The heart is a muscle, and I wanna make it strong (concho) - hot

J’avais hésité de longue minutes, plantée devant ma penderie, à me demander ce que je pouvais mettre pour ce soir. Ca n’était pas vraiment un rendez-vous galant, ça n’était pas non plus un simple verre entre deux amis d’enfance, c’était…autre chose. Mais quoi ? Je ne savais me positionner. Un léger stress m’envahissait. Concho m’avait vu sous toutes les coutures depuis que nous nous connaissions. Ado nous avions passé plusieurs soirées ensemble et il m’avait vu de nombreuses fois en jogging informe, ou au réveil, les cheveux ébouriffés, une marque d’oreiller barrant ma joue. Il m’avait vu sur mon trente-et-un, nue ou même dans ma robe rouge de mariée. Il m’avait vu rire, pleurer ou même les rares fois où j’avais pu être en colère. J’étais à peu près sure que ce que je choisirais de porter ce soir n’aurait aucune incidence, et pourtant, j’étais incapable de laisser ça au hasard. Je ne voulais pas avoir l’air trop sexy, mais je n’avais pas envie d’avoir, non plus, l’air de me ficher de ces retrouvailles. Car c’était bien de ça qu’il s’agissait, des retrouvailles entre Concho et moi, une occasion qu’on s’accordait pour discuter, calmement. Pour mettre le coeur sur la table, peut-être.
Cela faisait maintenant presque une demi-heure que je passais en revue toutes mes tenues, j’optai finalement pour un jupe courte en daim couleur cognac, taille haute, avec de larges poches sur les hanche que j’associai à un chemisier vert olive, en soie. Il restait un détail à régler…mes cheveux, devais-je les relever ou les laisser lâches ? Je testai les deux option face à mon miroir puis soupirai bruyamment. Dans mon hésitation, j’étais en train de me mettre en retard. J’attachai donc rapidement mes cheveux en un chignon et fermai un bouton de plus de mon chemisier, avant de chausser mes bottines à talons camel.
Je quittai mon appartement, et pris, à pied, le chemin du bar de la plage où j’avais donné rendez-vous à Conchobáhr. L’air était bon ce soir, ni trop chaud, ni trop froid, c’était agréable et faisait se dissiper légèrement l’anxiété qui me tenait. L’écriteau du bar de la plage arriva dans mon champ de vision, et rapidement, j’éprouvai le besoin de défaire mon chignon. C’était n’importe quoi cette coupe, cela me donnait un air strict. Je me penchai vers la première voiture que je trouvais et observai mon reflet dans le rétroviseur pour défaire ma coiffure et replacer mes cheveux. Je déboutonnai mon chemisier d’un cran pour me débarrasser de ce côté trop sérieux que je m’étais donné en partant, puis, avant de changer à nouveau d’avis, je pressai le pas jusqu’au bar de la plage. Très vite, je repérai la silhouette de mon ami d’enfance. Quand son regard tomba dans le mien, mon coeur faillit louper un battement. Un large sourire aux lèvres, j’avançai enfin jusqu’à lui. En temps normal, j’aurais fondu dans ses bras pour une étreinte chaleureuse, comme Conchobáhr savait les donner, et si nous avions brisé, lui et moi, beaucoup de glace des derniers mois tout n’était pas encore rétabli. J’approchai  donc plus sagement, sans me départir de mon sourire.
— Hey…, fis-je doucement, je…je suis contente de te voir.

@Conchobáhr Rosenbach

Depuis mon retour de Chamonix, c’était la tempête dans mon cœur. J’avais vécu les premières semaines assez difficilement, ressassant sans cesse les échanges que j’avais eus avec Pippa. Si, devant tout le monde, nous avions été en mesure de continuer à cohabiter dans notre groupe d’amis sans trop de difficulté – par exemple à l’anniversaire de Perry -, je savais que nos discussions en privé ne seraient plus jamais les mêmes. Pippa m’avait avoué songer, parfois, souvent, tout le temps en fait, à nous, à son envie qu’on puisse être ensemble alors qu’elle était pourtant mariée à un autre au moment de lâcher ces mots. C’était cruel. C’était cruel de me laisser miroiter cette possibilité alors que ce n’en était pourtant pas une. Peu importe les raisons de leur mariage, jamais je n’accepterais d’être l’autre. Aux yeux de toute la ville il fallait que Pippa et Liam entretiennent le mensonge, alors jamais Pippa et moi n’aurions pu être réellement ensemble, comme je l’entendais.

