#2615 - heal the scars from off my back. (manwë)

heal the scars from off my back

Elle avait tenté de ne pas trop le montrer, mais son soulagement avait été immense quand Manwë avait gracieusement accepté de l'héberger. Elle avait bien précisé que ce n'était que temporaire, mais il fallait l'admettre : elle avait besoin d'une solution et vite. Amara avait malheureusement dû partir rapidement de leur appartement, elle s'était confondue en excuses de la laisser un peu en plan, même si elle avait bien tenté un maximum de l'aider à trouver une solution, dans la précipitation de son départ. Saoirse ne lui en voulait pas bien sûr, mais il fallait être réaliste, sa situation était devenue rapidement compliquée et elle ne pouvait pas se permettre de rester les bras croisés. Elle avait pensé à Jamie, mais sentait que cette dernière avait d'autres choses à gérer pour le moment. Alors elle s'était tournée vers Manwë, non sans un peu de gêne. Oui, c'était toujours embarrassant de crier à l'aide comme ça, de mettre ses amis dans une situation inconfortable. Refuser d'aider la rouquine revenait à la laisser dans une immense merde, mais accepter était un gros, très gros coup de main. Heureusement, le jeune homme lui prouvait encore une fois qu'elle pouvait compter sur lui, en toutes circonstances. Elle emménageait donc aujourd'hui chez lui. Temporairement, le temps de trouver une solution viable. À savoir : un ou des colocataires pouvant compenser son sens manquant au quotidien. Saoirse vivait comme une personne presque normale avec sa cécité, elle était aussi autonome que possible et pouvait être impressionnante dans ce qu'elle savait faire, sans rien y voir. Mais il n'y avait rien à faire, vivre seule était tout simplement trop compliqué, voire dangereux. Dans sa communauté de Travellers, tout le monde vivait ensemble, personne n'était jamais isolé. Elle n'avait connu que ça dans la vie, et si elle avait appris à être indépendante en tant qu'aveugle, elle avait tout de même appris à l'être dans une communauté toujours présente, une famille. Et quelque part, elle avait sans doute besoin de retrouver cette structure même sans être aveugle. Elle avait besoin de gens autour d'elle, même si elle n'en donnait pas tellement l'impression. « Man', encore merci mille fois. Je sais me faire toute petite, je te jure qu'on ne remarquera même pas ma présence. » répéta encore une fois la rouquine, toujours un peu embarrassée d'avoir autant de générosité de la part des gens. C'était ce genre de moments où elle était en colère contre la vie, contre ce qui lui était arrivé, contre le fait qu'elle n'avait d'autre choix que de demander de l'aide. Elle avait sa fierté, elle savait qu'elle était indépendante et capable, tout comme elle savait qu'elle avait des limites, insolubles, et elle pestait contre ce dernier point. Manwë l'avait aidée à récupérer quelques affaires – elle n'avait jamais grand chose, en soi – et c'était avec son violon à la main et un sac de vêtements à l'épaule qu'elle suivait le luthier dans son chez-lui. Il était prévu qu'il lui fasse un tour du propriétaire détaillé, pour que Saoirse puisse apprendre au mieux à se repérer dans ce nouvel endroit. Elle s'en voulait déjà de lui prendre autant de temps, même si elle se faisait violence pour ne pas le laisser transparaître. Ouais, c'était ce genre de moments où elle se sentait comme une assistée – ce qui était vrai, pour le coup – et elle avait bien du mal à le supporter.

Avant l’arrivée de Saoirse chez lui, le luthier a passé beaucoup de temps à ranger l’appartement, chose qui n’avait pas été faite depuis le départ de son dernier colocataire. Il faut dire qu’il ne passe pas beaucoup de temps chez lui ces derniers temps, entre le magasin, ses vagabondages qui se terminent mal. Le brun ne voulait pas prendre de nouveau colocataire dans l’immédiat, ce qui rendait sa vie bien plus compliquée financièrement parlant. Man’ ne voulait mettre personne en danger, il pense que c’est beaucoup trop dangereux. S’ils ont été capables d’attaquer l’avocate l’autre jour, pourquoi pas son ou sa nouvelle colocataire ? Alors quand il a reçu les messages de Saoirse et qu’elle s’est pointée dans son magasin pour lui demander de l’héberger quelque temps, il fut heureux que cette dernière soit aveugle et ne puisse pas voir sa gueule en pleine décomposition. Cruel dilemme que de mettre en danger une personne qu’il apprécie vraiment ou de la laisser à la rue, sachant que c’était certainement bien plus dangereux encore vu son handicap. Il n’avait pas eut beaucoup de temps pour réfléchir à sa réponse, mais il ne regrette pas d’avoir accepté. Manwë se donnera les moyens de la protéger si nécessaire, et puis les “amis” de son père le pensent associable et trop aigri pour avoir des amis. Man’ s’est toujours mis dans la merde tout seul, comme un grand, et il est encore là, preuve en est qu’il se débrouille et s’en sort toujours.

Quoi qu’il en soit, son appartement est propre et rangé au poils de cul près comme il dirait, même si elle n'en voit rien, il sait qu’elle va mettre ses mains partout et il la respecte un peu trop pour la laisser mettre ses doigts sur des trucs dégueu. Il doit avouer que c’est bien la première fois qu’il fait le ménage pour quelqu’un, enfin, en l’honneur de… Enfin, peu importe, cette journée le perturbe franchement plus qu’il ne veut bien le croire. Il a horreur de ça, vivre avec quelqu’un qu’il apprécie, ça l’oblige à se comporter bien et à ne pas être un crétin.

