J'ai jamais dit que je m'en sortirais sans toi [Isling]

Elle n’était pas la seule, Aisling. Pas la seule femme enceinte à se plaindre de ne plus pouvoir manger de sushis, de charcuteries, de fromages. Pas la seule femme enceinte à devoir faire une croix sur la cigarette et l’alcool, à contre-cœur. Pas la seule femme enceinte à passer son temps à râler de ses nausées matinales ou de ses chevilles gonflées. Et toutes ces femmes-là étaient absolument en droit de le faire, c’était même plus que légitime. Isaiah accueillerait toutes les plaintes d’Aisling et il l’écouterait. Ce ne serait même pas une question d’endurer quoi que ce soit comme on l’entendait parfois au quotidien des futurs parents. Il ferait de son mieux mais c’était elle qui ferait le meilleur. « Est-ce qu’elle le sait, Sio, qu’elle sera grande sœur ? » Demanda Isaiah avec un sourire. Était-il le premier au courant ou bien Aisling avait-elle ressenti le besoin de le partager à d’autres, pendant ce mois de séparation ? Peut-être Perry était-il au courant, puisque c’était sa fille à lui qui aurait une jeune sœur ou un jeune frère. D’ailleurs, à propos du sexe de l’enfant, Isaiah supplia de ne pas avoir de gender reveal ou autre connerie du genre. Ça ne lui dérangeait pas de connaître le sexe de l’enfant pendant qu’il était encore dans le ventre d’Aisling, mais d’en faire tout un plat alors qu’au fond c’est l’enfant qui le saurait le mieux, qui il était, ça le dérangeait. La blonde proposa quand même qu’ils ne le demandent pas aux échographies, puisque de toute façon ça ne changerait rien à l’accueil qu’ils réserveraient au bébé. « On pourrait ne pas la peindre du tout, d’ailleurs. Les pièces de la maison sont très bien comme elles sont. » Ce serait des dépenses inutiles. Mais il se trouva nul dans sa manière de pensée. « Enfin, on personnalisera quand même un peu … » Et si Aisling désirait une couleur en particulier sur les murs, ils le feraient. Isaiah avait été assez trouble-fête ces derniers mois. « J’crois que j’aimerais bien qu’on se garde la surprise, oui. On n’aura qu’à choisir un prénom qui irait, peu importe. » Un prénom neutre, quoi.

A la question d'Isaiah, Aisling secoua la tête de gauche à droite. Non, elle n'avait encore rien dit à sa fille. L'information aurait fuité beaucoup trop vite si ça avait été le cas. Et puis... Elle ne pouvait pas le dire à Siobhan alors qu'elle était aussi incertaine de la suite.

-Non je n'ai rien dit à personne... A part à Perry.

Elle glissa une main dans ses cheveux blonds qu'elle remit en arrière.

-Je ne savais pas quoi faire et j'avais besoin d'en parler à quelqu'un.

Elle se doutait qu'Isaiah comprendrait et ne lui en voudrait pas. Mais elle voulait quand même expliquer le pourquoi du comment.

-On pourra l'annoncer ensemble à Sio.

Aisling eut un léger fou rire, ne s'attendant pas vraiment à ce que, très rationnellement, il fasse remarquer qu'ils n'avaient rien besoin de repeindre. Elle acquiesça d'un petit signe de tête. Il n'avait pas tort. A vrai dire, la décoration de la chambre, elle était loin d'y avoir réfléchi.

-J'imagine qu'il faudra rajouter des trucs de stimulation de bébé. Faudra que je lise de la documentation là-dessus...

C'était la seule façon qu'elle avait de se rassurer, Aisling. Oui, elle était déjà mère une fois, mais c'était surtout Perry qui s'était occupé de leur fille au tout début de sa vie. Elle avait donc pas mal de choses à rattraper. Et puis, elle pouvait au moins essayer de faire les choses bien pour un de ses enfants. Autant qu'elle le pouvait du moins. Elle leva la tête vers Isaiah et acquiesça de nouveau.

-Un prénom mixte. Il faudra juste qu'on tombe d'accord.

Elle lui tira la langue, taquine, faisant comme s'ils n'étaient jamais d'accord. Ce n'était pas vrai. Mais ils ne s'étaient encore jamais essayé à trouver un prénom.

