it’s where my demons hide (woody + charlie)

S’il y avait une chose que Woody n’aimait pas – certes, il y en avait plusieurs -, c’était de se faire dire ce qu’il devrait ou non faire. Il avait toujours mené sa vie comme il l’entendait, et évidemment ça n’avait pas toujours fait l’affaire de tous, ni de sa famille ni de ses anciennes copines, mais c’était pour lui une manière de faire affront à sa maladie. Si son corps ne fonctionnerait pas correctement pendant encore bien longtemps, sa tête, elle, arriverait toujours à prendre des décisions. Alors il s’écoutait et obéissait même aux réflexions les plus ridicules ou les plus sombres. Que Charlie lui dise qu’il devrait la laisser le voir même dans ses moments les plus vulnérables l’agaça. « Mais il est pas question de toi là, Charlie. » Répondit bêtement Woody, surtout parce qu’il était heurté par les événements récents. Il n’aurait pas réagi ainsi en temps normal. Il aurait acquiescé, promis d’essayer. « C’est ma décision. C’est moi qui suis pas prêt et qui ne veux pas montrer cette partie de moi, pas encore. » Ajouta le trentenaire en tentant de prendre une voix plus douce, pour se mettre sur la même tonalité qu’elle. Ce n’était pas réussite mais au moins, sa voix tremblait autant que la sienne.

Cette tentative de douceur ne dura pas longtemps, car après avoir relâché ces mots à la fois beaux et laids comme des papillons de nuit s’envolant tout autour d’eux, Charlie se concentra sur la partie laide. La partie dans laquelle il admettait encore aimer Freja. « Mais j’ai jamais prétendu le contraire … Tu ne te doutais pas que si j’étais incapable de lui refermer complètement la porte, c’était parce que je l’aimais encore ? Tu sais à quel point ma rupture avec elle a été douloureuse. Tu sais que ce qui me lie à elle est fort. Je t’ai toujours tout dit là-dessus. Mais t’es restée. » Alors pourquoi maintenant, ce serait différent ? Parce que Woody demandait un peu trop de temps pour tourner la page ? Sans doute. Un an, c’était long. Un an c’était énormément de temps, pour réparer un cœur endeuillé. « C’est pas pareil, ça faisait deux mois que toi et moi on se fréquentait, quand elle aurait eu à me choisir. Oui, je l’aurais choisie elle. Je te connaissais à peine. Aujourd’hui, ce serait pas aussi facile, Charlie, crois-moi. J’ai le cœur scié en deux. » Et de voir Charlie enfouir le visage dans ses mains en pleurant, sans qu’il trouve la force de piler sur son orgueil pour aller la prendre dans ses bras, ça lui faisait terriblement mal à Woody. Il la regardait, impuissant, et pourtant il en rajouta une couche en la confrontant sur le manque de confiance qu’elle avait en lui. « Tu te laisses atteindre par des gens qui n’ont aucune idée de ce qu’ils parlent, qui se mêlent de ce qui ne les regarde absolument pas … Pourquoi tu ne pourrais pas juste te fier à moi ? » Mais encore, se fier à lui, c’était quand même d’être confronté à ses sentiments toujours bien vivants pour Freja. C’était lui qui le disait, sans équivoque.

Face à l'agacement de Woody, Charlie ne dit mot. Elle savait que c'était peine perdue de discuter concernant ce sujet. D'une part parce qu'elle n'était pas en position de force et d'autre part parce qu'il était si entêté qu'ils finiraient par se disputer encore plus. Dans d'autres circonstances elle aurait tenté de le dissuader, de le faire comprendre qu'elle tenait à être impliquée, qu'elle voulait prendre soin de lui même dans ses moments les plus faibles. Elle n'en fit rien, fut même étonnée qu'il puisse lui laisser entendre une perspective. Woody, utilisant le terme pas encore, elle sentit son cœur se réchauffer. Mais la délicatesse de ce moment ne dura pas longtemps quand ils commencèrent à s'ouvrir l'un à l'autre. Il fallut attendre quasi un an pour qu'ils se disent s'aimer, de la pire façon qu'il soit, lors d'une dispute qui éclatait entre eux. Je pensais que tu avais encore quelque chose pour elle, oui, mais pas que tu l'aimais! se défendit Charlie toujours en colère. Elle pouvait comprendre qu'il éprouvait encore un réel attachement pour Freja, mais des sentiments amoureux c'était au-dessus de ce qu'elle imaginait. Elle se revoyait une nouvelle foos dans un triangle amoureux, où elle était encore la troisième personne de trop. Et oui je suis restée. Au bout d'un an, Woody, je pensais que tu voulais avancer avec moi. Moi aussi j'étais brisée quand on s'est connu tous les deux, tout comme toi. Puis plus le temps passait, plus je m'attachais à toi. Je m'attendais pas à tomber amoureuse.   dit-elle à voix basse qu'elle n'était pas sûre qu'il ait entendu ces derniers mots. Puis Charlie, lassée, blessée, fondit en larmes. Après lui avoir confié que les on-dit avaient fini par l'atteindre, elle resta un moment sans voix, pleurant en silence. Elle ne répondit pas tout de suite au questionnement de Woody. L'esprit embrouillé, elle sécha ses larmes. Elle garda le visage baissé pour pas qu'il ne la voit ainsi. Je suis désolée. Je ne sais pas quoi te dire d'autre. finit par dire Charlie, la voix brisée comme son cœur présentement. Parce qu'elle avait la sensation que peu importe ce qu'elle disait, elle était en tort.

