First impression... | Ft Tamara

@Tamara Wordsworth

Depuis l’annonce de Soraya, tu dormais mal, très mal. Oh, bien évidemment, tu étais heureuse pour ta nièce, mais au fond de toi, tu te demandais si tu serais à la hauteur : gérer un ado, ça, tu savais le faire : ta petite avait débarqué peu avant de se transformer en Gremlins. Enfin : ça, c’était la version officielle. Celle que tu lui servais pour la taquiner, quand vous discutiez. Parce qu’au fond de toi, tu étais bien consciente d’avoir eu de la chance, avec Soraya. Elle avait été loin d’être pénible. Bien évidemment, elle avait fait des bêtises, de temps à autres. Mais comme tout enfant qui se respectait : rien d’alarmant, donc. Parfois, quelques coups fourrés avec son ami, Maximilian. Mais rien qui te fasse arracher tes beaux cheveux roux. Mais s’occuper d’un bébé était différent. Et ça… tu n’avais jamais pu le faire. Pas que tu n’aies jamais voulu d’enfant « à toi », c’était même ton rêve lorsque tu étais plus jeune. Mais la nature en avait décidé autrement, et aujourd’hui, ton horloge biologique était en panne. Enfin.. Peut-être pas ? Après tout, il y avait de quoi se poser des questions, lorsque l’on voyait la grossesse de Charlène. Ta meilleure amie était radieuse. Tu soupirais. Peut-être pourrais-tu aller lui demander quelques précieux conseils ? Tu te tournais dans ton lit. Vous alliez vous en sortir, c’était une promesse. Tu ne la tiendrais pas seulement pour toi, mais aussi pour elle. Et puis, de toutes façons, ce n’était pas comme si la petite était seule ! Car dans toute cette panique, le père avait annoncé à ta nièce qu’il voulait assumer son rôle. De quoi te faire respirer encore un peu plus. Tu fermais les yeux. il faut dormir, maintenant.Mais ton cerveau n’avait pas dit son dernier mot. Il continuait à turbiner, te ressortant à présent les vieux dossiers : Tom. Ton coeur se serrait. Tu avais envie de vomir, de pleurer, pourtant, cette affaire, il y avait longtemps que tu pensais l’avoir digérée… Après tout, cela faisait quand même un an que vous aviez refait vos vies chacun de votre côté. Tu attrapais ton portable. Après tout, peut-être pourrais tu prendre des nouvelles ? Hors de question. Tu imaginais déjà Valentina et Charlène te secouer comme un prunier « mais qu’est ce que tu fais Tam ?! Se remettre avec son ex, c’est comme ravaler son propre vomi ! Tu vaux mieux que ça ! » te crieraient elles. Et le pire, c’est qu’elles auraient raison. Tu en avais conscience. Tu te relevais en roulant des yeux. Ta conscience avait décidé que tu ne dormirais pas, de toutes façons. Il faudrait composer avec ça ; et tu décidais d’aller boire un verre : Ce n’était peut-être pas ton style d’aller écumer les bars en pleine nuit, mais tu savais aussi que les habitudes étaient faites pour être brisées.


Plus de verres que prévu avaient passé la frontière de tes lèvres. Affalée dans ton canapé, tu te sentais honteuse, tirant sur toi le plaid dont tu n’avais pourtant aucun souvenir de l’avoir pris. En fait, tu suspectais Soraya de l’avoir mis sur toi durant ton sommeil. Tu soupirais, te sentant tante indigne : quelle tante digne de ce nom ne préparait pas le petit déjeuner de sa nièce, et ne se levait pas avant son départ ? T’avais clairement abusé, et bien trop mal aux cheveux pour que réfléchir correctement. D’abord, tu prenais une douche dans l’espoir de te remettre les idées en place.. Tu t’habillais en suite, te maquillant de façon très légère pour masquer les dégâts. Et tu optais pour une session courses digne de ce nom : à défaut de remplir ta vie, tu remplirais ton frigo. Déambulant, lente et sans réel but dans les rayons du supermarché, Walking dead du pauvre, ton dévolu se posait sur une boîte de crackers dont Soraya raffolait. La seule, l’unique. Il te la fallait absolument. Tu fonçais, mais voilà qu’un homme ,bien plus rapide que toi, se servait, te balançant, d’un ton dédaigneux, une phrase digne de celles de Tom. Et ça te mettait en rage :

