraveineuse mais je me disais, réflexion stupide sans doute, qu’un vrai repas allait davantage la remettre sur pieds. Surtout, ça m’occuperait l’esprit de cuisiner, peu importe quoi. Je cesserais sans doute de revirer la situation dans tous les sens dans ma tête. De passer de la culpabilité à la rage, de m’en vouloir puis de vouloir tuer ses ravisseurs. De m’inquiéter, à n’en plus finir. Zelda me regarda et me confirma qu’elle s’en foutait, de ce qu’on pourrait manger. Que ce qu’elle voulait, c’était qu’on soit tous les trois. Ça, elle ne l’avait pas dit, mais les gestes le prouvaient mieux encore. Je passai mes bras autour d’elles, mon ex et ma fille, les serrant contre moi, me ressourçant à la chaleur de leurs corps. Vivantes. Elles étaient vivantes. « Moi aussi j’veux juste ça. » Je ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots, ma voix se brisant sur les derniers mots. Je déposai un baiser sur le dessus de la tête de Zelda, deux fois plutôt qu’une, à défaut de pouvoir le faire sur la tête de Lara qui était entre nous. Sentant sans doute cette fragilité paradoxalement bien trop lourde, Zelda leva le nez vers moi et m’affirma que je puais. J’eus un rire de soulagement, malgré l’absence de compliment là-dedans. Je sentis mon aisselle gauche. C’est vrai que je ne sentais pas très bon. J’avais participé aux battues tôt ce matin, accompagné l’officier Johnson une bonne partie de la journée, attendu des heures à l’hôpital, tout ça sans avoir pris de douche et, surtout, en n’ayant pas mis d’antisudorifique depuis la veille au matin. « Tu sens pas la rose non plus. » Me défendis-je, même si elle, avait eu le droit à un petit lavage à la main, dans sa chambre. Ce n’était quand même pas suffisant pour la rincer de tout ce qu’elle avait dû vivre. « J’irai sous la douche et je te ferai couler un bon bain chaud après … Lara et moi on ne restera pas loin. » J’avais déjà vue Zelda nue tellement de fois, pour moi, à l’heure actuelle, ce n’était pas une gêne qui s’installerait. Le besoin de la savoir là, de la savoir sauve, était bien plus importante que la pudeur. Je ne comptais d’ailleurs pas refermer ma porte lorsque j’irais moi-même me doucher, je voulais pouvoir tout entendre, tout voir si nécessaire. Je serrai la main de Zelda alors qu’elle parlait à Lara. Je souriais en les regardant, malgré mon cœur qui ne semblait pas arriver à s’apaiser malgré l’absence de danger, jusqu’à ce qu’elle s’adresse à nouveau à moi. « T’avais même pas à demander. C’est hors de question que je retourne chez moi ce soir. Et on verra pour la suite … » Manière de dire qu’il faudrait sans doute qu’elle me chasse d’ici à coups de pieds dans le derrière.

