have a little faith (saoirse)

dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres, et revêtons les armes de lumière.

saint-paul

le coeur qui tournait dans tous les sens. l'église, d'une architecture plutôt imposante -ou bien, était-ce l'effet qu'elles te faisaient toutes ?- se dressait au milieu de la ville. plusieurs fois depuis ton arrivée, elle te faisait de l'oeil. elle t'avait happé, comme si elle voulait que tu pénètres en son sein, comme si elle te promettait qu'à l'intérieur, les maux s'apaisent et les idées s'éclaircissent. le souci, c'est que tu n'avais jamais été croyant. tu avais suivi des cours de catéchisme plus jeune, sous l'obligation de tes parents, mais comprenant rapidement que ça n'était pas de ton goût, tu avais arrêté les cours, et avec, s'était coupé le seul lien de ta vie qui te menait à la religion, et à dieu.

mais pourquoi hésiter aujourd'hui ? pourquoi maintenant, à bowen, tu revenais sans cesse regarder de loin l'église, comme si le seul fait d'y entrer allait t'apporter les réponses que tu attends ? ce n'est pas comme ça que ça marche. la foi n'est pas un jeu, encore moins de la magie. mais désormais, qu'avais-tu à perdre ? ton passé était revenu, comme un électrochoc, et tu ne savais pas si devant toi, tu voyais bientôt le bout du tunnel, ou tout simplement la vraie fin. fallait-il soulager une conscience pleine de remords, d'erreurs, et de sacrifices que tu n'avais jamais eu la chance de faire ? tournoyant à l'entrée de l'église, comme un coyote qui attend sa proie, tu hésitais à rentrer. c'était un jour de semaine, et personne ne s'y trouvait. pas de messe, pas d'habitants. le moment parfait pour te retrouver seul à seul avec toi, seul à seul avec lui ? tu étais pourtant toujours sur le seuil, comme un pêcheur attendant ton tour pour être foudroyé.

Cela faisait longtemps, sans doute trop, que ses pieds n'avaient pas foulé le sol froid et nu de l'église. Pas qu'elle craignait de froisser un esprit divin en ne s'y rendant pas assez régulièrement, de toute façon, elle avait sans doute trop pêché pour une vie entière et elle ne cherchait en rien l'absolution. Ses choix, elle les assumait, et plus encore, elle ne les regrettait pas. Non, Saoirse aimait simplement se rendre dans cet espace paisible et feutré, où l'on entendait les murmures résonner d'un bout à l'autre. Éduquée dans la croyance depuis son plus jeune âge, elle savait faire la part des choses et des actes sans pour autant délaisser cette foi en l'existence de Dieu. Ça lui faisait du bien decroire, ça lui apportait de la sérénité et de l'équilibre dans son existe, puis elle avait toujours vécu ainsi, tout simplement. D'un œil extérieur, on l'aurait peut-être considérée comme hypocrite, mais Saoirse avait toujours adhéré aux valeurs de la religion sans les prendre à la lettre, les adaptant aux réalités du monde actuel et de sa propre vie. Et elle ne respectait sans doute pas tout à chaque minute de son existence humaine, mais elle ne voyait pas ce qui l'y obligeait. Croire et obéir sans recul étaient deux choses bien différentes. Sa canne blanche à la main cognant contre chacune des petites marches menant à la grande double-porte, la rouquine avait un léger sourire aux lèvres, comme si l'idée de se retrouver en ce lieu saint, supposément au plus proche de Dieu, lui apportait déjà un certain apaisement. Elle n'avait rien à apaiser, en soi. C'était juste une atmosphère, une idée, qui faisait du bien à l'esprit. Marchant d'un pas léger, l'Irlandaise allait franchir l'entrée de l'amour de soi universel quand un bruit de pas piétinant régulièrement le sol la fit ralentir. Elle s'arrêta, tournant légèrement la tête vers la source de cette trajectoire en suspens, semblait-il. « Besoin de conseils ? » lança-t-elle d'un air affable, un petit sourire gentiment amusé accroché au coin des lèvres. Elle pouvait presque entendre les tergiversations de la personne vibrer à travers l'air, même sans voir l'expression de son visage. Sa question était plutôt une invitation déguisée, main tendue lancée dans le vide au besoin, mais la jeune femme ne comptait nullement s'immiscer dans les tourments de quelqu'un. Elle avait juste l'habitude de se rendre ici et elle savait où elle allait, elle se proposait comme compagnon de route, rien de plus.

serais-tu accepté ? pas dans l'enceinte de l'église, ou par les quelques rares personnes que tu pourrais croiser, car il était bien compliqué pour des mortels de savoir les péchés que revêtaient ton corps. non, est-ce que dieu t'accepterait ? c'était une autre histoire. plus complexe, plus profonde, et sûrement à jamais sans réponse. tout l'intérêt de la religion était là, se jeter dans le vide de la foi, de la croyance, sans être certain d'avoir quoique ce soit en retour. malgré tes doutes et tes rancœurs, tu étais certain que ce n'était pas bon, de croire pour attendre quelque chose en retour. il fallait croire avec un cœur confiant, avec un cœur pur. le tien ne l'était pas. tu recherchais ici, une forme de pardon. qu'un être tout puissant te dise que c'est bon, que tu en as assez bavé, que tu as le droit de souffler maintenant. qui d'autre d'assez puissant pour que tu le comprennes enfin ?

mais sentant bien cette forme d'immoralité, d'égoïsme qui allait à l'encontre de ce que tu pensais être bien, tu n'étais toujours pas rentré. tournant en rond comme un animal en cage, tu ne partais pourtant pas. tu avais la journée devant toi, pour entrer, ou pour repartir. en somme, pour y réfléchir. mais peut-être avais-tu besoin d'une main tendue avant, d'une voix rassurante. pris dans tes pensées, tu sursautais quand une voix douce t'interpella. tes yeux se fixèrent sur sa canne, avant de les relever vers son visage. "ça se sent tant que ça ?" tu riais, gêné, grattant l'arrière de ta tête. tu regardais autour de toi, pour voir s'il y avait d'autres témoins à tes doutes. personne. rien que cette étrangère et toi. rassuré, tu la regardais à nouveau. "je n'ai plus mis les pieds dans une église depuis le catéchisme. et ça remonte." tu précises, donnant une vague idée de ton âge. ton accent d'ailleurs claquait, durcissant les r. face à cette révélation, celle de ton impuissance, tu ne savais pas quoi attendre en retour. il était vrai que tu avais besoin de conseils. ce n'est pas facile de pénétrer dans un lieu sacré pour la première fois depuis longtemps, ou pour la première fois dans une nouvelle ville. "je ne sais plus si j'y ai ma place." dernier aveu avant de lui laisser la parole. dernier aveu te révélant presque à elle, te mettant à nu devant ta religion, ta croyance. croyais-tu seulement ?