Man’ arrive avec la jeune femme devant de son immeuble, il fut surpris de voir si peu de bagages, mais il ne pose pas trop de question. Lui non plus n’a pas beaucoup d’affaires, mais il n’a pas de fric et surtout, il s’en fiche de son style, il est capable de porter le même t-shirt pendant une semaine même si pour l’occasion il a fait l’effort de se changer. Pas pour l’aspect esthétique, mais l’odeur… Peut-être qu’elle reviendra plus tard avec d’autres sacs. “ Je remarquerais forcément ta présence… “ Qu’il lui répond avec un sourire, sa remarque n’a rien d’un reproche, il ajoute par ailleurs “ Et tu remarquera la mienne, je pète beaucoup. “ Il ne pète pas anormalement, mais il se dit que ça peut détendre l’atmosphère d’une certaine manière, il accompagne ses propos d’un rire franc. Manwë ne rit et ne sourit pas avec n’importe qui et elle ne peut même pas voir ça. C’est peut-être tant mieux…

“ Tu verra - m'enfin, façon d'parler... - c’est pas grand comme appart’, tu vas vite prendre tes marques. “ Dit-il en lui présentant l’interphone en lui prenant la main pour la guider. “ Alors en haut pour le badge, je sais pas pourquoi parce que j’ai toujours vu ça en bas, bref… En dessous l’écran, donc ça tu t’en fous hein… Là les trois boutons pour choisir l’appartement, si t’appuie 5 fois sur celui de droite, ça fait bip à chaque fois, en plus tu peux pas te tromper, tu tombe sur moi et bouton du milieu pour appeler et je trouve si j’suis là. Ça c’est si t’as oublié ton badge et le code. D’ailleurs, le code c’est 2347, les chiffres c’est le clavier en dessous, y a des reliefs en braille dessus. Donc en théorie tu devrais savoir te débrouiller pour aller et venir sans me réveiller, ça peut me rendre grognon ça… “ Ses yeux verts guettent les réactions de sa charmante amie, elle est tellement son opposée, c’est à peine croyable qu’ils puissent à ce point s’entendre, non ? Il lâche la main de la jeune femme, ça non plus il n’est pas sur de pouvoir supporter s’il devenait aveugle, toucher tout et n’importe quoi ne le dérange pas, mais il s’imagine mal tripoter la gueule des gens pour essayer de savoir à quoi ils peuvent bien ressembler… Il n’arrive toujours pas à se faire à l’idée qu’un jour il puisse avoir besoin de l’aide qu’il est en train d’offrir à Saoirse.

Un mince sourire prit place sur le visage tacheté de la rousse. Oui, il remarquerait forcément sa présence, surtout avec son handicap qui requérait parfois un peu d'aide, ou un minimum d'interactions. Mais Saoirse ne prenait pas sa remarque de travers, elle savait qu'il ne s'agissait que d'un constat, véridique. Elle éclata toutefois de rire quand il ajouta qu'il évacuait beaucoup d'air. « Dommage que j'ai perdu la vue et non pas l'odorat. » répliqua-t-elle en riant, avant de suivre Manwë jusqu'à l'entrée. « D'accord, de toute façon, tout me va. » répondit la jeune femme en hochant la tête. Elle n'était pas en position de faire la difficile sur la taille et l'agencement d'un logement qu'on lui prêtait gentiment. Et puis en règle générale, Saoirse n'était jamais difficile. Ce n'était pas comme si elle avait été habituée à une villa quatre chambres et trois salles de bain. Plutôt une roulotte et des petits logements de fortune, peu d'appareils de valeur, quasiment aucun appareil électronique. Et ça lui allait très bien. L'appartement qu'elle avait partagé avec Amara était déjà un gros upgrade par rapport à la vie qu'elle avait mené dans la communauté. Puis c'était pas le genre de Saoirse de se plaindre d'un manque de confort. Pour ça, elle savait s'adapter à tout. Le principal étant qu'elle prenne ses marques et ait un plan détaillé de l'espace dans sa tête, comme le supposait Manwë. « Super, merci. 2347, je retiens. » répéta Saoirse, prenant aussi le badge que lui glissait son ami dans la main, touchant le boîtier et les boutons de ses doigts attentifs pour se répéter mentalement ce que lui montrait le garçon. « Ah, parce que ça change de d'habitude, ça ? » rigola Saoirse avec un air taquin, lui donnant un petit coup de coude amical. Elle connaissait le caractère habituel du luthier, et pourtant elle appréciait ça chez lui, ce qui n'était pas le cas pour tout le monde. Elle savait aussi qu'il lui montrait les parties les plus agréables de sa personnalité. Peut-être que maintenant qu'elle s'incrustait chez lui, elle aurait droit aux réactions moins sympathiques aussi, mais ça ne la dérangeait pas. Encore une fois, une dynamique s'était créée entre eux, un truc chouette, simple, naturel. Ils se respectaient et s'appréciaient comme ça, et Saoirse n'avait aucun problème avec les réponses parfois un peu brutes ou le caractère bougon de Man'. Tout comme elle n'avait pas de mal à lui montrer son répondant dans ces cas-là, ou bien à laisser passer avec un sourire. Elle était pas difficile à vivre la rouquine, et elle trouvait étonnamment que le brun ne l'était pas non plus, sans doute contre l'avis général. En attendant, elle savait l'effort qu'il avait dû mettre dans le rangement de son appartement et la préparation à sa venue, tout ça pour lui rendre la vie plus facile. Et elle lui témoignait une énorme gratitude pour ces attentions, même s'il préférait ne pas les mentionner.

