the one touch that slowly fades, you're just out of my reach, in the shadows (charlie)

Le rendez-vous de la première échographie était enfin arrivé. Avec une certaine fébrilité, Woody et Charlie s'étaient réveillés ce matin dans l'empressement de se rendre à leur rendez-vous, le premier de la journée. Ils n'auraient pas survécu à une journée complète d'attente pour l'heure prévue, alors ils avaient tout fait pour réserver une plage horaire le plus tôt possible. Woody se savait parfois anxieux, mais jamais il n'aurait imaginé vivre une telle nervosité. Maintenant que bien des gens autour d'eux étaient au courant de la grossesse de Charlie, il voulait tellement que ça fonctionne, il voulait tellement prouver aux autres qu'il était capable d'être père. Aux autres et à lui-même. Et, évidemment, il voulait un enfant en santé. Il avait donc été aux petits soins avec Charlie ce matin, caressant sa cuisse doucement et tendrement pendant tout le trajet jusqu'à l'hôpital. Dans la salle d'attente, il s'était assuré qu'elle ait tout ce dont elle pouvait avoir besoin : quelque chose à grignoter, quelque chose à boire, un livre à lire, une série prétéléchargée à visionner. Ils n'eurent même besoin de se soucier de tout ça puisqu'à peine arrivés, ils étaient déjà dans la salle d'échographie. L'avantage d'être le premier rendez-vous de la journée, c'était qu'aucun retard ne s'était accumulé encore. Charlie était couchée sur le lit d'auscultation, Woody debout à côté d'elle. Ils étaient seuls dans l'attente de leur médecin. « T'as la chair de poule. T'as froid ? » Demanda Woody en caressant le bras de la pâtissière, où son poil était hérissé.

Hormis quelques nausées matinales, Charlie n'avait pas connu les désagréments du premier trimestre de sa grossesse. Si au début elle était bouleversée par cette nouvelle, elle était présentement subjuguée par l'unique pensée qu'elle sera mère dans sept mois. Elle se projetait, achetant même les premiers chaussons du bébé. Tout comme Woody elle avait hâte d'assister à la première échographie et c'est pourquoi ils avaient décidé ensemble de prendre un rendez-vous à la première heure, pour ne pas s'infliger l'attente d'une journée entière.

Le jour J arriva et ce matin-là Woody redoublait d'attention, ce qui aida grandement Charlie à se détendre jusqu'à leur arrivée à la salle d'attente. Fort heureusement ils n'eurent pas besoin d'attendre très longtemps car ils furent vite appelés pour s'installer dans la salle d'échographie. Charlie s'allongea alors sur le siège d'auscultation et scruta les environs le temps que le médecin vienne les rejoindre. Les lumières étaient légèrement tamisées et un grand écran était accroché au dessus de leur tête. Elle se tourna vers Woody qui remarqua qu'elle avait la chair de poule. Il lui caressa le bras et la blonde en profita pour attraper sa main. Si ces dernières semaines elle était plus confiante, à présent elle avait peur. Non je suis juste un peu stressée. admit-elle, le regard fuyant. Toute cette aventure représentait l'inconnu, et maintenant qu'elle allait voir leur bébé sur ce petit écran, cela la mettait face à la réalité.

Il avait déjà commencé à vider l'une des pièces de sa maison, Woody. Il n'avait pas encore formellement invité Charlie à venir vivre avec lui, mais il savait qu'elle sortait d'une colocation, il savait que ce serait nécessairement la prochaine étape de leur vie à deux, bientôt à trois. C'était sans doute sous-entendu, surtout lorsque Charlie voyait Woody faire de la place pour leur enfant, lui attitrer une chambre à l'étage, tout près de la chambre qu'ils occupaient si souvent à deux. Il n'avait peut-être pas commencé à peinturer et à meubler ce carré, mais il l'avait tout imaginé.