Jusqu’à ce que je vois cette photo sur son fil Instagram. All by myself. It’s a new beginning. Qu’est-ce que cela signifiait ? Ce voile de mystère m’avait hanté depuis deux semaines. La publication s’en était tenue à ça. À tous les jours j’allais vérifier les commentaires sous la publication, pensant qu’une de ses copines la questionnerait publiquement et que j’aurais accès à toutes les réponses que moi aussi je cherchais. Mais non, sans doute ses copines savaient-elles mieux garder la vie privée de Pippa, en lui téléphonant, en allant la voir. Moi j’y arrivais pas. J’écrivais des lignes par texto et je les effaçais, sans cesse, ne trouvant pas la bonne formulation pour savoir : était-elle toujours avec Liam ou pas ? L’avait-elle laissé … pour moi ? Évidemment que ça m’était passé par la tête. Le timing était là, s’ils s’étaient bel et bien séparés. Puis, il y avait eu Alba, Alba et le chaos qu’elle vint mettre en moi le temps d’une soirée. J’avais le cœur tiraillé et la tête dans un brouillard si dense lorsque mon téléphone portable avait vibré aujourd’hui, affichant enfin le nom de Pippa dans les notifications visibles à l’écran d’accueil.

Plusieurs heures plus tard, j’étais là, assis à une table du bar de la plage, regardant ma montre à peu près aux trente secondes. Je portais un chandail polo d’un gris clair et un pantalon long puisque je frissonnais déjà à l’idée de revoir Pippa dans ce contexte qui, peut-être, changeait tout. Les soirées avaient beau être chaudes, j’étais tellement anxieux que mon corps tout entier était occupé à calmer mon stress plutôt qu’à réguler ma température corporelle. Je vis Pippa arriver dans sa jupe courte et ses bottes hautes et je me levai sans trop me poser de questions, manquant de trébucher dans les pattes de ma propre chaise au passage. J’avais l’air d’un adulescent pas trop habitué à ressentir des émotions aussi fortes, pas trop habitué à avoir rendez-vous avec une femme aussi canon. « Hey. » Murmurais-je parce que je n’avais même pas été capable de bien mesurer la force de ma voix tellement ma tête était ailleurs. Je lui fis la bise, incertain de savoir comment agir, et je me rassis face à elle. « Je suis content de te voir aussi. Je … j’ai rien commandé, je ne savais pas si tu comptais manger, si tu voulais boire quelque chose en particulier, alors euh, … ben j’t’attendais. »

Je n’avais pas su comment l’annoncer, comment en parler, notamment à Concho, même si je crevai d’envie de le lui dire depuis des semaines. J’étais célibataire, j’avais quitté Liam. Mes sentiments pour Concho était une des raisons qui m’avait poussé à mette fin à cette relation qui ne me convenait plus, mais je n’avais pas envie qu’il croit que je passais de mec en mec en toute insouciance. Je ne voulais pas que mon retour vers lui ai l’air de ça. Aussi avais-je pris mon temps, jusqu’au moment où je n’avais plus supporter d’écrire et d’effacer mes messages en constatant qu’il faisait la même chose. J’étais stressée à l’idée de ce rendez-vous, au bar de la plage, et en même temps, il arrivait comme une délivrance.
C’était étrange ce double sentiment, mais j’imaginais qu’il accompagnait cet air de changement qui semblait s’apposer sur ma vie en ce moment. Je rejoignis Concho au bar de la plage et il avança vers moi, manquant de se prendre les pieds dans sa chaise. Cela me détendit un peu, ce naturel brisait un peu la glace et me faisait voir mon meilleur ami, cet homme que j’avais toujours connu. Je souris quand il me fit la bise.
— Oh ? D’accord, euh…on peut faire les deux, je crois qu’ils proposent des planches, des tapas, ce genre de choses et…un cocktail, peut-être ? Peu importe, en fait, je suis déjà très heureuse que tu sois là...