« je vous remercie de vous soucier de ma santé, monsieur, sincèrement. Mais il ne me semble pas avoir pris rendez-vous avec vous pour quoique ce soit ? Êtes-vous une sorte de… nutritionniste ? Car si tel est le cas… vous devriez revoir le contenu de votre caddie. Sauf votre respect… les calories présentes dans toute cette bouffe transformées sont aussi vides que votre cerveau. Si toute fois cette boite cranienne en contient bien un ? Non parce que j’ai comme un doute, en voyant votre regard de poisson mort ! » et t’as pris la boite, avant de lui adresser un sourire carnassier « Oh et au passage … votre maman ne vous a jamais dit, d’être poli, à défaut d’être joli? tu réprimais un rire moqueur, lui tournant le dos, en récupérant ton caddie « bonne journée, très cher môssieur! »

Je suis ce qu’on appelle un homme occupé, homme d'affaires j’ai appris à gérer sur le tas, n’ayant aucune connaissance particulière dans le domaine. Je gère l’entreprise et j’ai ma vie de famille, la maison, les enfants et tout ce qui peut venir avec. Parfois trouver du temps pour faire des choses ordinaires est difficile. J’ai une femme de ménage qui vient à toutes les semaines à la maison pour gérer cette partie que je n’aime pas du tout, mais les courses je dois gérer et ça c’est quelque chose qui m’a toujours fait chier je dirais. Avant, je laissais Laura s’en charger, mais maintenant que je vis seul et que j’ai deux jeunes adultes avec moi qui eux s’en foutent de laisser un frigo vide derrière eux. Mais tout ça, ce n’est pas grave, enfin c’est chiant, mais ce n’est pas grave, juste que c’est une journée ou je n’avais vraiment pas la tête à ça !

Je traîne ma mauvaise humeur au supermarché, prenant dans mon panier bien des choses qui ne s’y retrouveraient pas en temps normal. La faim, la fatigue et tout ce qui vient avec fait en sorte que je ne porte pas attention à ce que j’y met. Sans liste et menu préparer je me charge simplement de ramener des aliments avec lesquels j’espère que je pourrais composer quelque chose durant cette semaine. Lorsque les enfants ne sont pas à la maison, je suis un peu moins regardant sur ce qu’il y a et souvent il m’arrive de ne même pas manger à la maison, donc c’est juste pour dépanner.

Ce que je ne m’attendais pas en venant ici, c’était de me battre avec une bonnefemme pour une boîte de gâteaux. La courtoisie élémentaire aurait voulu que je la lui laisse, mais je n’ai pas envie et je ne suis pas d’humeur. Ne mâchant pas mes mots, je lui fais comprendre qu’elle est assez grosse pour ne pas avoir besoin de cette boîte. Était-ce la meilleure technique ? Clairement pas, ce n’était pas en l’insultant que j’allais m’attirer sa sympathie, mais ai-je besoin d’être ami avec ce genre de femme ? J’aurais pu la laisser aller tranquillement, mais elle est venu m’insulter à son tour ! Pa-re-don ?

“Je me soucis surtout du fait que ce sont mes taxes qui vont devoir vous entretenir lorsque vous ne serez même plus capable de passer dans un cadre de porte parce que vous aurez ingurgités toutes vos émotions, parce qu’avec une tête comme la vôtre, je mangerais clairement mes émotions aussi. Regardez-vous donc dans un miroir avant de qualifier quelqu’un de pas joli. ” Mais la pute, elle s’en va comme ça ? Elle pense vraiment que je vais la laisser gagner comme si de rien était. Oh non, ce matin n’est clairement pas le bon matin pour me faire chier. Je la laisse partir, mais en la croisant dans l’allée suivante, je me permet de reprendre cette boîte qu’elle a volé de mes mains. “ Je crois qu’en roulant vous avanceriez plus vite qu’en marchant ! ” Puis je sors de la rangée pour aller au rayon des produits laitiers au bout des allées.

