keep your head up (vega)

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keep your head up
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@lys r. kickett & @vega clark

Dans la création, il y avait toujours une phase de recherche. Elle pouvait être plus ou moins importante, durert plus ou moins de temps en fonction des projets, mais elle était toujours riche. C’était un moment où l’instinctif se mettait en berne un instant, pour laisser la place à quelque chose de plus cérébral, de plus réfléchi, de plus conscient aussi, sans doute. J’aimais cette phase-là autant que le reste, j’aimais fouiller, mettre le nez dans les livres, me nourrir d’images, m’inspirer. C’était aussi un moment opportun pour recharger ses batteries créatives, autrement dit, c’était nécessaire et vivifiant. Surtout pour une personne comme moi qui adorait apprendre de nouvelles choses. Je venais de tomber sur un livre passionnant sur les couleurs, les utilisations et leur symboliques au fil des époques. Je me régalais. Après avoir feuilleté ce bouquin un moment, je décidai de ranger mes affaires et me dirigeai vers le bureau des emprunts. J’aurais probablement besoin de plancher sur ce livre, au calme, depuis chez moi. Un sourire aux lèvres, heureuse d’avoir dégoté cette pépite au milieu des rayonnages, j’abordai la bibliothécaire.
— Bonjour, je…
Quand la jeune femme se retourna sur moi, je la reconnu immédiatement. Elle avait un visage qu’on oubliait pas.
— Vega ? Vega Clark ? C’est toi ?
Elle avait été l’une de mes premières élèves quand j’avais commencé à enseigner la littérature au lycée de Bowen.  

Même si bibliothécaire n’a jamais été le boulot de mes rêves, je suis bien contente d’avoir obtenu ce poste, même si c’est seulement à mi-temps et d’avoir pu démissionner du Shake Shack. Ici ça sent moins la friture, le manager est bien moins irritant, les clients aussi même si en confectionnant des burgers, je ne les voyais pas trop. Au moins là je peux me poser pour réfléchir à mon avenir, j’ai même toutes les ressources à disposition. Il y a des moments plus ou moins calmes, parfois je dois courir un peu partout pour aider les gens et à d’autres moments la journée me paraît interminable tant je ne croise personne. Le point négatif c’est que je dois aller engueuler les gens qui font n’importe quoi, les gosses qui font du bruit et je suis particulièrement agacées par les gens qui laissent traîner des livres ou les rangent n’importe où. Mais bon dans l’ensemble ça va plutôt bien. C’est encore tout nouveau pour moi et d’ici quelques semaines je risque d’être bien blasée. Enfin, j’ai demandé à m’occuper d’une sélection de livres à mettre sur les présentoirs devant l’entrée et ils ont accepté. Je compte bien profiter de l’occasion pour faire une sélection d’ouvrages militants même si ce n’est pas ça qui va complètement faire changer les mentalités, c’est un début. Je recherche parmi les différents ouvrages présents ceux qui pourraient aller dans ma sélection. J’ai déjà une petite liste mais au final il n’y en a pas beaucoup de disponibles, il faudrait peut-être que je demande à les acheter. Quand quelqu’un arrive pour que je scanne ses emprunts, je me retourne tout en lâchant un « Bonjour ! » enjoué sans vraiment faire attention à la personne. En relevant la tête, je la reconnais et elle aussi. « Madame Kickett ! Oui c’est moi. » je lui dis avec un sourire. Elle a été ma prof de littérature au lycée. Je n’ai pas toujours été très sympa avec elle parce que j’étais le genre d’élève un peu agaçante (étonnant non?) mais c’était une bonne prof et au final je l’aimais bien, c’est même la prof avec qui j’étais le plus sympa au final. Elle ne devait pas s’attendre à me voir bosser à la bibliothèque municipale vu les ambitions que j’avais au lycée. Je ne devais même pas rester à Bowen à la base mais suite à des événements que je préférerais oublier, je ne suis pas partie. « Vous êtes toujours prof au lycée ? » je lui demande pour prendre un peu de ses nouvelles.

J’aimais mon job au lycée, même si je savais que ce n’était pas celui que je ferai toute ma vie, j’espérai bien vivre de mon art et ce rêve était d’ailleurs en passe de se réaliser. Malgré tout, j’aimais le fait de pouvoir transmettre à mes élèves mon amour des mots et mon amour de l’art, soutenir ce qui avait besoin de l’être, encourager ceux se débrouillaient mieux. C’était principalement pour ce côté très humain que j’aimais mon job de prof de littérature. Retrouver Vega, quelques petites années après qu’elle ait quitté ma classe me fit plaisir. Elle n’avait pas toujours été facile avec moi, mais j’avais pour elle une certaine tendresse malgré tout.
— « Madame Kickett », répétai-je en riant, woaw, je ne sais pas pourquoi…mais ça me donne un coup de vieux.
C’était ainsi qu’on m’appelait en classe, certes, et c’était ainsi que Vega, à l’époque où elle était mon élève m’appelait, mais cela me faisait bizarre de l’entendre aujourd’hui, de la bouche d’une adolescente devenue adulte.
— Oui, toujours oui…et toi, du coup…la bibliothèque ?
S’il m’avait fallu misé sur un emploi pour la jeune Vega à l’époque, sans doute n’aurais-jamais pensé à la bibliothèque, mais au fond…pourquoi pas.

