I need a godsend cure and that's what you are (charlie)

Sous les traits joviaux de Charlie, une certaine tristesse se dissimulait, en silence, en toute discrétion. Et derrière les sourires étincelants que t’offrais à qui les voulait, une grimace de dégoût par rapport à ta vie se glissait, bien cachée, presque invisible. Tu ne lui avais rien confié, et elle non plus d’ailleurs, mais peut-être l’aviez-vous ressenti chez l’un et chez l’autre. Après tout, Charlie et toi commenciez à vous connaître, un peu, beaucoup énormément. Il y avait même la pointe de à la folie dans votre duo. T’avais compris, en regardant parfois son regard fuyant et son sourire qui s’effaçait trop vite après une blague, lors de vos soirées avec le reste de la colocation, que quelque chose clochait. Tu t’étais dit que c’était le boulot qui lui tirait trop d’énergie. Tu ne savais pas comment elle faisait pour garder la tête hors de l’eau dans ce domaine. À sa prochaine journée de congé qui concordait avec la tienne, tu l’avais invitée au Yoga Space. Vous n’aviez pas d’abonnement mais on s’en fout, tu payais à la journée pour vous. De toute façon, tu ne foutais pas grand-chose de ta vie, alors même si ça te coûtait tes pourboires du mois, qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? Votre premier arrêt au Yoga Space fut une salle de détente complètement plongée dans le noir. La préposée vous avait indiqué l’emplacement des lits – plutôt de longs bancs durs - où vous allonger, en vous avertissant que vos yeux mettraient un certain temps à s’acclimater à la noirceur. Tu t’étais dit que comme t’étais habitué d’être aveuglé par des projecteurs mais que tu t’en sortais toujours quand même, un peu de noir ne te faisait pas très peur. Mais en rentrant dans la salle, à peine cinq pas de faits dans la pièce et tu t’enfargeas dans un banc, un lit, whatever. Tu tombas par avant et avec de miraculeux réflexes, tu fis une roulade au sol pour amortir la chute. En te relevant, tu te tournas vers la porte d’entrée – où tu pensais que Charlie se trouvait peut-être encore. « Woooh t’as vu mes skills ?! » T’exclamas-tu avant de réaliser qu’elle aussi, elle était plongée dans le noir. « Mais non t’as même pas pu voir ! Rohh. » Tu te plaignis en ne réalisant pas tout de suite que vous n’étiez pas seuls. Une dame plus âgée vous demanda de vous taire. « Pardon … » Tu te rapprochas de l’endroit d’où tu venais de tomber dans l’espoir d’ainsi te rapprocher de Charlie. En chuchotant, tu demandas : « On rentre sur le même banc tu penses ? » Parce que rester complètement en silence, dans le noir, avec tes putains de pensées, tu ne savais pas si tu saurais survivre longtemps.

Un jour de repos. C’était quelque chose que Charlie s’accordait rarement, ces temps-ci. Pas parce qu’elle ne pouvait pas, mais parce qu’au fond, elle ne voulait pas. Elle aurait pu décider de traîner toute la journée dans son lit, se ressourcer, ou même dans le canapé devant la télé. Mais elle avait besoin de faire quelque chose. La proposition de Jackson était tombée du ciel. Non seulement elle avait quand même une activité de prévue, mais en plus, il n’y avait pas plus chill comme activité. Habituellement, Charlie retrouvait de l’énergie en voyant du monde, c’était le principe des extravertis. Mais quelque chose avait changé ces derniers temps, et elle ne savait pas trop quoi. Enfin, oui et non. Mais elle refusait de se retrouver embarquée dans un tourbillon de pensées qui ne lui feraient pas du bien, alors elle s’occupait par tous les moyens. Le travail, la danse, les sorties, la photo, le baby-sitting, tout. Encore aujourd’hui, elle était contente de passer la journée avec son colocataire. Et puis, ils n’étaient que tous les deux, ce qui restait reposant par rapport à un grand groupe ou le cadre effervescent de l’hôpital. Ça allait être une bonne journée, Charlie le sentait. Le calme du Yoga Space, mais tout en se distrayant. La première superbe distraction vint d’ailleurs de Jackson. Elle ne pouvait voir ce qui s’était passé, mais entendre le bruit de chute après quelques mètres dans le noir provoqua un éclat de rire tonitruant chez la jeune interne. « Non, mais je peux imaginer comment tu viens de te gameller comme un pro ! » pouffa Charlie dont la voix forte emplissait la pièce, juste avant qu’ils ne se fassent rabrouer par une autre personne présente. Elle tenta d’étouffer ses rires incontrôlables en plaçant la main sur sa bouche, avant de tâtonner pour essayer de trouver le garçon. « Pas très doué, pour un acrobate ! » chuchota-t-elle en riant toujours. « Si tes grosses fesses le permettent, oui ça devrait aller ! » répondit la brunette dans un semi-murmure en cherchant le banc le plus proche. C’était totalement faux, bien sûr, Jacks avait même un cul plutôt mignon. Elle en savait quelque chose. Pensée parasite que la jeune fille expédia hors de sa tête immédiatement. Son coloc’ et elle avaient développé une relation assez forte avec le temps. Il pouvait être un ami, un frère, un confident et avait déjà été un amant, aussi. Au final, tout ça avait contribué à un très beau lien entre eux, que le fait de vivre ensemble et de partager tant de choses du quotidien renforçait. « Attends, c’est ton coude ou ton genou, ça ? Attends, merde, j’suis pas bien mise. Bouge ton bras, ok non, c’est bon. » marmonnait Charlie tout en se tortillant pour essayer de trouver une position confortable, alors qu’un nouveau "chut" se faisait entendre près d’eux. Elle pouffa à nouveau de rire avant de retrouver un semblant de discipline. Allongée côte à côte avec le jeune homme, leurs flancs se touchant par manque d’espace, Charlie tentait de s’emplir de l’atmosphère de la salle de détente, la tête bien droite et le regard vers le plafond qu’elle ne pouvait voir. C’était pas si mal, même si un peu étrange peut-être. Et en même temps réconfortant, d’avoir Jacks à ses côtés.

