J'ai jamais dit que je m'en sortirais sans toi [Isling]

Un mois s'était écoulé depuis qu'Isaiah était parti de la maison. Les nausées de la jeune femme avaient commencées. Surtout le matin. Elle essayait de faire bonne figure, de ne rien dire, de ne rien montrer. Que ce soit avec sa fille, ses connaissance, ou au travail. Seul Perry était au courant de la situation.

Pendant ce mois-ci, elle avait envoyé quelques messages à Isaiah, pour s'assurer que tout allait bien de son côté, et pour le rassurer la concernant, elle et Siobhan. Mais elle n'avait pas trouvé le courage d'aller le voir. A chaque fois qu'elle se levait avec cette idée en tête, elle sentait sa gorge se serrer, une boule se créer dans son ventre. Elle était terrorisée de l'issue de cette conversation. Oui, aujourd'hui encore elle l'était. Mais elle ne pouvait plus repousser ce moment indéfiniment. A un moment... Oui, à un moment ça allait se voir. Les gens allaient finir par lui poser des questions, et il faudrait bien qu'elle trouve quelque chose à répondre. Et surtout, ça risquait d'arriver jusqu'aux oreilles d'Isaiah, et il méritait tout de même que ce soit elle qui lui dise, pas de l'apprendre par de stupides rumeurs.

A la porte de sa caravane, elle espérait sincèrement qu'il soit là. Parce que sinon quoi ? Est-ce qu'elle devrait s'asseoir là et attendre qu'il revienne ? L'appeler ? C'était tellement difficile. Elle sentait ses jambes trembler alors qu'elle toquait. Deux coups, doucement. Son petit poing de crispait. S'il était là, est-ce qu'elle arriverait à trouver les mots ? Elle posa la main sur son ventre qui ne se voyait pas encore. Pas alors qu'elle était habillée en tout cas. Elle entendait son cœur battre si fort. Est-ce que son bébé le sentait aussi ? Est-ce que ça pouvait lui faire du mal ? Le stresser ? Est-ce que... La blonde leva la tête en entendant la porte s'ouvrir, sursautant.

-Isaiah...

Elle se mordit la lèvre. Elle devait garder son sang-froid, ne pas paniquer, même si ce n'était pas sa spécialité.

-Salut, est-ce que ça va ?

Il n’aurait jamais pu prédire ça, Isaiah. Il n’aurait jamais cru qu’une simple remise en question, une simple discussion à peine effleurée sur ses doutes, aurait pu les faire tomber à ce point. Et ils n’étaient pas tombés ensemble. Ils étaient tombés chacun de leur côté, à une distance qui ne leur ressemblait pas. Pendant toutes ces années, jamais ils n’avaient passé un aussi long moment sans se voir. On aurait pu se douter que ça arrive un jour advenant le cas que l’artiste parte en voyage. Mais ce n’était même pas ça. Il était parti, parfois, jamais plus d’une semaine et jamais à l’autre bout du monde. Et même si l’espace caravaning n’était pas à l’autre bout du monde, il était à l’autre bout de Bowen et pour le couple de plusieurs années, c’était du pareil au même. Cette distance ne se calculait pas en kilomètres, elle se calculait en manque. Elle se ressentait. Aisling lui manquait, terriblement, mais Isaiah s’était promis de lui laisser de l’espace mais de se laisser du temps, à lui aussi. Pour une fois, il se montrait bienveillant envers lui-même également et se donnait le droit de vivre ses émotions. Le jeune homme ne comprenait pas pourquoi leur discussion avait pris une telle tournure et même un mois plus tard, il lui manquait cette information-clé. Ils s’étaient envoyé quelques sms, jamais bien longs puisqu’Aisling connaissait les réticences d’Isaiah par rapport à ce mode de communication. Juste assez pour qu’ils se tiennent au courant, un peu, de ce qui se passait dans la vie de l’autre. Juste assez pour savoir qu’ils pensaient constamment l’un à l’autre et qu’ils s’aimaient. L’ébéniste était en train de vernir une petite commande – tous ses gros meubles entamés étant encore dans l’atelier, au sous-sol de la maison qu’occupait Aisling – quand on toqua à la porte de la caravane. Cette caravane qu’il n’avait plus occupée de manière permanente depuis qu’il avait déménagé avec Aisling et Siobhan. Il se leva et alla ouvrir, s’attendant à voir un de ses voisins de van. Mais non. C’était elle. C’était Aisling. « Ais’ … » Un mois sans la voir, ça le fracassa tout d’un coup. Il avait l’impression que quelque chose avait changé, même, alors que c’était pourtant ridicule comme idée. Elle n’avait pas pu changer en si peu de temps. « Maintenant, ça va. » Lâcha-t-il, parce que le dernier mois n’avait pas été facile, il avait été plus dur encore que ceux qui l’avaient précédé. « Et toi ? » Demanda-t-il. Ils avaient l’air de ne plus savoir comment se comporter, comme s’il fallait qu’ils réapprivoisent les cinq dernières années.  