Je ne voulais plus penser au si et à toutes ces hypothèses qui m’avaient déjà bien trop tournées dans la tête alors que nous étions à la recherche de Lara et de Zelda. Tous les scénarios catastrophes, je me les étais imaginés. Maintenant, nous étions tous les trois ensemble, et je prenais pleinement conscience de la chance que nous avions de pouvoir nous serrer l’un contre l’autre. Tout aurait pu voler en éclats. Je ne me serais jamais remis de ça. Jamais. Mais plutôt que le worst case scenario, c’était le dénouement le plus soulageant qui s’était produit, puisque ma fille comme mon ex avaient été retrouvées saines et sauves, l’une après l’autre. Pas question que je les perde de mon champ de vision, à présent. Même pour le temps d’une douche, je m’assurerais de laisser la porte ouverte juste assez pour pouvoir leur jeter un coup d’œil de temps à autre. Et je ne m’éterniserais pas. De toute façon, Zelda avait besoin de relaxer, de respirer, dans un bon bain chaud. Elle acquiesça d’ailleurs à ma proposition. « Ok. Je vais faire vite. » Dis-je, pour la douche. Pour le reste, ça prendrait le temps que ça prendrait. Je resterais auprès d’elles des jours, des semaines, s’il le fallait. Le temps que notre sentiment de sécurité se soit réinstallé. Que la peur ne nous tiraille plus d’en-dedans. Je savais que ce serait plus long que ça, pour Zelda. Un tel traumatisme ne s’essuierait pas du revers de la main. Pour Lara, elle avait la chance, je l’espérais, d’être trop jeune pour en garder une quelconque séquelle. Avant que je ne parte pour la salle de bains, mon ex affirma que notre fille avait faim, et tenta de me la confier pour aller s’occuper du biberon. Lara ne voulait absolument pas quitter sa mère, elle chignait et pleurait dès que je tentais de la prendre. Mon cœur de papa se brisa un peu. « Oui … oui, je m’en occupe. » Je les regardai avec émotion en m’éloignant, allant préparer le biberon à la bonne température. Je déposai quelques gouttes sur le revers de mon poignet, pour m’assurer que le lait n’était pas trop chaud, puis je revins vers Zelda et Lara. « Tiens … » Je lui tendis le biberon, restant debout à les regarder. Lara s’était calmée, dans les bras de sa mère. J’esquissai un faible sourire en les regardant. « Bon … ok, je vais aller me laver pendant qu’elle boit, ok ? » Je n’avais pas de linge de rechange, je n’avais rien pour passer la nuit, pas de brosse à dents, pas de déodorant, rien. Il faudrait éventuellement que je passe chez moi pour ramener quelques items, mais pour le moment, je n’avais aucunement envie de les quitter, pas même pour vingt minutes. Peut-être que je pourrais demander à Perry de venir me porter quelques trucs. Ouais, c’est ce que j’allais faire.

Ce n’était pas à Zelda de nous rassurer, ce n’était pas à elle de me dire que tout irait bien, qu’on s’en sortirait parce qu’on était ensemble. C’était à moi de tenir ces propos-là et de les ancrer dans la tête de la jeune femme. C’était elle qui avait traversé les vingt-quatre heures les plus horribles de sa vie. Enfin, certes, pour moi non plus ça n’avait pas été une partie de plaisir, j’aurais préféré mille fois passer ma journée à jouer au bingo avec l’âge d’or de Bowen. Mais quand même. Le traumatisme, c’était elle qui l’avait vécu. Mais j’étais tellement a fucking mess qu’encore une fois, Zelda était celle à ramasser les petits morceaux de nous, et à les recoller. « Je suis heureux moi aussi qu’on ait retrouvé tout ça. Et ça me fait réaliser à quel point il faut en profiter de ces moments, et qu’on devrait les vivre plus souvent. Être un peu plus une famille, nous trois … » Plutôt qu’un couple séparé avec la petite en garde partagée. Enfin, je n’étais pas en train de dire que je désirais que Zelda et moi soyons ensemble à nouveau. Ce n’était pas aussi facile et surtout, il y avait toujours Freja, là-dessus rien n’avait changé malgré les tornades d’émotions d’aujourd’hui. Entre la norvégienne et moi c’était plus difficile mais je voulais me battre pour elle. Je ne savais pas encore que d’ici quelques semaines, il ne resterait plus qu’un souvenir de nous. Je me fis violence en tournant les talons pour me diriger vers la salle de bain. Je me douchai plus que rapidement, prenant quand même le temps de me laver le corps et les cheveux, et de me remettre les idées en place, plus ou moins. Lorsque je ressortis, avec une serviette nouée autour du corps à défaut d’avoir des vêtements propres, je sentis le regard de Zelda sur moi. Mes joues s’empourprèrent. « Oh ? » M’exclamais-je alors qu’elle disait avoir des affaires à moi. Elle me tendit un t-shirt et un boxer en revenant de sa chambre. « Ah bah pour une fois ça te sert, cette tête en l’air. Ou plutôt, ça me sert. » Dis-je en prenant les deux vêtements. Je retournai dans la salle de bain pour m’habiller. Zelda me rejoignit alors que j’étais en train d’accrocher la serviette humide. Pendant qu’elle faisait prendre son bain à Lara, je fis couler un bain à Zelda, prenant bien soin d’y mettre de la mousse, des huiles, du sel, bref tout ce qui me tombait sous la main. Quand je me relevai, mon ex venait de terminer d’enfiler son pyjama à notre fille. Je la pris. « Tu vas bien t’amuser avec ton papa de toute façon, hein ? On s’amuse toujours. » Je souris, déposai un baiser sur le dessus de la tête de Lara. Elle sentait bon, elle sentait propre. « Bon … je te laisse à ton bain, alors. Appelle-moi si t’as besoin de quelque chose. » J’allai m’asseoir sur le divan, Lara contre moi, et j’éclatai en sanglots. Chacun de notre côté, elle dans son bain, moi fixant le mur, toute la pression de la journée s’écroulait sur nous. Nous aurions dû être ensemble, vraiment ensemble, pour gérer ce chaos.