Je n’avais aucune idée du déroulement de cette rencontre, de son contenu non plus, alors encore moins de ce qu’on allait consommer. Étions-nous là pour un repas ? Étions-nous là pour un verre qui nous détendrait certainement tous les deux ? Pour les deux ? Pour quelque chose de bien court, un petit shooter pour nous donner la confiance de nous parler ? Pour quelque chose de bien long afin d’avoir le temps de tout mettre au clair ? Je n’en avais absolument aucune idée, alors pendant l’attente de Pippa, à chaque fois qu’un serveur ou une serveuse s’était attardé à mes mains vides, me demandant si je désirais quelque chose, j’avais refusé. Je voulais l’attendre. Je voulais attendre qu’elle m’enligne sur ce qui allait se passer ce soir. J’avais besoin que Pippa prenne le lead parce que moi, je me désorganisais. Elle décida qu’on pourrait faire les deux. Ouais, on pouvait. J’opinai de la tête. « Ouais, des planches de trucs locaux, ça peut être pas mal. Peu importe avec quoi on boit ça, tant que je bois quelque chose. » Je ris, nerveux. « Ça va peut-être me détendre un peu. » Je baissai les yeux un moment mais la force d’attraction étant trop grande, je relevai rapidement le regard vers Pippa. « Je suis heureux que tu sois là aussi. Que tu m’aies envoyé ce message, ce message que moi j’osais pas envoyer. » Admis-je. « Où on va, à partir d’ici ? J’sais pas par où commencer. » Mais le serveur interrompit le début de cette trajectoire approximative en venant nous demander nos commandes, sans doute soulagé de me voir enfin accompagné, le convainquant que je n’étais pas juste là pour occuper une table inutilement. Je commandai un plateau de charcuteries, fromages et autres tapas, ainsi qu’un verre de vin – c’était généralement ce qui me faisait le plus rapidement d’effet, alors allons-y pour ça. Quand il repartit avec nos demandes, je reposai le regard vers Pippa, et j’attendis, de mon air perdu.

Il y avait des gestes gauches, il y avait de la gêne et c’était totalement nouveau entre Concho et moi. Nous étions amis depuis l’école primaire, autrement dit, nous avions grandi ensemble et il n’y avait jamais eu pareil gaucherie. Les choses était différente, cela dit, et cette soirée allait nous permettre de creuser, de comprendre, d’avancer peut être. J’avais besoin de le voir en tout cas, besoin de lui parler, de tout dire. Après que nous ayons passé commande, je me concentrai sur Concho, trouvait une ancre dans son regard.
— Tu m’as demandé si…tu y étais pour quelque chose dans ma rupture avec Liam, et…je t’ai dis non.
Je baissai les yeux, légèrement, puis les relevai vers lui, me raclant la gorge.
— Ce n’est pas totalement la vérité. Enfin…si. Je veux dire, j’ai quitté Liam pour plusieurs raisons, je l’ai quitté parce que ce mariage n’était plus alignée avec moi, parce qu’on se rendait malheureux mais…pas seulement.
Non…pas seulement. Prétendre l’inverse aurait été mentir, de bout en bout. Et j’en avais fini avec les mensonges.
— Il y a deux mois tu m’as dis que tu n’accepterais jamais d’avoir quelque chose de spécial…avec moi, si j’étais mariée à Liam et…pour moi non plus, ce n’était pas envisageable. Moi non plus, je n’avais pas envie de te donner cette place, cette place en second plan. Ca m’a brisé le coeur quand tu m’as dis ça…parce que j’ai cru te perdre pour toujours et cette simple idée me terrifie, mais ça m’a fait réaliser beaucoup de chose.
Je me tus un instant, me demandant comment j’allais aborder les choses, puis…je décidai simplement de parler comme cela me venait, d’ôter les barrières et de laisser mon coeur à nu.
— J’ai fais des erreurs, je le sais. Je t’ai fais du mal, et je sais pas si je pourrais réparer ça un jour, mais…je ne pouvais plus me mentir. Et je crois que je le sais depuis un moment déjà…
J’inspirai longuement, puis me lançai.
— Je…
Un sourire, suivi d’un rire nerveux me coupa.
— Je t’aime Concho.
Voilà. C’était dit. J’étais prête à me prendre la plus grande veste de l’histoire mais, au moins, j’avais posé les choses. Plus de mensonges, plus de retenu. Juste la vérité nue. Et si j’étais terrifié à l’idée qu’il me rejette, je me sentis soulagée d’un seul coup, comme si un poids immense avait été ôté de ma poitrine.

