people can’t always be perfect because that’s not real. (jolene)

people can’t always be perfect because that’s not real

Elles s’étaient donné rendez-vous sur un banc, aux côtés du lagon aux couleurs scintillantes et à la quiétude incroyable. Effy y était déjà assise, une cigarette se consumant au bout de ses doigts fins, alors que son regard azur se perdait sur l’eau de la même couleur, qui s’étalait devant elle. Elle entendait en arrière-plan les clapotis rassurants de l’eau, très loin, puis les passants un peu plus proches, les chuchotis de la brise dans les arbres et sur les brins d’herbe tendre. Elle était comme entre deux mondes, un peu ici et un peu dans un ailleurs lointain. Mais elle était apaisée. Cet endroit l’apaisait, mine de rien. C’était une heure calme, aussi, Jolene et elle avaient convenu expressément un moment où tout le monde serait au travail, les enfants à l’école. Loin de toute source de stress, juste sur leur petit banc perdu devant l’immensité du lagon et du parc. Effy faisait de son mieux pour maintenir le cap. Et elle gérait plutôt bien. Cela faisait longtemps qu’elle essayait de modifier un peu son train de vie, principalement depuis sa dernière tentative de suicide qui remontait déjà à bien des lunes maintenant. Depuis qu’elle avait retrouvé Milo. Mais s’en était suivie une danse obscure avec ses démons, des valses sur le bord du fil et des chutes vers la peur et la panique. Pour mieux se réfugier dans ses bonnes vieilles mauvaises habitudes. Et puis après plusieurs mois, Effy avait réellement essayé. Surtout grâce à Jolene. Certes, elle avait fait le premier pas de recontacter une psy, et de se pointer au rendez-vous. Et les débuts avaient été un peu… Chaotiques. Mais la spécialiste savait s’y prendre, et la jolie brunette avait au fond facilement connecté avec elle. C’était sans doute une grosse partie de ce qui l’avait fait rester. Jolene n’était pas n’importe quelle psy, elle avait su l’accompagner, la laisser être dans le déni, la laisser exprimer son profond cynisme envers la vie, ses peurs, sa colère et ses fantasmes tordus. Et leur relation s’était créée, petit à petit, mais en confiance. Jolene avait su la faire travailler sur beaucoup de choses, la convaincre d’aller enfin en cure, et la convaincre de ne pas se laisser abattre quand elle avait abandonné après cinq semaines et avait consommé. Pour tout ça, la jeune Anglaise lui était profondément reconnaissante, et pour en témoigner, continuait à travailler avec elle et à lui accorder toute sa confiance. Le chemin serait encore long, et ne se terminerait probablement jamais, mais ces moments avec la psychologue l’aidaient beaucoup. Grâce à elle, elle parvenait à maintenir l’équilibre, et à entrevoir la possibilité d’être heureuse, pour de vrai, sans en avoir peur.

Jolene, c’était une femme aussi douce que ferme. Elle était bienveillante et incroyablement compréhensive, mais fallait pas se foutre de sa gueule non plus. Elle voyait à travers vous comme si elle ressentait chaque expérience de votre vie dans sa peau. Effy l’avait vite appris. Que si elle voulait continuer ses sessions avec la psychologue, elle allait devoir y mettre du sien, et une réelle volonté. Ça avait pris un peu de temps, des pas en arrière et puis des pas en avant, dans une danse cyclique de fuites et de retours, mais elle était toujours là aujourd’hui, et Jolene aussi. Un lien particulier s’était créé entre la médecin et la patiente, c’était ce qui aidait le plus la jeune journaliste. La psychologue n’était pas juste un bureau, un carnet de notes et une écoute. Elle mettait bien plus de choses en œuvre pour l’aider, elles se faisaient confiance mutuellement et Eff’ savait qu’elle pouvait toujours compter sur elle, no matter what. Jolene savait être d’une écoute incroyable, mais elle savait aussi forcer Effy à se secouer les puces quand c’était nécessaire. C’était sans doute toutes ces petites choses qui faisaient que cette thérapie était de loin celle qui avait le mieux fonctionné pour l’Anglaise. « Hey. » répondit la jeune fille après avoir tiré sur sa clope, quand sa psychologue arriva et s’installa sur le banc à ses côtés. « I’m fine, I guess. » Son visage était impassible, comme souvent, et elle restait plongée dans la contemplation du lagon. Cette séance tombait à pic pour faire un peu le point, mais là tout de suite, réfléchissant sérieusement à la question de Jolene, la brunette n’était pas sûre d’avoir tous les éléments pour y répondre. Oui, elle allait bien, de façon générale. Elle maintenait le cap, elle évitait de se poser trop de questions, et elle essayait de respecter sa routine et de se concentrer là-dessus, pour commencer. Mais au fond d’elle, dans une boîte fermée au fond de son esprit, il y avait tous ces points d’interrogation en suspens, toutes ces réflexions sans réponses.