En ayant à présent un travail où le contact avec les gens étaient plus important qu’en étant dans la cuisine d’un fast-food, il fallait que je m’attende à croiser du monde que je connaissais. Je ne suis pas sûre que parmi mes amis beaucoup étaient adeptes de la bibliothèque mais j’en croiserais sûrement quelques uns, qui seraient étonnés de me voir ici. Je faisais quelques recherches pour une future sélection de livres quand une voix familière m’interrompit. Cela fait des années que je n’avais pas vu madame Kickett, que j’appelais toujours ainsi même si je n’étais plus son élève. Elle me dit que ça lui donne un coup de vieux de s’entendre être appelée ainsi. Je ris en lui disant « Depuis que je travaille ici beaucoup d’enfants m’appellent Madame et ça me fait bizarre aussi. » En prenant ce boulot je n’avais pas vraiment pensé à ça et la première qu’un enfant est venu me voir, il m’a appelé madame, je me suis demandée si c’était bien à moi qu’il parlait. Mais bon, il faut que je m’y fasse. Mon ancienne professeur me répond qu’elle est toujours prof et semble étonnée de me voir travailler à la bibliothèque. « Oui...ça fait pas longtemps. Les études ne se sont pas vraiment passées comme prévues, du coup je fais ça. Je sais pas si ça va durer mais pour l’instant j’ai rien trouvé qui pourrait plus me plaire. » Je lui explique alors sans rentrer trop dans les détails. J’embête déjà suffisamment tout mon entourage avec ma crise existentielle, je ne vais pas non plus commencer à embêter les gens qui ne sont venus que pour emprunter des livres.

La première fois qu’on m’avait appeler « Madame », j’avais vingt- quatre ans, je venais à peine de devenir prof et cela m’avait foutu un coup de vieux monumental. Je ris au moment où Vega m’avoua avoir vécu la même chose quand elle avait commencé à travailler à la bibliothèque.
— Ca fait bizarre, concédai-je en lui souriant.
J’y étais habituée maintenant et je ne me formalisait plus temps que ça. J’étais de toute façon parfaitement à l’aise avec mon âge, la plupart de mes amis étant plus vieux que moi, de toute façon. Mon ancienne élève expliqua que ses études avaient été écourtées et à cette annonce, je ne pus m’empêcher de froncer les sourcils. Je n’émettais aucun jugement, chacun vivant sa vie en son âme et conscience et je n’étais personne pour juger des décisions d’une autre personne. Malgré tout, j’avais décelé le potentiel de Vega dès que je l’avais eu dans ma classe et la voir ainsi résignée me faisait un peu de peine. Travailler dans une bibliothèque pouvait s’avérer passionnant, et pourtant, j’avais la sensation qu’elle n’y trouvait pas son compte.
— Depuis combien de temps travailles-tu ici ? demandai-je.

Je me disais que c’était ça la vie active, à travailler avec des gens, se faire appeler madame et mettre plusieurs secondes à se rendre compte que c’est à moi que l’on parle car il n’y a personne d’autre autour. En même temps je ne vois pas trop comment ils pourraient m’appeler sinon. Il n’y a pas de badge avec mon prénom donc hormis les gens que je connais ou ceux que je commence à connaître, qui viennent régulièrement, les gens ne savent pas comment je m’appelle. Mais malgré tout, j’ai encore du mal à m’y faire. « Oui, surtout que des fois c’est des personnes qui ont le double de mon âge qui me disent ça. » je lui réponds en souriant. J’explique ensuite brièvement à mon ancienne professeur que j’ai lâché mes études et que je bosse ici finalement, je ne sais pas pour combien de temps. Peut-être que dans quarante ans je serai toujours derrière ce bureau, qui sait ? Lys, puisqu’elle préfère cela à madame, je comprends, ne fait pas de remarque sur l’échec de mes études mais je me dis qu’elle ne doit pas être si indifférente que ça. J’ai fini le lycée avec de grandes ambitions avant de les revoir à la baisse en restant à Bowen, idée de merde, et finalement j’ai revu encore plus à la baisse en lâchant complètement. « Pas très longtemps, ça va faire un mois dans quelques jours. Mais je vais pas t’embêter avec tout ça. Tu veux que je scanne tes livres ? » demandais-je alors. Je n’ai pas envie d’étaler mes problèmes à quelqu’un qui est juste venue pour emprunter des bouquins.