J’hochai la tête alors que Pippa se lançait doucement dans des explications. Je lui avais effectivement demandé si j’avais quelque chose à voir avec cette rupture entre Liam et elle. La question se posait, à mon avis. Après tout, ce que nous nous étions dit à Chamonix, tous ces sous-entendus dans lesquels je n’avais pas voulu me perdre davantage par peur de ne jamais en revenir, ça avait une énorme signification. À mes yeux, le simple fait qu’on ait abordé le sujet, qu’on se soit avoué certains trucs, créait une certaine infidélité dans ce mariage qui n’avait rien de commun. Et si Pippa ne le voyait pas du même œil que moi, ce mariage, je ne pouvais me résoudre à venir m’interposer, m’imposer dans quelque chose que je ne comprenais pas.

Pippa rectifia alors sa réponse à cette question, cette question de savoir si j’y étais pour quelque chose, dans leur rupture. Même si je n’étais pas la principale raison, pas la seule et unique explication, j’avais quand même eu mon rôle à jouer, m’expliquait-elle dans des détours bien plus détaillés. Je la laissai parler, Pippa, premièrement par respect, deuxièmement parce que j’avais besoin d’entendre tout son discours avant de me positionner. Avant de savoir où me situer là-dedans. Avant de comprendre où elle était en train de nous emmener, tous les deux. Un peu à l’aveuglette. Un peu dans le brouillard de la nouveauté.

Je m’étais attendu à encore plusieurs tours autour d’un pot que je ne discernais pas encore clairement. Je m’étais attendu à ce qu’on déambule dans les méandres de sa pensée encore un petit peu. Pas qu’elle me shoot qu’elle m’aimait, qu’elle m’aimait, comme ça, sans prévenir, alors que le serveur approchait pour déposer un plateau de charcuteries entre nous deux. Non. Pas entre nous deux. Je le sentais, cette fois, qu’il n’y avait plus rien entre nous deux. C’était maintenant ou jamais. Cette histoire de mauvais timing, ces chances ratées par les aléas de la vie, tout ça c’était fini.

C’était ici, maintenant, notre moment. Ignorant donc ce plateau de produits locaux et les verres posés autour, comme si le serveur n’avait pas interrompu l’instant avant de s’éclipser tout aussi vite, je plongeai mon regard dans celui de Pippa. « Te perdre m’a toujours terrifié aussi, Pips. Et l’année dernière j’l’ai vécu comme si je te perdais. Ça m’a jeté dans un tourbillon de peur, de regrets, de colère, d’incompréhension, de tristesse. Mais surtout de regrets. D’pas avoir été plus clair avant. D’pas avoir essayé, un peu, d’me positionner comme ton premier choix évident. » J’allai chercher sa main de l’autre côté de la table. Entre les premiers battements de cœur cognés pour Pippa et ceux qui rythmaient actuellement dans ma poitrine, il s’en était passé, des trucs. On en avait vécu, des peines d’amour et des déceptions relationnelles. Avec d’autres. C’était peut-être pour qu’on en arrive finalement à l’instant présent. Au bon moment. « Nos dernières conversations ont réveillé tellement de sentiments. Et c’est très égoïste mais j’suis content de savoir Liam parti. » Admis-je en rougissant juste un peu. « Je t’aime aussi, Pips. »