Aujourd'hui, à l'échographie, ça allait se concrétiser encore un peu plus. Ils le verraient à l'écran, leur bébé. Ils en auraient des photos à montrer à leurs proches. Sa mère allait être folle de joie, son père allait retenir ses larmes. Woody sourit en s'imaginant le moment. Il souriait de plus en plus, ces temps-ci, Woody. Il y avait comme une flamme dans son coeur qui s'était rallumée.

« Moi aussi. Tout va bien aller. » Avait répondu le trentenaire en caressant le bras de Charlie pour la rassurer et chasser la peur de sa peau. En réalité, il était lui aussi mort de trouille, il avait rarement eu l'anxiété à la gorge de cette manière. Il ne voulait rien laisser paraître. L'obstétricienne entra finalement dans la petite salle d'auscultation et les accueillit chaleureusement. Après quelques questions de routine, quelques échanges avec la future maman, la médecin releva le chandail de Charlie et prépara son ventre pour la sonde abdominale.

Tous deux connaissaient l'ampleur des difficultés qu'ils devront traverser, pourtant Woody et Charlie avaient pris la décision de garder cet enfant. Ils l'aimaient déjà, ce bébé surprise. Si Woody avait déjà commencé à aménager de l'espace d'une de ses chambres, Charlie s'était laissée attendrir dans l'achat de chaussons en laine. Cette première échographie était donc plus qu'attendue pour le couple. Woody aperçut tout de suite l'inquiétude de la pâtissière et tenta de la rassurer. Elle afficha un très faible sourire mais au fond, son soutien lui faisait un bien fou.

Le stress monta d'un cran à l'arrivée du médecin, qui commença à poser des questions de routine. Puis au moment de l'examen, avec une certaine nervosité, Charlie releva son chandail et la gynécologue étala un liquide très froid sur son ventre avant d'y placer la sonde. Très vite la blonde chercha la main de Woody qu'elle serra doucement dans la sienne, plus que jamais elle voulait se sentir proche de lui. Ce fut avec émotion qu'elle vit apparaître sur l'écran la première image de leur bébé, ou du moins ce qu'il pouvait y ressembler. Charlie plissa les yeux et observa ce petit haricot dans une grande poche noire. C'était étrange de se dire que cette petite chose représentait leur bébé. Il est magnifique, songea-t-elle aussitôt avec émerveillement. Son sourire s'éternisa jusqu'à ce qu'elle se rende compte que le silence devenait pesant. La gynécologue ne disait mot, ni maintenant, ni après plusieurs secondes. Charlie commençait à s'inquiéter et instinctivement elle releva la tête d'un air interrogateur vers Woody. Toute la joie qu'elle put ressentir plus tôt, venait de se volatiliser. La peur la submergea et ce n'est que lorsque la gynécologue reprit la parole que Charlie comprit que quelque chose n'allait pas : elle portait un air grave.  Je suis désolée mais je ne trouve pas de battements de cœur. Elle avait dit cela avec douceur et pourtant ces mots lui avaient fait horriblement mal. Figée, aucun son ne sortit de sa bouche. Charlie ne parvenait pas à dire quoique ce soit car la douleur la paralysait et ses yeux s'embuaient inévitablement de larmes.

Les chaussons en laine, ils attendaient sagement à la maison. Lorsque le couple rentrerait de leur première échographie, une photographie de celle-ci en main, ils tenteraient de prendre une photographie des chaussons et de l’image pour annoncer à leurs proches la nouvelle. Enfin, ça, c’était l’idée avant que les Writers ne volent la vedette en publiant une rumeur, véridique, sur la grossesse de Charlie. La surprise était un peu gâchée et même, cela avait créé des frictions dans la famille. Woody préférait ne pas songer à la réaction de Nevaeh, elle l’avait énormément blessé et il ne voulait pas que ça fasse ombrage sur le bonheur qu’il ressentait à l’idée de présenter leur petit haricot au monde entier - leur monde entier. Cette photographie, ils la prendraient sans doute quand même, au diable les Writers, Charlie et Woody ne se laisseraient pas miner par ça.