Même s’ils plaisantent beaucoup - notamment aux sujet des gaz, une petite blague de pet ringardos (comme lui) et bien ça fonctionne toujours ! ; ils restent tous les deux concentrés. La présentation des lieux est importante pour la suite de leur cohabitation. Bien sûr, il aurait pu lui demander de participer au loyer, mais il lui a seulement demandé de contribuer niveau remplissage de frigo, surtout qu’ils ne doivent pas avoir la même alimentation… Les fruits et légumes, très peu pour le quadragénaire, qui opte pour des options plus rapides et peu chers : conserves, surgelés et sauter des repas tout simplement. Il n’a rien voulu lui demander de plus, ils sont amis et il est ici question de dépanner. Si d'aventure elle venait à rester ici… Ils en reparleront sans doute. Man’ n’est pas séduit par l’idée de rendre ça autrement que provisoire, il se connait assez pour savoir qu’il n’est pas à l’aise de vivre avec quelqu’un qu’il apprécie. Conscient de ne pas avoir qu’un seul défaut et que le contact prolongé avec lui peut générer plus d’une étincelle. Il n’a pas envie de tenter le diable et nuire à cette entente si difficile à bâtir avec un homme comme lui, qui sait cet essai pourrait être surprenant.

Man’ est le genre de type qui se contentent d’un rien, lorsqu’il a demandé à sa cousine de venir l’aider à ranger ses affaires, ça n’a pas été aussi long qu’il le pensait. Il avait entassé tout ce qui était lié à son travail dans la chambre, il a l’habitude de faire ça dans le salon parce que la lampe y est vraiment idéale et la table basse assez large pour y mettre bien du bazar. Sa chambre, elle, n’a pas été ordonnée comme le reste de l’appartement, au grand désarroi de Charlie. Il a dit qu’il n’y avait pas de raison de ranger cette pièce et qu’il sortirait ses outils à chaque fois qu’il en aura besoin et tâchera de les ranger après utilisation.

Il ne put s’empêcher de rire à la remarque de la violoniste “ Touché, mais j’voulais dire… Ça peut me transformer en horrible bête dévoreur d’enfants, t’as pas envie d'avoir ça sur la conscience, j’en suis sûr. “ Le luthier a déjà eu des colocataires bruyants, la cohabitation n’a pas fait long feu, bien pire avec ceux ayant un cercle social beaucoup trop grand et trop envahissant. Man n’empêchera cependant pas Saoirse de recevoir ses copines, il n’y songe même pas, il lui fait confiance, il sait qu’elle n’exagèrera pas. Ce n’est pas parce que lui n’invite jamais personne, à part sa cousine pour faire le ménage on dirait…, qu’il impose son désert social à ceux qui occupent la deuxième chambre. “ Bon ça y est, on a dit bonjour à l’interphone. “

Sur ces mots tout en finesse, il pousse la porte du hall, guidant Saoirse tout en la laissant toucher l’encadrement de la porte, il guide sa main vers la poignée pour qu’elle ferme la porte, sente la forme de la poignée, la lourdeur de la menuiserie, puis il guide sa main sur le petit interrupteur circulaire en métal à côté de la porte “ Ça c’est pour sortir, plus haut c’est pour la lumière donc si t’appuie sur un truc et que ça marche pas, c’est que t’es pas sur le bon : pas la peine de s’exciter. Enfin j’dis ça… Parce que ça m’est arrivé quand j’étais bourré et j'ai cramé l'ampoule. “ Il plaisante, pour dédramatiser le fait qu’elle puisse peut-être se sentir bête face à de telles explications, il n’a pas envie qu’elle se sente mal, peut-être parce qu’il imagine que lui vivrait très mal cette situation à sa place.

Rapidement, il indique l’emplacement des boites aux lettres et de la porte qui mène vers les escaliers. “ L’ascenseur est en panne depuis des lustres. “ Souvent il se retrouve à porter les courses de la vieille de son pallier, ça lui fait pas plaisir, mais il est bien serviable qu’il ne veut bien le dire… “ Quatrième étage comme… Les pizza quatre fromages ou les quatre maisons d’Harry Potter, enfin ici il n'y a pas d’escalier magiques qui vont faire n’importe quoi, ni de balais volant Nimbus Super Nazus 2000 pour arriver plus vite en haut ou de potion magique pour me faire fermer ma grande gueule… Dommage, hm ? “ C’est que lui-même n’a pas l’habitude de parler autant, même si c’est nécessaire avec quelqu’un qui ne voit pas et le contexte fait qu’il se doit de décrire au mieux l’environnement.

Les étages se montent facilement pour Man’ qui a l’habitude, il se doute que cela peut demander plus de temps à la rousse “Ouais, fais gaffe toutes les marches sont pas toutes à la même hauteur, c’était pas un as le mec qui a construit ça. J’irai gueulé pour l’ascenseur, si le proprio s’en fou des p’tits vieux mais j’crois qu’il aura moins envie de m’voir, moi, en pétard. “ S’il n’a rien dit jusque-là, c’est parce qu’il s’en fiche et aussi parce qu’il essaie de se montrer souple puisqu’il a souvent des retards de paiement de loyer et qu’ils se sont toujours bien arrangés entre eux.