Tu pouffas à ton tour. « Comme un pro tu dis ? J’me suis zéro cassé la gueule en fait, elle est encore toute belle toute parfaite, ma gueule ! » Tu ne te prenais pas pour de la merde en fait. C’était probablement Perry qui déteignait sur toi, ça, lui qui avait les chevilles si grosses qu’il ne devait même plus pouvoir rentrer chez lui le soir. C’était peut-être pour ça qu’il découchait tout le temps avec un peu n’importe qui – il n’arrivait plus à passer les cadres de porte de son logement. Fuck, ton esprit divaguait encore vers lui et ça c’était pas bien. T’étais justement venu passer la journée avec Charlie, ici au Yoga Space, pour faire le vide et peut-être faire un peu d’ordre. Mais non, c’était le chaos là-dedans, et tu ne savais plus quoi faire de ta peau. Tu décidas de la coller à celle de Charlie, ta peau, en lui proposant de partager le même banc que toi pour vous y allonger dans le noir. Peut-être que si tu ne te sentais pas aussi seul sur ton petit lit froid, t’aurais un peu moins de mal à profiter du moment présent. En acceptant ta proposition, Charlie ne manqua pas d’insulter tes fesses. « T’as qu’à les prendre en cuillère mes grosses fesses et on devrait s’en sortir. » Tu ris. Mais non, le but n’était pas de se coller dans le noir entouré de plein de gens que vous ne pouviez même pas voir. Tu t’allongeas sur le dos, Charlie aussi, mais c’était un peu plus compliqué que prévu – non, en fait, c’était exactement comme prévu. « C’est mon menton, biatch ! » Lanças-tu alors qu’elle te demandait si c’était ton coude ou ton genou. Tu riais, bien sûr, diverti par ce trop-plein de membres de vos corps dans un si petit espace. Tu te tortillas à ton tour, cherchant à t’emboîter auprès de Charlie comme si vous étiez des pièces de puzzle. Mais il en manquait tellement, des pièces au casse-tête de ta vie, t’arriverais peut-être pas à joindre tous les bouts de toi. Un second « chut » vous ramena à l’ordre et t’arrêtas de bouger en même temps que Charlie. « Bon, c’est bon, t’es confortable, là ? Moi ça peut aller. Les hamacs dehors seront mieux mais pour vivre l’expérience à fond, je sacrifie mon dos. » Vos flancs se touchaient mais ça ne te perturbait même plus. Avec Charlie, tous ces contacts-là étaient devenus tellement naturels. T’avais l’impression que vous n’aviez même plus de barrières tellement vous aviez joué tous les rôles l’un pour l’autre. À ses côtés, tu te sentais plus apaisé. Tu fermas donc les yeux et essaya de contrôler ta respiration – apparemment que ça pouvait aider à se détendre. Mais t’entendais juste Charlie respirer, elle aussi. « Tu pourrais respirer moins fort s’te-plaît ? J’essaie de me recentrer sur moi-même, ici. » T’avais un petit sourire aux lèvres mais ça, elle ne pouvait pas le voir, dans ce noir total auquel tes yeux ne semblaient même pas vouloir s’acclimater. Quelle menteuse, cette préposée.

Charlie étouffa un nouveau rire, tant bien que mal, quand son ami affirma qu’il avait conservé une gueule parfaite. Il avait pas tort, en même temps, même si là il faisait le type qui pétait plus haut que ses fesses. Mais fallait être myope pour pas voir que Jacks était un mec ultra canon. Bon, stop, Charlie, on reste focus, là. « En grande ou en petite cuillère ? » chuchota la jeune femme en renchérissant sur leurs habituelles querelles et piques amicales, dignes d’enfants de huit ans. Niveau maturité, ils étaient pas toujours à niveau, ces deux-là. Mais c’était un vent d’air frais qu’ils partageaient magnifiquement bien, ces réflexions légères, au fond pleines d’affection. Bon après, la position de la cuillère, ça pouvait évoquer d’autres choses, plus adultes. Mais ne nous égarons pas. Après s’être presque battu pour atteindre une position confortable, et un nouveau rire de Charlie à la réponse de Jackson, qu’elle tenta de cacher autant que possible en plaquant une main sur sa bouche, un semblant de silence revint. Ils allaient finir par se faire jeter d’ici, sinon. Même pas dix minutes qu’ils étaient là, franchement. Que de sales gamins. Mais c’était tellement plus marrant. « Je vis l’expérience du thon en boîte, mais sinon ça va, ouais. » rétorqua l’interne en chirurgie avec un petit sourire en coin. Non, en vrai, ils étaient pas si mal, là. Elle était même contente que le brun lui ait demandé de partager le même banc de "détente" - entendez plutôt "banc de Tetris". Avoir la chaleur rassurante de son corps à côté du sien lui faisait étrangement du bien. Pas dans un sens d’attirance physique, même si ça avait déjà été le cas entre eux. Plutôt cette proximité peut-être même encore plus intime qu’on partageait parfois avec les gens, et qui nous faisait sentir complet et à notre place, rien que pour quelques instants. C’était de ça que Charlie avait désespérément besoin, au fond d’elle-même. Et qu’elle ne trouvait pas. Mais la jeunette n’eut même pas besoin d’étouffer rapidement ces pensées avant qu’elles ne se développent, car déjà Jacks la relançait dans un rire lumineux, qu’elle étouffait au mieux au fond de sa gorge. Un nouveau rappel au silence retentit plus loin dans la pièce. Ok, ils allaient vraiment pas tenir toute la séance. « Arrête, tu me déconcentres ! » souffla-t-elle, aussi bas que possible. « Et pourquoi tu cherches ton centre, il est juste là. » reprit la brune en tapotant de la main un endroit approximatif sur le corps de l’acrobate, pensant atteindre le milieu de son ventre.

