Bienvenue à Bowen, petite ville côtière du Nord-Est de l'Australie, abritant moins de 7 000 habitants. Si vous recherchez le calme, la bonne humeur et la joie de vivre, vous serez au paradis. Tous les habitants vous le diront, Bowen est l'endroit idéal pour se ressourcer. Et puis ne vous inquiétez pas pour l'intégration, ici tout le monde se connaît et les habitants adorent accueillir les nouveaux. › suite.
"Putain..." grognai-je en poussant la porte des chiottes d'un coup de pied, serpillère et seau en main. Encore une client qui avait gerbé, et tout à côté de la cuvette en plus... Il me faisait grave chier ce boulot de merde. Je passais mon temps à servir les gens et à nettoyer leurs saloperies. Non content d'astiquer ce fichu comptoir toutes les cinq minutes et il y avait toujours un illuminé du bocal qui abusait de la boisson et qui finissait par vomir ses tripes partout. Vie de merde...
Comme tous les soirs où j'étais de service, j'étais pas jouasse... Mais là, j'avais atteint les limites du supportable. Luna m'avait pris la tête en plus, encore une fois et j'avais dû me coltiner la corvée de chiottes. Et la soirée ne faisait que commencer. J'étais accoudé à cette saleté de comptoir tout collant, alors que j'avais passé un coup de chiffon dix minutes plus tôt, et je buggais devant l'horloge, les yeux à demi-clos. C'était pas tant la fatigue, mais plutôt la lassitude. Qu'est-ce que je foutais là, putain ?
J'entendis un bruit sur ma droite et tournai la tête pour voir un type qui tentait d'attirer mon attention en claquant des doigts. Sérieux ? J'étais pas un chien, putain ! Il avait qu'à me siffler tant qu'on y était. Je me redressai en soupirant et allai jusqu'à lui. C'était un type pas très grand, à la carcasse frêle, arborant un costume pied-de-poule et un nœud pap'. Le ringard par excellence. En plus il mettait beaucoup de trop de gel dans ses cheveux. A moins que ce ne soit un vieux produit tout aussi has-been genre brillantine. Il ressemblait à une espèce d'automate qui aurait pris vie par enchantement, comme Pinocchio. Il était humain ce mec-là ?
- Je sens bien que vous êtes débordé, jeune homme, mais pourrais-je avoir un verre de limonade, je vous prie ?me demanda t-il avec une politesse déconcertante, le sourire jusqu'aux oreilles.
Putain, d'où il sortait lui ? En plus, il se foutait de ma gueule. Je fronçai les sourcils, me demandant même si c'était pas un prank. Il y avait peut-être un mec quelque part, planqué, en train de nous filmer pour faire péter le nombre de vues sur sa chaine. Je me raclai la gorge, et le dévisageai en le regardant de haut en bas.
- Et je vous mets une petite rondelle de citron, dans votre petite limonade ?me moquai-je. Qui buvait encore de la limonade ? Il sortait tout droit d'un putain de film des fifties ou quoi ?!
- Oui merci, vous êtes bien aimable !
Il me souriait, et moi je grimaçais. Il était trop chelou ce type.
- Ok...
Je me retournai pour lui préparer sa limonade, en y ajoutant une rondelle de citron, et lui fis face à nouveau. Il était toujours là à me fixer, en train de sourire comme une saloperie de psychopathe. Je déposai le verre devant lui sans rien dire, le toisant toujours avec curiosité.
- Merci jeune homme, mais... Si je puis me permettre ?
Il me regardait, attendant que je confirme qu'il pouvait me poser sa question. J'acquiesçai alors, attendant sa requête.
- Vous devriez sourire, vous savez. Les métiers de service requièrent un minimum de courtoisie,me fit-il remarquer avec tout autant de politesse dégoulinante d'amabilité en excès.
- Dis donc Pee-Wee Herman, on n'est pas au Pays Imaginaire ici, et les gens normaux quand ils sont au taf, ben ils font la gueule. Parce que y a rien de fun à servir des zinzins toute la journée.
J'étais certain qu'il allait ravaler son sourire, qu'il allait se vexer, et peut-être même qu'il allait décamper, mais il n'en fit rien. Il resta là à m'observer pendant quelques secondes, souriant toujours.
- Le Pays Imaginaire, c'est dans Peter Pan mon cher ami, vous devriez revoir vos classiques.
Je grimaçai à nouveau et grognai un petit "la ferme..." en tournant les talons. J'avais besoin de faire une pause, de m'esquiver le temps de m'en griller une. Mais deux jeunes femmes venaient de s'installer à une table. Je soupirai et allai jusqu'à elles pour prendre leur commande. On pouvait pas avoir deux minutes de répit dans ce trou à rats ?! Le boss m'avait dit cent fois d'aborder les clients par une phrase type du genre "Bonsoir messieurs/mesdames, bienvenue au Wojna, que désirez-vous ?". Mais je détestais faire des ronds de jambe, j'allais à l'essentiel.
- Qu'est-ce qu'il vous faut ?demandai-je, les bras ballants, les sourcils toujours froncés.
Quand l'une des deux clientes se tourna vers moi, je la reconnus immédiatement. C'était la barmaid hyper désagréable que j'avais vu l'autre soir en boîte ! Elli et moi, on était déjà un peu éméchés quand on avait quitté le bar pour aller en discothèque. Alors au bout de quelques verres, elle nous avait refoulés, refusant de nous resservir. Je ne sais plus exactement ce que je lui avais dit, mais j'avais usé de tous les stratagèmes possible pour la faire changer d'avis. Je l'avais draguée, je lui avait fait des compliments, j'avais critiqué ses compétences de barmaid et finalement je l'avais insultée. Je me souvenais pas des détails, mais dans le flot d'injures qui avaient fusé, je me souvenais de l'avoir traitée de "sale chienne" et de "pétasse". Je ne savais pas si elle se souvenait de moi, mais moi je ne l'avais pas oubliée.
- Putain, c'est toi ?! Je dois vraiment avoir un karma de merde pour que tu ramènes ta gueule dans le bar où je bosse !