Une fois en haut, il explique à la jeune femme comment trouver la bonne porte, puis lui fit sentir l’emplacement de la serrure. Il ouvre la porte, allume la lumière (pour sa consommation personnelle) et lâche un soupir. Il ne sait pas par quoi commencer… “ C’est quoi le plus important ? La cuisine ? La salle de bain ? Les chiottes peut-être… “  

Saoirse devait une fière chandelle au luthier, et elle comptait bien lui témoigner sa gratitude au fil de leur colocation temporaire, même s'ils n'étaient pas du genre démonstratif entre eux. Elle aurait totalement compris qu'il refuse. C'était déjà une chose d'accepter d'héberger quelqu'un, mais si en plus cette personne était aveugle, c'était encore un défi supplémentaire. Et l'Irlandaise connaissait suffisamment Man' pour savoir que la colocation, c'était pas un de ses projets. Elle était d'autant plus touchée qu'il lui rende ce service. Dans le pire des cas, elle aurait continué à vivre dans l'appartement qu'elle avait jadis partagé avec Amara, mais Dieu sait ce que ça aurait donné seul. La rouquine ne doutait pas de sa débrouillardise et de ses capacités, mais il fallait être réaliste : sa cécité était un trop gros obstacle que pour vivre totalement par elle-même. Même si elle défendait son autonomie haut et fort, elle savait qu'elle avait ses limites. Elle pouvait s'en sortir un temps, mais il y avait trop de situations pouvant devenir problématiques, d'accidents susceptibles de survenir. Elle aurait géré comme elle aurait pu, elle l'aurait fait. Mais elle-même savait que ce n'était pas une situation idéale, loin de là. « Me voilà de plus en plus rassurée sur ton compte. » pouffa Saoirse sans avoir la moindre capacité d'imaginer l'homme en dévoreur d'enfants. Le rire de la jeune femme se prolongea quand Manwë dit qu'ils avaient salué l'interphone et pouvaient passer à autre chose. Son humour caustique enveloppé d'un air un peu renfrogné avait le don de mettre Saoirse de bonne humeur, paradoxalement. Tout le monde ne le trouvait peut-être pas très drôle comme type, mais elle, elle l'adorait pour ça, entre autres. Elle suivit donc le garçon dans le reste de sa visite guidée, touchant tout ce qu'elle pouvait, se dessinant mentalement l'espace. « Je suis pas la seule à devoir être assistée dans la vie, apparemment. » taquina la rousse suite à l'expérience floue et alcoolisée racontée par son ami. Manwë avait peut-être l'air bourru, mais elle sentait à quel point il essayait finement de la mettre à l'aise, de ne pas stéréotyper son handicap tout en ayant bien conscience qu'il était là. Il le faisait l'air de rien, et Saoirse le remerciait intérieurement pour ça. Prévenant mais sous couvert d'humour, ce qui donnait l'impression à la jeune femme de ne pas être un cas spécial, un petit oiseau tomber du nid. Avec lui, elle pouvait parler ouvertement des moments d'aveugle gênants auxquels elle faisait parfois face, sans que cela ne crée le moindre embarras silencieux. C'était un plaisir rare qu'elle ne retrouvait pas avec tout le monde. « Mes yeux sont déficients mais ma mémoire se porte bien, tu sais. » plaisanta-t-elle à nouveau lorsque le jeune homme se lança dans des moyens mnémotechniques destinés à lui faire retenir l'étage de l'appartement. « Je t'assure que tu n'as pas besoin de cette potion. Pas encore, du moins. » continua-t-elle en le suivant, le visage toujours rieur. Il la prévint pour l'escalier, s'étalant toujours dans son discours, ce qui l'amusait beaucoup. « J'peux me casser une jambe en trébuchant sur cette marche et l'accuser de discrimination envers les personnes handicapées, ça accélérera sûrement les choses. » suggéra-t-elle en sentant en effet la différence de hauteur sur une marche. Elle les comptait mentalement, repérant derrière leur conversation légère tous les détails qu'il était bon de garder en tête, pour pouvoir parcourir cet endroit comme si elle le voyait. Une fois arrivés dans l'appartement, Saoirse s'imprégna du lieu par les sens qui lui restaient, l'odeur de bois et de vernis en arrière-fond qui devait provenir du travail de Man', la façon dont la porte d'entrée résonnait en s'ouvrant, l'air sur sa peau. « J'espère que tu n'as pas fait construire une baignoire handicapée avant mon arrivée. » fit la rouquine, avant de reprendre plus sérieusement. « Va pour les toilettes et la salle de bain, autant commencer par le plus glamour, si je devais être prise d'une envie pressante durant la visite de ton palace. »

Il ne le dira sans doute jamais, mais il est assez content de donner ce coup de main à Saoirse. Ça le sort de sa solitude, il grogne beaucoup, mais c’est plus pour la forme qu’autre chose. Il aime bien cette fille, vraiment. Il a souvent cette envie de la protéger sans trop en faire - parce qu’il est lui faut pas rêver non plus - pas uniquement parce qu’elle a ce handicap qui représente beaucoup pour lui, mais parce que c’est une fille bien. Elle ne ressemble en rien aux garces avec lesquelles il fricote parfois pour se divertir. C’est une femme inspirante, si jeune et si combative. S’il avait eut cette même force à son âge, sa vie aurait sans doute été moins chaotique, moins tournée vers la violence. Elle sera cette touche de douceur chez lui, mais aussi celle qui l’obligera à être moins bordélique, à avoir une hygiène de vie plus correcte et à moins ruminer. La solitude ça bouffe, ça ronge les pensées. Il prétendra le contraire, que c’est ce dont il a besoin, mais face à l’isolement, ses pensées lui tiennent compagnie et ces dernières ne sont pas toujours tendres.

