I told you I'll be here forever (givio)

Elle était heureuse, Gigi, d'avoir retrouver son beau britannique. Il la comblait d'affection, lui offrant les premiers je t'aime qu'elle pensait ne plus jamais entendre. Cette histoire, innatendue et précipitée, a été un réel boulversement dans sa vie. Elle comptait arrêter la téléréalité, s'installer à Bowen et croire enfin à l'amour, le vrai. Cependant ce joli tableau était noirci par un mal-être qui n'avait rien à avoir avec ce qu'elle vivait avec Owen. La relation qu'elle entretenait avec son ex Livio était spéciale, très forte, et explosive. Il y avait beaucoup de rancœur derrière tout ça et surtout un événement tragique dont elle n'avait jamais guérie. D'ailleurs ce fut le sujet de leur énième dispute. Gigi reprochait à Livio de ne pas s'ouvrir assez à elle concernant cette perte. Seulement, une fois de plus, elle avait été trop loin. Sous la colère, dissimulant sa souffrance, ses mots ont été durs et avaient très certainement blessé l'italien.

Alors pour se pardonner, dès le lendemain, elle s'était rendue à son bureau, un local près du centre-ville. Comme elle le savait occupé, même préoccupé par le boulot, elle préféra l'attendre à l'extérieur. Assise sous le perron dans la rue en face, elle guettait son arrivée. Au bout d'une heure et demie qui semblait interminable et stressante, elle le vit sortir de sa démarche précipitée. Aussitôt elle accourut, manquant quasi de se faire écraser par une voiture. Elle ne prêta pas attention au klaxon mais plutôt à la silhouette de son ex qui s'éloignait. Courant jusqu'à lui elle l'appela, désespérément. Livio! Livio! Attends! Mais quand l'italien se mit face à elle, Gigi perdit tous ses moyens. Elle était gênée. S'excuser elle ne savait pas faire. Cependant elle ne comptait pas le faire tête baissée, pas avec lâcheté. Il méritait mieux que ça. Je, je m'excuse. Je suis désolée. J'ai tout fichu en l'air... Mais si t'es toujours d'accord j'ai repris rendez-vous... lui dit-elle à toute vitesse par peur qu'il prenne la poudre d'escampette.

Il avait trop de choses en tête, Livio. Et même s'il gardait le sourire et ses blagues à la con, il y avait des signes qui ne trompaient pas. Il avait moins de patience pour certaines choses, s'énervait plus facilement et ne dormait plus vraiment la nuit. Souvent, il se levait, sous les coups des trois heures du matin pour ne pas réveiller Aura et se plonger dans la paperasse pour son travail. Il n'avait que deux choix : soit il faisait tout pour sauver sa marque et prenait le risque de plonger sa famille dans un gouffre financier, soit il abandonnait tout. Si Aura penchait pour la première solution, prête à se battre, Livio, lui, était partant pour tout abandonner. C'était épuisant de penser H24 à tout cela. Et évidemment, il n'y avait pas que cela. L'accouchement l'effrayait, la peur de ne pas être un bon père lui minait le moral, et  il y avait les paroles de Gigi qui tournaient en boucle dans son esprit. Elle avait été loin, très loin, si loin qu'il lui avait avoué qu'il abandonnait. Il savait qu'elle souffrait, il avait essayé d'apaiser sa souffrance mais il avait eu l'impression que ce n'était pas suffisant. Pire encore, elle l'avait provoqué sur sa souffrance à lui, qu'il dissimulait comme il le pouvait, avec énormément de mal. Ça, ça avait été la goutte de trop. Il avait laissé tomber.

Installé sur son fauteuil de bureau, jouant nerveusement avec son stylo, Livio finit par lâcher un juron et éteindre son ordinateur. Il n'arriverait à rien, aujourd'hui. Il récupéra ses clés de moto, son casque et descendit à volle pétrole les escaliers qui le menaient ensuite à l'extérieur. D'un pas rapide, il s'apprêta à rejoindre le parking où se trouvait sa moto quand il entendit son prénom. Il se retourna et vit Gigi accourir jusqu'à lui. Il ne put se retenir de souffler et lever les yeux au ciel, lâchant froidement : « Qu'est-ce qu'il y a ?! Si c'est pour me prendre la tête, là, je n'ai pas le temps. » Il s'attendait tellement à une provocation de l'italienne qu'il préféra attaquer en premier. Il la regarda, sourcil arqué, bras croisés contre son torse dans une position de repli. Mais quand elle s'excusa, la surprise passa brièvement sur le visage de Livio. Quand elle parla de la reprise du rendez-vous, il se demanda d'abord si ce n'était pas simplement dans un souci d'intérêt. Elle s'excusait uniquement parce qu'elle avait besoin de lui pour l'amener au rendez-vous. Oui, Livio en avait clairement gros sur le cœur. « Qu'est-ce qui vaut un tel retournement de situation ? » demanda-t-il, d'une voix neutre, se donnant du temps avant de donner une réponse pour ce rendez-vous. Il ne savait pas encore quoi faire...