Ces mots-là, je les avais longtemps retenus, trop longtemps, ainsi ils étaient devenus omniprésents. Cela durait depuis quelques semaines maintenant, ils avaient fait leur nid, lentement, et après un long murissement, après avoir trouver leur stabilité, quelques choses à quoi se raccrocher, ils avaient pris leur envol. Par eux-même. Je les avais prononcé presque sans réfléchir, naturellement, parce que c’était le moment. Enfin…
Conchobahr et moi avions vécu nombreux à côté, quelques synchronicités ratées qui nous avaient menés à ce moment là…au bar de la plage, libre et le coeur tourné vers l’autre. Lorsque les mots franchirent la bouche de mon ami d’enfance, je ne pus retenir mon sourire. Le bonheur semblait exploser dans ma poitrine, et c’était à peine si je ne croyais pas rêver. Il m’aimait.
Le serveur revint après avoir déposer entre nous une planche de charcuterie et nous amena nos verres mais je le remarquai à peine, mes yeux étaient rivés sur Concho. Le monde s’effaçait. Il me semblait ne pas avoir ressentis une émotion si forte, si entêtante depuis longtemps. Sa main dans la mienne, chaude et réconfortante. Je pouvais presque sentir son pouls, battement à un rythme aussi effréné que le mien. Le temps semblait ralentir pourtant. Puis, au bout d’un moment, je n’aurais su dire combien de temps, je me penchai au dessus de la table pour l’embrasser. Ce fut chaste d’abord, puis, finalement, je contournai le mange-debout pour venir me fondre dans les bras de Concho, passant mes doigts dans ses cheveux, intensifiant ce langoureux baiser, comme si nous étions seuls au monde.

C’est comme si la vie s’était mise sur pause, le temps que nos regards nouveaux s’apprivoisent, le temps que ces mots prononcés trouvent ancrage dans nos cœurs. Je n’entendais plus les rires et les discussions autour, je ne remarquais plus les vas-et-viens des serveurs, je ne voyais plus rien d’autre autour de moi, ma vision périphérique s’était dissipée afin que je ne vois que celle devant moi. Pippa. Nos deux mains ne s’étaient pas lâchées, le contact devenait de plus en plus chaud et réconfortant. Je n’aurais su dire combien de secondes ou de minutes s’étaient écoulées depuis que j’avais, moi aussi, lancé mon amour à la blonde. Ça me parut une éternité et un instant à la fois. C’est elle qui redonna à la vie son mouvement, en se levant de son tabouret pour m’embrasser, penchée au-dessus de la table, au-dessus de notre plat. Je me levai aussi pour qu’on se facilite la tâche à tous les deux, nous n’avions pas eu un parcours facile alors je pouvais au moins rendre notre premier vrai baiser plus évident. Pippa contourna finalement la table haute et m’entoura de ses bras et je l’entourai des miens, échangeant un baiser cette fois bien moins chaste. Nous faisions fi des gens autour de nous, au pire ils n’existaient plus vraiment actuellement, le temps qu’on vive ce moment après lequel j’avais couru tellement longtemps. Mes lèvres se détachèrent finalement de celles de Pippa, un sourire béat prenant place sur mon visage que je reculai pour mieux la regarder. « Pfiou. » Lâchais-je d’abord, la pression redescendant, avant d’ajouter : « Ça valait l’attente. » Je ris, tout d’un coup bien plus calme.

Ce baiser semblait nous avoir attendu toute notre vie, il n’arrivait pas par hasard, ni parce que nous avions, l’un ou l’autre, besoin de réconfort. Non. Il arrivait naturellement, comme la suite logique des choses, et c’était bon. Les bras de Concho m’entouraient et je me sentis à ma juste place, un doux sentiment de sécurité m’envahit, comme si chacun des pas que j’avais effectué jusqu’ici m’avaient mené là. Son souffle chaud contre ma joue et sa langue jouant avec la mienne m’envoûtaient totalement, si bien qu’il me fallut un instant avant de reprendre contact avec la réalité lorsque Conchobahr s’écarta de moi.
Je ris en même temps que lui, puis coulais sur lui un regard tendre.
— J’aurais aimé ne pas te faire attendre, avouai-je, comprendre plus tôt…
Si j’avais tendance à penser que rien n’arrivait sans raison, que les choses avaient besoin d’un cheminement bien précis pour aboutir, j’avais le regret d’avoir insinuer de la souffrance et une attente interminable dans notre relation. Cependant, aujourd’hui, nous étions là, au bon moment, disponible, l’un et l’autre. C’en était fini des rendez-vous manqués.
— On y est, hein ? dis-je avec un sourire flamboyant sur les lèvres, toi et moi ?