La visite débute par ce hall, les escaliers dans lesquels il débite un nombre incalculable de conneries. “ C’est une idée, mais je prefère que tu sois encore capable de marcher ! “ Ne pas voir c’est une chose, mais ne pas voir et ne plus pouvoir marcher, c’était clairement l’enfer ! Pourtant, tomber c’est tellement facile quand on y voit rien. Il n’ose se projette dans cet état. Même si la bonne humeur de la violoniste aspirerait à croire que ce n’est pas si terrible, il n’est pas assez sociable pour accepter que l’on s’occupe de lui, mais aurait-il le choix ?

“ Alors… Non. Ici c’est une bonne vieille douche, tu vas voir c’est minuscule. “ Mais il lui a fait de la place dans cette petite pièce de l’appartement, parce qu’il sait que les filles ont toujours une tonne de… Maquillage ? Eh merde… “ Euh… J’espère que tu compte pas sur moi pour t’aider à te maquiller et te coiffer le matin… “ A moins qu’elle n’ait l’intention de se lancer dans une carrière de clown, là… Il est incontestablement qualifié ! Il ne peut s’empêcher de rire légèrement à cette idée, guidant la rousse vers la salle d’eau avant de finir par la pièce du saint trône. Dérouleur de PQ, balais à chiotte, chasse d’eau, il n’oublie rien. “ Et ça, c’est pour les pets qui puent. “ Important le déodorant, même si franchement il ne l’utilise pas souvent quand il est seul, il estime que l’on est capable de supporter sa propre odeur. Mais à deux, c’est quand même plus sympas la touche de lavande.

Il la guide vers le salon pour qu’elle s’installe dans le canapé “ On va faire une pause, hein… “ C’est qu’il a pas l’habitude de parler autant. “ Tu veux boire un truc ? Café ? Euh… Bière ? “ Les choix sont assez limités quand on y pense, mais elle pourra se faire livrer des courses et ajouter ce qu’elle aime aux maigres remplissages des placards de la cuisine. “ Ça va aller tu crois ? Ici… “ Outre l’agencement de l’appartement, la question véritable est surtout : Avec moi ? Le simple fait de vivre avec un gars comme lui, il se dit qu’il y a beaucoup mieux. Il se dit aussi qu’elle a du demander à un paquet de gens avant de se rabattre sur lui, qui aurait envie de se farcir sa compagnie détestable ? C’est un connard, mais pas un con.

Alors que Manwë l'amenait à la salle de bain, Saoirse suivait en le tenant par l'arrière du bras, touchant le mur de son autre main, découvrant son nouvel environnement. Découvrir les couloirs, trouver les poignées, se remémorer l'emplacement des meubles. C'était se faire toute une carte mentale de l'espace et de la place de chaque chose, pour s'y déplacer en autonomie et surtout éviter les accidents, aussi bénins soient-ils. Se cogner l'orteil contre un coin de meuble, c'était jamais agréable. Ou se prendre un coin de porte dans la figure. « Ah, c'était pas prévu dans ton guide "comment vivre avec sa colocataire aveugle" ? Merde Man', je comptais sur toi... » fit semblant de soupirer Saoirse, avant d'adresser une grimace moqueuse à son ami. Évidemment qu'elle ne comptait pas sur lui pour la préparer avant de sortir de l'appartement. « T'inquiète, je sais m'occuper de moi. Dans le pire des cas, tes voisins se plaindront parce qu'ils auront croisé une folle en pyjama dans l'escalier. » poursuivit Saoirse sans quitter le ton de la blague. Le garçon lui fit faire le tour des sanitaires, permettant à l'Irlandaise de bien saisir l'emplacement de chaque chose. Elle touchait tout ce qu'elle pouvait, pour que ses neurones impriment bien l'information. Et elle rit quand Manwë lui présenta le désodorisant, ramenant les gaz intestinaux dans la conversation. « C'est noté. » rit-elle, avant de suivre le luthier dans le reste de l'appartement pour qu'il lui fasse découvrir son chez-lui, dans la mesure du possible. Après avoir fait le tour du salon, et avoir demandé à Manwë de lui montrer très précisément tous les ustensiles de cuisine qu'il possédait ainsi que leur rangement précis, les fesses de la rouquine firent connaissance avec le moelleux du canapé, ce qui était bienvenu. « Une bière, c'est parfait ! Pour trinquer à cette petite aventure ensemble. » accepta joyeusement Saoirse. Elle savait que son ami n'était peut-être pas aussi enthousiaste qu'elle. Tout comme elle savait qu'il l’hébergeait de bon cœur, et qu'il avait tout mis en place pour lui faciliter la vie et l'accueillir aussi bien que possible. Elle le remerciait de tout son être pour ça. Ça avait dû lui demander pas mal d'efforts, et pour elle, ça ne faisait que renforcer le leur lien. « Man', détends-toi, je te sens transpirer jusqu'à l'autre bout de la pièce. » plaisanta Saoirse, taquine. C'était faux bien entendu, mais elle voulait souligner qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Elle connaissait sa personnalité, elle n'attendait rien de lui, elle ne s'attendait pas à ce qu'il se transforme en steward personnel ou en Little Miss Sunshine. Elle, ça lui allait parfaitement de vivre avec lui. « Je suis désolée de m'imposer comme ça chez toi, j'ai été prise de court, et je te remercie vraiment d'avoir fait tout ça pour moi. J'aurais pu demander à ma meilleure amie, mais elle vit avec son compagnon, et puis... Je sais pas, la première autre personne qui m'est venue en tête, c'est toi. » confia la jeune femme avec un peu plus de sérieux, mais toute sa douce gratitude se matérialisant dans sa voix.