Quiconque qui connaissait Giulia, savait qu'elle avait énormément de mal à mettre sa fierté de coté. Cependant ces personnes se comptaient sur le doigt d'une seule main et Livio représentait l'une d'entre elle. Il pouvait donc aisément supposer à quoi point cela avait été difficile pour Gigi de venir jusqu'à lui après toutes les méchancetés que l'un et l'autre se sont dites. La nuit porte conseil répondit-elle sans réfléchir lorsqu'il lui demanda pourquoi ce revirement soudain de situation. Puis elle vit bien le visage fermé de Livio et comprit qu'il allait falloir des arguments bien plus solides pour une réconciliation. Elle attrapa son bras, non pas par peur qu'il s'échappe mais juste pour avoir un contact physique. Je m'excuse d'avoir été si loin. Je voulais pas te mettre à bout. Comme à chaque fois que je le fais. Je le fais pas exprès, c'est vrai, je t'assure. Parce que tu vois, je le regrette. Toujours. Je suis nulle en excuse, tu le sais ça? Comme tu sais à quel point ça me ferait mal de te perdre. C'est pas simple nous deux mais c'est nous. On peut travailler là-dessus.  Je peux travailler là-dessus.  Je ferais des efforts. se rattrapa-t-elle aussitôt de dire, pour prendre toutes les responsabilités.

Après une énième dispute – celle de trop – Livio tomba de haut en voyant Gigi en bas de son bureau. Qu'est-ce qu'elle fichait là ? Si elle comptait repartir dans sa provocation, non merci. Elle lui avait fait du mal, cette fois-ci. Il en fallait pour l'atteindre, Livio, mais là, elle avait mis le doigt exactement là où ça faisait du mal. Blessé, il eut du mal à croire qu'elle était là pour lui, à cet instant. En lui disant qu'elle avait repris rendez-vous, il vit cela comme un geste égoïste. Elle revenait le voir uniquement pour qu'il l'accompagne à ce rendez-vous. Oui, c'était ce qu'il avait en tête. Mais Giulia l'étonna. Il posa un regard surpris quand elle posa sa main sur son bras, soutenant ensuite son regard alors qu'elle se confondait en excuse. Il ne disait rien, attendant qu'elle aille au bout de sa pensée. Mais il dut reconnaître que c'était un grand pas venant d'elle. Giulia ne s'excusait presque jamais. « Ouais, t'as été loin. » dit-il d'abord. Mais il la laissa parler, s'excuser, se rendre compte qu'elle avait été difficile. Elle était même prête à faire des efforts. Livio la laissa terminer avant de reprendre : « Franchement, tu peux m'insulter de tous les noms, me dire que j'ai été un con avec toi. Mais je ne veux plus jamais que tu minimises ma douleur, d'accord ? » Son ton était quand même un peu froid, parce qu'il avait mal, Livio. Et c'était sûrement la première fois qu'il le montrait autant. Lui non plus n'était pas sorti indemne de cet avortement. Seulement, il l'avait caché pour ne pas remuer le couteau dans la plaie de Gigi. Elle avait déjà à faire avec sa douleur, c'était inutile de rajouter celle de Livio.Il marqua un temps d'arrêt. « Moi aussi je pourrais faire des efforts. Je pourrais peut-etre m'ouvrir un peu plus. » finit-il par dire, haussant les épaules nonchalamment, montrant qu'il était prêt à mettre de l'eau dans son vin. Des excuses de Giulia, ce n'était pas souvent que cela arrivait...

