my head is an animal (hibby)

Les yeux rivés au petit écran de télévision, elle attendait le moment béni où ses paupières se fermeraient d’elles-mêmes, une attente peut-être vaine, mais qui s’était ancrée dans sa routine depuis bien des années maintenant. Le jeu télévisé qu’elle regardait sans vraiment le regarder s’achèverait bientôt et ensuite… quoi? Une série de publicités sans queue ni tête, puis une énième émission insipide. C’était chaque fois la même ronde. Avec un peu de chance, elle s’endormirait dans le canapé. Mais elle n’y comptait pas trop. Comme la nuit passée, elle resterait éveillée jusqu’aux premières heures du jour, après quoi elle devrait partir travailler. Des gamins à s’occuper toute la journée. C’était chaque fois la même ronde. Un long soupir s’échappa de ses lèvres sèches. Elle tourna la tête vers la fenêtre sale de son appartement. L’envie irrésistible de s’évader s’empara d’elle. Elle se sentait faible et aucunement en état de se promener pendant des heures, mais peut-être qu’un peu d’exercice physique lui ferait le plus grand bien? C’était ce que son médecin lui répétait sans cesse, autant l’écouter pour une fois. Par-dessus son vieux pyjama, elle enfila son manteau et franchit le seuil de son immeuble sans plus de cérémonie. Dans les alentours, personne; Bowen dormait. Non loin des maisons et appartements, une rivière coulait, sauvage et sinueuse. Ses pas l’y menèrent. Silencieuse, elle s’aventura parmi les arbres, centenaires pour la plupart, jusqu’à ce qu’une clairière s’ouvrît à ses pieds. Le visage morose, elle s’arrêta au pied d’un saule pleureur, à travers les branches duquel s’étiolait la lune à moitié mangée par un soudain amoncellement de nuages. Aucun bruit ne dérangeait cette scène bucolique, si ce n’était le ronronnement tranquille et régulier de la rivière non loin de là, bordée par quelques rochers. D’un geste machinal, elle gratta la terre de son pied, songeant qu’il serait si agréable de se laisser ballotter par le courant et de disparaître par-delà les collines et les villes jusqu’à échouer dans les bras de la mer. « Juste… disparaître. C’est trop demander? » murmura-t-elle.

Une soirée dubstep, ça n’était clairement pas une bonne idée. Mais la Hibby ouverte d’esprit avait voulu donner une nouvelle chance à ce genre musical, lors d’une soirée spéciale dans le club de la ville. Mais à part lui casser les oreilles et lui avoir donné un mal de tête, ça ne lui avait pas fait grand effet positif. Un échec, donc. Soupirant et avalant d’une traite le seul cocktail qu’elle s’était offert, elle décida de partir.

Quel gâchis, cette soirée. Elle aurait au moins vu certaines têtes qu’elle appréciait, mais difficile de communiquer avec une musique dépassant largement le nombre correct de battements par minutes dans son tempo. Elle parvint néanmoins à les prévenir qu’elle allait rentrer, en Uber histoire que ce soit safe.

Le silence dans la voiture lui fit du bien, mais sa migraine était toujours là. Le cocktail trop sucré avalé d’une traite n’avait sans doute rien arrangé. Bravo Hibby. Elle se voyait déjà à se retourner dans tous les sens dans son lit, finissant finalement par regarder le plafond désespérée. Pas question. Pas ce soir. Remerciant le Uber, elle attendit qu’il soit reparti avant de faire demi tour. Une promenade nocturne, ça la calmerait.

N’importe qui dirait de Hibby qu’elle était folle. Parce que quelqu’un de bien plus dérangé qu’elle pouvait errer là, aussi. Et elle ferait une proie facile, elle était bien placée pour le savoir, puisqu’elle étudiait la criminologie. Mais son besoin d’adrénaline l’animait bien trop ce soir. Elle marcha sans réfléchir jusque la rivière, pas si loin de sa maison. C’était calme. Paisible. Et si on faisait abstraction des risques, ça ne faisait pas si peur que ça. Jusqu’à ce que la blonde entende une voix. Se retournant brusquement, elle constata avec soulagement qu’il s’agissait d’une femme aussi frêle qu’elle, et qui n’avait pas forcément l’air dangereuse au premier abord. « Qu… Quoi? » Demanda Hibby en s’approchant finalement pour mieux la voir. « Je trainais là par hasard… » Avoua t’elle finalement, pour rassurer la jolie brune. Mais elle, d’où sortait-elle ?

Elle ne songeait pas au danger qui, peut-être, la guettait au-delà de la rivière et du saule pleureur, contre lequel elle s’adossa finalement, un soupir s’échappant de ses lèvres entrouvertes. Un soupir qui trahissait toute la lassitude accumulée au fil des années. Trop lasse pour dormir. Même pour respirer. N’était-ce pas ironique? Elle supposait qu’elle avait besoin d’aide, mais à quoi bon? Tout ce qu’on lui donnerait, ce serait de nouveaux médicaments et une thérapie de quelques mois qui s’achèverait sur de faux sourires et une poignée de mains. Dans ce monde, les gens comme Rosemary devaient payer leur bonheur à coup de chèques. C’était comme ça, elle devait s’y résoudre. Alors cette nuit, comme pratiquement toutes les nuits, elle abdiquait et ne cherchait pas à lutter contre sa meilleure amie l’insomnie. Elle se réfugiait dans ce petit paradis terrestre, à l’abri des réverbères et du bitume. C’est alors qu’une voix inconnue traversa les ténèbres jusqu’à elle. Une jeune femme peut-être un peu plus jeune qu’elle, peut-être un peu plus vieille aussi, s’avançait vers elle. La brunette la dévisagea. Elle avait parlé à voix haute, sans se douter que quelqu’un puisse entendre ses paroles. Et voilà que quelqu’un les avait effectivement entendues! Et pas n’importe quelles paroles. Des mots qui ne se disaient pas, surtout pas au premier venu. Ou, en l’occurrence, à la première venue. « Je… » Elle avait envie de prendre la fuite; elle n’avait pas l’énergie de discuter avec quelqu’un. Inutile. Tout était inutile. Elle se frotta le visage, comme pour se réveiller. « Et ça vous arrive souvent de traîner par hasard au beau milieu de la nuit? » Une pointe d’agacement dans sa voix habituellement si posée. Parce que Rosemary s’en voulait de s’être confiée, sans le vouloir, à cette fille sortie de nulle part.