Game night + Jules

La maladie était un sujet difficile mais en parler avec Léo c’était plus facile. Avec ta soeur, c’était délicat parce qu’elle traversait un moment difficile et même dans la vie d’avant tu ne voulais pas l’occuper avec ça, elle s’inquiétait déjà assez pour toi. Avec ta meilleure amie, tu évitais le sujet parce qu’elle te sortait toujours des articles de médecine, des faits qui pourraient te guérir même si elle savait que non. La seule chose pour te guérir, c’était la greffe. Et même ça, on ne savait pas si ça marcherait à 100%. En attendant d’avoir un appel de l’hôpital pour cette dite greffe, tu patientais sagement. Il soupirait qu’il savait que tu attendais d’être guéri. Tout le monde le savait sur cette foutue planète. Tu n’avais vraiment plus trop d’espoir mais tu en gardais un peu, pour ta soeur, pour ta famille (ta famille étant Léo et Alba). En essayant de te faire penser à autre chose, il te disait que ça allait être dur de le battre à ce jeu vidéo sur lequel vous étiez. Tu riais légèrement en essayant de te remettre dans la game que vous faisiez. « Tu parles, j’vais t’écraser Emerson » dis-tu avec un rire. C’est pour ça que tu aimais Léo, parce qu’il savait te changer les idées et t’aider à penser à autre chose, ton ami de toujours. Les choses ont été difficiles entre vous pendant un temps mais elles sont rapidement revenus comme elles étaient à ton retour sur Bowen. Parler du futur Noël en famille, voilà ce qui t’intéressait plus et qui te mettait plus de baume au coeur. Même si ton ami appréhendait ce séjour, parce qu’il allait rencontrer ses beaux-pères pour la première fois. « Ouais mais il en a fait des belles choses aussi » dis-tu avec un sourire. Tu parlais bien évidemment de la naissance de Jonah. Même si les relations entre Alba et Léo ont toujours été compliqués et le sont toujours, tu pensais que leur fils était quand même une belle réussite. Cette petite boule d’amour. T’aimais beaucoup ce petit bonhomme, même si clairement, il préférait largement ta soeur jumelle à toi. Tu le comprenais aussi, faut dire. Mais elle n’avait plus cette petite parcelle de bonheur en elle, ce petit truc qui faisait qu’elle faisait rayonner la pièce quand elle y entrait. Elle était en deuil de son bébé pas encore né. Et ça te rongeait de la savoir comme ça et d’être impuissant face à la situation. « J’ai juste… » dis-tu en laissant ta phrase en suspens. « J’ai juste peur que ça ne passe jamais » soufflas-tu en secouant la tête négativement. Pendant que tu t’énervais contre ta manette, Léo te parlait de Woody et du fait que lui aussi vivait un moment terrible. « T’as réussi à lui parler, toi ? » demandas-tu à ton ami avec un regard presque accusateur. Tu savais qu’ils étaient amis, tous les deux. Tu connaissais toute la famille Rutkowski sauf lui, c’était bien le seul.

Ce qu’ils avaient, Jules et Léo, c’était une belle définition de l’amitié, celle qui savait être légère quand tout était grave autour, celle qui pouvait être sérieuse quand il fallait se serrer les coudes ou affronter la vie, celle qui pardonnait, quand l’autre déconnait. L’amitié devait être chérie, entretenue, tout comme l’amour peut-être, même si elle était moins intransigeante. Si Emerson aimait voyager plus que beaucoup d’autres choses, s’il en avait souvent ras le bol de Bowen et de son quotidien ordinaire, il y revenait toujours, pas pour la ville en soi, mais pour ses habitants, pour ses amis qui étaient son socle, son véritable point d’encrage. Et Jules était définitivement l’un d’entre eux. Il ne savait pas bien combien de temps il lui restait, il était pleinement conscient que la vie de Keynes, plus que celle du commun des mortels, ne tenait à pas grand-chose, alors il voulait profiter, partager, le plus souvent possible, il voulait se dire qu’ils avaient eu des bons moments, les garder pour lui si les jours tristes venaient à arriver. Comme du baume pour son cœur et pour se persuader que peut-être grâce à lui Jules aurait eu un ami qui lui aurait fait oublier la maladie. Ce soir ils avaient seize ans à nouveau, avec leurs manettes dans les mains, mais ils restaient conscients de leur réalité, celle de Léo et de ses doutes face à Alba, qui étaient même plus grands que ceux qu’il partageait ce soir à son ami. Il avait raison, le journaliste, Jonah était une belle réussite et le petit garçon adorait les jumeaux Keynes, évidemment il avait sa préférence pour Charlie, parce qu’elle était douce et solaire, parce qu’elle lui faisait des cookies tous chauds. Si Jules était si mal parce que sa sœur avait perdu son étincelle, Léo était d’avis que le temps ferait son œuvre, qu’il panserait les blessures, même si ça semblait long au français. Tout passe un jour, d’une façon ou d’une autre. C’était probablement difficile à comprendre pour Jules, mais Emerson en était déjà passé par là, les femmes et les hommes ne vivaient pas une fausse couche de la même façon, il se souvenait très bien de la descente aux enfers de Grace, de la façon dont elle s’était repliée sur elle-même, rejetant son amant. Elle avait trouvé refuge dans sa foi, puis dans les voyages, ils ne s’en étaient jamais relevés ensemble, mais séparément ils avaient réussi à se soigner et à avancer. Léo osa défendre Woody, comme une réminiscence de leur amitié d’enfance. Ce qui ne plut pas à Jules, il le remarqua dans le son de sa voix, cependant il ne se voyait pas mentir. Plus ou moins. C’est compliqué pour lui. Il n’a pas fait ce qu’il fallait, mais il compose avec sa peine lui aussi. Il s’en veut énormément. Ce n’était pas une excuse, ce ne serait pas suffisant pour Jules, mais Léo savait que Woody faisait ce qu’il pouvait.

