come and take a walk on the wild side (manwë)

come and take a walk on the wild side

Se déplacer dans la foule, ce n’était pas chose facile pour la rouquine. Même aidée de sa canne, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de bruit, de passage et de vibrations dans tous les sens. Cela perturbait ses repères habituels, et même si c’était un grand espace ouvert, Saoirse ne le connaissait pas et il y avait trop de mouvement pour que cela puisse être confortable pour elle. Tout d’abord postée près du bar, un peu en retrait, pas au milieu des assoiffés de Bowen non plus, elle avait décidé sur une apparemment mauvaise idée de se rapprocher un peu plus de la musique. La foule plus compacte devait se trouver tout devant, aux barrières, s’était-elle dit, et vu qu’il était encore tôt dans l’après-midi, il n’y avait pas encore une grosse masse de monde. En restant aux abords de la foule, un peu en retrait, cela devrait aller. Mais même là, la jeune femme se sentait comme un enfant perdu au milieu des adultes. Elle n’en montrait rien, fierté oblige, mais après s’être fait bousculer sept fois, et s’être retrouvée encore plus près de la masse, le malaise l’avait gagnée. Elle n’avait aucune envie de demander de l’aide comme une pauvre malheureuse, de toute façon, elle aurait eu du mal à aborder un ou une inconnue dans cette foule et avec la musique pour couvrir sa voix. Cependant, elle commençait à se dire qu’elle n’arriverait peut-être pas à s’extirper du brouhaha autour d’elle. Elle sortit finalement son smartphone, pour dicter oralement un message à l’appareil, qui devait le retranscrire, pour l’envoyer à Manwë. La belle rousse savait qu’il devait venir au festival, ils en avaient parlé et avaient même trouvé que c’était une chouette occasion de se voir. Son message envoyé, Saoirse ne se doutait pas qu’il était à peine décryptable, à cause du bruit environnant qui avait contrarié la commande vocale. Elle attendait, tentant quelques pas par-ci, quelques pas par-là, dans l’espoir de retrouver une zone plus calme avec plus d’un mètre carré de libre autour d’elle. On la percuta à nouveau, ou bien elle percuta quelqu’un, mais dans tous les cas, elle put sentir un liquide froid et à la forte odeur de bière imbiber sa poitrine et son ventre. « Oh, je suis vraiment désolée… » s’excusa la rouquine, se mordant la lèvre, ne sachant même pas si on l’entendait ou si on comprenait son fort accent irlandais.

come and take a walk on the wild side

La musique est une passion de longue date pour le luthier, on ne choisit par cet emploi tout à fait par hasard ; mais avec l’âge les manifestations musicales l’attire de moins en moins. Il a eut l’occasion de travailler avec et pour de nombreux bands et solistes plus ou moins célèbres et n’a jamais cherché à récolter les miettes de leur gloire. Bien au contraire, Man’ se plait à être un homme de l’ombre. Plus le temps passe, moins les bains de foule ne l’attire, mais avec quelques pintes de bière les choses s’arrangent toujours.

Il ne pouvait déroger au festival de Bowen, parce qu’il connait des artistes qui se produisent et que la plupart d’entre eux sont comme des gosses qui veulent que Manwë puisse les voir jouer avec les instruments qu’il a créés ou rafistolés. La proposition de s’y retrouver avec Saoirse était une raison de plus de s’y rendre. Le brun affectionne la rousse bien qu’il soit trop fier pour formuler ses sentiments ; elle le fascine. Perdre la vue c’est comme une épée de Damocles au-dessus de sa tête, un jour peut-être sera-t-il comme elle, cela peut arrive à tout moment et elle est là… À lui prouver que la vie ne s’arrête pas.

Comme toujours, Manwë est très mal habillé, n’ayant aucune notion des couleurs, mais cela tombe bien, en festival tout le monde s’en fou ! Lunettes de soleil, casquette et parapluie pour s’abriter de la luminosité qui lui provoquerait de beaucoup trop fortes douleurs oculaires pour qu’il profite de l’événement. Un excentrique parmi les originaux. C’est sans être regardé de travers qu’il évolue ainsi sur les lieux du festival particulièrement ensoleillé.

Accoudé au bar avec un de ses clients les moins célèbres, le conversations entre hommes ne volent pas haut et la bière n’est pas fameuse ; mais Man’ est de plus en plus sociable avec ce mélange dans son système d’alcool, de nicotine et d’un peu de weed. Il n’a pas entendu son téléphone portable, mais c’est quand le type lui demande l’heure qu’il checke son écran quelques minutes après avoir reçu un message pour le moins étrange de la part de Saoirse.

“ J’dois y aller. Fini ma bière ! “
Voilà bien trois mots qu’il ne dit jamais en temps normal !