Faire la visite d’un appartement à une personne non voyante était bien plus fatiguant qu’il ne l’aurait imaginé. Malgré tout, Man’ le faisait de bon cœur, il n’avait pas souvent l’occasion de faire quelque chose de bien, c’est ce qu’il croit. À vrai dire, il agit dans la droiture bien plus souvent qu’il ne peut le voir. Il se colle sans cesse cette image de monstre, il vit avec cette masse ténébreuse au-dessus de son âme et il ne se rend pas forcément compte du nombre de fois où il a vraiment rendu service de manière désintéressé.

Peut-être parce qu’il sait, au fond de lui, que jamais cela ne pourra compenser tout le mal dont il serait capable et coupable.

Saoirse, il l’aide volontiers, c’est l’une des personnes les plus pures qu’il connaisse, pourtant, elle aurait bien des raisons d’en vouloir à la terre entière. Malgré tout, elle est d’un optimisme quasiment… Infatigable. Il admire cette qualité qui ne s’abime pas même à son contact pour le moins lugubre et cynique. Avec elle, il a toujours l’énergie de plaisanter, que ce soit à propos des cheveux ou des aspects les moins glamours de la cohabitation. “ Les voisins seront plus du genre à se plaindre de moi que de toi. “ Qu’il avait affirmé avec certitude, loin de penser qu’il serait obligé de lui infliger le fait d’habiter chez un meurtrier. C’était pas prévu au programme ça, pas plus que sa présence ici.

Bien qu’il ait un peu la flemme, il se lève pour aller leur chercher une bière chacun. C’est qu’il avait soif à force de jaqueter autant ! Il revient s’installer près d’elle alors qu’elle s’excuse après s’être moqué de lui. C’était de bonne guerre. Il n’a jamais été doué pour partager le toit avec quelqu’un qu’il apprécie vraiment. “ Te fou pas d’moi. “ Qu’il lâche en riant tout en plaçant la bière de la rousse dans sa main, mais face à son air sérieux, il ne put réfréner une expression de surprise qu’elle ne pouvait pas voir. Pourquoi est-ce qu’elle a pensé à lui ? La question le brûle, mais la potentielle réponse lui fait étrangement un peu peur. Il se contente de se racler un peu la gorge, réfléchissant à un autre sujet de conversation, mais rien ne lui vint à part “ Y’a pas de quoi. Santé… “ Il trinque doucement avec elle avant de boire. Boire c’est bien, c’est plus simple que d’essayer de lui ouvrir les yeux sur ce qu’il est, sur ce que les gens pensent de lui et ce qu’ils pourraient penser s’ils la savaient ici…

Allez donc ouvrir les yeux à une aveugle.
Il sourit amusé de cette ironie.

« Je les amadouerai avec mes scones légendaires. » affirma Saoirse quand son ami et désormais colocataire, précisa que ses voisins – leurs voisins – se plaindraient probablement plus de lui. « Et puis, je suis sûre que tu te survends. Tu ne peux pas être un si mauvais voisin que ça. » poursuivit-elle alors qu'ils s'installaient au salon. Elle savait que Manwë n'était pas aussi agréable avec le monde qu'avec elle, elle connaissait aussi sa propension au pessimisme et ses humeurs plus renfrognées. Ces attitudes glissaient sur elle comme de l'eau, sans doute principalement parce qu'elle voyait tout ce que le luthier était derrière ça. Il en avait, des qualités, ça semblait juste lui irriter la gorge de l'admettre. Et Saoirse, elle acceptait cet air acariâtre qu'il semblait vouloir maintenir à tout prix, ça ne la dérangeait pas. Pas parce qu'elle était persuadée que, comme dans un vieux livre avec un anti-héros sombre qui au fond n'est que lumière et guimauve fondante, Manwë était un bisounours derrière une façade grincheuse. Ce n'était pas qu'une façade, elle le savait bien. Mais réellement, ça ne la dérangeait pas. Ça ne l'empêchait pas de partager de bons moments avec lui, de plaisanter, et d'avoir un bon ami sur qui compter. Elle voyait ses qualités comme ses défauts, et elle était parfaitement bien avec ça. Elle taquina Man', riant à sa réponse aux notes amusées alors qu'il plaçait gentiment une bière dans sa main, dont la fraîcheur fit du bien à la jolie rousse. Elle en profita, comme si elle portait un toast, pour le remercier de lui avoir permis de venir ici. Elle était sincère, toute trace de raillerie cette fois disparue. Ça représentait beaucoup pour elle, ça lui sauvait un peu la vie, pour le coup. Enfin, elle aurait forcément trouvé une autre solution, Saoirse ne doutait pas de sa débrouillardise. Après tout, elle avait débarqué sur le sol australien, aveugle, sans connaître personne, alors qu'elle avait vécu dans la même communauté toute sa vie, et presque sans rien connaître du monde moderne. Et voilà où elle en était. Alors elle s'en serait sortie, d'une façon ou d'une autre, mais elle était immensément soulagée que Manwë ait été là pour l'aider. C'était tout de même un gros tracas en moins. « Si, y a de quoi ! Cheers. » insista la rousse en levant sa bière, contre laquelle le garçon fit tinter la sienne. « Mais je te jure que je resterai pas trop longtemps dans tes pattes. Sauf si tu me supplies de rester, évidemment, ce qui est probable une fois que t'auras goûté à mes plats irlandais. » sourit la rouquine en prenant une bonne gorgée de bière.