Tu fis mine de réfléchir, ajoutant d’ailleurs un petit bruit pensif à ta mimique puisqu’autrement, Charlie ne pourrait deviner ce que tu faisais étant donné que vous étiez plongés dans le noir. « Petite cuillère pour cette fois. J’ai envie d’sentir que tu me protèges de tous les vieilles madames aigries de la place. » Lâchas-tu, peut-être un peu trop fort pour le silence autour de vous. T’entendis juste quelqu’un soupirer pas bien loin de vous. À quelle distance étaient positionnés les lits ? T’en avais aucune idée, mais tu te doutais que si les lumières devaient s’allumer toutes d’un coup, t’allais avoir grave honte. Ou alors Charlie et toi alliez pouffer de rire avant de vous enfuir vers une source thermale. Après de vaines tentatives de vous étendre tous les deux sur le lit et d’être confortables, tu demandas à la jeune femme comment ça allait. De ton côté, tu partageas ta hâte de te retrouver dans les hamacs dehors, sous le soleil et dans le vent. « T’as meilleure odeur, si ça peut te rassurer. » De nouveaux rires, de nouvelles exaspérations de la part de vos voisines. T’étais habituellement quelqu’un de plutôt respectueux mais il faut dire qu’en présence de Charlie, ton niveau de maturité avait tendance à s’abaisser pas mal et ça te faisait souvent perdre tes bonnes manières. Ta mamá ne serait pas bien fière. Tu profitas des quelques minutes de silence qui suivirent pour fermer les yeux et te concentrer sur ta respiration. Malheureusement, tes pensées ne cessaient de virevolter dans ta tête et tu n’arrivais pas à les chasser. Tu n’arrivais pas à trouver cette paix intérieure qu’on vous promettait pourtant à l’entrée du Yoga Space. Tu avais déjà réussi à méditer, quand ta vie sentimentale n’avait pas à être aussi compliquée et quand ta carrière était déjà toute tracée devant toi. Tu t’ennuyais de ce temps-là, ce temps où les questions n’avaient pas lieu d’être. Maintenant, t’avais l’impression que lorsque tu fixais l’intérieur de tes paupières, tu n’y voyais que des points d’interrogation. Incapable de supporter ce tourment plus longtemps, tu blaguas à propos de la respiration de Charlie. Quand tu sentis sa main sur ton corps, tu sursautas, surtout à cause de l’emplacement. « C’était mon pubis ça ! » Lâchas-tu et cette fois, pas à voix basse. Tu ris, d’ailleurs, en réalisant que tu venais de le crier dans cette salle en noir. La femme aux mille et un soupirs se redressa – en tout cas, c’est ce que tu devinas du bruit à ta droite et du changement de provenance de sa voix. Elle vous lâcha sévèrement et sèchement que si vous aviez envie de rigoler il y avait d’autres places pour cela. « J’crois que c’est le temps qu’on aille vivre d’autres expériences relaxantes que celle-ci, girl. » Ça ne servait même plus à quoi que ce soit de murmurer, à ce stade.

« Compte sur moi, bébé. » assura Charlie en prenant une grosse voix de mec bien fort et trop protecteur, genre le cliché qu’on trouve dans les films. Un nouveau soupir tenta vainement de les rappeler à l’ordre, mais fallait croire qu’ils étaient incorrigibles. On aurait dit les deux cancres du fond de la classe qu’on essaie toujours de séparer pour espérer un peu plus de calme et de tenue. Un nouvel éclat de rire fusa quand Jackson lui assura qu’elle sentait quand même meilleur que le thon e boîte auquel elle s’identifiait actuellement, dans leur position certes un peu écrasée mais un minimum confortable. D’ailleurs, Charlie se surprit à espérer que tous les thons du monde se sentaient à leur aise dans leur boîte. Après cette brève pensée au monde de la conserve, la jeune interne fut ramenée au moment présent avec son colocataire – putain, ils en étaient au stade d’être en colocation sur une table de relaxation – qui se plaignait de sa respiration. Ce fut une nouvelle fausse chamaillerie qui démarra, suivi d’une tentative de Charlie pour montrer au garçon où se trouvait son centre. Fallait croire qu’elle-même n’en savait rien vu qu’elle atterrit totalement au mauvais endroit, vu le cri de Jacks. « Oh merde, putain pardon ! » s’exclama la brunette, elle aussi aillant perdu tout sens de la discrétion. Elle était d’abord devenue rouge pivoine, mais la seconde d’après, en réalisant la situation, puis en entendant le mécontentement d’une des p’tites vieilles de la place, elle éclata à nouveau d’un rire tonitruant. Mais bordel, ils faisaient n’importe quoi. « Merde, oh j’suis déso, ok ouais t’as raison, sinon on va être interdits de Yoga Space pendant dix ans. » rigola-t-elle dans sa barbe en essayant de descendre le ton de sa voix et de contrôler ses gloussements. Ils se précipitèrent presque vers la sortie, où Charlie put enfin libérer ce fou rire qui mit bien deux minutes entières à se calmer, partagé avec son ami. « Bon, j’te jure ça va aller, on va y arriver. » reprit l’Australienne après avoir inspiré profondément, ou du moins, essayé. Allez, concentration. Ils étaient quand même capables de participer à une journée détente sans foutre la merde. « Tiens, voilà tes hamacs adorés. Ils ont l’air mille fois plus confo que les vieilles tables, là, et j’suis sûre qu’on tient à deux dedans sans soucis, cette fois ! » s’exclama la brunette en désignant les grands hamacs colorés, suspendus entre des arbres. Déjà, elle sautillait vers eux, ses boucles brunes rebondissant dans son dos.

