Let's take a lunch break [Daniella]

L'essentiel du travail avait été fait pour la maison, et Caleb savait donc à quoi s'attendre quand les travaux allaient commencer. Il avait déjà eu pas mal d'idées pour transformer son nouveau foyer en un lieu digne de ce nom – autrement dit, un endroit respirant la simplicité et le calme – et il était plutôt content d'avoir su trouver, grâce aux annonces, la dénommée Daniella Ortiz. La jeune femme, au demeurant charmante et belle, avait en outre un sens aigu du perfectionnisme et du détail, et elle avait su pointer tous les détails. Du meuble le plus petit au tableau le plus coloré, la jeune femme avait promis à Caleb qu'elle saurait décorer la maison sans aucun problème.

Et c'était presque fini.

Presque, tout était dans le mot. Le matin-même, l'ancien sportif s'était levé avec plusieurs colis et de nombreuses photos reçues de son ancien camarade ; et d'autres objets arrivaient. En somme, toutes ses anciennes affaires étaient rapatriées ici, et il allait falloir trouver un endroit où les mettre. Il y avait notamment ses trophées de sport, quelques cadres photos, un drapeau du pays, un bannière de son ancien club, et d'autres choses de valeur. Il ne savait pas si Ortiz l'avait reconnu. Mais là, le doute ne serait pas sans doute plus permis.

Il arriva au bar où elle travaillait le midi, espérant pouvoir lui parler lors de sa pause. Elle ne lui avait rien promis, lorsqu'il l'avait recontactée, mais elle avait indiqué pouvoir se rendre disponible, ne serait-ce que quelques minutes. Et comme Caleb était un homme plutôt patient et calme, il s'était dit que venir manger sur place serait certainement une bonne idée.

Surtout avec cette chaleur insupportable.

 « Bonjour, bienvenue monsieur ! Prenez une table, nous sommes à vous tout de suite ! »

C'était une serveuse, brune, qui était en train de servir un client. Absorbée pendant un instant par l'ancien rugbyman, elle manqua de renverser une assiette, avant de se ressaisir. Un moment gênant, et il fallait croire que même ici, à Bowen, il ne pourrait pas y échapper. Mais il fit comme d'habitude : il ignora le souci, et alla s'installer assez loin.

Il aperçut Daniella, et il lui adressa un léger signe de la main et un sourire poli, avant de s'asseoir à sa table, et de prendre la carte du menu posée devant lui. Il n'avait pas parcouru quatre lignes que déjà, un enfant arrivait, avec sa casquette des Sydney Roosters.

 « M'sieur Hart ? Je peux avoir un autographe ? »

 « Bien sur, mon gars. Donne ta casquette. Comment tu t'appelles ? »

Le petit Noah était encore aux anges quand la serveuse arriva. Il avait eu le droit à un sourire de sa star préférée, un autographe, et une photo en prime, et il retournait en courant prévenir sa mère. Caleb fut légèrement surpris de voir la serveuse brune, et non Daniella, venir lui prendre sa commande. Mais la jeune et jolie blonde ne tarderait sûrement pas à venir.

Le bar était assez bondé aujourd’hui et ce n’était pas étonnant quand on voyait la météo. Grand soleil, ciel bleu, température élevée. Les ingrédients parfaits pour s’arrêter au bar de la plage et prendre un verre ou manger un bout. Ce que j’aurais adoré faire par-dessus tout, mais là tout de suite, il fallait que je bosse et que je serve tous ces gens. Ce qui était beaucoup moins sympa mais heureusement j’aimais bien mon boulot. Bon ok, je n’étais pas censée bosser ici 4 ans. Ca devait juste être un tremplin le temps d’arriver à Bowen, de m’y installer et de me faire ma clientèle « déco », mais au final je m’y plaisais bien. Je m’étais attachée à l’équipe, aux clients puis on n’allait pas se mentir, ça m’aidait aussi à finir plus aisément mes fins de mois.

Je m’active donc derrière le bar pour sortir toutes les commandes quand je vois au loin Caleb me faire signe de la main. Je lui souris en retour puis me tourne vers ma collègue qui revient de sa table « Ca te dérange pas si je prends la table 4 ? » « T’es folle ! C’est Caleb Hart. Je la garde ! » Ah oui, j’avais oublié ce détail… Caleb était connu. Je n’avais donc aucune chance de m’en occuper. Surtout si c’était une table de Kat. Elle était très gentille mais dès qu’il y avait quelqu’un d’un peu connu et/ou de mignon dans les parages, il fallait qu’elle s’en occupe.