Peut-être que toutes les embûches et les haches plantées dans nos cœurs, peut-être que toutes les déceptions amoureuses, peut-être que tous les faux-pas qu’on avait faits avaient tous, pour seul objectif, de nous amener tous les deux au moment présent. Peut-être que c’était ici et maintenant que les conditions étaient favorables à notre enracinement. Alors, quand Pippa m’avoua qu’elle aurait préféré ne pas me faire attendre tout ce temps et comprendre plus tôt ce qui nous attendait, j’haussai les épaules faiblement. « Je pense qu’on n’aurait peut-être pas été prêts. » Il avait fallu toute cette séquence d’événements, tous ces dominos tombés, pour qu’on demeure les deux seuls debout en bout de ligne. Et le temps se figeait et la chute cessait. À mes paroles, la blonde laissa entendre – dans un questionnement – que maintenant, on y était, elle et moi. Je souris, les yeux brillants, et hochai brièvement la tête. « Ouais, j’crois bien qu’on y est. » Et ça tombait bien, on avait encore toute une vie devant nous. Je m’étais souvent inquiété de ça, du temps qui passait, des années que je prenais et de la solitude qui m’enveloppait à chaque nouvel an. Je ne m’inquiétais plus. Nous nous avions l’un l’autre et nous avions encore tant de choses à vivre et le temps pour le faire. « J’aurais bien envie d’partir en douce pour rentrer avec toi mais c’est officiellement notre premier rendez-vous, techniquement, et j’veux faire les choses bien. » Admis-je avec un sourire.

Concho avait sans doute raison. Avant aujourd’hui, nous n’étions pas prêt, notre relation en était au stade de bourgeon et le moment d’éclore ne survenait que maintenant. Il avait fallu que nous parcourions du chemin, l’un et l’autre, avant de pouvoir emprunter la même direction, à deux. Je repris place sur mon siège haut, puis en profitai pour siroter mon cocktail auquel je n’avais même pas encore touché, quand Concho m’avoue qu’il était tenter de s’éclipser avec moi mais que, pour faire honneur à ce qui était notre premier vrai rendez-vous, il choisissait de faire « les choses biens ». Je ne pus m’empêcher de sourire.
— T’as raison, c’est pas comme si on venait de brûler les étapes en s’avouant l’un et l’autre qu’on s’aimait avant même d’établir qu’on était…ensemble.
On n’avait posé aucun mot sur ce que nous étions en train de créer ce soir, pas encore, même si, pour moi en tout cas, les choses semblaient couler de source. Si je trouvais charmant que le danseur souhaite vivre ce rencard dans les règles de l’art, la facette taquine de ma personnalité avait envie de jouer un peu. Espiègle, j’attrapai un tapas avec une fausse nonchalance, tandis que, discrètement, je déboutonnai un bouton de mon chemisier, laissant subtilement entrevoir la dentelle noire. Mon regard défia celui de Conchobahr, tandis que, le menton calé dans ma paume, je lui souriais.
— Et sinon, le boulot, ça va ? demandai-je en papillonnant exagérément des cils, comme pour le défier d'avoir une conversation normale avec moi.  