Pour Woody, avoir encore quelque chose pour Freja et l’aimer encore, c’était exactement pareil. Comme si l’amour, c’était tout noir ou tout blanc. On aime ou n’aime pas. Il est vrai qu’il avait souvent fonctionné selon cet ordre, le trentenaire. Rares étaient les personnes qu’il acceptait dans son entourage et toutes les autres, il les repoussait. Personne n’était à mi-chemin. Dehors, ou en-dedans, c’est tout. « C’est du pareil au même, pour moi c’était bien clair ! » Se défendit-il. Ils ne parlaient pas le même langage, tout simplement. Et cette communication défaillante les projetait vers une dispute encore plus violente que celle que Woody s’attendait à vivre en ouvrant la porte à Charlie. Il aurait dû se refermer, là, maintenant. Fuir, comme il le faisait si souvent. Pourtant, il restait là à se battre contre Charlie, mais à quelque part en faisant ça il se battait aussi pour eux. Parce que s’il l’avait juste foutue à la porte sans qu’ils ne s’expliquent, qui sait ce qu’il serait resté d’eux. La pâtissière admit qu’avec le temps, elle s’était attachée, elle était tombée amoureuse de lui. Il avait bien entendu ce murmure, la mélodie s’était rendue jusqu’à ses oreilles. Malheureusement, c’était une autre phrase sur laquelle il rebondit. « Mais JE VEUX avancer avec toi, Charlie. J’aurais trouvé le moyen de nous saboter si ça avait pas été le cas. Mais tu t’en es chargée, toi, de nous couler. » En embrassant un autre mec, en tailladant la confiance qu’il avait envers elle. Et la confiance de Woody, elle s’effritait facilement en des poussières qui ne se recollaient qu’avec patience. Le silence s’installa entre eux après la question de l’homme. Au bout des pleurs, une simple excuse de Charlie se glissa entre eux. Elle ne savait pas quoi dire d’autre. Il haussa les épaules en se reculant sur le canapé, comme un mouvement d’abandon. « Moi non plus. » Il soupira. « Tu devrais peut-être rentrer, Charlie. Y’a rien de plus, et surtout rien de bon, qui va se dire aujourd’hui. » Et le voilà qui se défilait enfin. Le naturel revenait au galop.

Cette fois ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Charlie était persuadée qu'on pouvait mesurer ses sentiments; on pouvait être attaché à quelqu'un sans pour autant éprouver des sentiments amoureux. La confusion se mêlait face à l'incompréhension de Charlie. Ça ne peut pas fonctionner si tu l'aimes toujours, Woody. dit-elle sur un ton qui frôlait le désespoir. Pourtant elle aussi crut être claire en lui disant qu'elle ne voulait plus jamais être pris dans un triangle amoureux. Là-voici de nouveau mêlée entre une autre femme, et pas n'importe laquelle, l'ex de Woody qu'il a tant aimé et qu'il aime encore aujourd'hui. Démunie, Charlie se voyait d'ors et déjà lésée. Qu'avait-elle de plus face à l'éblouissante Freja? Rien. Pire même, elle avait fauté et ruiné sa confiance. Elle avait beau l'aimer, clamer son pardon, Woody avait et aura toujours cette part de lui qui appartiendra à Freja.

De nouvelles larmes coulaient sur les joues rougies de Charlie. Je suis tellement désolée, si tu savais... Je suis désolée. J'avais... j'ai tellement envie d'avancer avec toi. se rectifia-t-elle, se refusant de parler au passé. Les mains enfouis sur son visage, elle peinait à calmer ses pleurs. Une fois de plus elle s'excusa, ne sachant quoi rajouter de plus. Le soupir de Woody ne présageait rien de bon et en effet car il lui suggéra de partir. Elle le regarda avec ses yeux bleus mouillés et sécha du revers de sa main les larmes sur ses joues. Est-ce que... c'est terminé? demanda-t-elle sans parvenir à retenir de nouvelles larmes. La réponse, elle la connaissait, elle la terrifiait mais elle lui était inexpliquement nécessaire.

