lost in the words from the fading light (charlie)

La pâtissière n'avait pas mâché ses mots, encore bouillonnante, elle décolèrait difficilement. Charlie en voulait tellement à Woody, qu'elle ne savait pas comment réagir, quitte à vouloir appuyer là où ça fait mal. T'es pas le premier à le dire. lança-t-elle sèchement, juste pour le piquer. Mais à peine sorties de sa bouche, elle regrettait déjà ses mots. Elle vacilla une fois de plus entre culpabilité et colère avant qu'elle ne lui demande si elle lui avait manqué. Cette question l'avait rongé trop longtemps. Est-ce que Woody avait sincèrement pensé à elle durant toute cette pause silencieuse? Sa réponse la frustra davantage, car la réponse était un oui. Mais c'est pas vrai s'énerva-t-elle en levant les mains en signe d'exaspération. Si elle lui avait manqué, pourquoi diable s'était-il entêté à l'ignorer? Elle ne comprenait pas Charlie qu'il ait voulu se préserver, pour elle cela n'avait aucun sens. Même si elle était au plus bas, elle aurait voulu prendre soin de lui.  T'as beau te comporter comme un sale égoïste, je n'arrive pas à passer à autre chose. Je n'y arrive pas, Woody. commença par expliquer Charlie, désemparée. Elle se sentait d'ailleurs emprise dans cette relation, impossible de s'y détacher. Déjà qu'elle avait duré, cela relevait de l'inattendu. Peu importe si son absence avait causé beaucoup de chagrin à Charlie, son amour restait là, bien intact. La blonde posa une main sur sa poitrine comme  pour apaiser la tension qui pesait entre eux. Elle s'assit ensuite à ses côtés et reprit les précieux objets des mains de Woody pour les renfermer dans la boîte de son deuil.  Je suis en colère contre toi car tu m'as laissé tomber. Je suis triste parce que, ce qui nous ait arrivé, ce n'est pas juste. Je suis perdue... Tu dis que je t'ai manqué alors que je crevais d'envie que tu viennes me voir. T'es là, même pas pour moi, t'es là parce que Léo a dû te sermonner. Je lui ai dit que j'étais inquiète pour toi finit-elle par avouer, les larmes qui roulaient sur ses joues. Cela lui faisait mal de l'admettre. Quelque part, peut-être que Woody n'avait pas été inquiet pour elle. Devait-elle en conclure que leur relation ne menait à rien? Qu'ils étaient voués se faire du mal?

« Tu crois que je le sais pas ? » Bien sûr que Woody savait qu’on avait dû dire à Charlie : je te l’avais dit ou encore tu aurais dû m’écouter et le laisser avant qu’il te fasse du mal. Léo figurait sans doute parmi les premiers à avoir laissé ces mots-là aller. Avec sans doute bien moins de gentillesse que d’autres qui n’avaient pourtant jamais apprécié Woody. Alors pourquoi Charlie ne les écoutait-elle pas ? Pourquoi écoutait-elle son cœur désarticulé qui ne pouvait plus faire la différence entre le bien et le mal, visiblement ? Peut-être parce que le trentenaire la nourrissait d’espoir en toute incohérence. Il était incapable de lui dire qu’il ne l’aimait pas. Woody avait bien des défauts et sans doute que souvent, il avait menti pour arriver à ses fins, mais sur ses sentiments il ne mentait pas. Il l’aimait, Charlie, et ce ne serait pas en lui disant le contraire qu’il réussirait à l’éloigner. Ça crevait les yeux qu’il était tombé amoureux d’elle bien malgré lui. Elle ne croirait jamais ses mots tant que ses yeux brilleraient du contraire. À la réponse du physiothérapeute, Charlie leva les mains, exaspérée, énervée. « Qu’est-ce que je peux faire, alors ? Qu’est-ce que je dois faire pour que tu tournes la page ? Parce que, crois-moi Charlie, c’est la seule chose saine à faire. » Il était toxique, il était un poison, et il s’était infiltré en elle vicieusement, à coup de douceurs d’abord pour ensuite devenir le serpent qu’il était. La pâtissière s’assit à côté de lui, reprenant les tout petits objets de ses trop grandes mains. Elle les renferma dans cette boîte bien trop petite pour contenir le chagrin qui les habitait. « Ne pense pas que je n’ai pas eu envie de te voir. Ne pense pas que je ne me suis pas inquiété pour toi. » Il releva les yeux vers elle-même si c’était douloureux de la voir pleurer. Il ne se rendait même pas compte que les larmes roulaient encore sur ses joues à lui aussi. « Et, oui, c’est Léo qui m’a convaincu de venir. J’crois pas que je serais ici aujourd’hui s’il était pas venu me voir. Parce que je sais pas gérer ça, Charlie, je sais pas gérer ces émotions-là. Je vais toujours dire ce qu’il ne faut pas. Je vais toujours me refermer, même si j’avais été là j’n’aurais pas vraiment été là. T’aurais vu qui je suis vraiment. J’préfère que tu penses que j’t’abandonne, plutôt que tu vois ce que je suis. J'me déteste. Et je préfère que toi, tu me détestes pour les raisons que je choisis, plutôt que parce que je suis ... qui je suis. »