Ils se laissèrent miner par autre chose. Par le regard de l'obstétricienne alors qu’elle venait de débuter l’échographie, maniant la sonde sur le ventre visqueux de Charlie. Par le silence pesant qui ne leur avait laissé que quelques secondes, à peine, de joie en voyant l’image à l’écran. Si la médecin ne disait rien, si aucune parole, aucune explication, aucune information, ne sortait d’entre ses lèvres … c’était que quelque chose clochait. Woody posa sur la pâtissière un regard inquiet et paniqué, ses émotions mal dissimulées. Il releva les yeux vers la gynécologue lorsqu’elle leur affirma ne pas entendre les battements de cœur. Sa bouche s’ouvrit et se referma plusieurs fois, il tremblait. Charlie était paralysée, en larmes, en silence. « Qu … Qu’est-ce que ça signifie exactement ? Est-ce qu’il peut juste être … trop tôt ? » Woody et Charlie avaient calculé d’eux-mêmes que la blonde était enceinte de huit semaines, mais cette première échographie en était une de datation, peut-être en étaient-ils à la septième, peut-être que le coeur ne pouvait pas être entendu à ce stade-ci. Il s’accrochait encore à ce mince espoir qui s’effrita si vite lorsqu’il vit la tristesse dans le regard de l’obstétricienne.

Elle leur expliqua que le foetus avait arrêté de se développer à la quatrième semaine, selon l’image qui lui était renvoyée. La grossesse de Charlie s’était arrêtée il y avait plusieurs dizaines de jours maintenant et ils n’en savaient rien. La gorge de Woody se noua, il n’arriva pas à dire quoi que ce soit de plus. L’obstétricienne les laissa seuls un moment, le temps d’encaisser la nouvelle, une nouvelle qu’on n’encaisse jamais totalement. Et c’était la deuxième fois que Woody devait avaler une fausse couche. La vie lui envoyait clairement le signal qu’il n’était pas fait pour être père.

Je suis désolée mais je ne trouve pas de battements de cœur.  Cette terrible phase résonnait dans sa tête. Chaque seconde qui suivait devenait atroce, insupportable. C'était comme si le temps s'était arrêté. Les traits de son visage n'affichaient que douleur et tristesse. Charlie n'arrivait pas à encaisser ni à y croire. Elle ne parvint à intervenir, ce fut Woody qui s'exprima pour avoir plus d'explication. Le fœtus avait cessé de se développer depuis déjà une dizaine de jours. Et dire qu'elle n'avait rien ressenti, aucune douleur, aucun symptôme d'alerte. La pâtissière était persuadée que tout se passait bien et cela rendait la chose encore plus douloureuse. Le seul moment où elle eut le courage de reprendre la parole, ce fut pour demander pourquoi, d'une voix brisée. La gynécologue, peinée, lui expliqua que la plupart du temps pendant le premier trimestre de la grossesse, les fausses couches sont dues à des anomalies de l’embryon qui empêchent un développement normal. Autrement dit, une réaction naturelle, "faute à pas de chance". Mais au fond d'elle, Charlie ne cessait de se dire que c'était de sa faute.

Une fois que la gynécologue quitta les lieux, Charlie prit le papier à sa disposition pour nettoyer tout le gel sur son ventre. Elle n'osait pas regarder Woody dans les yeux car elle avait peur d'y voir la culpabilité. Silencieusement, elle essuyait ses larmes et se dit qu'il devait la détester tout autant qu'elle se détestait.