Je m’en serais voulu d’avoir précipité les choses, à l’époque, avec Pippa. D’avoir forcé un peu la vie. Parce que si ça se trouve, on aurait gâché cette connexion qu’on avait, on aurait démoli nos chances d’en arriver à ce point-ci aujourd’hui, à ce moment où nous étions tout à fait sur la même longueur d’ondes en ayant vécu nos expériences chacun de notre côté, et ayant maintenant besoin de la douceur de l’autre. Besoin de retrouver ce lien familier, stable et rassurant qui nous unissait depuis si longtemps. Dans ce souhait de ne rien précipiter encore, malgré les mots qui s’étaient échangés sans prévenir, je laissai entendre que je ne voulais pas aller trop vite puisqu’il s’agissait techniquement de notre premier rendez-vous amoureux. Pippa releva exactement l’incohérence à laquelle j’avais moi-même songé : nous nous étions dit que nous nous aimions. Si ce n’était pas la plus grande étape, ça. Je ris en baissant les yeux momentanément. « Justement, faut s’calmer. » Je relevai les yeux vers elle. « J’ai envie de laisser grandir l’impatience, tu vois ? J’ai envie que les papillons que j’ai dans le ventre, là, qu’ils commencent à m’faire mal à la fin du repas, parce qu’ils me supplieront de me retrouver seul avec toi, et de … » Mes joues rougirent un tout petit peu. « Et de te faire l’amour sans avoir un litre de téquila dans le corps, cette fois. » Doux souvenir de notre première fois, une rencontre qui avait déraillée à cause de nos cœurs brisés par d’autres. Pippa attrapa un tapas d’une main, ses doigts de l’autre main déboutonnant discrètement son chemisier. Mon regard se renversa évidemment sur sa poitrine, la dentelle noire se révélant à moi, invitante. Sa question sur mon boulot faillit me rentrer par une oreille et en sortir directement par l’autre. Je me raclai la gorge, relevant les yeux vers les siens. « T’es pas possible. » Dis-je en riant. « Et moi qui essaie d’être un gentleman, d’être un peu romantique. » Nan, en vérité, je n’essayais pas, c’était en moi, c’était qui j’étais. Alors je repris bien vite le dessus. « Ça se passe très bien. On prépare le spectacle de fin d’année pour juin. Tu viendras ? » Demandais-je, évitant à tout prix de me laisser prendre à son jeu, même si je me doutais fort bien que nous n’allions pas nous attarder au dessert ici.

Brûler les étapes, ça me ressemble assez. Je suis complètement du genre à vouloir jouer d’un instrument avant d’apprendre le solfège par exemple, ou à préparer un gateau sans en lire la recette en détails. L’impatience fait partie de mon ADN. Je suis comme ça. En plus d’être un peu joueuse, alors, oui, quand Conchobáhr ouvre une brèche, je n’hésite pas à m’y engouffrer. Il m’explique sa théorie sur les papillons qu’il compte faire grandir, petit à petit, jusqu’à ne plus pouvoir les tenir. J’aime assez l’idée je dois dire, et rien que pour ça, ça vaut le coup de patienté un peu. Je souris.
— Il faut bien les stimuler un peu, ces papillons, je déclare, avant de jouer avec mon chemisier.
Concho entre quelques instants dans mon jeu, son regard ne m’échappe. Au contraire, il me grise. Je joue l’innocente lorsqu’il me rétorque que je ne suis pas possible, puis continue de jouer nonchalamment avec les pans de mon chemisier.
— Bien sûr, ça me ferait plaisir de venir, dis-je sincèrement, tout en continuant à avancer mes pions.
Du bout du pied, je viens caresser sa jambe sous la table. Tous le monde peut s’en rendre compte étant donné que nous sommes sur des tables hautes, mais je me fiche bien que tous le restaurant sache que j’ai envie de Conchobáhr Rosenbach, tout de suite. Je termine mon mojito, puis mets le verre de côté.
— Pas de deuxième verre, je décide en plantant mon regard dans celui du danseur, moi aussi je veux être en plein possession de mes moyens quand on fera l’amour…