Tête baissée, Gigi acquiesça, consciente qu’elle avait effectivement été trop loin. Parfois elle ne se rendait pas bien compte qu’elle franchissait les limites. Ils venaient d’un milieu où les disputes faisaient partie du quotidien, et c’était devenu presque banal pour elle surtout au vu de son fort tempérament. Elle appuyait là où ça fait mal, juste pour se protéger qu’on la pique davantage. Au fond Gigi se protégeait très maladroitement du monde qui l’entoure. Sauf que là, il s’agissait de Livio, pas d’un inconnu ou un quelconque candidat de téléréalité. Il représentait bien plus dans sa vie, et c’est pourquoi elle était venue jusqu’à lui pour s’excuser de son comportement.  Chose qu’elle ne faisait pas habituellement. Plus jamais jura Giulia en toute honnêteté. Elle avait compris qu’elle avait fauté, et pas qu’un peu cette fois. En effet elle avait minimisé la douleur de Livio, pensant que son avortement ne l’avait pas touché. Il ne s’était pas ouvert à elle et au lieu de temporiser elle avait volontairement mis de l’huile sur le feu. Malgré ça Livio semblait accepter les excuses et mettre de l'eau dans son vin. Gigi se ratatinait sur place, toujours honteuse.  Je ne l’ai pas fait pendant longtemps, je comprendrais que tu ne le fasses pas non plus. admit-elle ne pouvant s'empêcher de fuir du regard. Excuse-moi, Livio, je voulais pas qu'on en arrive là. continua-t-elle d'avouer. Au fond il y avait beaucoup de souffrance derrière cette façade qu'elle voulait montrer. Il le savait, mais ce n'était pas une raison de la refouler contre lui.

Avec d'autres, Livio aurait sûrement coupé tout contact, ne laissant aucune chance de se justifier. Mais c'était Giulia qu'il avait devant lui. Giulia et ses cicatrices. Giulia et sa putain de fierté mal placée. Il en avait souvent pris plein la figure, Livio. Il n'avait pas été cool avec elle, non plus. Mais cette fois, c'était allé loin. C'était allé loin parce qu'elle avait minimisé sa douleur. Une douleur qu'il avait caché parce qu'elle savait qu'elle souffrait et parce qu'il ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie. Il était comme ça, Livio. Il s'effaçait souvent au profit des autres. Et cela l'avait miné quand il était plus jeune. Mais cette fois, face à son regard si froid, elle comprit. Elle comprit qu'elle n'avait pas à faire ça. « Tu le refais une fois, je te promets que je ne ferais plus d'efforts. » Elle était honnête. Il l'était aussi. Il en avait ras-le-bol. C'était la dernière chance qu'ils se donnaient. Parce qu'il savait que cela lui coûtait de l'affronter, de venir face à lui pour s'excuser. Il s'en rendait compte et c'était bien pour cela qu'il mettait de l'eau dans son vin. Il était prêt à faire des efforts, à se confier davantage. « On se connaît par cœur, Giulia. Si on ne le fait pas ensemble, on le fera jamais. » Il avait essayé d'en parler avec Aura, mais ce n'était pas pareil. C'était Giulia et Livio qui avaient vécu cet avortement. Ils étaient les seuls à pouvoir en parler, à pouvoir se comprendre. Aussi fit-il signe de tête nonchalant quand elle s'excusa de nouveau. « C'est bon. Excuses acceptées. » Il prenait sur lui, évidemment. Il y avait toujours cette douleur mais il fallait avancer. « Il est quand ce rendez-vous ? »

Les menaces de Livio furent justifiées et Gigi ne pouvait pas lui en vouloir, elle savait d'ailleurs qu'il n'hésiterait pas à les appliquer. Il devait en avoir assez des innombrables disputes qu'ils avaient tous les deux. Gigi prenait trop de place, en demandait trop, alors que lui avait refait sa vie. Il fallait qu'elle arrête de se comporter aussi mal en le poussant sans cesse à bout. Elle hocha immédiatement sa tête, toujours honteuse. D'accord, oui je comprends. se replia-t-elle. Les remords lui nouait l'estomac beaucoup moins que la fierté qu'elle avait mise de côté pour s'excuser. Elle n'aimait pas reconnaître ses erreurs. Son entêtement était l'un de ses défauts les plus agaçants. Cette fois elle faisait un  effort considérable car elle tenait à Livio plus que tout. Ils se connaissaient depuis des années mais surtout ils étaient liés pour bien plus qu'une simple histoire. Et si ils devaient affronter le deuil de son avortement, ils devaient le faire ensemble. C'est vrai approuva-t-elle qui ne pouvait qu'aller dans son sens. Il accepta ses excuses et Giulia sentit le poids de la culpabilité s'alléger un peu plus. Jeudi prochain... Mais elle m'a dit qu'il y a un groupe de paroles tous les mardis soir et qu'on est convié quand on le voulait. Mardi était justement aujourd'hui mais elle n'était pas certaine que Livio accepte d'y aller ce soir, après une journée de travail, contrarié et à plusieurs heures de route.