Quel connard, mais quel connard ! Tu bouillais intérieurement. Pas parce qu’il t’avait traité de grosse vache, ça, à la rigueur, tu n’en étais pas à ton coup d’essai : pas le premier, pas le dernier, tu commençais à avoir l’habitude de ce genre d’abruti qui se croient supérieurs à cause de leur silhouette sportive et élancée. Tu n’étais pas méchante, mais à ceux là pourtant, tu souhaitais une fin de vie où la prise de poids et les douleurs articulaires seraient le maître mot. Une sorte de vis ma vie hardcore. Car en ce qui te concernait, tes articulations allaient très bien : tu n’étais pas encore à l’âge où l’on commençait à regretter d’avoir fait un aller et retour à la supérette en face. Et encore heureux ! Au fond de toi, tu espérais que ce moment n’arriverait jamais. Rester en place, très peu pour toi. Si tu bouillais, donc, ce n’était pas pour sa stupidité, mais pour son manque de manque de respect. Ton sang ne fit qu’un tour et bien vite, tu te retrouvais, toi aussi, à l’insulter. Te rabaisser à son niveau n’était sans doute pas la meilleure idée, mais sur le coup, c’était encore tout ce que tu avais trouvé. Et puis, peut-être qu’en vous battant avec les mêmes armes imbéciles, vous finiriez par… trouver un compromis ? Ou vous entretuer. Tu ne savais pas encore, et la question méritait d’être posée parce que d’un côté, il y avait ce type, con comme un moule à gaufres (ou du moins, c’était ce qu’il laissait paraître, et tu n’avais pas le temps ni l’envie d’aller chercher derrière les apparences) et toi, ta gueule de bois, et ton envie de faire plaisir à ta petite avec ces putains de gâteaux. Bien sûr, tu aurais pu lui laisser. Après tout, ce n’était pas la seule marque proposée dans le magasin, et quand bien même tu savais que des fruits auraient tout aussi bien contenté Soraya. Mais plier face à ceux qui pensaient t’imposer leur condescendance ? Alors là, jamais ! Plutôt mourir ! Rouge de colère à ses mots de trop, tu pris une grande inspiration : « je me regarde, cher monsieur, tous les matins dans la glace. Et tout ce que j’arrive à me dire, c’est qu’heureusement que ce n’est pas votre tête, que je vois au réveil, elle me donnerait envie de mourir ! » et l’air de rien, tu prenais la boite de ses mains avant de, toi aussi, tracer ta route. Seulement… ça ne s’arrêtait pas là. Toi qui pensais être tranquille, le voilà qui te rattrapait, te conseillant de rouler pour aller plus vite. Connard. Tu lui adressais un sourire forcé, avant de lui lancer « Pauvre chéri… c’est tellement triste, de rejeter sa frustration sur la première personne qu’on croise. Allez tirer votre coup, j’vous assure, vous serez plus détendu. » Et tu t’apprêtais à reprendre ta route, lorsque stupéfaite, tu le regardais te reprendre la boite des mains, continuant sa course vers les produits laitiers. C’en était trop . Tu le suivais, et t’empparais d’une bouteille de lait, que tu ouvrais, furax, avant de gueuler : « HEY, VOUS ! » tu attendais qu’il se retourne, avant de poursuivre : « vous prendrez bien un verre de lait avec vos gâteaux ?? » et sans attendre sa réponse, tu lui vidais la bouteille au visage. Peut-être allais-tu trop loin ? ok. Mais c’était lui qui avait commencé.

Ok, mais là cette histoire commençait à aller trop loin. Cette bonne femme devait être bouché de tous les trous, c’est impossible qu’elle puisse être conne comme ça ! Je suis frustré, mais elle, elle est clairement mal baisée, elle aurait de la chance de voir une gueule telle que la mienne chaque matin, mais je n’ose même pas imaginé qu’elle est sa conception de la beauté. Son jugement doit être biaisé…  « Dommage que vous ne soyez pas déjà sous terre, j’aurais pas eu à me faire chier avec votre présence ! » Je ne suis pas certain qu’elle m’ait entendu vu qu’elle quitte avec la boîte de biscuit. Je la rattrape dans les rangées et avant de lui reprendre la boîte, je lui conseille gentiment de rouler pour avancer plus vite. Chéri  ? elle ose penser qu’elle peut m’appeler comme ça ? « Oh il ne faut pas s’inquiéter pour ça, mon coup je le tire quand je veux. Je m'inquiète plus pour vous, vous êtes certaine de ne pas avoir de toile d’araignée entre les deux jambes… Parce que je ne crois pas qu’il y ai une file vers votre lit. » Je reprends la boîte et je m’en vais vers la section des produits laitiers, quand elle m’appelle je me retourne en voulant passer un commentaire sur le fait que décidément elle ne semble plus pouvoir se passer de moi. Que je me ramasse avec du lait sur la gueule. Oh la vache, c’est une putain de conne cette femme. J’attrape le sirop au chocolat que j’ai pris dans mon panier et l’ouvre avant de lui en asperger . « Vu que vous semblez aimer vous goinfrez, un peu de chocolat pourrait vous remonter le moral non ? » Notre petite scène ne semble pas passer inaperçu, puisque des employés commencent à venir dans notre direction. « Vous parlez tellement fort qu’on dirait une truie qu’on égorge, vous voyez toute la scène que vous créez ? »  L’odeur du lait commence déjà à m’écœurer… cette femme me fait chier !