Pendant que la même terrible phrase tournait en boucle dans la tête de Charlie, Woody avait l’impression que dans sa tête à lui, c’était le néant. Absolument rien ne se bousculait dans ses pensées. Il n’en avait pas. Il avait l’impression d’être mort d’en-dedans même si ses yeux continuaient de cligner, même s’il respirait encore sans trop le vouloir, même si son corps se tenait debout mais qu’il avait juste envie de s’écrouler. Leur bébé avait arrêté de se développer à la quatrième semaine, qu’elle avait dit. Cela signifiait que depuis des jours et des jours, Charlie et Woody se réjouissaient pour quelqu’un qui n’existait déjà plus. La pâtissière réussit à demander pourquoi et pour réponse, on leur expliqua qu’il s’agissait sans doute d’une anomalie de l’embryon. Tout d’un coup, les dernières semaines lui paraissaient irréelles, comme un cruel rêve duquel on venait brutalement de le réveiller. Il avait mal mais il n’arrivait pas à le montrer. Il n’arrivait pas à faire quoi que ce soit que de fixer la gynécologue qui, après cinq ou six clignements des yeux, n’était même plus là. Elle s’était volatilisée et Woody n’avait pas capté le moment durant lequel elle s’était retirée. Il savait juste que tout d’un coup, Charlie et lui étaient seuls. Ils n’étaient pas trois, ils étaient deux. Ils auraient dû être laissés seuls et être trois. Mais ils étaient deux.

Charlie se redressa juste assez pour prendre les mouchoirs, papiers, tissus, whatever ce que c’était, pour s’essuyer le ventre. Woody la regarda faire, complètement inutile. « Je suis désolé, Charlie … » Arriva-t-il à bredouiller après un moment de lourd silence. « J’aurais dû savoir que mon corps est encore plus malade, qu’il sera un problème jusqu’au bout … » Si aux yeux de Charlie, c’était elle le problème, dans le coeur de Woody, il savait que c’était lui qui ne pouvait avoir d’enfants. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’on lui arrachait ce rêve.

Le monde s'écroulait. Le temps s'arrêtait. Charlie, le souffle coupé, avait la sensation que ses poumons se vidaient peu à peu d'oxygène et qu'elle n'avait plus à respirer. C'était bientôt son fœtus sans vie qu'on allait devoir lui retirer d'elle et cette épreuve la bouleversait et la terrorisait à la fois.

Après un douloureux silence, ce fut les mots de Woody qui la fit réagir. Il culpabilisait et rejetait entièrement la faute contre lui et comme elle aurait dû s'y attendre, de sa maladie. Mais les mots du médecin n'avaient pas émis une seule fois cette hypothèse et il était hors de question que Charlie aille dans son sens. Surtout qu'elle se sentait elle-même coupable.

Non, dis pas ça. C'est pas toi... c'est moi. Je prenais la pilule, ne l'oublie pas, ça a dû l'empêcher de grandir correctement... Elle était sur le point de fondre en larmes. Encore. Le ventre noué, elle ressentait le désir profond d'exprimer ce qu'elle avait sur le cœur.  Je l'aimais déjà ce bébé. Je l'aimais tellement, tellement. Je pensais pas mais j'étais prête, mais, je suis sûre qu'on aurait été heureux tous les trois. insista Charlie qui refusait de croire le contraire. Ne nous enlève pas ce rêve, laisse-moi y croire encore. implora la française en serrant ses lèvres. Il fallait bien évidemment qu'elle parvienne à faire le deuil de leur bébé, mais elle savait d'ors et déjà que pour se reconstruire, elle avait besoin qu'il continue de vouloir fonder une famille avec elle.

La relation entre Woody et Charlie avait tellement évolué depuis un an. Ils revenaient de loin ces deux-là. La pâtissière ne s'était pas imaginé de pouvoir aimer à nouveau, et pourtant elle aimait Woody de plus en plus chaque jour. Ces dernières semaines il s'était incroyablement projeté dans son futur rôle de papa, et jamais elle n'avait vu une telle et belle lueur dans ses yeux. Qu'elle était fière d'être celle qui faisait de lui un père! Et dire qu'à présent le destin leur enlevait ce magnifique cadeau, plus que jamais elle avait besoin de Woody. Qu'il la prenne dans ses bras. Qu'il lui dise qu'il l'aime et qu'il l'aimera toujours, malgré qu'ils aient perdu leur bébé qu'ils chérissaient tant. Avant que de nouvelles larmes surgissent, Charlie trembla puis cacha son visage avec ses mains.