Au début, quand Caleb m’avait contacté pour son projet, je ne savais pas du tout qui il était. C’est que quelques jours plus tard, en parlant de mon nouveau client à un de mes amis que je l’avais appris. Autant vous dire que ça ne changeait pas grand-chose pour moi. Ca restait un client et surtout quelqu’un de super gentil et adorable avec moi. Je restais donc discrète sur son « identité » et évitais de lui poser trop de questions. Car oui, même si j’étais quelqu’un de curieux, j’aimais aussi respecter la vie privée des gens.

Derrière le bar, je ne pouvais m’empêcher de jeter quelques coups d’œil vers Caleb et de sourire en coin en le voyant parler à ce petit garçon. C’était d’une mignonnerie sans nom et il était temps que j’aille lui dire bonjour à mon tour. Je me dirige donc vers mon collègue et lui montre l’horloge au mur « Je prends ma pause » Il acquiesce d’un signe de tête puis me laisse passer pour que je sorte du bar et puisse me diriger vers la table du grand brun « Salut ! » Le petit blond jeta un coup d’œil vers moi avant s’en aller avec sa casquette et le sourire jusqu’aux oreilles vers une table un peu plus loin « T’as fait un heureux on dirait » Je lui montre ensuite la chaise en face de lui et demande « Je peux ? »
 

Avec un sourire supplémentaire, Caleb fit un geste pour la jeune blonde qui vint donc s'installer face à lui. Il laissa son regard parcourir son visage, constatant que même si elle semblait aller bien, elle avait quand même de légères cernes et ne semblait pas mécontente de s'arrêter de tourner. Un tel métier était terriblement épuisant, et l'ancien sportif n'enviait pas sa situation. Mais elle ne semblait pas trop s'en plaindre, ni en être marquée, ce qui était toujours rassurant.

 « Merci d'avoir accepté de me rencontrer à nouveau. Surtout ici. »

Il ne voulait pas, comme il lui avait dit dans son message, la mettre mal à l'aise vis à vis de son patron. Mais de ce qu'il avait vu, et voyait encore en tournant légèrement la tête, c'était plutôt avec une de ses collègues qu'il allait y avoir des soucis.

 « Et ouais, ce gamin était fou de pouvoir me rencontrer. Je t'avoue que je ne sais pas trop quoi en penser. D'un côté, ça fait toujours plaisir et les gosses sont toujours merveilleux dans ce genre de cas, mais... j'sais pas. Peut-être que j'espérais un peu qu'à Bowen, on ne me reconnaîtrait pas direct. »

Peine perdue, visiblement.

Mais tant pis. Sortant son téléphone, Caleb ouvrit les fichiers pour y retrouver toutes les photos ainsi que l'email de son ancien camarade, où se trouvait un listing complet de tout ce qui allait désormais arriver dans les jours à venir. Il avait envie de régler ça tout de suite, mais d'un autre côté, pourquoi ne pas laisser Daniella souffler un peu en prenant leur temps ?

 « Dure journée, jusque-là ? »

Il lui sourit, car il aimait bien faire cela. Il savait – aussi modestement que possible – avoir un sourire capable de mettre les gens de bonne humeur, un sourire communicatif et bienveillant. Et il aimait tout simplement le faire, pour se sentir bien ou donner l'air d'aller bien.

L'autre serveuse revint, apportant sa commande avec une précipitation et une précision remarquable. Tant d'efforts mis pour lui, il en aurait été honoré s'il ne l'avait pas déjà vécu des dizaines de fois. Il remercia la serveuse puis entreprit de boire une gorgée de la boisson fraîche qu'il avait commandée.

Avant de subitement se reprendre :

 « Oh, pardon, tu veux quelque chose peut-être ? Je te l'offre. »