Il était plus facile de se confier à Léo en jouant à un jeu vidéo plutôt que de parler à ta psy. Tu savais qu’entre vous il n’y avait pas de jugement et que tous les deux vous pouvez vous serrer les coudes dans toutes les circonstances. Même si vous ne vous le dites pas, vous vous respectiez énormément tous les deux et vous vous aimiez beaucoup. La peine de Charlie t’envahissait au plus haut point et ça le jeune Emerson l’avait remarqué depuis un bon bout de temps. Il savait aussi que ta maladie te rongeait et que tu avais peur des jours à venir. Tu vivais dans le présent malgré le fait que tu ai peur du futur et que ça te faisait angoisser de plus en plus. Il fallait un temps à toute chose et en ce moment la seule chose qui te préoccupait c’est l’état de ta soeur jumelle. « Je sais… j’espère que ce jour arrivera vite » soufflas-tu simplement en te calmant sur la manette. Tu jouais sans vraiment jouer puisque tu étais un peu plus préoccupé par la conversation que vous étiez entrain d’avoir tous les deux. Ce que tu voulais c’était que son copain l’aide, à Charlie. Et tu te rendais rapidement compte que Léo avait eu de ses nouvelles et pas ta soeur. Enfin, si c’était le cas elle ne te l’avait pas dis. Tu avais presque lancé un regard accusateur à ton ami en lui reprochant presque d’avoir parlé avec lui même s’il n’y avait pas de raison. Après tout, Woody pouvait bien parler à Léo c’était pas tes oignons. Mais le fait qu’il ne parle pas à ta soeur, c’était une trahison pour toi. Alors tu demandais à ton ami ce qu’il en avait découlé, de cette conversation entre eux, s’il savait comment il se sentait ou pas. Parce que tu n’avais qu’un seul point de vue de l’histoire. « Mouais » dis-tu en faisant la moue. Comme disait Léo, il était lui aussi en peine et tu pouvais comprendre. Ce que tu voulais juste savoir c’est pourquoi ils n’avaient pas remonter la pente ensemble avec ton double. Tu laissais tomber la manette après la partie que vous veniez de faire et tu riais un peu de gêne pour détendre l’atmosphère. « Bon t’as gagné mais c’est parce que j’suis pas dans le bon mood, d’accord ? » dis-tu à ton ami toujours avec ton petit rire.

On entendait souvent que la relation de jumeaux était particulière, inexplicable. On disait qu'ils étaient liés, connectés. Il y avait plein d'histoires de jumeau qui partageait la même douleur que son jumeau alors qu'il ne la vivait pas réellement. Léo ne savait pas grand chose sur le sujet, mais il voulait bien y croire, après tout c'était quelque chose de partager neuf mois dans un même ventre. Lui qui avait grandit en fils unique, il admirait la relation des Keynes. Il pouvait comprendre que Jules se fasse un sang d'encre pour sa sœur et que toutes se phrases toutes faites ne lui apportent pas grand réconfort. Il pouvait aussi comprendre que ce soit difficile pour lui d'accepter que Woody avait fait l'effort de parler à Léo et pas à Charlie. Même si Léo avait dû employer les grands moyens parce que ce n'était pas gagné d'avance. D'ailleurs il n'était pas persuadé que son intervention ait eu un réel effet sur son ancien ami. Woody il fallait le secouer, mais il portait sa peine, à sa façon. En vérité les deux copains n'étaient pas du tout concentrés dans leur partie de jeu vidéo, ils étaient bien trop préoccupés par leurs soucis respectifs. Néanmoins, par miracle, Léo avait réussi à gagner la partie, sans même s'en rendre compte. Il lança un regard amusé à Jules. Non Keynes, c'est le talent, voilà tout ! Tu veux que je t'apprenne ? Il posa sa manette, but une gorgée et se leva en s'étirant. Je commande des pizzas, ça te changera les idées de penser à ton ventre. Ou tu veux prendre ta revanche tout de suite ? Lui il était d'avis de commander, le temps de se décider sur ce qu'ils voulaient, de toute façon la livraison ne serait pas pour tout de suite.