Tu pouffas de rire en entendant la grosse voix masculine de Charlie, qui ressemblait davantage à une voix de vieux fumeur sur sa moto. Pas de quoi t’émoustiller, en gros. T’aimais les gros bras mais pas ceux qui venaient avec la veste de cuir et la grosse moustache grise. En général, de toute façon, tu préférais les mecs pas trop musclés, juste assez, légèrement plus grands que toi et élancés. Rien à voir avec ce que te laissait imaginer la voix que prenait Charlie. « La vision d’horreur que j'ai, là. » Avouas-tu dans un murmure en te positionnant en petite cuillère. Une autre vision pas très glamour fut lorsque Charlie se compara à un thon en conserve. Tu lui assuras qu’elle n’en avait pas l’odeur, et fort heureusement d’ailleurs. T’aurais probablement pas pu rester lové contre elle plus longtemps que dix secondes, top chrono. Cependant, Charlie avait une bonne odeur légèrement parfumée, florale peut-être, si tes narines ne te faisaient pas défaut. La douceur de sa peau contre la tienne t’apaisait. Mais pas assez pour que tes pensées se calment et s’assoupissent. T’étais en train de virer fou dans tes réflexions quand Charlie posa sa main sur ton pubis, ce dont tu lui fis rapidement part … à elle et à toutes les autres personnes plongées dans le noir. Ta colocataire, surprise et gênée, se confondit en excuses. Tu rigolas. « Par chance c’est pas la première fois que t’y touches, t’imagines sinon, le malaise entre colocs ? » Bon, t’aurais pu garder cette réflexion-là dans ta tête, dans une petite boîte pour emporter, à rouvrir à la sortie de cette salle quand tes pensées ne seraient pas partagées avec plein d’autres étrangers. Si ça se trouve, il y avait des gens que vous connaissiez et qui avaient reconnu vos voix. Oups. « J’crois que je me remettrais du bannissement, mais juste parce que je suis un gros bébé, j’préfère toujours avoir l’option de venir si je veux. » Mais tu te doutais que tu ne reviendrais pas trop souvent. La méditation, la pleine conscience, t’avais bien du travail à faire avant d’être capable de t’y adonner. Vous vous étiez donc relevés à la hâte et vous aviez quitté la salle noire. Dès que t’eus franchi l’extérieur, tu lâchas ton fou rire. « On aurait dû le savoir que c’était pas pour nous, les endroits où il faut garder le silence complet. » Heureusement, les hamacs que tu convoitais tant se trouvaient dans une zone où les conversations à voix basse étaient permises. « Ouais, attends de voir la limite de poids permise, hein. Si ça se trouve dès que je vais grimper avec toi, on va se retrouver les deux culs par terre. » Tu suivis Charlie qui gambadait jusqu’aux hamacs colorés. Tu lui laissas le soin de choisir celui qui l’interpellait le plus, et tu embarquas à côté d’elle, non pas sans galérer à ne pas te perdre au fin fond du hamac roulé autour de vous. Les troncs d’arbres semblèrent un peu mécontents, mais ils tinrent bon face à ta grimace. « Tu crois qu’on est safe ? » Demandas-tu, sans perdre ta grimace d’appréhension du pire.

Non mais il voulait qu’elle s’étouffe de gêne, en fait. Bon d’accord, sa réflexion était plutôt drôle, même très drôle en fait, parce que ça alimenta le rire de Charlie qui était déjà partie pour perdre un poumon. Et surtout, là tout de suite, elle ne voulait rien imaginer du tout, en tout cas pas ses nuits passées avec Jackson. Elle était déjà suffisamment perturbée comme ça pour le moment, même si aux yeux du monde extérieur, elle restait la même Charlie pleine de vie et d’humour à deux balles. Montrer le vide qui la prenait aux tripes par moments, ces dernières semaines, c’était hors de question. Pourtant, Charlie était nulle en mensonges, son visage était généralement un livre ouvert. Mais quand il s’agissait d’un malaise plus profond, de quelque chose qui la touchait sans qu’elle ne sache vraiment se l’expliquer, elle devenait douée pour faire illusion. La Charlie souriante et bienheureuse ressortait encore plus, comme pour compenser le feu intérieur qui s’amenuisait. Le problème, c’était qu’avec les personnes qui la connaissaient vraiment bien, c’était plus difficile à cacher. « Oui ben allez viens, gros bébé ! » le disputa faussement Charlie en le prenant par la main pour prendre la fuite hors de la pièce. « Hé, il faut toujours essayer, avant de dire qu’on ne sait pas ! Parce qui ne tente rien n’a rien, et que… Non attends, c’est pas ça l’expression. Fin bref, on s’est compris. » répondit Charlie, à peine remise de son fou rire. Clairement, Jacks n’avait pas tort, ils auraient pu se douter qu’à deux dans un endroit où la règle est le calme et le silence, ils ne tiendraient pas cinq minutes. Même seule, l’étudiante n’aurait pas réussi. Elle parvenait à rester calme et concentrée uniquement quand il y avait quelque chose de précis qui demandait toute son attention. C’était comme ça en chirurgie, en danse ou en photographie. C’étaient des activités qui demandaient de la précision et une attention extrême. Les deux colocataires se dirigèrent enfin vers les fameux hamacs promis, qui semblait plus que confortables, et surtout plus spacieux et pratiques. « Ah, tu vois, t’admets le poids de tes grosses fesses. » railla la jeune fille alors qu’ils grimpaient dans un des grands hamacs en tâchant de ne pas tomber avec le jeu d’équilibre du tissu tendu. Une fois installés, à nouveau l’un contre l’autre, mais cette fois dans cet espèce de cocon doux et bienveillant, Charlie s’autorisa à enfin détendre ses muscles. C’est fou, comme elle pouvait être tendue sans s’en rendre compte, parfois. Généralement, elle lâchait toutes ses émotions en vrac, tout ce qui lui passait par la tête. Au grand dam de ceux qui l’entouraient, parfois. Ces derniers temps, elle sentait ses muscles plus endoloris que d’ordinaire, accumulant une tension silencieuse qu’elle ne parvenait pas – ou ne voulait pas – exprimer. « J’espère. » souffla la brunette pour toute réponse, en se faisant la réflexion que cette question ne concernait pas uniquement le hamac. « Jacks ? Tu peux me faire un câlin ? » reprit la jeune fille encore un ton plus bas, presque comme un enfant perdu.