Je m’installe en face de lui et ne peux m’empêcher de lui rendre son sourire. J’avais remarqué qu’il avait cet effet sur moi et surtout qu’on avait ça en commun. Il souriait tout le temps et pas un sourire faux ou qui voulait dire ‘parle toujours, tu m’intéresses’, pas du tout ! Mais des sourires sincères. « Pas de soucis. C’est avec plaisir. Puis ça me permet de prendre une petite pause. » Pour tout avouer, c’était ma première pause de la journée et sur le coup, je me rendis compte que je n’étais peut-être pas hyper… présentable. Pas que j’étais le genre de personne à me soucier énormément de mon apparence mais un peu quand même. J’aimais prendre soin de moi et ne pas être négligé. Surtout devant un client et un homme comme Caleb. Je passe donc une main dans mes cheveux pour y donner un peu de volume puis l’écoute me parler du petit et de sa « célébrité ». « Tu te fais toujours autant remarqué dans les rues ? Après, c’est vrai que quand on voit ça, ça a l’air génial ! T’as vu le sourire qu’il avait en repartant ? Il s’en souviendra longtemps de cette rencontre. » Je ne savais clairement pas ce que c’était mais je me doutais que ça pouvait devenir lourd à la longue. Surtout avec des gens comme Kat qui, je la voyais, guettait au loin, le montrait du doigt, parlait de lui aux gens à côté d’elle et qui cherchait très certainement une excuse pour venir lui parler. Elle faisait ça à chaque fois et au fond, j’espérais vraiment qu’aujourd’hui, elle le laisserait tranquille « Et bien j’avoue qu’elle n’a pas été de tout repos. J’ai l’impression que la canicule rend les gens fous ! » Je lâche un petit rire puis me redresse sur la chaise pour laisser la serveuse déposer sa commande. « Oh non merci ça ira ! J’irais me chercher quelque chose plus tard » Pas que je voulais que ça se termine rapidement, loin de là, mais le boss n’était pas fan que l’équipe mange parmi les clients. Il préférait qu’on fasse ça derrière, discrètement. Du moins pendant le service. Je le regarde prendre une gorgée de sa boisson puis reprends « Sinon comment ça se passe à la maison ? Je sais qu’il reste des choses à faire mais ça va, ça te plait ? Tu n’as pas envie de tout rechanger et de trouver une nouvelle décoratrice ? »

Bien que simple, et terriblement éloignée des restaurants de luxe de Sydney, la nourriture qu'ils avaient ici était parfaite. On y trouvait des plats simples, sans fioritures ni manquement à la règle principale d'un bon repas : en avoir assez dans l'assiette. Ici, on mangeait simplement, et beaucoup, et on repartait le ventre plein et non pas le porte-feuille vide. Caleb profita donc soigneusement de son plat, mordant allègrement dedans.

Et quelle sensation, de pouvoir manger dans un endroit où il n'y avait que la personne en face de lui pour le juger. Non pas que Daniella soit du genre à faire ça. Elle était très polie, très souriante, et c'était très bien ainsi. Il ne la connaissait pas, pour ainsi dire, mais il se sentait bien en sa présence.

 « C'était parfait ! La décoratrice qu'on m'a conseillé était parfaite. Elle est venue très vite, répond de manière ponctuelle aux questions, et en plus de ça, elle a supporté mon humour malavisé. Et cerise sur le gâteau, elle accepte de m'aider encore. Franchement, une décoratrice de choc, tu devrais la rencontrer. »

Il sourit de nouveau, avant d'engouffrer une nouvelle portion. Il reprit toutefois, plus sérieusement :

 « J'ai conservé les plantes, comme tu m'as conseillé, et je vais tâcher de les nourrir pour m'assurer qu'elles ne meurent pas avant la fin de la semaine. La télé est encore dans son carton, car j'ai eu une flemme monstrueuse de la mettre, mais ça viendra aussi. »

Il se gratta la barbe, faisant défiler distraitement les fichiers sur son téléphone. Il s'arrêta sur une image en particulier, avant de finalement se dire que ce serait plus pratique ainsi : il le bougea pour le placer devant la jeune femme au léger accent hispanique. Aucun risque avec ça, car de toute façon, elle avait déjà son numéro !

Mais ça rendrait certainement jalouse l'autre serveuse, et il fallait l'avouer, ce petit plaisir mesquin était quand même amusant. Même si le rugbyman se gardait bien de vouloir alimenter une quelconque et futile rivalité.

 « Tiens, regarde. Ce sont tous les trucs que je vais recevoir d'ici quelques jours. Il y a la liste complète dans les mails, et les photos. Je pensais pas emporter tout ça à l'origine, mais je vais finalement devoir composer avec. Et je n'ai aucun meuble à vitrine, je crois. »