Non mais c’était pas possible ! Il s’imaginait quoi, ce type ? Que tu allais le laisser t’insulter et se barrer avec TA boite ? C’en était trop. La guerre, il la voulait, il l’aurait. no half mesure, la guerre était déclarée. Soraya aurait sa putain de boite de gâteaux, que ce pauvre type le veuille ou non. T’avais sorti l’artillerie lourde, t’avais pas eu le choix. Et le voilà qui continuait de déblatérer de la merde… pathétique. T’étais pas certaine de ce qu’il disait ; Sans doute parce que tu n’écoutais plus ses jérémiades. T’as vaguement entendu un truc comme « saouler six pieds sous terre » et putain, tu confirmais : ce mec était tellement chiant qu’il devait même gaver les morts ! Tu ne t’étais pas encombrée de ses mots, t’allais pas le faire répéter. Tu t’étais contenté, tranquillement, de te barrer avec la boite que tu avais récupérée, mais il était tenace ! À sa remarque, t’as éclaté de rire, blasée par sa stupidité « pauvre chat. Si c’est ce que vous pensez… à votre aise. Je n’ai pas besoin de multiplier les conquêtes pour me rassurer sur mon complexe d’infériorité. » Tu tapotais son épaule, faussement compatissante, avant de … Déchanter bien vite. Tu t’étais encore faite avoir. Nom de dieu, mais il n’abandonnait jamais ? Ça vous faisait un point commun. D’ailleurs, c’était votre détermination, le plus beau à voir dans votre échange pourtant musclé et ridicule. Mais heureusement pour toi, le ridicule ne tuait pas, aussi avais tu pris la décision un peu extrême de te saisir d’une bouteille de lait que tu lui vidais en pleine face. Peut-être pas efficace, mais ça soulageait. Tu t’apprêtais à lui reprendre la boite, d’un air satisfait, lorsque soudainement, tu reçus une giclée mémorable de chocolat. Violent, mais pas assez pour t’arrêter. T’en avais tellement marre ! Furieuse, tu essuyais ton visage et tes cheveux maintenant collants, prête à te jeter sur lui lorsqu’un vigile t’attrapais par le bras : « Alors vous… mais VOUS ! Ne me touchez pas ! Où étiez vous, quand ce monsieur m’a agressée ? Hein ? Ils étaient bons les bagels ? » tu te défaisais de l’emprise de l’homme qui ne faisait que son travail et partais d’un pas certain, pas peu fière de ta petite comédie qui aurait le mérite de mettre le doute suffisamment longtemps pour que tu récupère la boite, laissant l’autre crétin à son sort de crétin. Sur le papier, le plan était parfait. Mais dans la réalité, tu avais oublié cette foutue flaque de laquelle tu étais responsable, et sur laquelle tu t’étalais de tout ton long. Ton genou fit un « crac » sinistre. Tu grimaçais, te tordant de douleur. Putain, tu t’étais quand même pas pété la jambe pour un putain de paquet de gâteaux?!

Je crois que jamais je n’aurais pu imaginer que mon matin soit aussi agité et que tout me fasse chier de la sorte. Tout, mais absolument tout me faisait sortir de mes gonds. Y compris cette petite bonne femme qui a eu le malheur de croiser mon chemin et celle de cette boîte de biscuits. C’était ridicule, complètement, mais on dirait que je ne pouvais pas m’en empêcher, je DEVAIS avoir le dernier mot. Qu’elle me prenne la boîte des mains c’est une chose, qu’elle me traite de mal baisée aussi, mais jamais je n’ai laisser quelqu’un me manquer de respect de la sorte. La seule personne qui aurait pu dire à cette dame à quel point je pouvais être obstinée quand je m’y mettais c’était Laura et je crois qu’en ce moment elle rirait de voir à quel point ça allait loin. Ce n’était même plus l’histoire de la boîte de gâteau qui me faisait continuer, mais le fait qu’elle ai piqué mon orgueil. Le coup du lait en pleine face était clairement de trop, oh non je ne me laisserais pas faire de la sorte je l’attaque à coup de sirop chocolat avant que les vigiles n'arrivent . On passe proche d’en venir au mains, mais ils l’attrapent à temps et l’autre essaye de venir m’attraper aussi. Je me dégage alors qu’elle hurle que je l’ai agressé en insultant au passage les gars de sécurité. « Je ne l’ai même pas agressé ! Je n’oserais même pas la toucher avec un bâton! C’est elle qui m’a envoyé du lait en pleine gueule. Non mais lâchez-moi ! » Je réussi à faire en sorte qu’on me lâche et alors que j’essaie de m’éloigner elle aussi se défait de l’étreinte, et sans que je ne m’y attende, elle pile dans la flaque de lait et tombe par terre… La situation aurait pu être drôle s’il n’y avait pas eu ce craquement sinistre. J’ai envie de rire, mais en même temps je me retiens, le gars s’approche d’elle pour l’aider. Je tourne la tête vers mon panier, puis vers elle. Dans un élan de générosité je prends la boîte et je me penche vers elle. « Finalement, je pense que je n’ai plus envie de ces biscuits. Ils pourront mieux vous consoler ! Vous n’étiez pas obligé de tomber pour faire pitié ! » Je ne relève et viens pour m’en aller que le vigile m’arrête. « Il va falloir nous suivre au bureau tous les deux si madame est encore en état de marche ! » Il se fout de ma gueule ?