C’était toujours un peu bizarre quand on passait de l’autre côté de la barrière. Moi-même, cela me faisait toujours quelque chose de revoir des élèves qui avait quitté le lycée. Je n’étais pas prof depuis longtemps mais cela me faisait me rendre compte du temps qui passait. Ce n’était pas foncièrement quelque chose qui m’obsédait en soi, le fait de prendre en âge, pour moi, était au contraire synonyme d’expériences, de vie, de sagesse. Je souris à mon ancienne élève et en profitait pour lui demander depuis combien de temps elle travaillait à la bibliothèque. Quand elle me répondit, mon sourire s’élargit.
— Tu ne m’embêtes pas, lui assurai-je, ça m’intéresse de savoir ce que tu deviens.
Je lui tendis les livres que j’avais choisi d’emprunter, et tandis qu’elle les enregistrait, j’ajoutai :
— Si ça te dis, on peut boire un verre, ou…un café ou peu importe. Enfin, si tu veux. Pour discuter.

Même si je n’ai pas toujours été l’élève la plus facile à gérer, madame Kickett, enfin Lys, a toujours été sympa avec moi. Ça se voit que c’est quelqu’un de bien, une vraie personne sympa et qui aime ses élèves. Pas comme certains profs que j’ai pu avoir et qui clairement ne mettaient aucune passion dans leur cours et donnaient l’impression d’être en train de subir une torture à chaque heure qui passe. Avec eux non plus je n’étais pas forcément tendre et il me le rendait bien. J’étais le genre d’élève grande gueule qui s’est fait virer plusieurs fois de cours pour insubordination ou insolence. Ça n’a pas trop changé maintenant, sauf que je ne suis plus élève. Je me demande d’ailleurs comment j’ai fait pour bosser pendant deux ans au Shake Shack sans me faire virer. Je crois que je tenais un peu trop à mon indépendance financière et que ça m’a aidé à la fermer même quand j’en n’avais pas envie. Je lui souris avant d’attraper ses livres pour les scanner, j’en profite pour regarder un peu ce qu’elle a pris. Qui sait la prochaine fois je pourrais peut être la conseiller ? Même si bon elle doit avoir beaucoup plus de connaissances que moi en littérature. « Oui pourquoi pas...ça pourrait être sympa. » Et puis qui sait, je pourrais la voir autrement que comme mon ancienne prof, elle a l’air sympa et si elle passe régulièrement à la bibliothèque on pourrait finir par devenir amies. Je pense comme un personnage de téléfilm, j’ai l’impression d’être une désespérée des relations. « J’ai pas mal de temps libre maintenant que je fais plus d’études. » Vu que je travaille qu’à mi-temps j’ai tout le loisir de faire d’autres choses comme réfléchir à quoi faire de ma vie.

Je n’étais pas destinée à être prof au départ. Ce job s’était présenté à moi assez naturellement, un ami de mon père, voyant que je peinais à décoller avec mon art, à l’époque, s’était souvenu du diplôme de littérature que j’avais passé et m’avais proposé le poste. J’aimais enseigner, transmettre, mais ce que je préférai dans mon rôle de professeur, c’était ce lien qui se créait parfois avec les élèves. Quand on savait prêter une oreille, on devait parfois plus qu’un simple prof au regard de certains adolescents. J’appréciai d’apporter mon aide, à mon échelle.
Vega bipa les livres que je souhaitais emprunter, puis mes les rendis. Je la remerciai et les rangeai dans mon tote bag.
— Ca me ferait plaisir, ajoutai-je en souriant à mon ancienne élève.
J’attrapai un prospectus et y griffonnai mon numéro de téléphone avant de le tendre à Vega.
— N’hésite pas à m’écrire, ou à m’appeler si jamais !
Je lui souris à nouveau, puis la laissai à son travail, espérant sincèrement qu’elle prenne ma proposition de boire un café au serieux.

On clôture ici ?

Je me dis que d’aller boire un café avec Lys ça me permettra peut-être de la voir autrement que comme mon ancienne prof. A présent je ne me formalise pas autant de ce genre de choses, je m’en fiche que certaines personnes aient pu être mes profs ou être prof quand j’étais étudiante mais Lys m’a connu avant que je sois réellement celle que je suis aujourd’hui. J’avais déjà mon caractère bien trempé et je ne retenais pas ce que j’avais à dire mais j’avais encore inconsciemment beaucoup de barrière. Elle attrape un morceau de papier pour y inscrire son numéro tandis que je lui redonne ses livres. Je lui souris avant de dire « Je n’oublierais pas ! » Et pour être sûr que ça ne soit pas des paroles en l’air, dès qu’elle est partie je rentre son numéro dans mon téléphone et je note de lui envoyer un sms dans ma to-do. Bon je vais rarement voir ce qu’il y a dans cette liste parce que je suis pas une grande adepte de l’organisation mais au moins c’est noté quelque part.

hj : oui