Elle ne me laissait pas une seule seconde de répit, même après mon romantique passage sur les papillons et la belle impatience grandissante. Je pensais que ça allait la convaincre, un tout petit peu au moins, de ralentir la cadence le temps du repas. Mes yeux constatèrent rapidement que je n’aurais aucune chance face à elle, puisqu’elle déboutonnait lentement son chemisier. Sa poitrine, elle n’était qu’un doux souvenir pour moi, et encore le brouillard teintait les images que je gardais en mémoire. De la redécouvrir de mon regard ne me donnait qu’une seule envie : les redécouvrir de mes mains et de ma bouche également. Je voulais les marquer à vie et ne plus être qu’une empreinte qui s’efface sur sa peau. « Mes propres pensées étaient déjà bien capable de me torturer et de les stimuler, mais là … t’en rajoutes. » Je souris quand même. Je n’étais évidemment pas réellement irrité par ses efforts pour me déboussoler. J’appréciais la vue, qui dirait le contraire ? Cependant, je restai fidèle à mes paroles alors je relevai les yeux vers les siens et je répondis à sa question, parlant de Head Ahead, ce qui nous éloignait de la sensualité. Ne voulant visiblement pas trop s’en écarter, toutefois, Pippa caressa ma jambe sous la table. Je secouai la tête momentanément, regardant autour de nous pour ne voir aucun regard rivé sur nous, et de toute façon je ne pense pas que ça m’aurait trop dérangé. Être désiré par une femme aussi belle et brillante que Pippa, devait-on s’en cacher ? Je ne crois pas. « J’espère qu’il y aura pas mal de monde. Tu me feras de la pub auprès de tes followers ? » Demandais-je sans trop prendre la proposition au sérieux. C’était juste pour faire la discussion et changer mes idées de place. Je n’y arrivais cependant pas avec Pippa qui continuait à me caresser sous la table et à parler du moment durant lequel on ferait l’amour, avec tous nos moyens. Machinalement, mon pied gauche se mit à son tour à caresser de haut en bas la cheville de Pippa. Je pris une olive qui se trouvait sur le plateau de charcuterie et je la déposai lentement sur ma langue, essayant d’être un peu sensuel – je ne sais pas si c’était réussi, c’était juste une olive après tout. « C’est un jeu qui s’joue à deux, tu sais. » Dis-je après avoir avalé.

Mon ami d’enfance connait mon tempérament joueur, mais ce qu’il ne sait pas encore, en revanche, c’est qu’il est décuplé lorsque je suis en couple. La machine est lancée.
— Tes pensées, je relève, ça me plairait de les connaitre…
Je le taquine, mais en vérité, je trouve ça excitant de savoir qu’il pense à moi de cette façon, au point qui ressente de l’impatience, une douce torture comme il l’a mentionné. Sa réaction lorsque je commence à lui faire du pied me fait sourire. Il entre petit à petit dans mon jeu, je le voix à son attitude, et ça me plait. On essaye pourtant un moment de revenir à la conversation sérieuse, même si aucun de nous n’est dupe.
— Bien sûr ! je réponds, en riant.
Concho se prête à son tour au jeu de séduction, caressant ma cheville de son pied, et jouant lascivement avec une olive. Un frisson me parcours, les pointes de mes seins se dressent et je me sens obligée de me repositionner sur ma chaise, excitée.
— Ne me pousse pas à jouer un remake de Quand Harry rencontre Sally, je le taquine, en arquant un sourcils.
Pour un premier rendez-vous, c’était peut-être un peu osé, et…en vérité, le patron du bar de la plage nous connaissait depuis que nous étions adolescent et entretenait encore des relations avec mon père. Je n’étais pas certaines de pouvoir revenir au bar de la plage après ça. La soirée se déroula de manière douce, tantôt on se cherchait tantôt on discutait sagement. Puis, me levant, une fois que nous avons terminé, j’indique à Conchobáhr que j’ai besoin d’aller aux toilettes. Quand j’en reviens, quelques secondes plus tard, il est au comptoir pour payer l’addition. Je le rejoins, un sourire mutin aux lèvres puis me penche vers lui.
— Je t’attends dehors, je glisse, malicieuse, tout en calant discrètement ma culotte en dentelle fraichement retirée dans sa main libre
Je m’éloigne avec quelques papillons fous dans le ventre et attend qu’il me retrouve à l’extérieur.