Retrouver quelqu’un dans un tel endroit c’est quasiment impossible. Il a envoyé un message rapide à la rousse pour lui demander où elle se situe, mais il ne perdit pas vraiment de temps pour se mettre à sa recherche. Il espère que ce n’est que la poche de son pantalon qui lui a envoyé un message parfaitement incohérent et que tout va bien.

Il s’approche de quelques festivaliers qui observent la foule pour leur demander “ Hey, vous avez pas vu une rousse, avec une canne, un peu paumée, mal voyante quoi… “ L’un des type le détail avec son allure il n’a pas l’air d’y voir plus que la personne qu’il vient de décrire, mais il obtient une direction et sa source se révéla étrangement fiable. “ Saoirse ! Je suis là ! “ dit-il alors qu’il la vit percuter une personne provoquant un envol de bière, il grimace en se glissant jusqu’aux deux personnes. “ On est cool. “ Dit-il d’office au cas où la personne s’apprêterait à râler pour de la bière renversée, c’est le genre d’accident qui arrive toujours en festival…

La frustration, c’était sans doute le sentiment qu’elle avait le plus souvent ressenti depuis qu’elle était aveugle. Et malgré son acceptation des choses, sur laquelle elle avait dû beaucoup travailler au début, la frustration revenait encore régulièrement. Une vieille amie qui ne manquait pas une occasion de venir lui dire bonjour, quand malgré elle, Saoirse se laissait un peu submerger par les problèmes logistiques que posaient son handicap. Comme en ce moment. Elle allait bientôt se confondre en excuse, alors que ce n’était pas si grave, que ce n’était probablement même pas de sa faute et sans doute pas à elle de s’excuser. Et pourtant, elle se sentait en tort, elle se sentait de trop, elle se sentait bloquée par sa cécité alors qu’elle savait presque tout faire comme quelqu’un de normal. C’était une sensation passagère, mais là, elle était intense. Comme une délivrance, Manwë arriva pile à ce moment-là, et le soulagement étreignit la rouquine. « Man’, Dieu merci ! » soupira l’Irlandaise, remerciant réellement Dieu mentalement au passage, même si c’était sans doute son ami qui était le plus méritant dans cette histoire. Elle se tourna vers la source de sa voix, qui avait miraculeusement couvert le reste du bruit, tendant la main pour retrouver le bras de l’homme une fois qu’il fut parvenu à sa hauteur. Dans cette foule, sans avoir la moindre idée de qui l’entourait, c’était rassurant de pouvoir juste toucher son ami et se sentir moins seule. C’était marrant, mais en tant qu’aveugle, elle se sentait bien plus isolée dans cette foule de festivaliers, que dans une rue quasi déserte. "Attends, toi t’y vois rien ? Et toi… Toi t’as un parapluie ? En festival... ? " Ça devait être la voix de celui qui lui avait renversé sa bière dessus, c’est ce que la rouquine devina. Elle fronça les sourcils, serrant le poing autour de sa canne blanche, touchée dans son orgueil, même si elle savait que c’était stupide. Elle avait pourtant l’habitude des remarques et des regards ébahis des gens, qu’elle pouvait ressentir dans le ton de leur voix. Mais là, elle avait eu un coup de stress, puis elle s’était sentie gênée, et maintenant elle ne savait pas trop. Mais la présence de son ami était d’une aide précieuse et son aplomb naturel revint vite. « Ben, oui… Vous ne saviez pas qu’il allait pleuvoir ? » ironisa la jeune femme pour toute réponse, en se tournant vers Manwë, sourire complice et amusé aux lèvres. Sur un éclat de rire partagé, ils plantèrent le type là, et Saoirse se laissa guider hors de la foule par le brun, sa bonne humeur revenue.

come and take a walk on the wild side

Manwë a beau être du genre bagarreur, il aime aussi se montrer sous un meilleur jour quand il est en compagnie de quelqu’un qu’il apprécie beaucoup. Saoirse fait pleinement partie des personnes qu’il estime énormément. Alors malgré tout, il garde son calme. Calme qu’il aurait pu perdre quand le type pose un tas de questions qui lui donne bien envie de lui démolir le portrait. Il est sanguin Manwë, mais il tient bon, il serre la main de la belle Saoirse dans la sienne. Ce sont les gens comme elle qui le pousse à devenir meilleur, il ne veut pas lui prouver qu’il n’est qu’un sale type et qu’ils se fassent expulsé du festival par sa faute.