“ C’est sans doute efficace ! “ Lui n’a jamais essayé de sympathiser avec les voisins, encore moins leur faire des gâteaux, il n’en fait pas même pour lui-même. Il peut compter sur sa cousine pour lui en offrir régulièrement, une pâtissière incroyable qui sait faire ronronner son estomac. “ Tu leur demandera à l’occasion. “ Répond-il avec humeur, persuadé que les voisins ne l’apprécient pas vraiment. Pas parce qu’il dérange, mais parce qu’il leur fait un peu peur. Qui se sentirait rassuré avec un voisin comme Manwë ? Alors, il ne peut pas leur en vouloir, il sait quelle image il véhicule.

En attendant, cette petite bière est la bienvenue pour les deux protagonistes. “ Toi, tu voudra peut-être t’enfuir quand je te proposerai pour la centième fois des raviolis en boite. “ Il n’a pas l’habitude de cuisiner, il mange ce qui est rapide à faire et qui soit consistant pour qu’il tienne la journée. Souvent des conserves ou des surgelés, ça ne le dérange pas non plus de sauter des repas, trop absorbé par son travail, par ses vagabondages ou juste en raison de finances difficiles. La présence de Saoirse apportera inévitablement quelque chose de différent à son quotidien. Une présence, douce, apaisante, mais aussi attentive. Il n’a pas l’habitude, ce sera une douce parenthèse. Il faut bien admettre qu’il tient à elle, plus qu’il ne l’aurait imaginé. Il n’ose imaginer ce qu’elle pensera de lui plus tard, elle aurait toutes les raisons de lui en vouloir et lui aucune d’espérer qu’elle passe l’éponge. C’est vraiment une fille bien, il ne lui souhaite pas de s’neterrer ici avec lui, parce qu’il n’est pas à la hauteur. Il sait reconnaitre quand quelqu’un est trop bien pour lui.

“ Tu peux rester aussi longtemps que tu en aura besoin, ça fait un bail qu’on se connait maintenant et si tu m’a demandé de l’aide… C’est que tu savais dans l’fond que j’accepterai. “ Parce qu’il n’y a pas grand monde sur cette terre d’assez dingue pour lui demander à lui un service et pourtant, il n’y a pas plus loyal que Manwë. Néanmoins, il lui cache beaucoup sur lui, sur ce qu’il veut faire, en même temps, des intentions de meurtre ça ne se crie pas sur tous les toits. “ J’ai pas si souvent l’occasion de faire des trucs bien. “ C’est plus facile de faire justice, d’être violent, de venger quelqu’un, de faire peur à un autre pour qu’il laisse tranquille un être cher, c’est comme ça qu’il fonctionne. La douceur, c’est pas un truc qu’il connait bien et pourtant, le contact de Saoirse l’a toujours adouci. Il est doux pour toucher ses mains, pour la guider, il avait un peu de mal avec ça au début, mais elle lui a montré une voie qu’il ne connaissait pas avant elle.

hj : T'excuses pas, c'est surtout moi qui suit toujours super lente  

« Ça se tente, en tout cas. » sourit la jolie rousse en parlant des pâtisseries qu'elle pourrait potentiellement offrir au voisinage. Même si elle ne croyait qu'à moitié Manwë sur l'image prétendument déplorable qu'ils avaient de lui. Elle haussa les épaules pour toute réponse, avant de trinquer avec le luthier, le remerciant encore une fois de sa générosité et de son amitié. Parce qu'il était vraiment un ami incroyable, à ses yeux, et qu'elle avait conscience de lui en demander beaucoup en emménageant ici, même temporairement. Néanmoins, le jeune homme faisait preuve de beaucoup de tact et d'une humilité que certains ne voyaient peut-être pas, mais Saoirse, oui, même aveugle. Elle éclata de rire quand il supposa qu'elle fuirait peut-être bien vite les raviolis en boîte. « Je les améliorerai un peu, t'inquiète. On fera équipe. » répliqua-t-elle, sur un ton humoristique même si elle était sérieuse en mentionnant le binôme qu'ils formaient. Ils étaient certes différents sur un tas de points, mais ça ne les empêchait pas d'être proches et de partager un lien fort. Et par-dessus tout, Saoirse faisait une confiance aveugle – c'était le cas de le dire – au luthier. Elle croyait en sa bonté et sa bienveillance, parce qu'elle la vivait, avec lui, même si lui affirmait haut et fort être d'un tout autre acabit. Évidemment, elle ne pouvait deviner ce qui se produirait bien des semaines plus tard, et si on le lui avait dit, elle n'y aurait probablement pas cru. Elle ne voyait pas Manwë comme un doux agneau, mais elle lui accordait bien plus de crédit que la plupart des gens, et elle ne pouvait se résigner à croire qu'il pouvait réellement n'être que noirceur par moments. Car présentement, Man' était le meilleur ami qu'elle puisse compter dans son entourage, bien plus prévenant et attentionné que ce qu'il voulait voir. « Merci Man', c'est vraiment généreux. Je veux pas te déranger non plus, même si, it's kind of too late for that. » sourit l'Irlandaise en prenant une gorgée de bière. « Mais merci pour tout. Tu n'étais vraiment pas obligé d'accepter, j'aurais compris, c'est vraiment un gros service que je t'ai demandé. Surtout avec mon handicap. » reprit-elle, sa voix empreinte d'une sincère gratitude. Elle espérait vraiment que le luthier n'avait pas accepté par peur de refuser, même si elle en doutait fortement. Dans tous les cas, elle évitait de culpabiliser de s'être imposée comme ça. Il avait dit oui, et elle en avait grandement besoin, et maintenant ils en étaient là. « Heureuse que tu ais accepté de faire cette bonne action spécifique, alors. » rit-elle en reprenant un air plus léger, même si c'était vrai, et que ça lui sauvait réellement la mise. Elle se débrouillait toujours, mais cette solution restait un immense soulagement, et puis, elle aurait pu tomber sur bien pire comme solution que d'être en colocation avec un ami qui lui était très cher.