Face à ma blague, je sentis Zelda se refermer, un peu sur la défensive même. Je baissai les yeux par terre, forcé d’admettre qu’il était encore trop tôt pour jouer la carte de l’humour sur tous les aspects de notre relation. Je refermai mes doigts contre le tissu de mon chandail et de mon caleçon roulés en boule entre mes mains. « J’insinuais rien de ça … j’faisais juste dire que c’était pratique pour ce soir que je me sois laissé traîner par le passé … » Déclarais-je doucement, un peu pour désamorcer la tension, faire comprendre à Zelda que je ne pensais pas à mal. Je ne pensais jamais à mal. J’étais juste très maladroit. Je filai m’habiller en silence, avant de revenir pour laisser mon ex aller prendre soin d’elle dans son bain. Pendant ce temps-là, je m’occupai de notre petite Lara, la serrant contre moi et laissant toute l’émotion de la journée se manifester, enfin. Le stress m’avait fait garder un semblant de contrôle, mais maintenant tout ça retombait, je me décomposais carrément devant ma fille. Le temps s’allongea, je me calmai, ayant même le temps de jouer un peu avec Lara sur son tapis d’éveil avant de revenir me poser sur le canapé, laissant la petite somnoler contre mon torse. Zelda sortit enfin de la salle de bain. Je souris, je me doutais qu’elle s’était assoupie. Tant mieux. Elle avait besoin de reprendre des forces. « Tu dois avoir les bouts de doigts comme des raisins secs. » Fis-je tout simplement remarquer pour me moquer d’elle. On riait souvent de nos peaux ratatinées par l’eau. Deux gamins. Cette légèreté me manquait. Zelda caressa la joue de Lara et déclara qu’elle allait faire un gros dodo pendant que les parents mangeraient une pizza. Rien qu’à cette pensée, mon ventre gargouilla. « Ah … tu viens de rappeler à mon estomac qu’il existe .. » Dis-je avec un léger rire, avant de me lever pour aller porter Lara dans sa bassinette. Je revins à la cuisine, retrouvant Zelda qui m’attendait. Elle passa une main dans mes cheveux, grattant mon cuir chevelu comme j’aimais tellement qu’elle le fasse. J’aurais eu envie de fermer les yeux et de me tortiller la tête comme un chat pour en redemander plus, plus encore. Mais je me contentai de sourire, et de rouvrir les yeux quand elle me toucha le bout du nez. « Ça nous fait toujours du bien, de la pizza, à toi et moi. » C’était notre grand classique. « T’en as des congelées ou on se lance dans une préparation de A à Z ? » Au pire, faire notre pâte et tout l’assemblage, ça nous occuperait l’esprit et les mains. C’était sans doute le mieux, actuellement.