Un sourire étira les lèvres de la jeune femme. Il allait bien maintenant ? Est-ce que c'était parce qu'elle était là ? Ca la consolait. Ca lui rendait le sourire. Il ne la détestait pas. Elle n'en doutait pas vraiment mais... Elle avait eu peur. Peur que les choses changent après autant de temps, peur qu'il se rende compte qu'il était bien mieux sans elle. Pendant une petite seconde, elle était plus légère.

Elle se rapprocha et l'enlaça, posant sa tête contre son épaule, le serrant un peu plus fort encore. Être séparé de lui était si douloureux, elle ne voulait plus jamais que ça arrive. Elle voulait rester à ses côtés, qu'il continue à calmer ses angoisses et son côté impulsif, qu'il lui fasse voir le bon côté de la vie, et qu'il lui la convainc de laisser sa chance à la vie.

-Ca ira.

Elle recula d'un pas, essuyant les larmes qui avaient commencé à couler au coin de ses yeux.

-Je... Il faut que je te parle de quelque chose.

Elle leva ses yeux clairs vers les siens.

-Est-ce qu'on peut s'asseoir à l'intérieur ?

Elle avait besoin d'être assise, pour être sûre de ne pas s'écrouler si ses jambes la lâchaient.

Bien sûr que c’était parce qu’elle était là, que maintenant il allait mieux. Bien sûr que c’était parce qu’elle était face en lui en chair et en os qu’il avait l’impression de pouvoir respirer à nouveau. Isaiah n’avait jamais été vendu à l’amour avec le grand A mais ce qu’il avait développé avec Aisling était plus grand que tout ce qu’il aurait pu un jour imaginer. Il avait besoin d’elle. Peu importe où il se trouverait sur cette Terre il aurait eu besoin d’elle. De voir un sourire naître sur le visage de la blonde, ça lui rappela tout ce qu’ils avaient et ça brouilla toutes les cartes qu’il cherchait à démêler pour comprendre ce qui avait bien pu se passer entre eux. Il savait que les propos qu’il avait tenu étaient inattendus, difficiles. Mais il n’aurait jamais cru que ça les propulserait dans un tel tourbillon de remises en question. Il sentait qu’il y avait quelque chose de plus, de bien plus profond, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il entoura Aisling de ses bras quand elle l’enlaça, retrouvant son odeur et la douceur de sa peau. Il ferma les yeux avant de les rouvrir quand elle recula d’un pas. Il la regarda, soucieux. « Oui, je pense qu’il faut tous les deux qu’on se parle, quoi. On a mis assez de temps, pas vrai ? » Mais il avait comme l’impression que ce n’était pas nécessairement la suite logique de leur conversation qui les attendait. Quand Aisling lui demanda s’ils pouvaient s’asseoir à l’intérieur, il comprit que ce quelque chose sur lequel il n’arrivait pas à mettre le doigt, il le verrait bientôt dans toute sa clarté. « Bien sûr, bien sûr. Viens. » La porte s’ouvrant de l’extérieur, il descendit la marche de sa caravane pour laisser Aisling passer la première, puis il la suivit en refermant la porte derrière lui. Ça empestait le vernis à plein nez, là-dedans. « Désolé pour l’odeur, j’vais aérer un peu. » Il ouvrit les deux fenêtres glissantes avant d’aller rejoindre Aisling sur la petite banquette en face de celle où elle avait pris place. La petite table à manger les séparait.