Elle répondit sarcastiquement au type qui se mit à regarder le ciel sans nuages. C’est bien ça le problème, pas le moindre petit nuage pour atténuer toute cette luminosité ! Il a déjà cette douleur qui le perfore à l’arrière de ses globes oculaires, il n’ose imagine ce que ce sera d’ici la fin de journée ! Lorsqu’elle se tourne vers le luthier avec ce sourire, il n’a pas pu s’empêcher de rire. Sa colère s’est volatilisée et ils s’éloignent bras dessus-dessous. “ Qui a dit qu’on a besoin de voir pour apprécier de la musique, hm ? “ Au moins ils n’ont pas besoin de s’agglutiner dans la fosse pour être au plus près de la scène et prier pour croire le regard d’un membre du band. Parce qu’elle en voit pas, et parce que lui, ça ne l’intéresse pas. Il aime beaucoup de groupes, mais il n’a jamais été groupie comme le sont certains.

“ T’es venue toute seule ? “ Sa question parait légitime, mais c’est surtout sa manière de lui proposer de lui tenir compagnie toute la journée si tel est le cas. Non pas qu’elle ne soit pas capable de se débrouiller seule, il refuse de la considérer comme une pauvre chose handicapée ; mais il apprécie vraiment sa compagnie. Qui plus est, un festival demeure néanmoins un terrain hostile pour une personne malvoyante et il préfère encore la savoir avec lui. “ J’peux t’offrir quelque chose à boire ? Mais t’as pas intérêt à tout renverser sur moi ! “ Il plaisante bien sur, il sait qu’elle n’est pas si maladroite pour une aveugle ! “ Faut pas déconner avec la bière. “ Il n’est pas alcoolique, même si tous les alcoolique vous dirons qu’ils ne le sont pas, Man’ aurait sans difficulté la capacité d’arrêter s’il en voyait une quelconque bonne raison, mais pour le tabac c’est autre chose. Il est complètement accro à la nicotine depuis sa jeune adolescence et il ne compte pas se sevrer un jour.

hj:

Elle pouvait sentir les doigts de Manwë serrer les siens, et elle en fit de même. Elle connaissait le caractère de son ami, d’ailleurs il connaissait le sien aussi, même si la rouquine était sans doute un poil plus conciliante. Mais la situation ne s’envenima pas, sans doute grâce à cette connexion entre les deux compères, chacun s’exhortant au calme et décidant de prendre le parti de la bonne humeur. Après tout, maintenant qu’ils étaient réunis, ils n’allaient quand même pas se gâcher l’occasion d’un festival ensemble, si ? La réponse de Saoirse au type ahuri eu son petit effet, celui-ci n’y trouvant rien à redire, sans doute trop occupé à essayer de faire sens. Le rire de Man’ accompagna le tout et ils s’éloignèrent en se marrant tous les deux, incompris mais heureux. « Mais oui, je suis aveugle, pas sourde ! Ohlala, les gens ne comprennent rien. » répondit joyeusement l’Irlandaise en feignant un air supérieur, assez exagéré pour qu’on en saisisse l’ironie, avant de rire à nouveau avec le brun. Le luthier lui demanda ensuite s’il elle était venue seule, ce à quoi elle répondit par l’affirmative. Ça pouvait paraître insensé, de s’aventurer en solo dans une foule déchaînée quand on n’y voyait rien et quand on n’avait pas de repères, mais elle savait que Manwë ne jugerait pas cette décision. Il connaissait suffisamment son goût prononcé pour l’autonomie et l’indépendance. Même si elle avait fini par l’appeler à l’aide. « Oui, je comptais sur ta bonté naturelle en cas de problème. » s’amusa la jeune femme. C’était dit avec humour mais c’était vrai, et elle le remerciait par cette phrase. « Avec plaisir ! Je crois que pour le moment, c’est plus safe pour moi que de vouloir sympathiser avec la foule. » accepta la rousse, passant une main dans ses mèches flamboyantes, avec un petit sourire en coin gêné. Autant dédramatiser la situation, puis elle était habituée à ce genre d’erreur de jugement de sa part. Elle avait eu une mauvaise idée, mais avait voulu le faire quand même, têtue comme toujours. Bon, y avait pas mort d’homme non plus, tout le monde allait bien, elle était en un seul morceau, si ce n’était l’odeur de bière qui lui collait maintenant à la peau, lui arrachant un froncement du nez. « Il faut dire ça au type de tantôt. J’suis baptisée de ce festival… » soupira Saoirse en baissant la tête vers son torse.