Vous aviez enfin pris la fuite, hors de cette salle de détente plongée dans le noir, hors de cet antre de la honte générée par nulles autres que vous-mêmes. Les personnes voisines à votre lit n’étaient pas à blâmer, elles désiraient la quiétude parce que c’était ce que le Yoga Space promettait. C’est vous qui n’étiez pas vraiment à la bonne place, avec vos délires et vos rires incessants. T’aurais dû savoir que Charlie et toi dans un spa tranquille, ça ne faisait pas bon ménage. Vous étiez faits pour brûler comme le soleil, pas pour être deux humains endormis sous la nuit – même si elle était imitée. Tu fis d’ailleurs part de cette réflexion à ton amie, qui rétorqua qu’il fallait au moins que vous ayez essayé. Tu arquas un sourcil en l’écoutant chercher une expression, avant de rire en hochant la tête. Oui, t’avais compris. « Ouais ben là on a essayé et on sait qu’on va se faire avertir au moins vingt fois dans les prochaines heures. » Vous aviez payé pour un bloc de combien d’heures, déjà ? Quatre ? Bordel. Et t’allais pas sortir d’ici avant d’avoir profité de chaque minute réservée. Ton compte en banque ne supporterait pas que tu jettes de l’argent par la fente du guichet en quittant plus tôt le Yoga Space. C’était pas donné, une visite au spa. Charlie était de toute façon partante pour poursuivre cette petite aventure d’un jour. Tu te dirigeas vers les hamacs avec elle. Tu doutais de la capacité maximale que pouvait soutenir ces bouts de tissu attachés à des palmiers, mais il fallait avoir confiance en la vie. « Pourquoi ce serait mes fesses le problème et pas plutôt mes gros muscles, hein ? » Te vexas-tu – faussement. Tu arrivas malgré tout à monter dans le hamac. Ce n’était quand même pas la même technique que de t’agripper à un tissu dans les airs. C’était un tout autre challenge, surtout quand il fallait que t’évites d’éjecter Charlie par terre. Heureusement, vous aviez réussi à vous installer confortablement. La jeune femme était lovée contre toi, légèrement embarquée par-dessus ton corps sans non plus t’envahir. C’était juste … confortable. Doux, et confortable. Tu souris bêtement, t’étais bien. « C’est pas déjà un peu ce que je fais ? » Demandas-tu avec une douce moquerie dans le ton de ta voix, alors que Charlie te réclamait un câlin. Tu la serras cependant un peu plus encore contre toi et tu embrassas ses cheveux. « Ça va ? » Demandas-tu calmement, à voix basse.

Devant l’argument de Jacks, la jeune fille mima l’exaspération d’une maman quarantenaire et roula des yeux. « Hééé ben au moins maintenant on sait ce qui nous attend si on devait retenter l’expérience ! C’est comme les épinards, Jackson, faut les goûter quand t’as quatre ans quand ta maman te laisse à table toute l’aprem’ tant que t’as pas essayé, pour au moins savoir que t’en mangeras plus jamais de ta vie. » expliqua Charlie à la façon d’une prof qui explique une évidence à ses élèves perdus sur Pluton. Elle avait pris un air super sérieux, pour déballer tout son théorème, mais même elle, la scène la faisait rire, et elle adressa un regard amusé à son colocataire. Après ce bref éclair de maturité – à peine -, Charlie était prête à continuer cette journée qu’ils s’était octroyée, et que son ami lui avait gentiment offert. Même s’ils n’étaient sans doute pas totalement en ligne avec l’idée du Yoga Space, pour la belle brune, ça restait une journée de détente. Raconter des bêtises et jouer les enfants pas sages avec Jacks, c’était sa salle de détente à elle. Sauf qu’il n’y faisait pas noir. Impossible, quand l’acrobate était à ses côtés. « Ah mais j’ai jamais dit le contraire, d’ailleurs, les muscles ça pèse plus lourd que la graisse ! » répliqua Charlie en acquiesçant, avec une moue éloquente. Ben oui, il pouvait avoir des fesses bien fournies et des gros muscles, les deux étaient combinables. Et en plus, elle ajoutait un petit air de "le saviez-vous ?" à sa réponse, comme une Madame-Je-Sais-Tout. Et en parlant de tout savoir, Jackson savait très bien que ce n’étaient que des taquineries sans fondements, après tout, ils s’étaient déjà vu nus. Alors... Chacun savait ce que l’autre avait vu. Une fois blottis dans le hamac, Charlie parvint étonnamment à trouver un peu de silence intérieur, mieux que dans cette pièce avec des voisins invisibles. Ici, seule avec le brun, elle se sentait plus en sécurité, plus en confiance. Protégée, presque. Elle avait besoin de respirer, de lâcher un peu de lest. Elle était bien là, elle se sentait mieux, même. Elle se sentit même de gratter un câlin au jeune homme, alors qu’elle était déjà contre lui, pensive, ruminant ses émotions qu’elle ne parvenait pas à étiqueter. Elle esquissa un petit rictus amusé. « Si, I guess. » dit-elle, avant de se blottir un peu plus contre son corps, frissonnant comme un chat alors qu’il caressait ses boucles brunes. Elle était à deux doigts de ronronner. Un silence s’observa quand le garçon lui demanda si ça allait. Elle avait envie de répondre oui, pourtant ses lèvres restèrent closes. Elle ne savait pas vraiment répondre à cette question, en fait. « Ça t’arrive de te sentir super seul ? Même si tu sais que tu pourrais appeler n’importe qui et que cette personne débarquerait sûrement dans la minute ? » demanda-t-elle pour toute réponse, toujours sur un ton feutré, comme si elle avait peur qu’on les espionne.