Le pic de Charlie fit réagir Woody. Elle, elle haussa les épaules et tourna la tête. Sourde aux conseils et on dit, Charlie avait choisi d'ignorer les autres. Pourquoi? Peut-être parce qu'elle voulait, pour une fois, suivre son instinct et non sa raison. Durant leur relation de montagnes russes, elle avait juste compris qu'elle en revenait au même point. Elle l'aimait, c'est tout. Lui aussi, elle le pensait. Autrement ils n'auraient jamais poursuivi autant de temps ensemble ni même accepté d'avoir ce bébé. Néanmoins la perte de cet enfant, les menait tout droit à leur propre perte. La pâtissière déglutit à la question de Woody. Que devait-il faire pour qu'elle tourne la page? Son cœur s'arrêta pour battre de plus belle. Paniquée, elle sentit que leur conversation était sur le point de s'achever. C'est ce que tu veux? demanda-t-elle, la gorge serrée, la voix étranglée. Sa réponse l'effrayait, et elle n'osait pas confronter son regard pour s'assurer de voir si il mentait ou non. Elle chercha à occuper ses mains en rangeant la boîte de leur deuil, elle la ferma, tout comme elle ferma ses yeux larmoyants. Cela lui faisait à la fois du bien et du mal de l'entendre dire qu'il s'était inquiété pour elle. Son cœur se serrait davantage, détestant la tournure des dernières paroles de Woody. Peut-être cherchait-il qu'elle le quitte une bonne fois pour toute. Ce n'était plus de la colère qui abritait Charlie, mais la peur de le perdre définitivement. Elle leva ses yeux verts et se rendit compte que lui aussi avait pleuré. Ce fut davantage difficile de prendre la parole, mais elle le fit. Avec un moment d'hésitation, elle prit la main de Woody et la serra doucement. Regarde-moi et dis-moi si tu crois vraiment que j'arrêterais de t'aimer si je te voyais tel que tu es? Est-ce que tu  penses... Regarde-moi dans les yeux, dis-le, Woody. Tu me connais maintenant suffisamment pour répondre en toute honnêteté. Tu crois vraiment, que je cesserais de t'aimer? insista Charlie en cherchant à affronter son regard, aussi douloureux que cela pouvait l'être. Elle avait la sensation de jouer sa dernière carte.