Manwë n’est pas ce que l’on peut qualifier de rayon de soleil, mais il n’est pas du genre à mettre en mauvaise posture ou en danger quelqu’un qu’il apprécie. Se battre au cœur de ce festival n’est pas une option. “ Manquerait plus que tu sois sourde aussi, qu’est-ce qu’on ferait de toi ? “ Même si dans le fond, il s’est toujours demandé si elle serait vraiment amie avec lui si elle pouvait le voir. Il ne se considère pas comme agréable à regarder, il s’habille assez mal et peut-être bien qu’elle déteste les tatouages… Ça existe bien les anti-tatouages, mais il doute que ce soit le cas, il se cherche juste des arguments pour se dire que ce n’est pas si terrible si elle n’y voit rien…

“ Ma bonté naturelle ? “ Il n'a pu s’empêcher de lâcher un rire sarcastique, là encore c’est l’image qu’il se donne, celle d’un homme qui se fiche bien des autres.

Ils optent pour le bar, ce qui arrange bien le luthier, non pas que continuer à jouer les gardes du corps le dérange, mais il doit admettre que pour une fois qu’il ne travaille pas toute la journée, il a bien l’intention de décompresser. “ Je vais t’avouer sans surprise que je ne suis pas fou des bains de foule non plus… “ Est-ce que seulement Man’ aime les gens ? On peut se le demander, la réponse est définitivement oui, mais à petite dose.

“ Ça va sécher vite par cette chaleur, par contre tu sera parfumée pour la journée. “ Ceci dit il préfère l’odeur de la bière à certains parfums pour femme, il n’a pas perçu celui de la jeune femme, il est toujours assez léger et agréable, mais dans les circonstances d’un festival s’i l’on peut sentir le parfum de quelqu’un c’est qu’il en a beaucoup trop mis ! Il s’allume une clope et ils passent commande, ses yeux verts observent les festivaliers qui ont l’air de vivre leur meilleure vie, pour le moment… Les choses peuvent si vite se dégrader entre soleil, alcool et exercice trop intense… “ Je ne t’avais pas vu depuis longtemps, des nouveaux projets ? “ Il l'admire pour ça, lui a mis plus de dix ans avant de se sortir les doigts, alors qu'elle n'a jamais gaspillé son temps malgré ce qui lui est arrivé.

Saoirse rit à la réponse humoristique de son ami, même si elle eut une pensée pour ces gens qui vivaient effectivement avec un double handicap. La vie d’aveugle n’était pas toujours simple, mais elle pouvait encore s’imaginer chanceuse comparée aux sourds-aveugles. « D’accord, peut-être pas naturelle. Le privilège de ta bonté, alors. » sourit-elle avec un clin d’œil vers Manwë. Elle savait l’image qu’il renvoyait au monde de sa propre personne, tout comme elle savait que c’était quelqu’un sur qui on pouvait compter, même s’il ne l’affichait pas. Elle aimait son humour cynique et ses compliments déguisés, le naturel avec lequel il s’exprimait et la façon dont il assumait sa personne. Elle ne pouvait pas le voir, mais quand bien même elle aurait pu, elle n’aurait pas eu un avis différent sur lui. En tout cas, c’était ce qu’elle aimait à croire. Ses yeux voilés l’empêchaient d’établir tout a priori visuel sur les gens, elle ne se fiait qu’à leur ton, leur comportement, et pour elle, ça allait de soi. Mais peut-être qu’elle aurait été différente si elle avait toujours eu une vision fonctionnelle, bercée de clichés et de discriminations arbitraires distillées par la société. On ne le saurait jamais. La jeune femme suivit Man’ vers le bar, le laissant la guider en se tenant d’une main à son coude. « Ça tombe bien que tu sois avec moi, alors. Sauf quand j’ai des tendances suicidaires. » plaisanta la rouquine, référence à son idée un peu inconsciente d’aller se perdre dans une foule en délire. Elle était un peu casse-cou sur les bords, et avait gardé ce trait de personnalité même avec sa cécité. Dans sa communauté, elle avait toujours vécu dans une sorte de bulle protectrice, ancrée dans des habitudes qu’elle connaissait depuis sa naissance, dans une grande famille où tout le monde se connaissait. Depuis qu’elle était à Bowen, elle profitait de cette liberté pour découvrir un tas de choses, mais parfois à ses dépens. « Super. » marmonna la rousse en fronça le nez, pas enchantée à l’idée de sentir le houblon fermenté toute la journée. Mais soit, c’était comme ça. Saoirse entendit le garçon s’allumer une cigarette, et l’odeur de tabac brûlé vint chatouiller ses narines. Ça faisait longtemps qu’elle avait arrêté de fumer, mais elle avait toujours aimé cette odeur, assez étrangement. Maintenant encore plus, depuis qu’elle était en Australie. Peut-être parce que ça lui rappelait la maison. « Je m’exerce toujours sur le braille, je me disais que j’allais aller fouiller les librairies du coin pour m’entraîner. Bon, c’est pas l’activité la plus utile du monde, mais j’ai jamais été douée là-dedans, alors… » répondit Saoirse alors que leurs bières arrivaient, et que Manwë prenait doucement sa main pour lui donner son verre.