Ses bras s’élevèrent en deux angles de quatre-vingt-dix degrés, en signe d’abandon face à l’incompréhension de Charlie. Pour lui, ça pouvait fonctionner. Pour lui, ils pouvaient aller de l’avant et s’aimer même si le cœur de Woody regardait de temps en temps par en arrière, vers ce qu’il avait vécu avec Freja. Il n’entendait pas qu’elle ne pouvait envisager de ne pas l’avoir, complètement. Il n’entendait pas ses craintes qu’un jour il pourrait retourner vers Freja dès que la norvégienne le voudrait. Woody ne voulait rien entendre, en fait. Parce qu’il savait que s’il entendait, il allait devoir se rendre à l’évidence : Charlie avait raison. Tant que Freja restait dans un coin de la tête de Woody, Charlie et lui ne pourraient pleinement s’engager. Il aurait toujours l’impression d’avoir la porte de sortie directement à côté de lui. Et elle le saurait. « Pour moi ça peut fonctionner, si ça ne peut pas pour toi alors c’est ta décision, Charlie. Ne le blâme pas sur moi. » Lança-t-il pourtant, cruelle manière de rejeter la faute sur la pâtissière, encore une fois. Si leur relation fonçait droit dans un mur c’était son problème, pas le sien. Woody avait toujours été bien doué pour se défaire de toute responsabilité face à ce qui lui arrivait. C’était plus facile, de toute façon, de terminer des relations sur la haine. Ça faisait moins mal, la colère. Pour lui, en tout cas. C’était une émotion plus facile à gérer que le regret ou la culpabilité. Alors il en rajouta une couche, Woody, en lui affirmant que lui-même aurait pu les saboter bien avant si c’était ce qu’il avait voulu. Mais non, c’était elle qui les faisait chavirer ce soir. Leur amour était à la mer. Woody ne répondit rien à ses excuses, cette fois. Face à ce silence, Charlie s’excusa de ne rien avoir à dire de plus. Lui non plus. Devant l’impasse, la pâtissière demanda si c’était terminé. Après tout, il lui avait demandé de partir. De partir de chez lui, ou de sa vie ? « J’veux juste avoir le temps et l’espace pour réfléchir. J’y arrive pas si tu pleures devant moi. » C’était dit sèchement mais ce n’était pas méchant, ça cachait la douceur de Woody qui n’arrivait pas à en vouloir à Charlie quand il la voyait dans cet état. Mais il avait besoin de lui en vouloir juste un peu encore, pour peut-être pouvoir passer à autre chose.

Déchirée entre le sentiment de culpabilité mais aussi celui d'injustice, Charlie avait le coeur en miette. Dès l'instant où Woody avait avoué toujours aimer son ex Freja, elle intériorisait sa colère. Il n'avait pas fauté dans l'acte, comme elle, l'avait fait, mais il en aimait une autre. Aux yeux de Charlie, c'était tout aussi important / grave. Comment pouvaient-ils avoir une relation seine et durable dans ces conditions? C'est ce que présentement voulait Charlie : une relation à long terme, avec lui et personne d'autre. Ils avaient eut cette discution et elle lui avait bien fait comprendre qu'elle ne voulait plus être piégée dans un triangle amoureux. Elle en avait assez d'être le second choix et de devoir accepter de partager un homme qu'elle aimait. Parce qu'elle l'aimait Woody, elle en prenait pleinement conscience maintenant qu'elle le perdait. Il faisait preuve d'entêtement et Charlie luttait pour ne pas exploser dans une nouvelle crise de larmes. Ce n'est pas aussi simple. Tu ne dirais pas ça si on inversait les rôles. lui fit remarquer Charlie, qui malgré sa peine cherchait à se défendre. Ils n'arrivaient à s'entendre peu importe ce qu'elle disait, Woody était bien trop énervé contre elle. D'ailleurs elle ne pouvait le blâmer et c'est pourquoi elle mesurait ses mots. Ne voyant pas d'issue, Woody lui demanda de partir. Elle peina pour sécher ses larmes mais ne put se retenir de poser cette question qui lui brûlait les lèvres. Était-ce terminé entre eux? Sa réponse, bien que dépourvue de tact, n'était pas négative. Elle ferma ses yeux qui versaient encore des larmes. Une fois de plus, inlassablement, elle les essuya.  D'accord. murmura-t-elle en détachant son regard. En plus de son ton sec, elle ne voulait pas affronter les expressions froides de son visage. À croire que leurs moments de complicité, de rire et de tendresse, appartenaient à un passé lointain. Le coeur serré, elle se leva du canapé, sans se retourner et prit le chemin jusqu'à la porte. Elle pleura longtemps dans sa voiture, incapable de reprendre la route dans ces conditions. En plus du poids de la culpabilité, elle devait retourner chez elle le cœur brisé. Le monde venait de s'écrouler.

Fin