Je l’écoutais me faire des compliments et ne pouvais m’empêcher de rougir légèrement. Je n’avais pas droit à ce genre de discours tous les jours et franchement, je pouvais très vite y prendre goût « Elle a l’air parfaite cette décoratrice ! Tu m’étonnes que tu ne peux plus t’en passer. Mais fais attention, si tu parles d’elle, comme ça, aux gens, ils vont finir par te la piquer » Je me mets à rire puis lève les yeux vers lui « Non mais plus sérieusement, je suis contente de savoir que ça te plaise ! » Après tout, c’était le but premier de mon boulot. Que les gens se sentent bien chez eux. Alors l’entendre de la bouche de Caleb, ça me faisait plaisir. « Si tu arrives à tuer le papyrus, il faudra que tu m’expliques comment ! Il faut qu’elle soit noyer, non stop, dans l’eau donc ce n’est pas compliqué ! Puis si tu veux, je peux passer un soir pour la télé. Ca n’a peut-être pas l’air comme ça, mais j’en ai déjà accroché quelques-unes » Je prends ensuite son téléphone dans les mains et fais défiler les quelques photos « Tu veux tout garder ou tu veux faire un tri avant ? Si tu veux, on peut faire ça ensemble. Je passe pour la télé, puis on regarde tes boîtes » Je savais qu’il y avait énormément de souvenir la dedans mais peut-être qu’il n’avait pas envie de tout garder. Peut-être qu’il voulait reprendre à zéro ou oublier certaines choses. Alors que j’allais reprendre ma phrase et mon analyse, Kat apparait près de la table et se penche vers Caleb de façon très.. suggestive. « Mon numéro… n’hésitez pas à m’appeler. Je vous promets que vous vous amuserez plus avec moi qu’avec elle » Elle lui fait un clin d’œil puis me lance un regard noir avant de s’en aller. « J’en crois pas mes yeux » Je me pince les lèvres pour m’empêcher de rire puis regarde Caleb « Alors là… Je ne sais pas si m’excuser pour elle ou te demander si ça t’arrive souvent ? » Je finis par éclater de rire et reprends son téléphone en main « Tu veux que j’enregistre son numéro ? »  

L'enthousiasme de Daniella faisait plaisir, véritablement. Caleb appréciait déjà la jeune femme, par son ton enjoué et ses bonnes manières, par ses sourires et sa bonne humeur qu'elle mettait dans son travail et en dehors. Il préférait largement les gens comme ça, que ceux qui préféraient profiter de son statut. Car il en avait vu plein... et il en voyait encore.

 « Bah écoute, comme tu veux. Mais... »

L'homme esquissa un air gêné, se grattant la barbe nerveusement. Comment lui dire sans passer pour un gros sale que rien n'était propre dans la maison ? Le lit n'était pas fait – il avait eu la flemme, pouvait-on lui en vouloir ? - et il avait laissé en plan la vaisselle de la veille – bien que nettoyée. Il avait été terriblement négligent et il s'en voudrait un peu de montrer ça. Mais s'il retournait chez lui l'aprem, il pouvait s'en occuper, et au moins prétendre que tout était bien propre.

Bon sang, que c'était compliqué de ré-apprendre à vivre comme quelqu'un de normal.

 « Ouais, vas-y, si ça te dit. Je suis occupé dans l'aprem de toute façon, donc le soir ça me paraît... »

Ils furent interrompus, momentanément, par l'autre serveuse. Se plaçant de façon à montrer ses seins au rugbyman, elle posa un papier où se trouvait son numéro. Dire que c'était la première fois serait un mensonge impossible à faire avaler, et dire qu'il n'était pas blasé d'un tel comportement un autre. Ouais, il avait déjà vécu ça, trop souvent. Beaucoup trop, même.

Il resta un petit moment silencieux, gêné, plongé dans ses pensées. Il tenait le papier dans sa main, réfléchissant à quoi en faire. Ou plutôt, à quand le faire, car il savait déjà ce qu'il comptait faire d'un petit morceau comme ça. Cette serveuse, bien que jolie physiquement, ne respirait que la superficialité, et Caleb n'appréciait pas les gens comme ça. Peut-être que la dénommée « Kat » ne cherchait pas grand chose, juste une soirée sympathique, mais ça ne l'intéressait pas vraiment.

Voir pas du tout, en fait.

 « Non, non, ça ira. »

Il plia le papier, et le jeta dans une poubelle pas très loin. Un lancer parfait.

 « Je n'ai pas besoin de ça, et vu son comportement jaloux simplement parce que tu es assise en face de moi, ça me donne encore moins envie. Quelqu'un qui agit comme ça... bref. Alors, que penses-tu de tout ça ? Tu penses que tu saurais placer tout, ou est-ce qu'il y en a qui doivent sauter ? Hésite pas à me dire si certains trophées sont moches, hein. Je les aime pas tous, de toute façon. J'aimerais juste garder, au minimum, le drapeau et la bannière du club. »

Daniella était-elle comme Kat et cachait-elle son jeu ? Non, probablement pas. Un tel comportement était difficile à cacher, et elle n'avait pas essayé une seule fois de le draguer. Enfin, pas qu'il le sache.