Puisqu’il avait de lui-même pensé qu’Aisling en aurait peut-être parlé à Perry, Isaiah ne fut pas surpris. Un peu triste, mais pas surpris. Triste parce qu’il réalisait qu’il n’avait pas été mis au courant le premier alors que c’était lui le père, mais pour ça il ne pouvait en vouloir qu’à lui-même. Aisling avait eu raison d’en parler à Perry et il était même ravi qu’elle ait trouvé une oreille attentive pour l’entendre à ce moment durant lequel lui ne le pouvait pas. « T’as pas besoin de te justifier, Ais’, je comprends, et je suis content que tu l’aies fait. » La rassura-t-il donc avec un sourire et ses mains entourant les siennes. « On pourra le dire ensemble à Siobhan ? Ou bien tu préfères peut-être que ce soit fait avec Perry ? Je respecterai ce que vous voulez. » Il réfléchissait en même temps qu’il parlait alors les idées se bousculaient dans sa tête. Comment faire autrement ? Il venait tout juste d’apprendre cette grande nouvelle et il avait l’impression que sa tête était en ébullition. Mais c’était des bulles de plus en plus belles qui éclataient là-dedans, bien plus belles que celles du dernier mois. Aisling lui affirma que oui, ils pourraient l’annoncer ensemble à Siobhan, et cela fit naître un sourire comblé sur le visage de l’artiste. « J’ai hâte. » Hâte de vivre tout ça avec Aisling, hâte d’être enfin le père qu’il rêvait d’être depuis ses premières années d’adulte – il se demandait comment il avait pu douter de tout ça, maintenant.

Très vite ils sautèrent déjà dans les détails, ceux qui pouvaient attendre, mais ceux qui étaient aussi attendus par les futurs parents en général. La peinture et la décoration de la chambre, le sexe de l’enfant, son prénom. « On n’aura qu’à lire chacun plusieurs livres ou articles et on s’fait des résumés par la suite. » Isaiah voyait ça comme un projet, une belle activité à faire, assis sur le canapé à se lancer des faits et des informations divers. Isaiah savait que les premiers mois de vie de Siobhan avaient été un peu particuliers de la vision d’Aisling, alors cette fois ils prendraient le temps de vivre ces étapes-là avec leur fils ou leur fille, leur enfant. « Pourquoi, à t’entendre, j’ai l’impression qu’on n’aura pas trop des prochains mois pour se décider ? » Il rit. Il s’agissait de belles décisions à prendre, de toute façon, alors il n’était pas angoissé par cette idée. Ça prendrait le temps que ça prendrait et quand ils auraient trouvé le bon, ils le sauraient, ils le sentiraient.

Isaiah la rassura doucement quand elle lui avouait qu'il n'était pas le premier à savoir, mais seulement le deuxième. Elle lui sourit tendrement. Il était toujours si bienveillant, Isaiah. Elle ne connaissait personne qui l'était autant que lui. Et elle pouvait au moins lui concéder de le dire ensemble à Siobhan. Peut-être qu'elle devrait demander à Perry, mais de son point de vue, ce n'était pas à lui de choisir. Il n'était pas directement concerné par cette grossesse et cette naissance.

-J'espère qu'elle le prendra bien.

Il n'y avait pas de raison que ce soit le contraire mais... On ne pouvait jamais vraiment savoir, avec les enfants. Certaines n'aimait pas partager leurs parents. Siobhan avait l'habitude de partager son père, mais peut-être serait-elle frustrée de partager sa mère également. Elle espérait que ce ne soit pas el cas, et elle espérait être capable d'assumer deux enfants.

Ils tombèrent sur les aspects pratiques. C'était mélangé, fouillés, et probablement pas dans l'ordre. Peut-être qu'ils auraient dû attendre pour discuter de tout ce qui leur tenait à cœur, mais ils s'emballaient, Isaiah et Aisling.

-Une petite fiche de lecture !

Aisling eut un rire à cette idée.
Elle esquissa un petit sourire, haussant doucement les épaules.

-Je ne sais pas peut-être... parce qu'on est pas souvent d'accord.

Elle le regardait, taquine. Evidemment, elle exagérait un peu la situation.

-Je ne sais pas ça m'a l'air d'être une décision tellement importante.