Sentir les bras d'Isaiah autour d'elle lui donnait une sensation de bien être qu'elle n'aurait jamais cru atteindre un jour. Elle n'aurait jamais cru pouvoir dépendre de quelqu'un de cette façon, ou plutôt, que son bonheur dépende de qui que ce soit. Elle pensait trouver tout ce dont elle avait besoin dans l'alcool et le sexe, mais le néozélandais lui avait montrer le chemin vers autre chose. Il l'avait changé, à la façon que sa mère avait changé son père, ce changement qui lui faisait si peur et qui l'avait finalement aidé à atteindre un bout de bonheur. Elle resta contre lui plusieurs secondes, elle avait l'impression d'être de nouveau à la maison. Reculant finalement, elle acquiesça d'un signe de tête à ses paroles.

-Un peu trop de temps, j'imagine.

Elle voyait bien dans le regard d'Isaiah qu'il ne comprenait. Il ne comprenait pas que c'était elle qui avait quelque chose à lui dire, et pas simplement une explication qu'ils devaient avoir à deux. Et en même temps, comment l'aurait-il su ?

Elle finit par entrer dans la caravane, le vernis sentait fort, mais ça ne l'indisposait pas plus que ça. Ce qui lui donnait le plus des hauts de cœur, c'était les odeurs de nourriture. Elle s'installa sur la banquette tandis qu'Isaiah aérait. Elle jouait nerveusement avec ses doigts. Elle avait beau avoir retourné le problème dans tous les sens, elle ne trouvait pas de manière adéquate de lui avouer.

-Ce n'est rien.

Elle lui sourit finalement alors qu'ils s'installait à ses côtés. Le regard clair de la jeune femme se faisait d'abord fuyant.

-Je... Je sais que je n'ai pas réagit comme je l'aurais dû. Tes doutes sont légitimes et j'aurais dû t'écouter, essayer de comprendre, et trouver ce qui aurait pu t'aider à te sentir mieux. Mais...

Elle plongea finalement son regard dans le sien alors que des larmes glissaient au coin de ses yeux.

-Je m'étais toujours imagine que le jour où je t'annoncerais que j'étais enceinte serait un de tes plus beaux jours de ta vie, et en t'entendant j'ai compris que ce ne serait pas le cas. Ca m'a fait tellement mal Isaiah...

Elle essuya sa joue d'une main avant de prendre une grande inspiration. Elle décrocha ses yeux bleus des siens pendant quelques instants, serrant ses mains l'une contre l'autre.

-Isaiah...

Elle releva son regard plein de détresse vers lui.

-Je suis enceinte.