Il n’avait même pas cherché à savoir la suite des choses, Woody. Pour lui c’était maintenant, la fin, c’était maintenant que tout leur était enlevé mais pour Charlie, il fallait encore le lui retirer, concrètement, complètement. Il n’avait même pas songé à ça, il n’avait même pas songé à elle, à cette épreuve cruelle qui l’attendait encore. Ce n’était pas nouveau, l’aîné des Rutkowski ne pensait que trop rarement aux autres. C’était sa propre douleur qu’il entendait crier dans le silence et qu’il n’arrivait pas à taire. Et comme le monde tournait autour de lui, il rejeta la faute sur sa propre personne, sur son corps, celui qui lui gâchait la vie depuis plus d’une décennie maintenant. Mais sa maladie n’avait rien à voir là-dedans cette fois, si son corps ne pouvait créer la vie correctement, c’était pour une toute autre raison qu’il n’avait même pas envie d’apprendre. Il en avait eu assez, des espoirs, des filaments de bonheur. Ça ne restait jamais bien longtemps. Ça s’étiolait trop vite.

Charlie le ramena à l’ordre, parlant de la pilule contraceptive qu’elle avait prise jusqu’à la surprise de sa grossesse. Est-ce que cela pourrait être la raison ? Il l’ignorait. « Comment t’aurais pu savoir, Charlie ? C’était pas planifié. Ce ne serait pas de ta faute, si c’est ça … » Il prit sa main pour en caresser doucement la peau. Sur le point de fondre en larmes, la blonde mettait des mots sur le sentiment qu’avait eu Woody depuis plusieurs semaines. Ils auraient été heureux, tous les trois. «  Je sais. Moi aussi. » Mais ils n’étaient plus que deux. Woody ne s’accrochait plus, il n’avait pas cette force. Charlie avait besoin d’y croire encore. « Y’a certaines choses qui n’sont pas faites pour arriver, Charlie. Je pense qu’il est temps que je comprenne, et que j’accepte, que je ne serai jamais père. » C’était dur, il aurait pu attendre, il aurait pu laisser un peu de temps à leurs cœurs, mais Woody ne voulait pas mentir à Charlie. Il ne voulait pas qu’elle se bâtisse des projets dans sa tête pour atténuer sa douleur, pas si ces projets-là ne verraient jamais le jour, eux non plus.

Pas de battements de cœur. Aucune phrase ne lui paraissait plus douloureuse que celle-ci. On venait de lui arracher ces dernières semaines de bonheur. Et dire que Charlie s'était surprise à se projeter aussi facilement d'une voix à trois. Jamais elle n'avait vu cette si belle et joyeuse lueur dans les yeux de Woody - et elle en était si fière d'y avoir un peu contribué. Maintenant la pâtissière ressentait la déception éteindre cette lumière dans son regard.

Alors qu'ils se renvoyaient leur propre culpabilité, Woody continuait d'être persuadé que toute la responsabilité reposait sur sa maladie. Il aurait été naïf de croire que Charlie ne le contredirait pas. Honey, le médecin savait pour ta sclérose en plaques Elle n'a pas une seule fois remis en cause tes antécédents.  rappela Charlie avec calme. "L'ironie", c'était qu'elle se sentait fautive. Des larmes coulaient sur ses joues, impuissante face à cette terrible nouvelle.