Il sourit amusé alors qu’elle rectifie ses propos concernant sa bonté d’âme, elle a le don de faire ressortir chez lui ce qu’il y a de meilleur, il ne sait pas vraiment pourquoi ou s’il doit lutter contre ça. Mais s’il y a bien quelqu’un sur cette terre qui mérite qu’il fasse des efforts, c’est bien elle. Le temps passé en compagnie de son amie est différent de tout ce qu’il connait, ce monde superficiel ne l’intéresse pas et lorsqu’il est avec elle, il est un peu moins seul.

“ Si t’es toujours là, c’est que tu ne t’en tire pas si mal même sans moi. ”  Il n’en doute pas, parce qu’il n’est pas constamment avec elle, même si ça ne le dérangerait pas du tout de passer plus de temps en sa compagnie. Elle le fait sourire et elle ne lui casse que rarement les pieds - ce qui en soi est un obstacle. On dit que l’on a les amis que l’on mérite, elle est l’exception à la règle. “ J’aime bien cette odeur. “ Dit-il en riant, pour la consoler, bien qu’il doute de l’efficacité de ses mots. Au moins il aura tenté !

“ Si t’aime lire c’est une bonne idée. “ On ne peut pas dire que Manwë est un homme particulièrement littéraire, par contre son métier manuel et minutieux lui faciliterait sans doute l’apprentissage de braille. Il a beaucoup développé le toucher avec son travail, parce qu’il y a des jours avec et des jours sans, il pourrait changer des cordes ou fabriquer certaines pièces les yeux fermés. Néanmoins, il sait qu’il sera incapable de continuer ce qu’il fait si un jour il finissait comme elle. Ça lui pend au nez, mais il préfère agir comme si ça n’était pas le cas. Il n’anticipera donc pas son handicap du futur en apprenant le braille, il n’en a pas particulièrement le temps. “ Mais j’ai pas l’impression qu’il y ait grand-chose d’écrit en braille dans la vie de tous les jours, enfin peut-être que j’le remarque juste pas. “ Il guide la main de la rousse sur son verre pour qu’elle puisse profiter de sa bière tant qu’elle est fraiche ! “ Cheers ! “ dit-il en faisant tinter sa pinte contre celle de la violoniste.

Il tire l’un des tracts avec la programmation du festival “ Tu voulais écouter quelque chose en particulier ? “ Il ne voudrait pas lui faire manquer quelque chose… “ C’est pas écrit en braille, mais ça va j’ai pas encore assez picolé pour ne plus être capable de lire ! “ Ses plaisanteries de mauvais gout, en général ça ne passe pas, mais il sait qu’elle s’est habitué à ça le concernant. “ En parlant de ce dont on est capable… J’ai reçu un violon électrique à restaurer, si ça te dit de venir tester si j’ai bien tout réglé… “ Il est un peu touche à tout, mais le violon ! Le violon c’est tellement complexe ! Et c’est un assez bon prétexte pour revoir un peu la rousse…