Il mettait de l'eau dans son vin, cette fois. Livio savait que cela coûtait énormément à Giulia de venir le voir, de s'excuser et c'était pour cette raison qu'il décidait de faire un effort. Mais il fallait comprendre que c'était la dernière fois. La dernière fois qu'il accepterait qu'elle le blesse de la sorte. Livio avait beau l'aimer énormément, il savait aussi qu'il était capable de tirer un trait sur elle même s'il savait qu'il en souffrirait énormément. Car en dépit de ce qu'elle croyait, elle avait encore sa place dans sa vie. Le cœur de Livio était énorme. Même s'il avait refait sa vie, qu'il en aimait une autre, il y avait toujours de la place pour Giulia. Mais à force de rouvrir ses plaies, elle risquait de l'éloigner. Fait qu'elle avait visiblement compris, cette fois-ci. Il savait aussi qu'il y avait surtout cette étape à passer, celle du deuil de leur enfant. Ils devaient la passer ensemble. Et même si ce bébé fera toujours partie d'eux, il fallait aussi amorcer le prochain chapitre qui leur permettrait, sûrement, de gagner en sérénité. Giulia avait repris contact avec l'association. En entendant sa réponse, Livio fronça les sourcils. « On est quel jour, aujourd'hui ? », demanda-t-il d'abord, complètement déphasé par tout ce qui arrivait dans sa vie. « Mardi ! » murmura-t-il pour lui après avoir regardé son téléphone. « Je t'aurais bien proposé d'y aller aujourd'hui, mais je crois que là, ça ferait beaucoup. Je n'ai pas envie de le faire à la va-vite. » Ce serait gagner du temps, mais pour lui, ce n'était pas la solution. Ça donnerait l'impression de se débarrasser du problème, ce qui n'était absolument pas le cas. « Là, on a deux jours pour encaisser la nouvelle,pour se préparer. » Un temps de préparation important, pour lui comme pour elle. « On a rendez-vous à quelle heure, jeudi ? »

Soulagée que Livio puisse mettre de l'eau dans son vin, Gigi n'en était pas moins sereine quant à la fragilité de leur relation. En dépit de leurs forts caractères, ils avaient aussi un passé commun. Celle de leur histoire d'amour déjà écorchée, mais encore plus abîmée par un avortement. Si Gigi n'avait jamais réussi à faire le deuil de ce petit être, Livio semblait lui aussi touché. Pourtant ni l'un ni l'autre n'en avait parlé alors que cela s'était passé il y a plus d'un an. Avec le recul, Giulia réalisait qu'ils n'auraient jamais dû prendre cette décision. Du moins ils auraient dû plus en discuter, ce qu'ils avaient besoin de faire aujourd'hui. Ce fut pour cette raison qu'elle avait contacté une association pour médiatiser leur problème. Livio préféra remettre le groupe de paroles à une autre fois. Oui je comprends. assura-t-elle tristement. Au moins il était prêt à se rendre à ce second rendez-vous vous-même si elle avait tout fait foirer pour le premier. 19 heures.  Je me suis dis on sait jamais si tu finis tard le boulot. expliqua Giulia, tête baissée. Elle regrettait tellement son comportement, comme à chaque fois qu'elle s'emportait avec Livio. À force de tirer sur la ficelle, elle savait qu'elle le perdrait. Et ça lui crevait le cœur, rien que de l'imaginer.

Il aurait pu dire oui, lui dire 'allez viens, on va à ce rendez-vous' mais il ne pouvait pas, Livio. Il ne se sentait pas en forme, pas suffisamment préparé pour y aller comme ça, à l'improviste. Pas alors que la rancoeur enevrs Gigi était trop présente. Là, il avait deux jours pour digérer, pour encaisser, pour se faire à l'idée qu'il allait devoir tout lâcher, lâcher ce qu'il avait sur le cœur depuis tant de mois et qui se vivifiait avec la grossesse d'Aura. « Ok... je passerai te chercher. » Ni plus, ni moins. « Je dois y aller. A jeudi, Gigi. » Il valait mieux en rester là, se contenter du strict minimum plutôt que de prendre le risque d'attiser les braises et de laisser l'incendie reprendre de plus belle.