Pendant que je me confondais en excuses et en explications balbutiées, Zelda me regardait, impassible, avant de déclarer qu’elle était nouille et de me regarder de ses yeux rieurs à travers ses doigts. Je pouffai de rire en même temps qu’elle, un rire nerveux soulagé d’avoir évité un malaise basé sur des incompréhensions. Enfin, le malaise avait été palpable, mais n’avait heureusement pas duré bien longtemps. Je préférais largement entendre le rire de Zelda, plus que toute autre chose. J’aurais tout fait pour qu’elle soit toujours, constamment, en train de rire. Malheureusement j’avais paradoxalement été une grande source de tristesse pour elle. Et il y avait, aussi, ces gens pourris et exécrables qui avaient enlevé une partie de sa belle innocence, dans les dernières vingt-quatre heures. Pour ça, pour ça et tout le reste, je leur en voulais à mort. Je n’en voulais donc pas une seule seconde à Zelda d’avoir été team premier degré. Lui demander autre chose aurait été inhumain. « T’en fais pas pour ça. J’voulais juste passer pour le gros caca, même si j’en suis souvent un … » Je ris. Elle s’approcha de moi et posa sa tête sur mon torse nu. Je soupirai doucement à mon tour et fermai les yeux. Je la laissai aller dans le bain se relaxer et relâcher la tension, pendant que je m’occupai de notre fille, et de mon propre trop-plein d’émotions. Je perdis la notion du temps pendant que Lara somnolait et moi aussi, tout comme maman dans son bain sans doute, qui en ressortit dans un nuage de vapeur lorsqu’elle ouvrit complètement la porte de la salle de bains. Mon commentaire sur ses doigts de raisins secs réveilla le zombie en elle, et j’éclatai de rire en la regardant se traîner les pieds jusqu’à nous. « Ouais, j’crois qu’elle ferait toute sa nuit ici. Pas moi et mon vieux dos de papi par contre. » Y’a quand même mieux qu’être en position assise sur un fauteuil, pour dormir. Zelda se blottit contre moi et je déposai un bisou sur sa tête mouillée. Elle parla de pizzas et mon ventre se déchaîna. « Quand il est pas vide j’ai un gros trou ici ? » Demandais-je, amusé, en désignant mon ventre avec difficulté puisque j’avais une petite princesse endormie dans mes bras. J’allai d’ailleurs la déposer dans sa bassinette, espérant qu’elle ne chigne pas. Ça irait quand même aider Zelda avec les mains libres. « Oui, Papa Chat ronronnerait pendant des heures à s’faire gratter. » Non mais comme nous pouvions être niais et mielleux, parfois ! Mais je nous aimais comme ça, et ça me faisait du bien de la retrouver. On s’attaqua aux pizzas, puisque Zelda semblait partante pour les préparer du début à la fin. Ses paroles, alors qu’elle se mettait à la tâche, me touchèrent profondément. Je l’écoutai en sortant une planche à découper pour trancher champignons et poivrons, ce que j’avais trouvé dans le frigo. « T’as raison. On est des âmes sœurs amicaux. » Répétais-je avec un sourire doux. Des âmes sœurs amicaux qui avaient confondu ce trop-plein d’affection avec quelque chose de plus. Ce n’était peut-être pas l’amour avec un grand A qui nous allait le plus, mais c’était un amour incommensurable et inconditionnel, plus beau encore que toutes mes relations amoureuses combinées. « Lara pourrait pas rêver de meilleurs parents, en fait. Maintenant que toute la merde et les froids sont derrière nous … elle a le duo infaillible comme papa et maman. » Nous nous étions toujours entendus à merveille en tant que meilleurs amis, sans bisbille, il n’y avait aucune raison pour que cela change maintenant que nous revenions aux sources. En tout cas, je l’espérais. Je râpai le fromage pendant que Zelda garnissait la pizza. Je vidai le plat de fromage râpé au-dessus et je répartis le tout également. « Au fouuuuur ! Oups, j’ai pas allumé le four. » Je m’exécutai, mon ventre grondant contre ma tête en l’air.  