Je le vois hésiter et sur le coup, je me sens un peu mal. J’avais l’impression d’avoir dépassé les limites en lui proposant mon aide pour quelque chose qui n’avait rien à voir avec la décoration de sa maison. Car soyons honnête, peu de décoratrice d’intérieur allait aider son client à accrocher une télé ou encore à trier des affaires. Normalement c’était le genre de chose qui étaient fait avant ou après, mais rarement avec la décoratrice. Après, je ne pouvais pas m’en empêcher. Quand le courant passait bien avec une personne, j’étais comme ça. J’avais envie d’aider. Et là, je devais l’avouer, j’appréciais énormément Caleb. Pas pour son statut ou son argent, mais pour la personne. C’était quelqu’un d’intéressant et avec qui j’appréciais passer du temps. Bon d’accord, en plus de tout ça, il était plutôt agréable à regarder. Mais c’était un client et il ne fallait vraiment pas que je m’égare. « T’es sûr ? Je ne voudrais pas m’imposer ! »

Kat arrive ensuite en furie et nous joue un numéro des plus honteux. Franchement, je l’aimais bien mais là, elle venait juste de s’afficher. Qui faisait ça, sérieusement ? Est-ce que ça fonctionnait vraiment ? En tout cas, Caleb n’avait pas l’air plus surpris que ça. A première vue, il avait même l’air plus désespéré par la situation qu’intéresser. « Tu sais, normalement elle n’est pas si… bête ! En tout cas, je suis vraiment désolée. T’es venu ici pour manger tranquille, discuter et… Je comprends mieux ce que tu me disais plus tôt. Ca doit être fatiguant à la longue. »

Je le regarde jeter le papier à poubelle en un seul coup et ne peux m’empêcher de le regarder impressionnée. Pas mal pour un rugbyman. Il me parle ensuite de ses trophées et de son envie de garder quelques petites choses « On peut tout garder tu sais. Je peux trouver une jolie vitrine ou de belles étagères et mettre ça dans ton bureau ou dans la pièce vide à l’étage. Puis même si certains trophées sont « moches », ça reste des souvenirs. Ce serait dommage de s’en séparer. » Après tout, ça faisait partie de son histoire et il avait de quoi être fier de tout ça. Même si aujourd’hui, c’était fini.

 « J'imagine que tu as raison. Une vitrine, et peut-être une étagère ouais... hmm. »

Plongé en pleine réflexion, Caleb essaya de se montrer plus concentré qu'il ne l'était. Il avala deux-trois bouchées entre temps, essayant de chasser son agacement quant au comportement de l'autre serveuse. Heureusement, et par chance, elle ne revint pas à la charge. C'eut été profondément gênant, autant pour lui que pour Daniella. Voir peut-être encore plus pour Daniella. La jeune femme était aimable, polie, et sa compagnie tout à fait charmante, et il se sentait donc vraiment gêné que sa collègue se réduise à de telles infantilités.

Des adolescentes jouaient à ce jeu, pas des adultes. Mais il fallait croire que parfois, même les adultes étaient puérils et faisaient des coups aussi bas et aussi idiots. Le sportif n'allait pas le dire à voix haute, mais il préférait un million de fois une femme comme Daniella qu'une autre comme Kat. La jolie blonde était d'agréable compagnie, belle sans superficialité, et ne se comportait pas comme une ado.

 « La vitrine pourrait être mieux sur le palier, je pense, ou dans l'autre salle. Car si on la met dans la chambre, ça fait un peu narcissique non ? En mode « ouais regardez, j'ai mes trophées qui dorment avec moi ». La première femme qui vient là risque de me prendre pour un type imbu de lui-même. »

Il sourit à nouveau, avant de se demander si la jeune femme allait penser à ça aussi. Il aurait peut-être du se la fermer.

 « L'étagère par contre, irait bien dans la chambre. J'ai envie de me faire une collection de livres, qui pourrait aller bien avec certains objets, t'en penses quoi ? Un mélange souvenirs et culture ? Culture et souvenirs ? Car j'me vois mal mettre un trophée, genre celui-là... le petit, là, avec un livre. J'veux dire, ce truc, c'est le tout premier que j'ai gagné. J'avais sept ans. »

Pfiou, c'était loin !

 « Tu penses que tout doit être gardé ? Je peux en donner ou en vendre certains. Je ne suis pas forcément fan de tous ceux que j'ai, même si je les connais tous par cœur. »

Je le vois réfléchir à mes propositions et trouve ça plutôt mignon. Logiquement les gens faisaient appel à moi mais ils me laissaient tout gérer sans jamais intervenir. Ils voulaient juste avoir une maison décorée, le reste leur importait peu. Avec Caleb c’était différent. On voyait qu’il avait besoin d’aide mais qu’il voulait rester impliqué. Ce que je pouvais tout à fait comprendre.