Il n'envoya pas un seul message, les deux prochains jours. Mais le jeudi, 18h pétantes, il l'informa qu'il se trouvait en voiture devant chez elle. Quand elle apparut et qu'elle entra dans le véhicule, Livio la salua simplement avant de prendre la route. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, alors que le silence s'était installé entre eux qu'il dit : « Comment tu te sens ? »

Gigi se doutait bien que Livio n’allait pas accepter d’aller à ce rendez-vous aujourd’hui. Il avait besoin de s’éloigner d’elle pour digérer leur énième dispute. Elle aussi, elle avait besoin de se préparer mentalement car elle ne savait si elle parviendrait à être forte et se livrer à de parfaits inconnus en présence de Livio. La froideur de son ex lui faisait mal, mais elle dût faire avec. De son côté, elle non plus ne lui envoya pas un seul message. Owen la rassurait, d’une certaine façon, avec toute la tendresse habituelle qu’il lui apportait au quotidien. Cependant ses pensées demeuraient à ce rendez-vous, aux souvenirs douloureux de cet avortement. Ils avaient trop longtemps minimisé cet acte et désormais ils devaient y faire face.

Lorsqu’il vint la chercher, leur chaleur qu’ils avaient pour se saluer, fut inexistante. Livio gardait un silence appuyé, et Gigi, l’imita. Elle ne le regardait pas, pas même quand il lui demanda comment elle sentait. Elle avait l’impression qu’il lui demandait cela juste par correction ou par politesse. Son regard se dirigeait toujours vers la route quand elle lui répondit. « Ca va » mentit-elle, sans ajouter un mot. Toutefois elle rajouta « Et toi ? » Cette ambiance allait être difficilement supportable les deux prochaines heures.

Quand on voyait Livio et Giulia, on se demandait comment ils arrivaient encore à se côtoyer alors que de nombreuses disputes étaient venues les entacher. Il n'y avait qu'une réponse à cela : la profonde affection qu'ils se portaient mutuellement. Ça lui faisait oublier les mots durs et les crises de l'italienne. Et sans doute cela pardonnait ses propres actes auprès de Gigi. Ils étaient devenus adultes ensembles, s'étaient plongés dans un monde de strass et paillettes mais dont les critiques étaient récurrentes. Ils s'étaient protégés ensemble, même si parfois, ils se donnaient aussi des coups de poignard. Mais aujourd'hui, leur relation était douloureuse, bien plus douloureuse, envenimée par des non-dits et des souffrances qu'ils se cachaient l'un à l'autre. Les dévoiler aujourd'hui était difficile, mais nécessaire. Soit ça passait, soit ça cassait.

Alors qu'elle monta dans la voiture, les salutations furent très peu chaleureuses. Il sentait une certaine distance de la part de la jeune femme qui répondit brièvement à sa question. Livio retint un soupir d'énervement, se disant que le contact ne s'établirait pas facilement si chacun se butait. Alors quand elle lui retourna la question, il répondit sincèrement, afin de faire le premier pas : « Je suis stressé. » Il marqua un temps d'arrêt, songeur. Puis il secoua la tête : « Enfin... on va plutôt dire que j'ai peur. » Pour une fois, il parlait à cœur ouvert pour lui montrer que ce serait son maître mot ce soir. « Mais je crois que ce sera libérateur... »

C'était à se demander comment ces deux-là avait survécu en tant que couplé aussi longtemps. On aurait pu parier qu'ils ne resteraient pas amis après leur séparation, et pourtant ils en étaient encore là. Des hauts, des bas, des disputes, des rires, de l'affection. Ils s'aimaient, c'en était certain. Mais chacun le montrait à leur façon. La patience de Livio a été mise à l'épreuve plus d'une fois, Gigi devait bien le reconnaître. Elle regrettait déjà de paraître aussi froide alors que lui, faisait une fois de plus un pas vers elle. L'atmosphère était toujours aussi tendue dans la voiture mais Gigi se sentait soulagée que Livio désamorce le sujet. Tu as peur? répéta-t-elle, les sourcils froncés. Elle s'était brusquement tourné vers le visage de Livio. Un point sur la poitrine la serra. Elle était touchée, cela se lisait sur son visage. Trop de temps s'était écoulé avant qu'ils n'en parlent à cœur ouvert. Trop de temps où Gigi cachait à quel point elle était bouleversée et abîmée par cet avortement. Cet enfant, elle aurait dû l'avoir avec Livio. Est-ce que tu regrettes? Car elle, c'était le cas. C'était du Gigi tout craché. Aller à l'affrontement, sans réfléchir. Il fallait bien qu'ils s'y piquent de toute façon. Peut-être aurait-elle dû attendre au moment de l'entretien, mais au contraire, elle préférait de loin être seule avec lui. Ils en avaient discuté par SMS mais cela ne lui suffisait pas. Gigi désirait voir les émotions sur son visage, tous ses traits qu'elle connaissait par cœur.