Tous deux avaient pourtant bel et bien entendu le discours de l'obstétricienne, une fausse couche au premier trimestre pouvait être malheureusement fréquent. Il n'y avaitpas d'explication propre aux anomalies d'un embryon à ce stade, surtout que cette fausse couche était isolée. D'ailleurs Woody semblait déterminé à croire que le destin ne voulait pas qu'il devienne père. Habituellement la pâtissière aurait juste serré les dents et gardé le fond de sa pensée.  Cependant Charlie avait appris depuis à ne plus retenir ses émotions en la présence de Woody. Ne dis pas ça. murmura-t-elle avec douceur, sans parvenir à être plus rassurante. Sa main se retirait lentement de son étreinte quand elle sentit une bouffée chaleur l'envelopper de la tête aux pieds. Son cœur se serrait et sa gorge se nouait. Elle avait la sensation qu'elle manquait d'air. Les yeux fermés, elle lutta pour reprendre contenance. En vain. Je ne me sens pas bien... ne put-elle s'empêcher de dire, d'une voix faible. Le poids de la culpabilité. La perte de ce petit être qui ne grandirait plus en elle. La tristesse de devoir le laisser s'en aller. La déception de Woody. L'injustice. L'incompréhension. Tout ce qui s'était accumulé sur ses épaules, était de trop. À cet instant Charlie ne réalisait pas encore qu'elle faisait un malaise.

La tête de Woody se secoua de gauche à droite, les sourcils froncés, alors que Charlie le contredisait à propos de son corps. Mais ce n’était pas de la sclérose en plaques dont il parlait cette fois, c’était de ce sentiment que son corps n’avait pas dit son dernier mot, maladie ou pas. Qu’il n’avait pas encore vu le bout de toutes ses contraintes. « Je ne parlais pas de la SP … J’ai juste le sentiment qu’il y a autre chose, en plus, qui ne fonctionne pas avec moi. » Après tout, Freja avait perdu leur enfant, et maintenant c’était autour de Charlie. C’était comme si Woody était tellement défaitiste face à sa propre vie, que le fruit de sa personne n’avait même pas envie de s’accrocher, pas plus de quelques semaines, lui non plus. Baisser les bras était-il génétique ? L’aîné des Rutkowski continua à le faire, à baisser les bras, à se convaincre que la paternité n’était pas pour lui. Il n’avait pas envie de réessayer, Woody. Pas envie de revivre cette douleur une troisième fois. Il souffrait déjà assez comme ça. La main de Charlie sembla fuir la sienne mais lorsqu’il releva la tête vers elle, pour la sonder du regard, il constata qu’elle était blême. « Charlie ? » Demanda l’homme alors qu’elle fermait les yeux, la respiration difficile. Elle affirma ne pas se sentir bien, d’une voix faible qui glissait vers le noir. Elle était en train de perdre conscience. « Charlie ! » Woody chercha le bouton pour appeler une infirmière, mais il n’en trouva pas, ce n’était pas une salle de repos post-opératoire, pas une chambre d’hôpital à proprement parler, ce n’était qu’une salle d’échographie. « Shit. Je reviens, my love, ça va aller. » Il attrapa sa canne et se rendit dans le couloir, le plus vite possible. Un infirmier tournait le coin et Woody l’apostropha avec une urgence dans sa voix, malgré le calme qu’il semblait garder en apparence. « S’il-vous-plaît. Ma conjointe fait un malaise. » Il désigna la salle dans laquelle il se trouvait lui-même quelques secondes plus tôt. L’infirmer donna quelques consignes à une collègue, avant de se rendre dans la chambre, tout près de Charlie. Woody les suivit, demeurant à distance, les laissant aider à ramener la blonde jusqu'à lui.