Il aurait eu envie de crier, Woody. De crier à Charlie que ce n’était pas ce qu’il voulait, lui, mais ce qu’elle, elle aurait dû vouloir ! Il serait incapable de faire le premier pas vers la rupture. Il l’avait fait avec Freja, il lui avait brisé le cœur pour la protéger, et il ne se pensait plus capable de le refaire avec Charlie. Il pouvait juste la conduire vers cette réflexion-là, lui faire prendre ce même chemin, comme ça il n’avait pas besoin de faire le sale boulot. Elle constaterait par elle-même qu’il ne valait pas la peine de se battre, que leur relation n’irait qu’en chutant à l’avenir. Mais, aussi surprenant cela puisse-t-il être, Charlie Keynes était encore plus bornée que Freja Ivanova. Elle ne lâchait pas prise. « Non … Je sais pas … Peut-être, j’en sais rien Charlie, y’a rien de clair dans ma tête ! » Répondit-il. Voilà l’exacte raison pour laquelle Woody n’avait pas voulu voir sa petite amie, pas encore, parce qu’il n’était pas prêt à avoir ces discussions-là. Il ne savait pas où il se situait, il ne savait pas ce qu’il avait envie de dire ou de ne pas dire. Mais Léo l’avait forcé et maintenant c’était au tour de Charlie de l’obliger à parler, avec toutes ces questions, avec toutes ces réflexions. Woody avait envie de vomir, probablement parce que c’était la première fois qu’il était sobre depuis plusieurs semaines et que sa tête n’en pouvait déjà plus d’être aussi lourde. Le trentenaire expliqua à Charlie, à cœur ouvert, qu’il s’était évidemment ennuyé d’elle, qu’il s’était inquiété, mais que pour toutes sortes de raisons qu’il détailla juste assez, il ne voulait pas qu’elle le voit pendant cette période. Il soupira quand elle lui demanda de la regarder, sa main entourant la sienne. Cette douceur, c’est cette douceur qui l’empêchait de passer par-dessus bord. « Non. Je ne pense pas que tu cesserais de m’aimer. Mais je pense que ça pourrait te rendre malheureuse quand même. Parce que tu fais toujours passer les autres avant toi. » Il renifla. « J’veux pas que tu me sauves, Charlie. Je veux que tu te sauves toi. »

Une faible et infime lueur d'espoir s'illumina au fond de Charlie, en voyant l'hésitation de Woody. De toute ses forces, elle s'y accrocha. À croire que tous les efforts qu'il menait afin qu'elle le quitte, vouaient à l'échec. Il semblait submergé par les questions de la pâtissière, et même si elle ne le voulait pas, elle se devait d'y prêter attention. Alors elle prit la main de Woody, pour y apporter un peu de douceur. Elle fut soulagée de voir qu'il ne la repoussa pas. L'envie soudaine de le prendre dans ses bras devint difficile à taire, mais Charlie n'en fit rien. Encore une fois, elle allait jusqu'au bout de la confrontation et lui demanda si il pensait sincèrement qu'elle cesserait de l'aimer. Si Woody avait quelques défauts, le mensonge n'en faisait pas partie. Il était toutefois très borné et avec Charlie il avait trouvé une adversaire de taille. Sauf que la blonde désirait de plus en plus brandir le drapeau blanc. Et quand il affirma qu'elle faisait toujours passer les autres avant elle, elle ne parvint à garder un visage impassible. Touchée, elle se mordit les lèvres.    Me sauver de qui, de toi? C'est être sans toi qui me fait du mal, pas l'inverse. lui dit-elle à voix basse, alors que son autre main s'aventura sur la joue du physiothérapeute pour essuyer les larmes qui avaient couler à cet endroit. Je ne veux pas te sauver, je sais que je n'ai pas ce pouvoir-là. C'est juste que... j'aimerais faire partie de ta vie. Me marier, avoir des enfants, c'était vraiment pas dans mes plans. Puis je t'ai rencontré et j'en ai eu envie. Je m'en fou du temps qui nous reste. Je m'en fou. Je te veux, toi. C'est tout. lui expliqua Charlie, qui luttait pour éteindre cette voix qui lui disait de le prendre dans ses bras.