Les secondes s’égrenaient sans qu’Isaiah et Aisling ne les comptent. Cette étreinte aurait pu durer plusieurs minutes, sans doute que ni l’un ni l’autre n’aurait voulu y mettre fin. Pourtant, c’est tout naturellement qu’ils s’éloignèrent, une décision involontaire mais commune d’avancer dans les étapes de ces retrouvailles. Elles ne seraient pas faciles. S’ils avaient mis autant de temps, un mois complet sans se revoir, c’était parce que les blessures avaient été plus profondes qu’à l’habitude. « Ouais, je sais. Je peux même pas expliquer tout ce temps qui a passé … On en avait besoin, j’imagine. » Ils imaginaient beaucoup mais au fond, peu importe, le temps s’était écoulé à présent et il était temps d’en revenir là où ils s’étaient laissés le mois dernier. Ils avaient pu prendre du recul sur la situation, c’était au moins ça de gagné. Leur conversation serait bien moins courroucée que la dernière fois. En tout cas, il l’espérait. Les deux amoureux rentrèrent finalement dans la caravane qui empestait le vernis. Isaiah s’affaira à aérer l’espace en ouvrant les quelques fenêtres qu’il avait là-dedans. « J’attendais personne aujourd’hui vraiment alors j’ai pas trop fait attention. » Continua-t-il, se confondant encore en excuses alors que pourtant, Aisling ne semblait pas incommodée plus que ça par l’odeur. Si son regard était troublé malgré son sourire, c’était pour une raison bien plus importante. Isaiah la rejoignit enfin sur la banquette, prêt à l’entendre, prêt à s’exprimer lui aussi, même s’il n’avait rien prévu. Ce n’était pas trop son genre de prévoir, de toute façon, ni pour les visites, ni pour les discours qu’il allait tenir. De toute façon, la blonde se lança la première. « Ça ne veut pas dire que ce ne serait pas le cas, Ais’, j’ai pas … » Elle l’interrompit après avoir essuyé sa joue d’une main, lâchant juste son prénom pour commencer, pour qu’il s’arrête dans sa tirade qui aurait pu s’éterniser et lui enlever tout le courage de poursuivre dans ses confidences. Isaiah se tut et l’écouta. Et son cœur chavira. Il aurait pu s’imaginer tous les scénarios possibles que jamais, jamais, celui-là ne se serait profilé dans sa tête. « Oh, Ais. » Ses yeux s’embuèrent de larmes. « Tu le savais, ce jour-là, pas vrai ? Tu le savais déjà. » Réalisa-t-il. Sa voix se cassa. « Et moi j’t’ai sorti ça alors que tu savais que t’étais enceinte. Oh, Ais. » Répéta-t-il alors que les larmes quittaient ses yeux pour s’enfuir sur ses joues et tomber vers le vide. Il eut un rire, un sourire, d’autres sanglots. Il secoua la tête. « J’sais même pas si j’pleure de honte et de culpabilité ou bien de joie. » Un peu de tout ça. Mais ils avaient encore bien des choses à dire pour tout démêler.

Le début de la phrase d'Isaiah débordait de douceur et de naïveté. Si, dans la situation actuelle, ça voulait précisément dire qu'ils ne feraient pas les bonds de joie qu'elle espérait depuis tous ces mois passés à essayer de tomber enceinte. Et c'est ce qu'elle finit par lui avouer. Sa grossesse. Sa grossesse réelle, pas fantasmée, pas future, mais bien maintenant. Et il en sembla décontenancé. Mais c'est plutôt le contraire qui aurait été étonnant après tout, n'est-ce pas ? Les yeux bleus d'Aisling s'étaient ancrés dans ceux de son amoureux. Elle y cherchait sa réaction, parce que son coeur ne tenait plus face à tant d'incertitude. Qu'est-ce qu'il pourrait bien ressentir ? Est-ce qu'il l'accepterait ? A contrecœur ? Est-ce qu'il refuserait cette paternité ? Ses yeux se baissèrent finalement, un peu honteuse, alors qu'elle le sentait bouleversé.

-Oui je... Je venais de faire le test. Je venais te l'annoncer.

Elle releva finalement la tête vers lui alors qu'il réalisait. Elle prit ses mains dans les siennes, les serrant fort. Elle ne voulait pas qu'il se flagelle, elle n'était pas venue pour ça.

-Tu ne pouvais pas le deviner.

Aisling était probablement presque aussi chamboulée qu'Isaiah en ce moment-même. Si lui ne savait pas vraiment ce qu'il ressentait... Est-ce que c'était bon ou mauvais signe ? Comment elle, elle pourrait le savoir mieux que lui ? Son coeur se serra. Elle avait peur. Elle serra un peu plus fort les mains d'Isaiah dans les siennes.

-Si jamais tu as besoin que je te laisse seul pour... y réfléchir ou juste... encaissé. Je... Je peux comprendre.