Dans l'incompréhension totale, Charlie ne voyait de quoi voulait-il parler si Woody n'évoquait pas sclérose en plaques. Croyait-il que le destin lui faisait comprendre qu'il ne pouvait pas devenir père? Elle aurait voulu le convaincre, le rassurer, mais il n'avait pas l'intention de changer d'avis. Charlie savait que lorsque Woody avait une idée en tête, il s'y tenait dur comme fer.  Rien ni personne n'avait le pouvoir de le persuader autrement, mais elle ne put s'empêcher d'imaginer qu'il n'aurait pas réagit aussi catégoriquement avec Freja. Une fois de plus, elle se sentit insécure. Ils avaient pourtant avancer dans leur relation, ils avaient même été prêts à avoir un enfant que malheureusement, ils venaient de perdre. La pâtissière tenta toutefois d'ignorer ce nœud au fond de sa gorge. La pression la submergea lentement puis soudainement. Un bruit sourd. Puis plus rien. Le trou noir. Son corps n'émit aucun mouvement lorsque quelqu'un prit son bras. Le mot tension provenait d'une voix lointaine. Des bras l'allongèrent complètement sur le fauteuil. On lui redressa les jambes et cela l'aida au moins à rouvrir les yeux. Deux visages inconnues lui posèrent des questions mais ce n'était pas ce visage qu'elle aurait voulu voir apparaître. Charlie se demanda où était Woody mais n'eut la force de poser la question. Puis on lui posa à elle des questions qu'elle répondit par de brefs hochements de la tête. Vous avez fait un petit malaise vagale, madame. Des mots intelligibles. Charlie tourna sa tête, chercha, et vit à son grand soulagement Woody. Cependant ell ne put s'empêcher d'avoir honte qu'il la voit dans un état de faiblesse. Ce qui était plutôt ironique, elle qui lui reprochait de ne pas lui partager ses moments de crise. Est-ce que vous vous sentez mieux? interrogea une voix douce.Elle hocha la tête et affirma oui timidement. Cependant l'infirmier ne quitta pas la salle de consultation et continua de la questionner. Qu'est-ce qu'il s'est passé? reprit-il toujours dans la bienveillance. Charlie ne sut quoi répondre et l'infirmier se tourna alors vers Woody. La pâtissière devint encore plus gênée, si cela était possible.

De voir ce bras si faible, comme si toute la vie l’habitant autrefois s’était envolée, ça glaça le sang de Woody. S’il avait su conserver son calme d’apparence depuis le malaise de Charlie, là, de voir son corps inerte se faire manipuler par les infirmiers, ça lui rentrait dedans, ça le bousculait, le déboussolait. Il avait le cœur en miettes et les jambes qui s’égrenaient tout autant, un million de fourmis qui grugeaient la force de ses muscles jambiers. Il venait de perdre l’enfant et la vie qu’il projetait à ses côtés, et maintenant il avait l’impression qu’on voulait également lui voler Charlie. Le bonheur, Woody n’y avait pas droit, et c’est pris de panique qu’il réalisa qu’il s’était bercé de douces illusions ces derniers mois. Il avait laissé la porte entrouverte pour Charlie et elle avait décidé d’y entrer, avec ses grands yeux bleus et son sourire, emportant dans sa belle tempête toutes les angoisses de l’aîné des Rutkowski. Maintenant que la tempête s’évanouissait, lui-même retombait au sol, son esprit se fracassant à la réalité. They had been playing house, mais ce n’était pas la vie qui était prévue pour Woody. Ce n’était pas la vie qu’il s’était résigné à vivre.

La jeune femme reprenait lentement mais sûrement ses esprits. Woody resta loin, en retrait de la scène, écartait de celle qu’il aimait mais qu’il faisait souffrir. Même sans le vouloir. Même sans le prévoir. Parce que c’était tout ce qu’il savait faire, Woody. L’infirmier tourna la tête vers le trentenaire en demandant ce qu’il s’était passé. Le regard sombre et détaché, le regard vide, absent, lointain, il avait répondu : « Ce qu’il s’est passé ? » Demanda-t-il d’une voix comme son regard. Il soutint le regard de l’infirmier. « On vient de perdre notre bébé. » Ses yeux se posèrent sur Charlie. La tristesse s’était frayée un chemin jusqu’à ses pupilles. « On vient de tout perdre. »  Précisa-t-il, sentant que le monde, son monde, était sur le point de s’écrouler à nouveau. Comme si Woody n’avait jamais eu de fondations assez fortes pour tenir quelque chose de grand et de beau plus longtemps que quelques semaines.