C’était ce qu’elle répétait, en effet ce n’était pas la première fois que Charlie affirmait à Woody que c’était sans sa présence qu’elle souffrait. Mais le trentenaire n’écoutait pas. Ce n’était pas le discours dont il s’était convaincu dans son esprit alors le message ne passait pas. Borné, il l’était, oui. Il croyait avoir raison sur tout lorsqu’il était question de lui, de sa maladie, de l’impossibilité d’être heureux à ses côtés. Pendant que Charlie passait sa main sur sa joue, doucement, pour en essuyer les larmes, lui ne démordait pas. « Sur le coup, peut-être, mais tu verras, sur le long terme, quand t’auras passé à autre chose, quand tu m’croiserais plus tard, tu comprendras. » Dit-il dans un dernier élan, d’espoir ou de désespoir on ne saurait trop dire. Il parlait au futur comme si c’était chose faite que Charlie et lui se séparent. Comme s’il n’y avait aucune autre issue à cette conversation. Et pourtant, la discussion, elle était loin d’être terminée. D’ailleurs il s’ouvrit encore un peu sur les raisons de son isolement, de son retrait, de son désir de n'être vu que par lui-même dans ces moments pitoyables, et encore, s’il s’engourdissait l’esprit c’est qu’il ne supportait pas même sa propre compagnie. Lorsque Charlie parla de mariage, d’enfants, tout son corps se raidit. Si c’était un désir, un souhait qu’il avait longuement eu, la fausse couche de la blonde lui avait rappelé qu’il était trop tard pour tout ça. Il ne voulait pas se marier à Charlie. Ce serait de l’emprisonner plus encore dans cette vie dont elle ne voudrait plus dans quelques années. Sans anneau autour du doigt, au moins, c’était plus facile de s’en aller. Ça le fit pleurer encore plus. « Je m’excuse, Charlie. Je peux pas. Je peux pas penser à tout ça, en ce moment. » Et il se leva, difficilement mais il y parvint. Fuir n’était plus aussi simple lorsque son corps ne suivait pas.

Deux têtes de briques, deux bornés, qui tentaient d'avoir une discussion. Autrement dit, Woody et Charlie risquaient d'être longtemps dans une impasse. Lui, espérait peut-être qu'elle prenne son courage à deux mains pour le quitter. Elle, espérait qu'il prenne son courage à deux mains pour rester. La lueur d'espoir s'éteignait doucement dans le coeur de Charlie. Si on en arrive là, ce ne sera pas parce que je l'aurais voulu. affirma la pâtissière, très sûre d'elle. Même si elle redoublerait d'efforts pour passer à autre chose, elle n'y parviendrait pas. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, surtout pendant leurs plus "bas" de leur relation. Plus d'un an et demi, et elle en revenait toujours au point de départ. Elle l'aimait comme une dingue. Et en essayant de le lui faire comprendre, elle eut cette horrible sensation que c'était trop. Elle se sentit stupide d'avoir parlé de mariage et d'enfants. Woody se releva, avec difficulté certes, mais cela annonçait la fin. La fin de leur discussion. La fin de leur couple.  Pardon, je ne voulais pas... Te faire peur, songea-t-elle. Mais les mots restèrent bloqués au fond de la gorge. Elle se tut, et inexplicablement, Charlie ne pleurait plus. Dans d'autres circonstances, elle l'aurait accompagner jusqu'à la porte ou même proposer de le ramener chez lui. Cependant cette fois elle avait la conviction qu'aucune autre issue était possible et qu'il la rejetterait, encore. Immobile, les membres de son corps semblaient paralysés. Incapable de supporter de le voir la quitter, elle ferma les yeux.  Aurevoir, Woody. murmura la blonde qui se blottit dans un coin du canapé. A quoi bon le retenir, puisqu'il voulait partir...

Fin