Des mois à essayer, à espérer que les deux lignes s’affichent après quelques interminables minutes d’attente dans la salle de bain. Maintes et maintes déceptions. Aisling et Isaiah en étaient même venu à prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste, pour elle comme pour lui, pour qu’ils s’assurent qu’ils pouvaient en avoir un, enfant. Ensemble. Pendant tout ce temps-là, pour Isaiah n’avait-il pas eu ce déclic ? Pourquoi ça lui avait pris autant de mois et de désillusions pour en venir à la conclusion qu’il n’avait pas envie de mettre un enfant au monde dans un monde malade ? Ça leur aurait évité bien des tristesses, bien des attentes déçues. Ça leur aurait évité cette dispute et ce long mois sans elle à ses côtés. Il avait fallu qu’il attende juste un peu trop. Au moment où enfin leur rêve commun se concrétisait. Et Isaiah avait tout envoyé revoler dans les airs comme de la vulgaire poussière. Aisling lui confirma le pire : cet après-midi-là, dans son atelier au sous-sol, elle venait lui annoncer, à ce moment précis, qu’elle était enceinte. Elle-même venait tout juste de l’apprendre, quelques minutes auparavant. « Tu devais me détester. Moi en tout cas, je me déteste. Aisling, je m’en veux tellement … De t’avoir volé ce moment-là. » Il le leur avait volé à tous les deux. Quelle aurait été sa réaction, ce jour-là, si elle avait fait fi de ses doutes et de ses craintes et qu’elle le lui avait annoncé quand même ? Isaiah n’en avait aucune idée. Ils ne le sauraient jamais. La blonde prit ses mains dans les siennes et les serra. Cela fit pleurer davantage Isaiah, qui n’aurait même pas daigné se regarder dans un miroir à ce moment-là. « Je pouvais pas le deviner mais je savais qu’on était dans le processus. J’savais que tu pourrais me l’annoncer à peu près n’importe quand. J’aurais jamais dû attendre avant de t’en parler. » Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Auraient-ils cessé d’essayer ? Auraient-ils eu une conversation plus adulte, plus ouverte, qui lui aurait permis de réaliser qu’il la voulait, sa petite famille ? Parce qu’il la voulait. Il avait envie d’être égoïste pour une fois et de se faire plaisir malgré ses convictions. « Non, non. Ne repars pas. S’il-te-plaît. On a déjà été assez seuls ces dernières semaines. J’ai besoin de toi. » Affirma-t-il. C’était le chaos dans son cœur mais une chose était certaine : il aimait Aisling, et il aimait cet enfant qu’elle portait pour eux. Mais comment le lui dire sans qu’elle ne pense qu’il faisait juste se plier face à la vie ?

La blonde baissa les yeux quelques instants aux mots d'Isaiah. Elle n'allait pas lui mentir. Il le devinerait bien trop facilement si elle le faisait de toute façon. Puis, de toute façon, dans cette situation, ce serait malsain de lui cacher ses sentiments.

-Sur le moment, je t'en ai beaucoup voulu, oui. J'étais en colère et... Je ne savais pas quoi faire pour gérer ça.

Elle passa une main dans ses cheveux blonds.

-C'est sûrement pour ça que j'ai mis autant de temps à franchir le pas.

Elle esquissa un maigre sourire.

-J'ai l'habitude que tu sois là pour m'aider à décider quoi faire. Et là, j'étais perdue.

Elle caressa tendrement les mains d'Isaiah. Elle n'était pas venue là pour le culpabiliser.

-Mais je sais que tu n'as pas voulu me blesser.

Elle haussa doucement les épaules.

-Tu ne pouvais pas savoir.

Elle lâcha ses mains pour venir tendrement essuyer ses joues. Elle n'avait jamais voulu le faire pleurer et elle sentait son cœur se serrer en le voyant dans cet état. Sans doute que ses hormones de grossesse ne l'aidaient pas vraiment à passer au-dessus de tout ça.

-Ce n'est pas un sujet facile à aborder...

Non, il n'aurait pas dû attendre. Mais lui aussi avait eu peur, non ?