Jolene s'installait en douceur, laissant cette séance se mettre en place sans qu'elle n'y ressemble vraiment. Elle prenait la température, laissait le temps glisser le long de leur existence. Elle était là. Présente. Mais pas envahissante. C'était sans doute une des choses qu'Effy aimait le plus chez elle. Elle avait ce don d'imposer un rythme et une structure, un travail, sans que ça n'en ait l'air. Sans presser, sans faire beaucoup de bruit ou de gestes. Elle mettait en marche, sans forcer. C'était d'un naturel presque déconcertant. La jeune Anglaise hocha imperceptiblement la tête au commentaire de la psychologue, laissant la fumée de sa cigarette s'échapper dans l'air en une danse délicate, vouée à disparaître dans le néant. Effy gardait le regard fixé sur l'horizon, mais elle sentait la présence de Jolene dans chaque fibre de son corps. Elles étaient là, toutes les deux, et c'était bien. Après une courte pause, la thérapeute reprit la parole. À nouveau, un temps passa avant que les lèvres d'Effy ne se mettent à se mouvoir. Belle et froide comme la neige, elle ne disait jamais grand chose, Eff'. Capturée dans son monde, mais en chemin vers le pont que Jolene lui construisait, brique par brique, avec une infinie patience. « Parfois, je regrette d'aller mieux. » finit-elle par dire, d'une voix étonnamment douce. Calme, paisible. Imperturbable. La cigarette se porta à nouveau à ses lèvres.

Effy se laissa un nouveau temps pour réfléchir à la réponse de sa psychologue. C'était vrai ce qu'elle disait, son statement faisait écho à beaucoup de situations interpersonnelles dans lesquelles la jolie brune s'était retrouvée. Cette bulle de protection qui traînait toujours autour d'elle et qui semblait impénétrable, pour se protéger d'une vie et de relations qui lui faisaient peur. Pour se protéger du bonheur. Parce que ça faisait peur, d'être heureux. Ça signifiait qu'on avait quelque chose à perdre. Et perdre cette chose était synonyme de souffrance intense et crucifiante. Un effet boule de neige terrorisant. Se fermer aux autres et rester seule avec ses démons avait toujours été une option paradoxalement plus réconfortante. « Quand je suis dans ce monde sombre et angoissant, c'est le mien, j'en connais chaque recoin. » souffla-t-elle du bout des lèvres. « C'est plus rassurant que l'inconnu d'une vie heureuse. » ajouta-t-elle pour conclure sa réflexion. Elle tira une nouvelle bouffée de cigarette, longue et réconfortante. Effy avait fait du chemin, depuis ses toutes premières séances avec Jolene. C'était toujours un peu inconfortable, mais beaucoup moins qu'avant, et elle parvenait maintenant à en voir les bénéfices et à les accepter. Elle avait toujours été douée pour conceptualiser ses peurs et ses émotions, mais la brune assise à ses côtés semblait rendre ce travail encore plus fluide, même si comme toujours, il fallait lui tirer les vers du nez.

Vulnérable, Effy l'était. À la façon d'une enfant qui n'a pas encore appris à se protéger de l'intransigeance de la vie, et pour qui la seule solution est de se cacher dans un placard, au milieu de vêtements d'adultes doux et pelucheux. Derrière cette carapace de glace, iceberg inébranlable à l'instar de ses yeux, la jeune Anglaise était une personne sensible. Elle sortait des coutelas invisibles à la moindre agression, ou prenait la fuite, tout ça pour cacher ses blessures aux yeux du monde, habile manipulation qui fonctionnait à chaque fois, mais la faisait saigner en silence. Se faire du mal, s'abandonner superficiellement à des inconnus, voilà les seules armes dont Effy disposait par définition. Parce qu'intimement, ça la confortait dans sa quête d'éloigner les gens et donc de s'en protéger. Car personne ne voulait d'un animal blessé et agressif, d'un amas de tissus cicatriciels. D'un monde de noirceur qui ne s'éclaircissait jamais, parce qu'elle s'y sentait bien, dans ces tréfonds abyssaux. Seule, angoissée, mais hors de portée, au moins. Insaisissable. « J'en avais jamais vraiment eu envie, avant. Enfin, si, mais il y a tellement longtemps que j'ai du mal à m'en souvenir. » répondit la brunette d'une voix terne. Elle mettait sa phrase au passé, parce qu'elle avait fait du chemin depuis, avec Jolene. Parce que comme le soulignait la thérapeute, elle en avait envie, maintenant, de ce bonheur longtemps considéré inaccessible, longtemps renvoyé à une galaxie lointaine. Mais ses gestes semblaient avoir du mal à suivre. Old habits die hard, comme on dit. « How many steps do you think I have left to take ? » répliqua Effy, levant enfin son regard d'un bleu glacé vers la belle brune. Son sourire indéchiffrable était un mélange de malice amusée et de dépit désabusé. Ne pas se jeter tête la première ? Visiblement, la jeunette n'avait pas entièrement saisi le message.