« Mais quel traumatisme t'a laissé ta mère avec les épinards ? » Demandas-tu en riant. « C'est bon, des épinards. » T'étais loin d'être le petit gars difficile, dans ton enfance. Tu mangeais très santé depuis tout jeune, alors les légumes verts ne t'effrayaient pas, au contraire. Mais bon, tu comprenais aussi que ce n'était pas vraiment ça le point soulevé par Charlie. Tu ne répondis toutefois rien de sérieux à ce propos et tu suivis plutôt ta colocataire jusqu'aux hamacs. Là, vous alliez être bien, tranquilles, et pas collés à moins d'un mètre d'une autre personne. Vous alliez pouvoir discuter - discuter, pas hurler - sans avoir l'impression de déranger. Charlie parla à nouveau de tes grosses fesses et cette fois, tu le défendis, ton derrière. Mais tu réalisas rapidement qu'en fait il n'y avait jamais eu d'insulte ou d'quoi, derrière. Ton amie parlait effectivement de tes muscles. Tu te claquas une fesse en les montrant à la jeune femme  - même si elle les avait déjà vues d'elle-même. Agrippées, même. « Appelle-les mes fesses de fer, alors, rends-leur ce qu'elles méritent. » Tu souris, taquin, enfantin, avant de tenter de monter gracieusement dans le hamac - mais même un acrobate de ton niveau ne pouvait être gracieux dans une telle procédure. T'arrivas finalement à t'installer, et Charlie vint te rejoindre, réclamant rapidement une étreinte plus serrée. Elle se blottit contre toi et, quand tu lui demandas si ça allait, le silence s'installa. Tu fronças légèrement les sourcils mais tu n'ajoutas rien, tu attendis. La question était lancée, tu la laissais maintenant formuler sa pensée, si nécessaire. Tu l'écoutas en ressentant toute la solitude dans son humeur.  « Oui ... oui bien sûr que ça m'arrive. De plus en plus, même.  » Admis-tu en pensant à Lys qui avait trouvé l'amour avec Azriel, en pensant à Perry qui semblait le pire candidat pour quelque chose de stable, à Juliann qui habitait désormais avec Nevaeh, à Alix qui était partie, à Beth qui n'avait d'yeux que pour Zak. Et toi là-dedans ? T'attendais, comme un con, que tu la trouves toi aussi, ta belle et grande histoire d'amour. Heureusement que t'avais encore Charlie. Mais ça t'attristait de savoir que Charlie avait les mêmes maux que toi. « Tu te sens comme ça, toi aussi ? À vouloir ce quelqu'un ... ce quelqu'un de spécial ? » Ajoutas-tu ensuite, voulant qu'elle élabore. Et peut-être qu'elle trouverait les mots que toi, t'arrivais pas à trouver.  