Elle sentit son cœur rater un battement alors qu'il prononçait ces mots : j'ai besoin de toi. Elle avait toujours mis un point d'honneur à ce que personne n'entre dans sa vie, Aisling, à ce que personne ne compte pour elle, et qu'elle ne compte pour personne. Et pourtant, elle se rendait compte, aujourd'hui, qu'il n'y avait pas sensation plus agréable que de se sentir importante pour quelqu'un. Elle embrassa tendrement les doigts d'Isaiah qu'elle serrait dans les siens. Il le savait, son amoureux, qu'il était difficile pour elle de se montrer vulnérable.

-Moi aussi, j'ai besoin de toi. Je veux que tu reviennes à la maison.

Le contraire de ce qu’avouait Aisling aurait étonné Isaiah. C’était une situation délicate, inattendue, à laquelle personne ne peut se préparer d’avance. Surtout qu’ils parlaient de cette grossesse, tant espérée, depuis des mois. Il avait l’impression d’avoir laissé tomber Aisling. Ce n’était pas seulement une impression, en fait. Il l’avait laissée tomber. Et ça lui crevait le cœur de l’apprendre aujourd’hui. Il ne pouvait que comprendre tout son désarroi et sa colère du moment. Si, ce jour-là, Isaiah lui en avait voulu de se braquer et de ne pas être là pour lui, aujourd’hui, il comprenait d’où ça venait. L’ébéniste rebondit sur les propos de la blonde. « Ce qui s’est passé c’est que moi aussi j’étais perdu. Tu sais … Moi aussi j’ai l’habitude d’être là pour aider, toi, ou n’importe qui, vraiment … J’ai passé une bonne partie de mes relations à essayer de guider les autres, en leur posant les questions qui les faisaient cheminer, en les épaulant. Enfin, tu sais déjà tout ça. » Il baissa les yeux, pour une courte pause. « Mais ces derniers mois j’me suis rendu compte que j’me suis campé dans ce rôle-là et que ça n’a jamais été l’inverse. Les gens viennent vers moi pour une oreille, une épaule, des conseils. Ça a été mon tour. Et je ne savais pas où je pouvais aller. » Admit-il. Pourtant, cette personne-là, elle était droit devant lui. Mais pour des remises en question aussi délicates, il n’avait pas trouvé assez vite comment l’aborder avec elle. Et il n’avait pas su vers qui se tourner pour ces conseils qu’il ne trouvait pas en lui. Quelques minutes plus tard, Aisling proposait de partir s’il avait encore besoin de temps et d’espace. Sans hésiter, Isaiah refusa qu’elle s’en aille. Il avait besoin d’elle. Et elle besoin de lui. La blonde voulait qu’il revienne à la maison, et rien que d’entendre ça, il eut l’impression qu’un poids énorme se soulevait de sur ses épaules. Il se sentait moins lourd. Il se sentait plus … lui. Un sourire se dessina sur ses lèvres, avec un bref rire de soulagement alors que son regard continuait de briller d’émotions. « J’aimerais beaucoup ça aussi. On rentre ensemble ? » L’avantage de sa caravane, c’est qu’il pouvait démarrer et tout emmener sa petite vie avec lui. Peut-être que partir était plus facile, comme ça. Mais revenir aussi.

Ses yeux bleus se levèrent vers ceux d'Isaiah.

-Je...

Elle ne savait que dire tant elle se sentait nulle. Elle aurait voulu être cette personne qui épaulait Isaiah quoi qu'il arrive, et aux yeux de son amoureux, ce rôle n'était même pas une évidence. A quoi est-ce qu'elle servait, Aisling ? Pour lui, qu'est-ce qu'elle lui apportait, elle qui n'était même pas capable d'être son soutien ?

-Evidemment que j'aurais été là pour toi, je veux dire, dans n'importe quelle autre situation... Je... Je n'aurais sûrement pas été à ta hauteur, je ne suis pas vraiment douée mais j'aurais tout fait pour que tu puisses aller mieux.

Est-ce qu'il en doutait ?
Elle était troublée, Aisling. Parce qu'il s'agissait d'un mélange de beaucoup d'émotions. Mais, au moins, elle était certaine qu'Isaiah ne la repousserait pas, qu'il ne lui demanderait pas d'avorter, et qu'au moins, il serait là. Même si les choses seraient probablement difficile au début, et qu'ils se poseraient encore plein de question.
Elle lui sourit et acquiesça d'un signe de tête, serrant un peu plus ses mains dans les siennes.