Ce malaise devait être un signe d'alerte pour les prochains mois difficiles dont Charlie allait vivre. Elle le savait déjà, parce qu'elle se demandait comment pouvait-elle surmonter la perte de leur petit bébé surprise. Woody et Charlie avaient la sensation que leur monde s'écroulait, en effet, puisque c'était des projets d'espoirs et remplis de joies qui venaient de s'effondrer brusquement.

Bien trop bouleversée pour répondre aux questionnements de l'infirmier, la blonde restait immobile, comme sonnée. Woody répondit quelque chose qui piétina davantage son cœur : on vient de tout perdre.. Ce n'était pas seulement des mots durs à entendre, mais ce fut surtout cette façon de le dire. Charlie y perçut toute la tristesse du monde et elle avait la conviction que tout était de sa faute. Incapable de garder son regard dans celui de Woody, elle s'adressa à l'infirmier. Je voudrais sortir. demanda t-elle la voix tremblante, presque dans une supplication, détournant ses yeux vers le sol. Au vue de la situation, l'infirmier lui proposa de consulter un psychologue en amont. Mais ses paroles et son jargon médical se perdaient loin dans son esprit. Le regard vide, elle fixait un point sur le carrelage blanc, près des chaussures de Woody. Elle posa sa main sur son ventre, qui n'avait pas encore eut le temps de s'arrondir. Il n'existait pas de douleur plus atroce. De nouvelles larmes coulèrent le long de ses joues. Elle n'eut qu'une envie : quitter cette pièce froide pour qu'il la prenne dans ses bras.  Je vous signerais une décharge si vous voulez. Je veux juste rentrer. insista Charlie qui s'adressait cette fois à Woody. Parce qu'elle avait besoin de se retrouver seule avec lui, plus que jamais.

Plus encore que la tristesse, ce qu’il y avait dans le regard de Woody, c’était de l’abandon. Le lâcher-prise pouvait parfois être une belle chose, un mot-phare auquel s’accrocher pour les résolutions de début d’année, mais dans le cas de l’aîné des Rutkowski, le lâcher-prise dont il faisait aujourd’hui preuve n’avait rien de doux. Il baissait les bras. Il arrêtait d’essayer. Si le bonheur ne voulait pas de lui alors il ne voulait plus s’y intéresser non plus. Je voudrais sortir. Les mots de Charlie résonnaient dans la tête de Woody et prenaient tout leur sens. Lui aussi, désirait sortir. Il voulait sortir de son propre corps, de cette enveloppe malade qui l’étouffait. Il voulait sortir de cette chambre, de cet hôpital, de cette ville, de cette vie. L’infirmier proposa un psychologue à la blonde. Quel imbécile, pensa Woody, alors que pourtant c’était sans doute la meilleure proposition à lui faire, la marche à suivre parfaite. Mais un psychologue ne pourrait rien à cette douleur qui pesait sur eux. Pas pour le moment. Le silence. Le silence enveloppant était ce dont ils avaient besoin. Lui, en tout cas. Il ne savait pas pour Charlie. Il avait l’impression de ne plus savoir qui elle était, ce qu’elle voulait. Elle lui semblait si loin alors qu’ils avaient été si proches. « Nous ne venions que pour une échographie. Il n’y a pas de raison que vous la gardiez. J’imagine que vous pouvez lui prescrire du misoprostol et nous laisser quitter ? Vivre ça par nous-mêmes ? » Demanda Woody qui reprenait ses esprits si c’était pour partir plus rapidement d’ici. L’infirmier acquiesça à la demande de Woody, tournant tout de même la tête vers Charlie qui était la principale concernée dans cette décision, dans cette manière de faire pour dissocier son corps de celui du petit être qu’ils auraient pu avoir créé ensemble.