Charlie gloussa, c’est vrai qu’elle n’était pas toujours facile quand elle était enfant. Et du temps où la famille Meers conservait plus ou moins les apparences, maman savait comment gérer sa fille. Surtout quand il s’agissait d’épinards. Au fond, maintenant, elle trouvait pas ça si mauvais. Elle n’aurait pas bavé devant une assiette verte, mais elle aimait tellement la bouffe qu’elle pouvait manger à peu près n’importe quel plat. La jeune chirurgienne éclata de rire quand Jackson défendit ses fesses, ce à quoi elle acquiesça pour marquer son accord. Oh oui, elle en savait quelque chose. Mais elle allait rougir s’ils continuaient dans cette joute de répliques en surface anodine. « Comme le Géant de Fer, c’était un trop chouette dessin animé ! Mais bon, il avait un moins beau derrière que toi. » répliqua Charlie en haussant les épaules. Oui, ce grand personnage imaginaire tout fait de métal était certes attachant, quand on était enfant, mais aucun rapport avec les attributs de Jacks. Une fois confortablement installés dans le hamac, la brunette blottie comme un petit animal frêle dans les bras rassurants du jeune homme, l’ambiance légère se ternit un peu. Charlie n’était pas seule. Rien qu’actuellement, elle n’aurait pu être plus proche de quelqu’un, collée à son ami comme une naufragée à sa bouée. Et pourtant. La réponse de Jackson la rassura, même si elle ne lui souhaitait pas de ressentir ça à lui non plus. Mais elle se sentait un peu mieux en sachant qu’au moins un proche pouvait ressentir ça aussi, même si tout allait bien. La jeune fille se sentait rarement déprimée, en tout cas quand il n’y avait pas de raison. Elle était ce genre de petit soleil qui sautait dans la vie de toute le monde pour distribuer généreusement ses rayons. Mais il fallait croire qu’elle non plus, elle n’était pas épargnée par les questionnements de la vie. « J’y avais jamais vraiment réfléchi. Je suis toujours partie du principe que je me suffisais à moi-même, et que la vie était déjà très bien comme ça. » souffla la brunette, réflexive. Et pourtant, les mots de son colocataire résonnaient en elle. Oui, peut-être qu’à force de ne jamais vraiment chercher mais de ne jamais vraiment trouver non plus, elle se sentait anormale, insignifiante. Elle savait que c’était faux. Mais le sentiment était là. Elle avait eu des histoires, mais le happy end, ce n’était jamais pour elle. « J’ai l’impression qu’à force de renvoyer cette image de fille forte et indépendante, personne ne prend la peine de chercher plus avec moi. » souffla-t-elle ensuite. « C’est con hein ? Enfin, j’crois. » Un bref silence suivit, alors que sa gorge se nouait et que ses mains serraient les bras qui l’entouraient. « Comme si un happy end éternel, ce n’était tout simplement pas prévu pour moi. » Sa voix se brisa légèrement sur la fin, et elle se tut. C'était rare qu'elle s'ouvre autant sur ses émotions négatives.

Tu fronças les sourcils en l’entendant parler du Géant de Fer. T’avais aucune idée de qui c’était, encore moins qu’il s’agissait d’un dessin animé. Tu n’avais pas trop regardé la télévision quand t’étais gamin, t’étais souvent au gymnase ou bien à jouer dehors, chez toi ou dans le quartier. Tes parents avaient toujours été pas mal sévères sur les technologies et t’avais pas trop le droit de te retrouver longuement devant un écran. Ça t’avait suivi, cette éducation, et encore aujourd’hui tu n’étais pas un grand amateur de films ou de séries télévisées, sauf si c’était pour en profiter pour faire autre chose avec quelqu’un, quoi. « Le quoi ? » Te contentas-tu de répondre, pour faire comprendre à Charlie que t’avais aucune idée de qui ou quoi elle parlait. Difficile, donc, de savoir si tu avais effectivement un plus beau derrière que ce Géant de fer. De toute façon, l’ambiance s’alourdit bien vite, une fois installés dans le hamac. Ce n’était pourtant pas typique de vous deux, ça, que vos humeurs se voilent d’une certaine noirceur. Vous étiez davantage joviaux, surexcités tout le temps. Là, Charlie semblait perdue dans des pensées bien moins heureuses que le sourire qu’elle arborait depuis ce matin. Tu l’écoutas. Et tu la compris, aussi. « T’as beau être une personne extraordinaire, avoir de l’énergie pour quinze et un sourire pour illuminer à peu près n’importe quel trou noir … C’est aussi normal que t’aies envie d’un peu plus, Charlie. C’est normal de se sentir un peu seul parfois. Enfin, j’pense … » Quand tu pensais à Perry, qui couchait avec qui il voulait, quand il le voulait, mais qui ne s’engageait jamais fermement, tu pensas que lui ne devait jamais se sentir seul. Même en ne se sachant pas aimé d’un amour avec le grand A, même en n’ayant pas une personne auprès de qui s’endormir à tous les soirs, Perry semblait tout le temps comblé. C’était peut-être juste pas pour tout le monde. C’était peut-être juste pas pour Charlie et toi. « Non, c’est pas con. Mais peut-être que tu les intimides, ouais. Peut-être que tu donnes l’impression d’pas avoir le temps ou l’envie de plus que ça. J’sais pas. » Tu ne savais pas dire les bonnes choses, pas alors que t’étais à peu près dans la même situation qu’elle, sauf que toi, tu ne renvoyais pas l’image d’un gars fort et indépendant. Tu renvoyais plutôt l’image d’un mec perdu et en manque d’affection. Et ça aussi ça pouvait faire peur aux autres. « Être le contraire c’est pas mieux. » T’arrivas à cette conclusion à voix haute. Après un court silence, Charlie ajouta qu’un happy end éternel, ce n’était pas dans les cartes pour elle. L’émotion te gagna quand tu sentis la voix de ton amie se briser. Tu serras la mâchoire un moment, le temps de contrôler la vague de tristesse qui t’envahissait. « Bordel, mais on est deux personnes tellement géniales, c’est quoi le problème des autres !? » Lâchas-tu avec empressement, un peu de légèreté dans la voix aussi, parce que tu ne voulais pas te mettre à pleurer sur vos tristes sorts même si c’était pas l’envie qui manquait.