Gigi était froide. Et cela énervait déjà Livio. Pour autant, il prit sur lui et fit le premier pas, parce qu'il savait très bien qu'ils ne pourraient continuer d'envenimer leur relation avec tous ces non-dits, toutes ces vérités cachées. Il fallait crever l'abcès et dire tout haut ce qu'il avait sur le cœur. Gigi savait à quel point cela coûtait à Livio qui ne se confiait presque jamais. Quand il avouait ses craintes, ses peurs, ses colères, c'était souvent parce que ça le bouffait au plus haut point et qu'il n'arrivait plus à gérer ses émotions. C'était une tombe, Livio. Et cela lui avait souvent causé du tord. Aujourd'hui, il brisa sa carapace et évoqua ce stress qu'il ressentait. Ou plutôt cette peur. « Ouais. » dit-il d'abord, tout simplement. « Ouais, j'ai peur parce que je sais que ça va faire mal. » ça va faire mal de se mettre à nu, de parler de cet avortement qui les avait marqué, même s'ils ne le disaient pas vraiment. Mais cela sembla ouvrir la brèche puisque Gigi posa LA question. La question qui faisait mal. C'était à se demander s'ils allaient vraiment se rendre à leur rendez-vous. Ils étaient en train de faire le boulot ici, dans cette voiture à l'arrêt. Il hocha d'abord la tête positivement, sans dire un mot. Puis il posa un regard vers Gigi, un regard rapide, fuyant. « Oui, je regrette. Je regrette même énormément. » C'était dit. Et cela lui serrait le cœur. « Avec ce que je vis actuellement, je me rends compte que oui, j'ai les épaules pour être un père. Et je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas eu les épaules pour t'aider à porter cette grossesse, pour aller jusqu'au bout. » C'était ce bébé qui avait pâti de ses peurs, de ses doutes. Et il en souffrait aujourd'hui.

Sur le moment Gigi ne sut quoi dire. Habituellement elle aurait tenté de le rassurer, de le réconforter même. Mais comment pouvait-elle le faire alors qu'elle aussi, était effrayée? Jusqu'à présent elle ne s'ouvrait sur ce sujet à personne d'autre qu'à Livio et très récemment, à Owen. Alors se livrer à des inconnus lui fichait une trouille monstre. Néanmoins elle ne pouvait qu'être reconnaissante de cette initiative prise par Livio, car il savait qu'ils avaient tous deux besoin d'être aidés. Cet avortement, inconsciemment, abimait aussi leur amitié. Aussi détestable soit-elle parfois avec Livio, elle ne voulait pas le perdre. Oui, mais il le faut. Pas vrai? lui dit-elle d'une petite voix, avec plus de douceur. Si il ne conduisait pas, elle l'aurait sans doute pris dans les bras. Gigi se contenta de le regarder tristement avant de poser cette  question qui la tourmentait. Est-ce que tu regrettes? L'italienne ne s'était pas attendu à un oui aussi catégorique. Tout comme elle ne s'attendait pas à ce qu'il avoue qu'il ne comprend pas pourquoi il n'avait pas eu les épaules pour l'aider à porter cette grossesse jusqu'au bout. Gigi frissonna. Elle était touchée et surprise. Cette fois, seuls et face à face, elle sentait que cette discussion pouvait l'alléger d'un poids. Les non-dits n'avaient plus leur place et Gigi voulait être très clair sur le fait qu'il n'était pas responsable de cette décision.  Dis pas ça... On n'arrivait plus à s'entendre. Regarde-nous, toujours à s'engueuler. T'imagines avec un bébé? Une douleur vive serrait sa poitrine. Elle s'arrêta brusquement de parler. En effet c'était bien trop douloureux d'envisager qu'ils aient gardé cet enfant. Imaginer les traits de leurs visages mélangés : les yeux de Livio ou son sourire à elle ; cela lui faisait terriblement mal. La culpabilité l'empêcha de s'exprimer davantage. Gigi tourna sa tête vers la vitre du siège passager pour cacher ses larmes qui commençaient à couler. Comment pouvaient-ils savoir si ils avaient pris la bonne décision?