Même si Léo ne comprenait pas la relation que vous aviez avec Charlie, le lien indescriptible des jumeaux, il en avait été témoin plus d’une fois. Vous ressentiez les mêmes émotions, vous parliez le même langage. Tu lui avais confié que tu n’étais pas le plus grand fan de Woody, que ce n’était décidément pas ton meilleur ami. Mais lui le connaissait bien, il avait même discuter avec lui de cette histoire de fausse-couche de ta soeur. Mais tu balayais ces idées de la tête. Tu voulais juste passer une bonne soirée avec ton ami d’enfance, et puis c’est tout. C’est pour ça que tu étais là, aussi, pour te changer les idées et t’amuser avec Léo. « Ohhhh prends pas tes grands airs, Emerson ! » dis-tu avec un rire. « C’est parce que j’suis pas en forme » ajoutas-tu en essayant de te chercher une excuse en béton. Mais ce n’était qu’une excuse en carton. Le jeune homme se levait du canapé en te proposant de commander des pizzas. Evidemment, tu acceptais en hochant la tête avec un grand sourire. « Mangeons, comme ça je prends des forces et je te démoli au prochain jeu » soufflas-tu avec un rire. Ton ventre commençait à gargouiller en plus alors c’était le moment idéal pour commander à manger. Même si tu avais emmené tout un tas de conneries à grignoter, comme une vrai soirée d’adolescent. Après tout, c’est ce que vous aviez l’habitude de faire dans le temps, des soirées comme ça à jouer aux jeux vidéos et manger n’importe quoi.

Il comprenait bien, Léo, que ce soit plus simple pour Woody de se confier à lui plutôt que de s'écrouler face à Charlie, il avait découvert un homme dévasté, mangé par la culpabilité et par ses démons. C'était un personnage particulier, pas simple à cerner, pas toujours simple à aimer non plus, il avait de nombreux ennemis, le Rutkowski, mais un jour il avait été son ami, son meilleur ami même. Et bien que Léo avait eu plus d'une fois l'envie de lui envoyer la tête dans le mur ou de lui tourner le dos, il restait toujours cette tendresse qui traînait, qui persistait, parce qu'ils avaient partagé le meilleur, ils endureraient le pire ensemble, sans être forcément proches à présent. C'est comme ça qu'il vivait ses amitiés et Jules le savait bien, puisqu'il était son ami également. Il n'avait pas à se justifier auprès du journaliste d'être allé apporter son soutien à Woody, ça n'était pas pour ça qu'il rejetait la peine de Charlie et qu'il s'asseyait sur le fait que Woody n'avait pas été correct envers elle, tout n'était jamais tout blanc ou tout noir. Mais ils allaient clore ce sujet pour ce soir, parce que Jules n'avait pas besoin de ça, l'idée étant de passer une bonne soirée. Ce ne sont pas de grands airs. Qu'il rétorqua, faussement outré. C'est la simple vérité. Mais j'te laisse le bénéfice du doute, je suis beau joueur. On verra à la prochaine partie. Il attrapa le flyer d'une pizzéria qu'il aimait bien sur son frigo et le posa sur la table pour qu'ils regardent ce qui leur ferait envie. Je vais prendre une quatre fromage. Il sortait son téléphone de sa poche pour pouvoir appeler quand Jules se serait décidé, comme ça ils seraient livrés rapidement. Il attrapa quelques chips dans le paquet qui croquèrent sous ses dents.

Woody n’était clairement pas un gars que tu portais dans ton coeur. Mais il avait ses raisons pour être distant avec ta soeur. Au moins, tu savais qu’il avait pu se confier à Léo et c’était pas une mauvaise chose au final. Mais étant le jumeau de Charlie, tu ne pouvais pas changer de côté, tu étais pour ta soeur. Côté que tu ne devrais pas avoir, d’ailleurs. Mais c’était plus fort que toi. Charlie passait avant tout le monde, et ça agaçait plus d’une personne d’entendre ça mais t’en avais rien à faire. Elle avait tellement été là pour toi pendant toute ta vie, tu lui devais bien ça à ton tour. Tu te concentrais sur le jeu que tu faisais avec Léo, que vous veniez d’ailleurs de terminer. T’avais perdu et ton excuse n’était clairement pas la meilleure. C’est juste que Léo était plus doué que toi, mais crever plutôt que de lui dire. Tu le voyais avec son air faussement outré, et ça te faisait rire. « Tu parles » dis-tu dans ton rire. Le jeune photographe proposa de commander à manger pour que vous puissiez continuer votre petite soirée tous les deux mais aussi que vous puissiez vous nourrir, c’est important. « J’t’écrase à la prochaine » dis-tu en lui faisant un clin d’œil avant qu’il ne prenne le téléphone. Léo te disait qu’il prendrait une pizza quatre formages et tu n’hésitais pas une seconde avant de lui répondre. « Une pepperoni pour moi ! » dis-tu à ton ami avec un sourire en coin.