Impossible. C’était impossible. Comment ce con avait pu te faire basculer dans une telle psychorigidité ? Tu n’en avais aucune idée, et pourtant… t’avais clairement capoté. Non mais merde, qu’est ce qui t’arrivait ? Tu avais totalement vrillé ! Tu avais beau chercher, tu ne comprenais pas, et il était clairement temps que tu te relève de ta flaque de lait. Tu t’apprêtais d’ailleurs à le faire. Dans le fond, tu savais que tu en étais tout à fait capable : tu avais peut-être un peu mal, le craquement t’avait inquiétée, mais tu savais que tu pourrais au moins rentrer chez toi, pour y mettre de la glace. Sauf que… Tu changeais de plan, lorsque tu entendis les hommes de la sécurité expliquer qu’il faudrait aller à leur bureau pour régler tout ça. Non. Ce n’était pas dans tes plans de perdre plus de temps. Aussi avais-tu décidé de redoubler d’efforts dans ton jeu d’actrice inexpérimentée. Tu espérais être convaincante tandis que tu pleurais et hurlais de douleur. De temps à autres, tu adressais quelques regards insistants à ton adversaire, espérant qu’il comprenne ce que tu avais prévu. Tu ne relevais même pas sa phrase destinée à te faire sortir de tes gonds. Au pire… tu pourrais bien lui en donner un ou deux en sortant du magasin, s’il se calmait un peu. Pourquoi d’ailleurs n’aviez vous pas pensé plus tôt à partager ? Probablement à cause de vos fiertés respectives. Tu lui adressais un regard suppliant, destiné à, d’une part, endormir la confiance des personnes de la sécurité, mais aussi et surtout, le surprendre assez pour qu’il t’écoute : jusqu’ici… te montrer face à lui en situation de faiblesse n’avait pas été dans tes plans. Tu attrapais doucement sa jambe, des sanglots dans la voix : « vous… emmenez moi aux urgences, vite, ma jambe me fait souffrir, faut faire quelque chose ! Vous me devez bien ça… sortez moi de là !! » tu le regardais quelques secondes avant de lui faire un signe discret de la tête, vers l’extérieur du magasin, pour être sûre qu’il comprenne. Et tu te tournais vers les employés du magasin, médusés par la scène. La douleur et la peur sur le moment t’avaient donné un teint légèrement pâle dont tu profitais pour les apitoyer : « j’vous en supplie… laissez nous partir, ma jambe doit être cassée… j’ai mal ! » toi ? En faire des caisses ? Si peu. Tu espérais simplement éveiller leur pitié assez pour retrouver ta liberté. Et si l’autre pouvait sortir avec toi, dans le fond, tu t’en fichais : c’était tout bénef pour vous deux.