Saoirse se contenta de lever les yeux au ciel avec un air angélique, qui lui allait à la perfection si on ne connaissait pas son petit côté un peu moins obéissant. « Ou bien c’est parce que heureusement, tu n’es pas le seul à avoir la patience de me sauver de moi-même ! » rit-elle avec bonne humeur. C’était facile de plaisanter avec Man’, de dédramatiser les choses, ou même de s’énerver et de se plaindre de la vie. L’un ou l’autre, ils savaient faire. Elle ressentait cette connexion avec lui qui permettait une réelle détente dans leurs conversations, que la rouquine ne retrouvait pas avec tout le monde. Certaines personnes était intimidées par son handicap, mal à l’aise, ou maladroites. Avec le jeune homme, c’était tout sauf le cas. Peut-être parce que lui aussi, il devait s’adapter à un monde qui semblait agressif quand on ne disposait pas des mêmes capacités que tout le monde. Il n’était pas aveugle, mais il devait quand même gérer un handicap. Il savait ce que c’était. Et il savait le tourner en dérision, aussi, même si ce n’était pas tous les jours marrants. « Merci, ça me rassure. » plaisanta Saoirse d’une voix semi-convaincue. Ils parlèrent ensuite du braille, la remarque de Manwë la fit sourire. « Non mais lire un livre en braille, c’est vraiment super inconfortable, c’est pour ça que les livres audio c’est quand même beaucoup mieux ! » expliqua-t-elle. C’était surtout pour bien maîtriser le braille et le décoder plus vite qu’elle voulait lire des livres dans ce langage codé. Mais lire un roman pour le plaisir, c’était pas avec ces petits pointillés en relief que ça allait le faire. Écouter quelqu’un lire le livre était beaucoup plus plaisant, et moins encombrant, vu qu’un livre en braille faisait au moins trois fois le volume d’un livre imprimé à l’encre. « C’est plus des inscriptions pratiques dans la vie de tous les jours, genre pour des directions dans la ville, ou bien pour différencier mon pot de dentifrice de ma crème hydratante. » s’amusa la jeune femme. Elle disposait en effet d’une étiqueteuse braille, ce qui était plutôt pratique pour étiqueter ses cosmétiques, des épices, des produits ménagers, des CD, ou tout objet du quotidien que le commun des mortels reconnaissait en un clin d’œil. Et puis, les endroits touristiques et culturels étaient souvent munis d’une accessibilité pour les non-voyants. Chez elle, avec Amara, les choses avaient aussi une place bien précise, ce qui faisait gagner du temps à Saoirse dans sa vie quotidienne. Même si c’était écrit dessus, elle plaçait systématiquement sa brosse à dents et son dentifrice au premier étage de l’étagère au-dessus de l’évier, à droite. Pas besoin de décoder l’étiquette pour être sûre qu’elle ne chopait pas la brosse à dents de sa colocataire. « C’est juste que je maîtrise pas assez le braille pour décoder des phrases qui me sont inhabituelles, si c’est dans des endroits que je connais pas, ou quoi. Enfin bref, c’est toujours utile. Mais lire un livre entier comme ça, c’est à se flinguer le cerveau. » rit à nouveau la jolie rousse. Contrairement à voir des lettres écrites, toucher un code et le décoder prenait déjà un certain temps d’analyse au cerveau, avant qu’il puisse se concentrer sur le sens de la phrase. C’était donc pas très plaisant pour lire l’intégralité de Game of Thrones. Leur commande arrivée, Manwë glissa un verre dans la main de son amie et fit tinter le sien contre celui-ci. « Cheers ! » répéta-t-elle avec enthousiasme avant de prendre une bonne gorgée. « Je me rappelle plus bien de qui était programmé aujourd’hui, tu sais me dire ? » répondit la jeune femme, ayant entendu le bruissement du papier sous les doigts du garçon, qui confirma que c’était bien le programme. « Ok, lis-moi vite le programme que je retienne tout alors, parce que ça va pas durer. » le taquina Saoirse à son tour quand le luthier affirma qu’il n’était pas encore trop saoul pour pouvoir lire qui était à l’affiche aujourd’hui. « Ah oui ? Écoute, avec grand plaisir, je passerai dans la semaine ! » accepta la rouquine avec un sourire radieux quand il lui parla du violon électrique. Elle jouait parfois dans la boîte de Blake, en compagnie de l’un ou l’autre DJ, alors ça l’intéressait d’autant plus, même si elle aimait d’amour l’unique violon en sa possession, qui l’accompagnait presque partout.

Il sourit, même si elle ne peut pas le voir. Elle est une de ces rares personnes qui lui donnent envie de sourire, mais même s’il voulait sourire discrètement, elle lui a déjà fait remarquer que le sourire s’entend dans la voix : “ Qui pourrait bien refuser de voler à ton secours ? “ Il ne pense pas qu’il aurait autant d’aide à sa place, il faut dire qu’il n’est pas particulièrement avenant comme gars ! Le brun ne sait décidément pas refuser quelque chose à Saoirse, c’est une chance qu’elle n’en profite pas, elle aurait vite fait mener à la baguette le stoïque Manwë Druid ! Qui l’aurait cru ? Il y a toujours ces personnes qui vous poussent à être meilleur, une chance qu’elle n’ira pas crier ça sur tous les toits de la ville.

En l’écoutant, il prend conscience qu’il n’a pas vraiment de connaissance en braille, de ce que ça peut représenter de lire de cette manière, peut-être qu’il ne voulait pas vraiment le savoir, parce qu’il n’a pas envie d’y penser. Oui, bien qu’il affectionne cette jeune femme, elle lui renvoie bien souvent ce qu’il tente de fuir. La cécité des couleurs est un véritable handicap, mais comme si ce n’était pas suffisant, la lumière l’aveugle et plus en plus. L’on se rit de lui en disant qu’il vit en ermite, tapis dans sa grotte, mais c’est le seul moyen qu’il ait trouvé de ralentir le déclin de ses capacités visuelles. “ Je vois, tu dois te sentir conne assez régulièrement dans ta vie de tous les jours, hm ?… “ Ce n’est pas une phrase de pitié, une simple constatation, il manque peut-être de tact, mais elle le connait pour savoir qu’il ne se moque pas vraiment. Il pense à ses moments de solitude quelle doit connaitre parfois, un quotidien avec une autonomie amoindrie, il n’est pas sûr d’être capable de l’accepter comme elle le fait, s’il aura seulement envie de vivre. Cependant, il vivrait très mal que la violoniste en vienne à cet extrême un jour.