-Evidemment.

Elle baissa les yeux, n'osant pas vraiment insister sur le sujet, qui pourtant, lui paraissait crucial.

-Est-ce que... est-ce que tu es quand même heureux ?

Il se sentait nul à son tour, pour la énième fois ce mois-ci, alors qu’il venait de sous-entendre qu’il ne pouvait pas se tourner vers Aisling pour des conseils ou pour une épaule. Et pourtant, il le savait trop bien, au fond de lui, qu’elle était l’oreille tendue vers lui, qu’elle ne l’aurait pas reviré de bord dans le jugement. C’est juste que ce sujet-là, celui qui le tiraillait depuis des mois, il était trop sensible et trop délicat entre eux deux. Ça les regardait trop, il n’y avait pas de distance émotionnelle. Il aurait préféré trouver une écoute neutre avant de se lancer dans cette discussion avec Aisling. Mais il n’avait pas su trouver le courage pour en parler aux autres. Il se rendait compte, Isaiah, qu’il était bien seul même alors qu’il donnait l’impression d’être tant entouré. C’était la première fois, à part durant son enfance, qu’il restait assez longtemps à une même place pour tisser des liens durables, et pourtant il ne s’était jamais senti autant à l’écart. Même en vagabondant aux quatre coins du monde, il avait eu l’impression d’entretenir davantage de relations. Ce mois sans Aisling lui avait fait comprendre qu’elle était sa famille, qu’elle était ce qu’il avait de plus cher, avec Siobhan. Et il avait risqué de tout perdre pour des réflexions profondes et accablantes. « Je le sais, je m’en rends compte maintenant. Je me sens stupide. J’ai jamais été confronté à ce genre de … de dilemme, peu importe comment on peut appeler ça. J’ai jamais eu à réfléchir à quelque chose d’aussi personnel … J’ai pas su comment bien le gérer. » Isaiah il parlait haut et fort lorsqu’il s’agissait de ses convictions, de ses points de vue politique, de son souci de l’environnement. Il était prêt à se battre pour le bien commun. Mais pour son bien à lui, son petit nombril ? Il n’avait pas l’habitude de se le regarder. Au moins, tout n’était pas perdu entre eux. Aisling lui proposait de rentrer à la maison, ensemble, acquiesçait-elle. Isaiah sourit, avant que son regard ne s’embrouille de nouveau alors qu’elle lui demandait s’il était quand même heureux. « Oh, Ais … » Il essuya une larme. « Je suis désolé que t’en doutes. » Il avait effectivement réagi avec énormément de confusion. Peu de réaction. « Bien sûr. Bien sûr que je suis heureux. On a créé un p’tit bout d’humain. » Il attrapa ses mains par-dessus la table, les entourant dans les siennes. Son sourire s’agrandit enfin. « And that kid will grow up to be an amazing human. »

Aisling serait bien injuste d'accabler Isaiah parce qu'il n'avait pas su gérer un problème. Elle... Elle gérait toujours les choses de la pire des manières. Il y a quelques années en arrière, quand quelque chose n'allait pas comme elle le voulait, elle se contentait de tout faire exploser. Que tout parte en vrille, c'était sa seule réponse. Elle eut un petit soupire, baissant le regard. Sans doute que ce fiasco total aurait pu être évité. Peut-être aussi pouvaient-ils tirer quelque chose de bénéfique de tout cela.

-J'imagine que je n'aurais pas su comment gérer ça non plus. Je ne suis peut-être pas la meilleure pour... communiquer.

Les problèmes n'existaient pas, si on en parlait pas. Quelque chose comme ça.

Un sourire étira le coin des lèvres de la jeune femme alors qu'Isaiah lui assurait être heureux d'avoir "créé ce petit bout d'humain". Elle était incroyablement soulagée. Ses mains dans les siennes, elle caressaient tendrement ses doigts. Elle secoua vigoureusement la tête de haut en bas alors qu'elle aussi, un larme commençait doucement à couler.