« T’as jamais vu ? » s’exclama Charlie, presque outrée. Elle secoua la tête avec un faux air de désespoir. « Laisse tomber, Jean-Michel-J’ai-Pas-La-Ref’. On s’occupera de ta culture cinématographique plus tard. » dit-elle avec un haussement d’épaules. Le principal, c’était qu’il avait un beau boule, voilà. Mais on n’allait pas en parler pendant quinze ans. D’ailleurs, après un silence d’apparence légère, quelques nuages vinrent l’alourdir, et Charlie vint rapidement chercher du réconfort chez son ami. Même avec la gorge nouée, elle se sentait un peu mieux en entendant que Jackson pouvait partager ces questionnements, ces émotions difficiles à identifier. Elle s’agrippa un peu plus à lui quand il lui répondit, comme pour se fondre dans ses mots apaisants. Elle se sentait écoutée, comprise, et ça lui faisait du bien, surtout de la part de Jacks. Peut-être parce qu’ils avaient déjà partagé plus qu’une amitié, qu’ils étaient plus que simples colocataires qui rigolaient beaucoup ensemble. Peut-être parce qu’ils avaient déjà touché du bout des doigts, à plusieurs reprises, cette petite part d’intimité chez chacun, qu’on ne dévoilait pas à ses amis plus platoniques. Elle se sentait connectée à ce qu’il disait, à son attention douce et le partage de ses sentiments. Ce lien, en cet instant, lui faisait du bien, même si ça n’effaçait pas ses maux passagers. « Merci de me dire ça. » sourit-elle doucement, malgré son visage peint d’une touche de mélancolie. Elle se sentait, en effet, plus normale, plus légitime, après les mots de l’acrobate. « Pourtant, t’as vu ma bouille d’ange ? J’suis tout sauf intimidante, wesh. » plaisanta Charlie pour ramener un peu de légèreté dans cette conversation, même si elle ne le pensait pas vraiment. Quelque part, elle avait toujours pensé que l’amour tombait sur les gens qui ne le cherchaient pas. Sur ceux qui s’aimaient eux-mêmes, qui vivaient leur vie à fond, en couple ou pas. Cette théorie prenait quelques coups avec le temps et ses expériences personnelles. Peut-être que Jacks avait raison, et qu’elle était dans le faux depuis le début, mais qu’elle ne s’attardait sur la question que maintenant. « T’es le contraire, toi ? » s’enquit Charlie en relevant les yeux vers le brun, son visage tout proche du sien. Elle n’avait pas du tout cette vision du garçon. Pour lui, c’était un homme libre, complet, qui savait qui il était. Un peu comme elle, mais en moins envahissant, peut-être. Elle rit à l’exclamation de Jackson, déposant un bisou sur sa joue. Ouais, go blâmer les autres, c’était une bonne stratégie pour le moment. Elle avait l’impression d’être moins seule, à deux contre le monde.

« C’est ta faute, aussi ! T’as qu’à mieux choisir les films qu’on regarde lors de nos soirées cinémas ! C’est à toi de m’éduquer, t’sais. » Te défendis-tu alors que vous saviez très bien, l’un comme l’autre, que décider des films à regarder était une sacrée tâche chaotique pour vous deux. Vous mettiez tellement de temps à choisir, ne vous entendant jamais sur le genre de long-métrages dont vous aviez envie le soir en question. L’un avait envie d’humour, l’autre de drame. L’un avait envie d’horreur, l’autre de science-fiction. Ça se terminait en rires et en moqueries, mais il reste que les repas que vous prépariez pour ces soirées-là, ils avaient le temps de devenir froid pendant que vous vous obstiniez. En ce moment cependant, dans ce hamac, vous étiez loin de vous cramponner à vos opinions opposés. Au contraire, vous étiez parfaitement en symbiose, sur la même longueur d’ondes par rapport à votre sentiment de solitude. Vous légitimiez cette sensation de ne pas être assez pour les autres, ou de ne pas correspondre à ce qu’on attendait de vous. Tu pouffas doucement quand Charlie parla de sa bouille d’ange. « Ouais, carrément, pour ta bouille d’ange. Sauf que derrière, y’a un sacré cerveau et y’a certains mecs qui peuvent se sentir inférieurs à côté de ça et, masculinité toxique oblige, ils acceptent pas d’pas pouvoir te mansplain tout de la vie. » Of course, tu généralisais, ce n’était pas tous les hommes qui pensaient ainsi. Toi le premier, t’aimais les femmes fortes, intelligentes, indépendantes, assumées. D’ailleurs à ce propos, tu ajoutas : « Moi ça m’fait pas peur. J’te trouve incroyable, Charlie. Et j’ai pas la prétention d’me qualifier d’être unique, du coup … j’dois pas être le seul à te voir comme ça. » T’espérais que ça la rassurerait un peu, que ça lui ferait comprendre qu’elle n’avait juste pas encore été mise sur le chemin des bonnes personnes. Peut-être qu’il faudrait que tu commences par te le faire comprendre à toi-même. Tu t’accrochais tellement à Perry que tu oubliais qu’il y en avait probablement d’autres, des hommes gays ou bisexuels, qui pourraient entrevoir une réelle relation avec toi. Rien de caché, rien de non-officiel, rien d’intermittent. Un amour au grand jour, celui que t’attendais depuis un moment maintenant. Charlie te sortit de tes pensées en rebondissant sur ce que tu venais de dire, que le contraire d’être indépendant, ce n’était pas forcément mieux. Elle se doutait que tu parlais de toi, évidemment. Elle était futée, la Charlie. « Hmm, j’crois que ça m’a pris du temps à le voir, mais, ouais … j’me rends compte que … que j’m’accroche aux relations que j’ai, même quand j’sais que c’est pas trop possible que ça aille plus loin, et j’me fais des histoires, des espoirs, j’attends que ça vienne en faisant tout pour plaire à l’autre mais … mais nada. J’suis déçu encore et encore. » Et c’est là que tu t’exclamas que c’était les autres le problème, que Charlie et toi vous étiez géniaux. Ça l’amusa, et toi aussi. Tu fermas les yeux en recevant le baiser sur ta joue, et quand tu les rouvris, vos visages étaient bien prêts l’un de l’autre. T’osas doucement déposer tes lèvres sur celles de la brunette.