Il était impossible de prévoir la réaction de Siobhan à propos de ce deuxième enfant qui habiterait avec eux. Elle avait certes déjà une grande sœur auprès de Penny, mais ce ne serait pas la même dynamique avec un bébé naissant. Penny s’occupait par elle-même et n’avait pas besoin de l’attention quasi-constante de Perry. Dans le cas de leur futur nouveau-né, Aisling allait passer pas mal de temps à le couver. Est-ce que cela engendrerait de la jalousie chez Siobhan, qui était habituée d’avoir toute l’attention et de sa mère, et d’Isaiah ? Ce n’était pas impossible. Tout comme il n’était pas impossible que ses instincts de grande sœur fassent rapidement surface et qu’elle prenne soin de son frère ou de sa sœur avec un amour inconditionnel, dès le départ. « Ça dépendra aussi de nous, de comment on l’aborde avec elle, autant avant, que lorsque notre petit bout d’humain sera né. » Parce que Siobhan continuerait d’exister, évidemment, et il ne faudrait surtout pas qu’elle se sente mise de côté. Isaiah aurait peut-être son propre enfant à ce moment-là, mais ça ne changerait aucunement sa manière d’être auprès de Siobhan. Il la considérerait tout autant, comme il l’avait toujours fait.

Aisling se moqua des fiches de lecture dont parlait Isaiah. Ce dernier rigola à son tour. « Hey ! Pourquoi ça te fait rire ? » Se défendit-il sans trop d’assurance. « Tu dois avoir l’habitude avec tes études universitaires. C’est moi qui aurai du mal à résumer ce que je lis. » Et elle pourrait encore plus rire de lui à ce moment-là. Heureusement, Isaiah était souvent dans l’auto-dérision. Ça ne servait à rien de pleurer sur son sort ou d’avoir honte. À propos des prénoms, la blonde mentionna que le choix à venir pouvait prendre du temps puisqu’ils étaient rarement en accord. « Tu trouves ? Tant que ça ? » S’étonna Isaiah, qui ne voyait aucunement la fréquente dualité dans leurs idées. « C’est vrai que c’est important. Alors on prendra le temps de bien prendre la décision. » Il sourit. « On rentre à la maison ? J’ai peur que les odeurs de vernis ne soient pas très bonnes pour toi … » Il s’inquiétait déjà. Il ne s’était pourtant jamais imaginé comme un grand protecteur ou comme un papa-poule.

Aisling hocha doucement la tête. Oui, bien sûr, ça dépendra de comment ils présenteraient les choses et surtout, de la façon dont ils continueraient de se comporter avec elle. Aisling n'avait pas l'intention de mettre sa fille à l'écart, elle espérait qu'elle serait assez forte pour s'occuper de ses deux enfants simultanément. Il fallait que Siobhan puisse avoir leur propre espace dans leur vie, et aussi qu'elle ait le droit de faire des activités avec le bébé, qu'elle ne soit pas "à part". Former une famille unie était probablement le prochain défi de la vie d'Aisling, et c'était un défi de taille pour une femme qui n'avait jamais vraiment eu la fibre maternelle.

-Oui... Mais je suis sûre que tu seras exceptionnel, comme toujours.

La blonde esquissa un sourire alors qu'ils évoquaient un résumé de leurs lectures respectives. Elle finit par hocha doucement la tête. Oui, elle avait l'habitude. Rien qu'avec sa thèse, elle avait passé de mois à lire des articles, et en extraire des parties, les résumés, pour affiner la bibliographie de son étude et ainsi partir sur certaines hypothèses pour son travail.

-C'est vrai, tu n'es pas un universitaire. Et je ne suis pas non plus sûre que tu es l'esprit de synthèse.

Elle le regarda, taquine.

-Mais, je suis sûre que ça ira, tu auras juste à surligner les informations importantes.

Ils commençaient à aborder le sujet prénom, qui, de point de vue d'Aisling serait certainement un point délicat. Mais Isaiah ne semblait nullement inquiet. Elle sourit, il était toujours là pour voir le positif et rester optimiste. Elle hocha doucement la tête de haut en bas.

-Oui on prendra le temps qu'il faudra... De toute façon, pour le moment, rien ne presse.

Elle avait encore de nombreux mois de grossesse à subir avant ça.
Elle se pencha doucement et déposa un baiser sur le nez de son amoureux.

-D'accord, rentrons.