Le regard dans le vide, j’essayais de visualiser mon idée quand tout d’un coup, le voilà qui me fait une nouvelle proposition et qui me parle de l’impression que pourrait avoir les trophées dans sa chambre sur une femme. Alors là, je m’attendais à tout sauf à ça. S’il y a bien une chose à laquelle je n’avais pas pensé, c’est bien ça.. A la possible visite de la gente féminine et à ce qu’elle pourrait bien penser. Je souris en coin et lève les yeux amusés vers lui « Je ne suis pas sûr que ça déplaise à beaucoup de femmes tu sais. Je pense que Kat aimerait beaucoup voir tes trophées dans ta chambre » Je me mets à rire puis reprends « Bon j’avoue que ça me ferait bizarre de voir ça dans la chambre d’un homme… enfin quelques-uns pourquoi pas mais c’est vrai que tous… peut-être pas ! » Et voilà que maintenant je m’imaginais dans la chambre du beau brun. Non mais n’importe quoi ! Il fallait vraiment que je me ressaisisse. J’avais carrément un coup de chaud ! A croire que j’étais une ado de 15ans. Je me secoue légèrement la tête pour chasser mes pensées puis reprends l'air de rien« On pourrait les disperser dans plusieurs pièces ? T’en dis quoi ? On en met quelques-uns dans le bureau, d’autres dans ta chambre ou sur le palier. »

Il me demande ensuite s’il doit tout garder et j’avoue que pour le coup, je ne savais pas trop quoi répondre. Quand on commençait une nouvelle vie quelque part, il était important de faire un tri dans ses affaires mais jeter sans prendre le temps d'y réfléchir, ça pouvait être dangereux. On pouvait vite regretter. « C’est à toi de voir. Il est vrai que c’est qu’un petit trophée mais c’est ton premier et comme tu le dis si bien, tu les connais tous par cœur malgré tout donc je ne sais pas.. » Je remets une mèche derrière mon oreille puis fais défiler quelques photos des nouveaux cartons sur son téléphone « Après, t’as le temps d’y réfléchir. Tu n’es pas obligé de prendre une décision tout de suite. On peut les laisser dans le carton pour le moment »

Haussant les épaules, Caleb fit une légère moue. Il n'aimait pas l'idée de laisser traîner quelque chose ainsi, et il l'expliqua :

 « Je préfère tout placer dès le début. Savoir ce que je vire, ce que je garde, car sinon, je me connais ça va prendre la poussière. Et même si je suis pas un maniaque du ménage et de la propreté, je déteste l'idée que quelque chose comme ça traîne dans un coin, abandonné, sans que je sache si je dois y toucher ou non. »

Il eut un sourire penaud, comme pour s'excuser. Evidemment, ce n'était pas spécialement nécessaire, car il se doutait que la jeune femme ne serait sans doute pas offusquée ou blessée par sa remarque ; au contraire, il était certain qu'elle préférait ça. Tout gérer à la place du client, ça devait être plus épuisant, et elle n'avait pas paru être dérangée par le fait qu'il discute beaucoup des diverses installations. Par exemple, la première fois qu'ils s'étaient vus, il lui avait fait remarquer qu'il préférait garder une pièce plus vide, afin de pouvoir l'aménager plus tard si besoin. Et ça ne l'avait pas dérangée.

Ou alors elle cachait bien son jeu !

 « Réfléchissons. »

Il croisa les mains.

 « Les trophées, je pense qu'il faudrait les classer, ou les trier, pour savoir ce que je garde ou non. La bannière du club, et le drapeau, dans la chambre ? Hmm. La tenue de sport, je pense que je vais plutôt les vendre, ou les donner. Je n'en ai plus besoin... à moins que je garde ça pour le jour où j'aurais des gosses. Même si ça, c'est pas pour maintenant. »

Précision inutile, ça, Caleb, inutile !

 « J'ai également des photos, mais je sais pas si tu peux les voir dans les fichiers du téléphone. Je sais plus si mon vieux pote me les a envoyées. »

Il se pencha un peu plus au-dessus de la table pour voir, sa tête se rapprochant de celle de Daniella. Il pouvait sentir son odeur d'ici, de celle de son shampooing à son parfum. Une telle proximité qui risquait clairement de déranger l'autre serveuse. Mais ça n'avait rien d'important aux yeux du rugbyman.