Ils trinquent et il décide de parler du festival, histoire de ne pas entrer dans une conversation déprimante. “ Génial, tu m'rend un fier service. “ ce n’est pas la première fois qu’il la sollicite et certainement pas la dernière. Il lui lut rapidement la programmation de la journée, y allant parfois de son petit commentaire du style : un vrai fumier ce bassiste. C’est qu’il en connait du monde, pour un ermite ! “ Eh voila je t’ai fais la lecture, donc permission de picoler et de ne plus avoir les yeux en face des trous ! “ Mais il lui en faut beaucoup pour se mettre la tête à l’envers à ce point. Il but cependant ce qui restait de sa bière avant de faire signe au serveur de lui en remettre une. “ Y a un mec qui arrête pas de te reluquer à droite. J’dirais… La trentaine… Brun je dirais en tout cas pas cheveux clair, plutôt bronzé… J’me contente de faire la commission. “ Il sourit amusé en payant sa nouvelle bière, sa meilleure amie d’la journée.

La rouquine esquissa un rictus amusé, en réponse à la question rhétorique de son ami. Oh, il y avait sûrement des gens qui ne se précipiteraient pas pour l'aider, mais elle ne les blâmait pas. Personne ne lui devait rien, et si elle accueillait avec beaucoup de gratitude les petits et grands gestes des autres pour lui porter assistance, elle savait qu'elle pouvait se débrouiller d'une manière ou d'une autre. « Oui, mais c'est un secret d'aveugle, ne le dis à personne. » souffla Saoirse sur le ton de la confidence, avant de rire. Oui, il y avait beaucoup de moments au quotidien où elle pouvait se retrouver désemparée et un peu bête. On aurait pu dire qu'avec ce handicap, elle avait au moins vérifié a théorie du ridicule qui ne tue pas. Avec le temps, elle avait appris à dompter ces petits moments de solitude occasionnels. Elle restait humaine, évidemment, et parfois elle se sentait gênée, un peu conne, comme le soulignait Manwë. Mais elle savait tout aussi bien, avec un peu de recul sur sa situation, qu'elle n'avait pas à être embarrassée de quoi que ce soit, et que putain, elle pouvait être fière d'où elle en était aujourd'hui. Tout n'était qu'une question d'adaptation, au final, et de volonté aussi. Et Saoirse savait s'adapter, l'expérience de sa vie l'avait prouvé à de nombreuses reprises. Cela ne voulait pas dire que c'était facile. Mais c'était faisable. La belle rousse connaissait très bien les réticences du luthier à ce sujet, et sa peur de sombrer lui aussi dans le noir un jour. Elle savait que quelque part, elle était pour lui un reflet du futur qui l'attendait. Mais de son point de vue à elle, elle était aussi une preuve pour lui que c'était possible d'être heureux ainsi. Encore une fois, question d'adaptation, voilà tout. Et d'acceptation, évidemment. La conversation des deux jeunes gens se porta ensuite sur le festival, c'était quand même pour profiter un minimum qu'ils étaient là. Après que Saoirse ait accepté avec plaisir la requête du garçon, ce dernier lui lut la programmation, l'animant de quelques commentaires mesquins qui arrachaient des soupirs faussement irrités à la rouquine ou des éclats de rire discrets. Contrairement à certaines personnes, elle aimait bien ce côté bougon de Manwë, qu'elle ne prenait pas vraiment au sérieux. Son sarcasme aiguisé avait le don de l'amuser. « Parfait, merci Man'. Allez, c'est parti alors ! » fit-elle en levant à nouveau son verre et en en buvant de grosses gorgées, vidant presque la moitié. C'était pas son genre de boire comme un puits sans fond, mais fallait faire honneur aux origines, une fois de temps en temps. « Ah ouais ? Mais non... Ce serait gênant si je pouvais le voir. Peut-être que c'est juste mes cheveux qui attirent l'attention. » répondit la jeune femme, d'abord dubitative, puis jouant de l'information, avant de désigner sa crinière de feu. Une attention masculine, ce n'était pas déplaisant, mais Saoirse était loin de rechercher ce genre de choses - d'autant plus que, aveugle, elle ne le remarquait généralement pas -.