Je mentionnai que Lara pourrait passer sa nuit contre moi mais moi, dans cette position assise, sur le divan, je risquais soit de ne jamais m’endormir, soit de me réveiller demain matin avec de sacrées courbatures. Déjà que les journées au travail que je passais derrière le bureau, quand l’administratif prenait le dessus de l’intervention, je revenais chez moi le soir avec des maux de dos, je n’osais pas imaginer après une nuit complète dans une position pareille. À cela, Zelda me répondit que je pouvais dormir dans le lit. Avec elle ? Bien sûr avec elle, elle n’allait quand même pas dormir sur le divan pendant que je squattais son lit. Dans ma tête, tout tournait à vive allure. Le petit hamster dans sa roue se déchaînait. Que penserait Freja de savoir que je passerais les prochaines nuits à partager le lit de mon ex ? Ex avec qui j’avais un bébé, qui plus est ? Et moi, que pensais-je de cette éventualité-là ? Je veux dire, certes, Zelda et moi en étions revenus au stade d’amis, en tout cas on essayait fort fort. Mais est-ce que cela pouvait taire toute attirance pour elle ? Ce n’était pas chose du passé, j’allais toujours trouver Zelda de mon goût. Une rupture ne changeait rien à ça. Alors dormir avec elle, est-ce que ça m’offrirait un sommeil plus paisible que si je restais ici sur le divan ? Tant de questions, trop de questions, et en plus elle devait bien attendre une quelconque réponse de ma part. Ma tête hébétée et mon silence d’idiot en disaient long sur tout ce qui se passait entre mes deux oreilles. « Euh, ah, bah … peut-être alors, ouais. » Balbutiais-je sans trop savoir vers où je m’enlignais. Je verrais plus tard. Pour le moment, mon estomac prenait toute la place et je n’avais plus d’énergie pour réfléchir correctement. Je mis donc la main à la pâte avec Zelda, et on se prépara des pizzas dignes de ce nom qui étaient prêtes à être mises au four, maintenant. Four que j’avais oublié de préchauffer. Devant cette inattention, je ne remarquai pas tout de suite la mine déconfite de mon amie. Ce n’est que lorsqu’elle me demanda si elle était ennuyante comme personne que je remarquai la tristesse dans ses yeux. Je fronçai les sourcils et je me hissai sur le comptoir pour m’y asseoir, même si clairement j’avais passé l’âge – et le poids – pour ça. « Non, pas du tout … Où est-ce que t’es allée chercher ça ? T’es la personne la plus fun, la plus drôle que je connaisse. » Dis-je en toute sincérité. Je soupirai en réalisant, peut-être, la source de ce questionnement. « Si ça a pas fonctionné entre nous, Zeld’, c’est pas à cause de toi, hein. Je sais que c’est cliché de dire c’est pas toi c’est moi mais vraiment … c’est ça. T’es parfaite. J’pourrais même pas te dire ce qui m’est passé par la tête de te laisser aller. » Parce qu’à la base, Freja n’était pas dans le portrait, quand j’avais laissé Zelda. Il y avait eu d’autres tentations, c’est vrai, c’est peut-être ça qui m’avait étourdi. Mais c’était moi le con. Moi le con de ne pas avoir su me contenter de ce qui était pourtant parfait, là, devant moi.

Je savais que Zelda n’était pas trop intimidée par ce genre de commentaire, en tout cas pas entre nous, mais elle me prit un peu par surpris avec sa remarque des plus directes. Je ne m’étais même pas imaginé qu’on couche ensemble, juste le fait de dormir l’un à côté de l’autre, ça suffisait à alimenter un malaise en moi. D’où la tête que je faisais à ce moment-là. « Oh non mais je pensais pas à … » Je l’avais dit avec tellement peu d’assurance qu’on aurait sans doute dit que mes lèvres bougeaient mais qu’aucun son n’en sortait. Pour cette raison, Zelda avait continué, disant que je pourrais dormir dans le lit et elle, sur le canapé ou sur la chaise berçante près de Lara. Je fronçai tout légèrement les sourcils. Je ne prendrais quand même pas son lit pour qu’elle aille dormir ailleurs, moins confortable. « Je pense que tu as besoin d’une bonne nuit de sommeil réparateur, Zeld’, après tout ce qui s’est passé … Tu serais bien mieux dans le lit. Je dormirai près de Lara, ça nous rassurera tous