Il me fait savoir que mon idée ne lui plait pas et malgré ce qu’on pourrait croire, ça ne me dérange pas du tout. Après tout, si mon client ne pouvait pas me dire « non », ou « ça ne me plait pas », c’est qu’il y avait un souci. J’étais là, avant tout, pour le satisfaire et trouver des choses qui lui plaisent donc on allait trouver une solution. « Ok. Alors je reviens à ma proposition initiale. Je passe t’aider pour la télé, puis on regarde trophée par trophée, une petite bière à la main et on voit si ça… te fait quelque chose ou non. Si ça t’apporte aucun bon souvenir ou sentiment positif, alors on donne ou on vend. » Je ne sais pas si ça allait lui plaire mais je n’avais que ça comme idée. Enfin ça où jouer le tout sur un pile ou face..

Tenues ? Enfants ? Alors là, j’étais sous le charme. Je trouvais ça adorable qu’un homme pense à ça. Même si ce n’était pas pour tout de suite. « Je pense que je peux trouver une place pour la bannière et le drapeau dans ta chambre mais faut que je réfléchisse à comment les intégrer dans la déco. Pour ce qui est des vêtements… Garde les. Fais toi une boite souvenirs avec quelques trucs dedans et met là de côté. Pour tes futurs enfants ou tout simplement pour toi. Je sais que tu n’aimes pas les boites mais là je te parle que d’une seule boite. Avec quelques souvenirs. Rien de plus. Puis franchement… je m’en voudrais d’empêcher tes futurs enfants d’avoir tout ça » Je souris amusée puis l’écoute me parler des photos «  Ne jette surtout pas tout ça. Je te fais un album photo si tu veux. J’adore faire ça ! Je regroupe tout dans un album et on range ça dans ta bibliothèque » Je savais que sa carrière était finie mais tout jeter… c’était dommage. Après tout, c’était son histoire.

Lorsqu’il se penche vers moi et se retrouve plus qu’à quelques centimètres de mon visage, j’avoue que je ne sais plus où me mettre. Mon souffle se coupe net et mon regard se perd sur les courbes de ses lèvres et de ses bras. ‘Respire lentement Daniella, respire’ Je lève les yeux vers les siens et me perds quelques secondes dans ses yeux bleus avant de réaliser que j’avais son téléphone en main et qu’il attendait très certainement que je le lâche « Désolée ! »

 « Une bière à la main ? Ça me va, mais dans ce cas-là, tu ne m'en voudras pas si je ne bois pas d'alcool. Une vieille habitude. Quand j'ai commencé le sport professionnel, on nous disait d'arrêter les clopes, et la binouze. Certains buvaient de temps en temps, mais moi... j'ai jamais aimé ça. »

Il resta un moment silencieux alors que la jeune femme s'excusait, visiblement gênée.

 « Ce n'est pas pas grave. Ça arrive. »

Il ne voulait pas que la jeune femme se sente mal à l'aise, et il se contenta donc de légèrement tourner le téléphone pour qu'ils puissent voir tous les deux l'écran. Il fit défiler quelques images, s'attardant sur certaines, l'une après l'autre :

 « Celui-là, donc, le premier. Ensuite... ah, celui-là, ouais il peut être bien. Tu verras, il est gigantesque. On avait fait un tournoi entre lycées, à l'époque, et j'avais monté mon équipe avec les meilleurs de mon établissement. Deux d'entre eux sont devenus des joueurs pros, mais ils n'ont pas eu une carrière très glorieuse. Celui-ci... hmm, non. Je me souviens même plus si c'était encore le lycée ou pas. Celui-ci, c'est un de mes premiers en joueur pro. Ça non, ça non... oh. »

Ils étaient arrivés sur les photos. La première montrait une famille crispée, avec un adolescent souriant avec son trophée dans les mains : Caleb vainqueur du tournoi inter-lycée. Son père, à côté, semblait peu heureux d'être ici, mais il posait tout de même des mains calleuses sur les épaules de son fils. La seconde photo, elle, montrait Caleb, jeune adulte et visiblement bien sali par un match boueux, poser fièrement comme un idiot avec ses coéquipiers.

La nostalgie s'empara un instant de Caleb. Il avait vécu beaucoup de choses, en si peu de temps, en fait, et il réalisait peut-être un peu tard que ça avait sans doute contribué à creuser le fossé entre lui et sa famille. Parti tôt, prodige connaissant célébrité et richesse à très – trop ? - grande vitesse, il avait su se maintenir droit malgré les nombreuses opportunités de déraper. Mais il espérait que son père, où qu'il soit maintenant, soit fier de lui. Car il avait su l'élever et lui inculquer les bonnes manières et la modestie.

Le rugbyman se recula un peu, ne voulant pas gêner davantage la jolie blonde.