Trainer avec Saoirse j’aide à imaginer que la vie n’est pas aussi merdique que ça avec un sens en moins, même si clairement il ne se sent pas capable de vivre comme elle. Il a toujours su composer avec son handicap, moins important que celle de la rousse, mais bien présent. C’est un solitaire qui a toujours su se débrouiller seul, qui en a toujours fait les sacrifices pour ne rien devoir à personne. La liberté et l’autonomie. Il ne pense pas avoir une existence de rêve, mais cette vie lui convient et il ne souhaite pas y changer grand-chose. La cécité complète le menace, il en a conscience, il n’imagine pas vraiment un après la lumière, il n’envisage pas ce futur pour le moins obscur…

Il l’observe descendre sa bière de moitié, il sait qu’elle en est capable mais ça l’amuse toujours de voir un petit bout de femme ingurgiter de la bière comme un vrai routier, ç'a un côté vraiment impressionnant et divertissant à la fois. Il lui parle du mec qui la regarde depuis tout à l’heure et s’amuser tout autant de sa réaction. “ Tes cheveux qui attirent l’attention ? Elle est bien bonne celle-là… “ Pourquoi des cheveux attireraient l’attention, elle n’a pas de coupe étrange à ce qu’il voit ! Mais ce qu’il ne voit pas c’est leur couleur et roux… Roux ne veut rien dire pour luI. “ Je pense surtout qu'il se demande pourquoi une belle jeune femme comme toi traine dans un festival avec… Son grand-père ? “ Certes, il est dans l’exagération, mais il faut dire que Man’ se sent tellement vieux parfois quand il regarde les autres, il ne porte pas encore de charentaises, mais d’un hiver à l’autre cela pourrait arriver ! Il rit en lui donnant un léger coup de coude dans le bras. Il jette un regard sur sa montre avant de lui dire “ Le band qui t’as fait grand sourire va pas tarder à jouer, ça serait dommage de louper ça. “ Ils n’ont pas besoin de se faufiler dans la foule pour être au plus près et cela arrange bien Manwë. Il prend son gobelet de bière et se lève, il attendit que la jeune femme en fasse de même pour lui montrer le chemin, il a repéré un rare coin d’ombre et a bien l’intention de se poser là, avec les vieux et les handicapés !

Même s'ils en parlaient rarement de façon directe, Saoirse connaissait les peurs de Manwë quant à la dégénérescence de son handicap. Elle savait tout aussi bien qu'il n'aimait pas trop aborder le sujet, qu'il préférait vivre sa vie comme s'il n'y avait aucune épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Et il avait bien raison. Mais l'Irlandaise pouvait ressentir les petits épis de peur quand ils parlaient de son handicap, moments de malaise habilement masqués derrière un humour parfois un peu brutal. Et Saoirse n'avait aucun mal à communiquer de cette façon avec le jeune homme. Mais elle avait aussi envie, quelque part, de lui montrer, par sa propre existence, qu'il n'avait pas à redouter son futur probable. Certes, elle comprenait que garder la vue était tout de même plus sympa, personne ne tirait volontairement une croix sur un de ses sens. Mais de par leur relation et leurs moments ensemble, elle lui prouvait que sa vie simple et libre n'avait pas à prendre fin, peu importe à quel point sa vision se dégraderait. C'était peut-être un non-sens aux yeux fonctionnels des personnes valides, mais pour Saoirse, c'était une façon de vivre qui finalement n'entravait pas sa capacité à faire ce qu'elle voulait et être heureuse. Pour elle, c'était une évidence, maintenant. Elle aurait voulu que Manwë le voit aussi. Mais en attendant, elle était contente de traîner avec lui et d'avoir un tel ami, tout simplement. « Mon grand-père, mais n'im-port-e quoi ! » s'esclaffa la jeune femme en secouant derechef sa crinière rousse. « À la limite mon grand frère, ou mon petit ami, mais tes jours de retraité sont encore bien loin. Tiens, je sens même pas tes rides, alors t'as pas d'excuses. » reprit-elle avec un grand sourire, une expression presque de défi sur le visage tout en passant des doigts tâtonnants sur le visage du luthier, à la recherche de ces rides de grand-père. Forcément, Saoirse ne pouvait voir le visage des gens, mais ses mains lui permettaient de voir suffisamment pour avoir une idée d'à quoi ressemblait une personne. Rien que la texture de la peau était une indication suffisante de l'âge des gens. « Oh d'accord, trop bien, je te suis ! » Saoirse reprit une gorgée rapide de son verre avant de prendre le bras de son ami pour le suivre, ravie de passer ce festival avec lui. Ils faisaient une drôle de paire, mais elle était bien heureuse de passer du temps avec lui. Comme toujours, c'était vivifiant, facile. Et c'était donc avec un enthousiasme particulier que l'Irlandaise le suivit jusqu'au coin qui leur conviendrait le mieux, ne s'empêchant toutefois pas de lui souffler à l'oreille, espiègle : « T'as intérêt à danser, hein, il est hors de question que je te laisse jouer au papy. » Son rire résonna dans l'air chaud de Bowen alors que le concert commençait, promesse d'un bon moment.

Fin.