Si la fatigue avait été une excuse pour ma mauvaise humeur, on l’avait agrémenté avec une parcelle de mauvaise volonté quand j’ai croisé la route de cette femme. Est-ce que cette histoire allait trop loin ? Je dirais bien que oui, que notre comportement était plus que enfantin venant de la part de deux adultes dans la force de l’âge. Je ne sais pas quel âge cette rondouillarde peut avoir, mais elle avait réussi à me faire sentir comme un gamin à cause d’une boîte de biscuit. Le pire, c’est que l’un comme l’autre on ne semblait pas vouloir lâcher le morceau comme si notre fierté allait être blessée si on ne sortait pas vainqueur. Probablement que je ne verrais plus jamais cette femme après aujour’hui, tant mieux pour le coup vu qu’elle me fait chier, mais je ne veux pas perdre la face. Pas maintenant qu’elle m’a aspergé de lait, cette odeur de lait que je vais devoir traîner jusqu’à chez moi. Je me retenais pour ne pas éclater de rire quand elle a perdu pied et s’est étalé comme une baleine sur le sol glissant. J’ai entendu le craquement de sa jambe et l’équipe de sécurité qui s’approchait de nous. Et la voilà qui hurle comme une truie qu’on égorge alors que je viens de lui remettre la boîte de gâteau. C’est à ce moment que je capte son regard. Je relève les yeux vers les agents de sécurité qui veulent nous amener dans le bureau du gérant, puis je baisse de nouveau le regard vers elle. Je me redresse, sans donner la main à la femme au sol. “Écouter… ça ne se reproduira pas… Tenez… ” Je glisse un billet dans la main d’un des agents pour la boîte de gâteau. Je me penche vers elle et lui tends la main pour qu’elle puisse se relever. “T’es mieux de pas me faire tomber… ” Que je murmure à son attention pour qu’elle seule puisse comprendre, non mais avec le poids qu’elle a, y’a pas de garantie que je ne planterais pas en pleine face à vouloir l’aider. Je l’aide à reprendre pied. “Je vais aller avec elle à l'hôpital, je ne peux pas la laisser comme ça. ” Leur regard était incrédule et ils ne semblaient pas savoir quoi répondre. Je tenais d’une main la boîte de gâteau imbiber de lait et avant qu’ils n’aient le temps de dire quoi que ce soit je l’aidais à marcher pour sortir de l’épicerie.

Si tu avais abusé ? Oui, clairement. Si tu regrettais ? Non. Pas l’ombre d’un doute, tu avais adoré faire râler ce type. En fait, il était fort probable que tu aurais lâché l’affaire à un autre moment, ou s’il avait été plus respectueux. Là… ça n’avait pas été le cas. Bon, pour être honnête, tu ne l’avais pas été, toi non plus. Aucun de vous deux n’avait su prendre sur lui et, comme piqués dans votre estime, vous aviez couru après cette boite comme on court après la vie : c’en avait été déconcertant. A vous voir, on aurait pu parier que vous n’aviez pas cinq ans d’âge mental à vous deux. Mais pour la première fois depuis longtemps, tu t’étais sentie en vie. Pas que tu te sente spécialement morte à l’intérieur habituellement, mais ce petit concours de « qui pissera le plus loin » entre vous t’avait étrangement plu. Réveillé ton quotidien morose. Oh, ta petite, elle pourrait s’en passer, de ses gateaux. Tu aurais pu lui trouver autre chose. Mais tu ne voulais pas donner raison à un crétin pareil. Cependant, ça avait été trop loin, et très franchement, tu n’avais aucune envie de finir ta journée au bureau de la sécurité. D’où ton idée de génie. Heureusement, il semblait avoir compris. moins con que prévu. Ouf Tu le vis donner quelque chose à l’agent de sécurité et levais les yeux au ciel : non ! Il n’avait tout de même pas osé l’imbécile !! et quoi ? Si c’était le cas… grand bien lui fasse : tu avais la chance de ne pas être mauvaise perdante. Enfin remise sur pieds, tu te tenais à son épaule. Tu avais mal, mais bien moins que ce que tu pouvais montrer aux agents de la sécurité : tu voulais qu’on vous laisse partir. Une fois à l’extérieur, tu te séparais de lui et t’appuyais au mur, grimaçant un peu, surprise par un élancement dans ton genou « ces gâteaux. J’les voulais pour ma fille enceinte. J’suis pas du genre à grignoter entre les repas, malgré c’que peut sembler avouer mon corps. Vous ne devriez pas juger un livre à sa couverture. » tu lui adressais un sourire, remettant une mèche de tes cheveux derrière ton oreille . Le regard sur tes chaussures, tu mordillais ta lèvre inférieure, un peu nerveuse, avant de reposer tes yeux sur l’homme. Dommage. S’il n’avait pas été aussi buté et malpoli, tu l’aurais presque trouvé à ton goût. Ta main se tendait vers lui tandis que tu concluais : « j’me suis bien amusée. Sans rancune ? » et attendant sagement que la poignée de mains soit réciproque, tu lui adressais un clin d’oeil amusé.