 « De toutes ces photos, je suppose qu'on pourrait mettre la plupart... ouais, la plupart dans un carton en attendant de trouver une meilleure occasion. Sauf celle avec mon père. Je vais la mettre dans ma chambre. »

Il se redressa un peu, terminant son verre. Il n'aimait pas parler de sa famille, il n'avait jamais aimé ça. Mais peut-être qu'un jour, on lui poserait la question, et il serait fier de répondre.

Il m’avoue ne pas boire d’alcool et pour le coup je me sens un peu bête. C’était logique après tout. C’était un sportif de haut niveau et il avait très certainement un mode de vie très sain. Rien à voir avec le mien. Qui mangeait n’importe quoi à n’importe quel moment de la journée et qui aimait par dessus tout, les soirées canapé avec un bon verre de vin à la main. « Oui enfin non, je comprends. Tu as raison. Un verre… d’eau ça fera très bien l’affaire. Ou même rien… enfin » Bravo Daniella, bien joué. Je ne savais plus où me mettre et je commençais à me fatiguer. Il me déstabilisait et me faisais perdre mes moyens. Ce n’était vraiment pas professionnel et je ne savais plus quoi faire ni penser.

Il prend ensuite le téléphone et commence à me montrer quelques images. Il défile, me parle de quelques trophées puis arrive sur des photos un peu plus personnelles. Il avait l’air nostalgique en voyant tout ça et j’aurais bien fait un commentaire ou posé des questions mais je devais arrêter de dire des conneries. En plus de ça, il n’avait pas l’air de vouloir en parler. Donc même s’il était très mignon plus jeune et que j’avais envie de le lui faire savoir, je préférais de ne rien dire. Pas facile quand on me connaissait, car je parlais très souvent sans réfléchir mais tant pis.

Je le laisse donc profiter de ce moment en silence puis souris doucement « Pas de soucis. J’ai acheté quelques cadres l’autre jour. Je viendrais te les déposer dès que possible »  Je me redresse également sur ma chaise puis regarde tout autour de moi. Les gens commençaient petit à petit à partir et j’en étais pas mécontente. Cette mâtinée m’avait épuisé et j’avais hâte de me reposer un peu.

En effet, les lieux commençaient à se vider. Les clients, rassasiés, réglaient leurs additions ou repartaient tout simplement, car maintenant, il allait être temps de profiter d'une après-midi ensoleillé, ou de retourner au travail, ou tout simplement de rentrer chez soi pour pouvoir se reposer. Caleb observa un bref instant la jeune femme, décelant une claire envie de calme pour le reste de la journée. L'avantage, avec ce genre de moment, c'est qu'il y avait rarement beaucoup de gens en plein milieu de l'aprem, alors que le soleil tapait encore plus fort.

Mais quand viendrait la soirée, il y aurait beaucoup de gens, avides de se rafraîchir avec des boissons froides après avoir sué toute la journée. Pour le coup, elle ne bosserait pas ce soir, et ce serait bien. Pensif, la star essaya d'imaginer à quel point ça devait lui coûter, d'enchaîner des journées de travail au bar avant d'aller faire des visites de maison. Cette idée de double-emploi était considérable, en termes de fatigue.

 « Déjà lasse du reste de la journée ? Je peux te comprendre. Quand je devais enchaîner les entraînements, les interviews, ou encore pire, les matchs suivis des interviews, c'était terriblement épuisant. »

Il réitère un sourire aimable.

 « Si ça peut te consoler, convenons donc d'une soirée tranquille quand les colis seront arrivés : une bière pour toi, un grand verre de jus de fruit pour moi. On installera la télé correctement, si je l'ai pas fait d'ici là, et on s'occupera de tout ce bazar qui va me tomber dessus. Comme ça, une fois que ce sera fait, tu pourras passer une fin de journée calme et sereine avant d'attaquer le lendemain. Mais attention ! »

Il lui fit un clin d’œil taquin.

 « Hors de question de rouler sous la table à cause de l'alcool. Ce ne serait pas professionnel, et je m'en voudrais de te mettre un mauvais avis sur Internet. »

Il plaisantait, bien sur. Mais il ne savait pas trop si ça se faisait, de procéder ainsi. Daniella n'était pas son amie, c'était une décoratrice qui venait l'aider à s'installer avec les bien-être adéquat. Mais il mentirait en disant qu'il ne l'appréciait pas : elle était souriante, aimable, et il devait avouer qu'elle était belle et que ça jouait forcément en sa faveur. Une relation au-delà du client était toujours un terrain dangereux, cela dit, et il devait faire attention à ne pas avoir un comportement déplacé.