-Evidemment qu'il sera génial puisque tu es le père.

Son père biologique, mais également la personne qui l'élèvera, avec elle. Et on ne pouvait rêver mieux pour un enfant que d'avoir un père plein de principes et de douceurs pour Isaiah. Aisling, elle, serait là pour lui apprendre à se défendre face à ceux qui l'embêteront. Il fallait bien qu'elle serve un peu à quelque chose.

Elle se pencha légèrement en avant pour déposer un baiser sur le front de son amoureux.

-J'ai hâte qu'il... ou elle, soit là.

Ils avaient chacun leurs forces et leurs faiblesses, des trucs sur lesquels travailler un peu plus que d’autres. Il est vrai qu’entre les deux, c’était généralement Isaiah qui avait eu les meilleures méthodes de communication, les meilleures approches vers un problème puis vers une solution. Cette fois cependant, il avait fauté, mais il ne fallait pas s’accabler outre-mesure, l’erreur était humaine. Et c’était bien la preuve qu’Isaiah n’était justement que ça, un humain, comme les autres. Il s’était peut-être toujours un peu trop mis la pression d’être l’idéal qu’il entrevoyait de l’Homme. « Au moins on le gère, là. C’est mieux un peu plus tard que jamais … » Ce mois avait été long mais finalement, peut-être leur avait-il donné assez de recul pour arriver à converser avec toute la douceur qu’on leur connaissait lorsqu’ils s’adressaient l’un à l’autre. Il avait également donné le temps à Isaiah de se poser un peu mieux, et d’être prêt à accueillir la nouvelle que lui annonçait maintenant Aisling. Elle attendant un enfant. Il allait être père, pour la toute première fois. Et si son regard ne convainquait peut-être pas assez la blonde, il aurait suffi qu’elle voit son cœur exploser dans sa poitrine pour qu’elle n’ait aucun doute de son bonheur. « Et puisque t’es sa mère. Et puis il aura une grande sœur géniale comme inspiration. » Isaiah sourit. Il ne voulait pas dire comme modèle à suivre parce qu’il était encore profondément convaincu qu’on n’avait pas à suivre les autres dans la vie, qu’on pouvait s’en inspirer mais surtout pas marcher dans les mêmes traces sans se poser de questions. Siobhan allait être une référence exceptionnelle pour leur enfant, cela dit. Aisling se pencha vers son petit ami et déposa un baiser sur son front. « J’ai hâte aussi de le, ou la rencontrer. » Il esquissa un sourire avant de prendre un air faussement trop sérieux. « Promets-moi, pas de gender reveal. » Il trouvait ces célébrations dérangeantes.

Elle était sa mère, certes, mais ça, ça donnait plus d'handicap qu'autre chose. Elle était une mère qui se plaignait de ne pouvoir ni fumer ni manger ce qu'elle voulait pendant sa grossesse. Bref, elle était loin d'être une mère modèle. Certains pouvaient même douter de l'amour qu'elle avait à donner. Pourtant, avec Siobhan, elle avait appris, et elle avait compris le bonheur d'avoir un enfant.

-C'est vrai. Je suis sûre que Sio' sera très heureuse aussi.

Après tout, sa fille commençait à avoir l'habitude des autres enfants, et notamment de partager son papa, vu qu'elle n'était pas la seule fille de Perry.

L'horizon semblait s'être dégagé, et à présent, il lui semblait que cet enfant n'arriverait jamais assez vite. Elle fronça légèrement les sourcils alors qu'Isaiah semblait devenir sérieux, ce qui était assez surprenant, et pencha la tête sur le côté, intriguée. Elle eut un petit rire à ses mots et secoua la tête.

-Je n'avais pas vraiment penser à ça.

Elle glissa une main dans ses cheveux blonds.

-Tu sais... ça ne me gène pas si on ne demande pas le sexe avant la naissance. Ce n'est pas comme si on allait peindre la chambre en rose ou en bleu alors...