Ses yeux verts observent la jolie rousse, il éprouve cette étrange sensation lorsqu’il la voit aussi tranquille, sereine à ses côtés. Personne ne lui offre une telle confiance, un tel droit d’innocence, parce que sur sa gueule est écrit le mot : coupable. Il répond à tous les codes du type effrayant. Avec Saoirse, il a un petit gout méconnu mais pas désagréable, d’être perçu comme une belle personne. Grâce à elle, il peut se faire une idée de ce que les types qui dégagent un charisme rassurant et plaisant, peut ressentir chaque jour de sa vie. Il mentirait s’il disait qu’il ne voulait pas de ça, mais il y a un fossé gigantesque entre ce que l’on veut et ce que l’on a. Il ne sera jamais aimé de tous, abordé avec le sourire ; et les choses ne vont définitivement pas s’arranger dans les prochains mois.

“ On fera équipe. “ qu’il a répété sans vraiment s’en rendre compte, pour assimiler l’idée. Parce que le mot équipe n’est pas un terme qu’il a l’habitude d’employer. Ils partageaient une bière et regardaient l’avenir dans le même sens, c’est un peu étrange, même si cet avenir était à court terme. Il espérait qu’elle ne serait pas trop déçue. Il se demandait s’il n’avait pas commis une grave erreur et puis elle le remerciait encore, beaucoup trop, ça le gênait, mais il ne dit rien. Mieux valait boire cette bière et laisser couler les mots, non ? Non, il n’en étais pas vraiment capable “ Dis-moi encore merci et je remplacerait ton tube de dentifrice par une crème contre les hémorroïdes. “ Il avait prononcé ses mots très sérieusement, avant de rire faiblement. Bien sûr qu’il ne serait pas capable d’une telle mesquinerie, mais il espérait mettre un terme à ces remerciements. Il ne voulait pas qu’elle se sente redevable en quoique ce soit.

Après ce moment de détente, il l’aida à ranger ses affaires dans la chambre, bien qu’il ne savait que penser de toucher et voir ses affaires personnelles. Il parla un peu moins, bien qu’il ne pouvait s’empêcher de faire quelques commentaires à sa manière. Une fois installée, il décide de la laisser un peu en paix pour se familiariser avec les lieux. Ils s’étaient mis d’accord pour se commander un repas, pour une fois il allait bien manger. Par ailleurs, sa compagnie les prochaines semaines lui auront permis de mieux se nourrir, de faire le plein de protéines pour ce qui l’attendait. Comme quoi, les choses n’arrivent pas par hasard.

Peut-être que les gens n'auraient pas mis cher à parier sur cette cohabitation improvisée, mais Saoirse elle, n'était pas le moins du monde inquiète. Elle y croyait, à cette équipe, qu'elle venait d'évoquer. Ils avaient sûrement l'air de bras cassés tous les deux, mais ce n'était pas la représentation mentale que la rouquine posait d'eux. Elle avait confiance en Man', totalement, naturellement. Et elle espérait que ce soit réciproque, parce que le luthier, il comptait énormément pour elle. Ceci dit, s'il avait accepté de faire un tel sacrifice pour elle, dérangeant ses habitudes solitaires pour héberger une aveugle et tout mettre en place autour d'elle, c'est qu'elle devait pas mal compter pour lui aussi. Saoirse hocha la tête quand l'homme répéta sa phrase, enthousiaste même à l'idée de cette colocation temporaire. Ce ne serait peut-être pas de tout repos chaque jour, mais à nouveau, elle avait l'esprit tranquille à ce niveau. Ça allait être chouette, et reposant aussi. Parce qu'elle doutait fortement de se sentir envahie ou oppressée par Manwë. La jeune Irlandaise ne put s'empêcher de se confondre encore en remerciements. Elle savait que c'était inutile, il devait percevoir sa gratitude émaner de sa chair, elle l'avait remercié et il était rare que les mots aient un goût de trop peu pour le luthier. Saoirse le connaissait suffisamment pour savoir cela, mais c'était plus fort qu'elle, elle devait lui communiquer à quel point elle lui devait une fière chandelle, surtout connaissant son caractère. Mais elle obtempéra enfin et se tut, après un énorme éclat de rire qui emplit la pièce pendant un long moment, quand Manwë décida de passer aux menaces si elle n'arrêtait pas. Elle était néanmoins bien incapable d'effacer son sourire enjoué et enthousiaste, et dut le noyer dans sa bière. La journée s'acheva sur sa chambre sommairement mais confortablement installée, et un repas commandé que Saoirse n'hésita pas à améliorer avec les moyens du bord, se promettant d'aller faire le plein de condiments dès le lendemain.

End.