les deux. » Parce que je savais qu’il y avait aussi une part de ça, une part qu’on nous l’enlève à nouveau pendant que nous aurions tous les deux les yeux fermés. La vérité était que je n’étais pas certain que je pourrai fermer l’œil, dans les prochaines heures, de toute façon. Alors aussi bien laisser Zelda tomber de fatigue bien confortable dans son lit, pendant que je veillerais sur elle et notre fille. La montagne de russes d’émotions, de malentendus, de remises en question, de rires et de pleurs continua après les pizzas. La préparation du repas avait été une accalmie durant cette soirée bien particulière, mais les doutes de la jeune femme refirent surface tout à coup. Je m’installai sur le comptoir, l’écoutant, essayant de la laisser terminer le fil de sa pensée avant de répondre quoi que ce soit. Mais elle en avait beaucoup sur le cœur et dans la tête. « Et tu penses que parce que t’as tout laissé passer, t’es en faute ? » Demandais-je, sachant fort bien que c’était moi qui n’avais justement pas su voir à quel point elle était justement la femme que tout homme cherchait. Pas parce qu’elle laissait tout passer, non. Mais parce qu’elle ne cherchait pas constamment les problèmes. Elle était trop bien pour moi. C’était peut-être surtout ça, le problème. Elle méritait mieux que moi. Et alors nous séparer me semblerait toujours la meilleure fin pour nous. Est-ce que ça aurait été différent si nous nous étions engueulés à tout bout de champ ? Je ne sais pas. Ce n’était pas Zelda. Mais celle-ci m’avoua ne pas être la miss parfaite que tout le monde voyait en elle. Je baissai les yeux quand elle parla de toutes les réflexions qu’elle avait eues pendant cette sombre journée qui ne s’achevait plus. La vie de Zelda n’était pas un long fleuve tranquille, c’était encore plus percutant quand elle énumérait ses malchances, ses tragédies. « Tout ce que t’as vécu, Zelda, cette liste que tu viens d’me sortir, ce sont toutes des choses sur lesquelles t’avais absolument aucun pouvoir. Des choses terribles que personne ne devrait avoir à vivre, même pris individuellement, alors tout ça en une seule vie ? » Un sifflement. D’admiration face à son courage. « Et t’es encore là, debout devant moi, tu tiens bon, tu tiens le cap. J’connais personne de plus résiliente que toi. T’es peut-être pas parfaite, ok, personne ne l’est, mais de dire que ce qui t’en éloigne c’est que tu fuis quand y’a quelque chose qui se passe … ? Non. Tu restes debout à chaque fois. Que tu te battes ou non, c’est d’rester debout qui compte. » Dis-je, en pensant chacune de mes paroles. Mais Zelda, poussant l’analogie de la bataille plus loin en s’imaginant boxer sur un ring de boxe, éclata. Je redescendis enfin de mon perchoir pour venir la prendre dans mes bras. « T’excuses pas. Ça a besoin de sortir. » La consolais-je. Mon cœur se serra et saigna quand elle parla de ce qui lui était passé par la tête pendant son enlèvement. Que Lara soit tuée, abandonnée dans un parc. Ce même parc où on l’avait trouvée saine et sauve ce matin, délaissée, sans sa mère. Sa mère que j’avais cherchée, avec Morgan, un flic que je ne reverrais peut-être plus jamais mais à qui je devais tout, aujourd’hui. « Dis pas des trucs comme ça. T’avais rien demandé de tout ça, tu subissais autant que Lara, vous étiez toutes les deux victimes d’une bande de fucking cowards. Je t’aurais pas détestée. Jamais je souhaiterais ta mort. J’veux même pas penser à tout ça, ça m’fout la trouille, et vous êtes toutes les deux alors j’veux plus rester dans ce qui aurait pu arriver. C’est pas arrivé. » Mais dans nos têtes, les scénarios catastrophes étaient à jamais ancrés. Lara fait un peu de bruit dans sa bassinette, mais le silence revint aussi vite. Je regardai Zelda à nouveau, qui essuyait ses larmes. « C’est normal que tu craques, Zelda … Tu craqueras encore. Et j’serai là, ok ? » Et je serais là pour l’accompagner à des rendez-vous de suivi, parce que clairement, pour rester debout face à ces pensées envahissantes, elle allait avoir besoin d’une aide plus grande que la mienne.