The unknown is sometimes the best way to heal (Azriel)

Jamie n’avait que vingt-deux ans. Elle était loin de Perth prétextant la visite d’une amie pour s’éloigner un peu de son fiancé. Son récent fiancé. Il avait été facile pour elle de trouver une excuse. Pippa. Elle avait dit à Jonas qu’elle allait la voir, que c’était prévu depuis plusieurs semaines pour éviter. Elle ne voulait qu’il croit qu’elle le fuyait depuis sa demande. Demande que Jamie avait bien sûr accepté et depuis une jolie bague trônait sur son annuaire gauche. Elle était dans cette auberge remplie de voyageur, comme si tout en restant dans le pays, elle voyageait un peu. Elle était perdue la brune. Elle aimait Jonas, il n’y avait aucun doute dessus, mais elle le savait que lui rêvait d’une famille traditionnelle alors qu’elle aspirait à d’autres choses, plus personnelle. Ils se connaissaient depuis leur dix-huit ans et s’étaient mis ensemble que quelques mois après leur rencontre. La famille de Jonas l’avait déjà adopté, sauf la petite sœur Ashlee. Elle il ne lui restait que son frère, sa grand-mère et sa mère. Elle était proche d’eux mais c’était loin d’être la famille parfait que celle des Verczinsky. Nom horrible, beaucoup trop compliqué à porter. Nom qu’elle ne voulait pas forcément préférant Rankin. Celui de son père qui lui manquait tant. Les yeux perdues dans le vide, Jamie ne faisait pas attention à ce qui se passait autour d’elle. Trop jeune pour se marier, elle profitait de cette ambiance fêtarde de l’auberge. Elle avait un peu pleurer parce que c’était dans sa nature, les larmes venaient toujours trop vite dès que la future avocate avait un trop plein d’émotion. L’auberge possédait un bar. Il était facile de profiter de la soirée tout en restant caché. Il y avait du monde, de l’effervescence alors qu’elle aspirait plutôt à la tranquillité. Alors elle décida de fuir un peu, préférant le calme de l’océan sur les plages de Darwin. Il y avait plusieurs petits groupes qu’elle évita soigneusement et Jamie fixa son regard vers l’horizon. La nuit était tombée et à part les feux de camps qui éclairent la plage, on ne voyait pas grand-chose. Jamie s’éloignait du monde, s’engouffrant un peu plus dans l’obscurité. Elle ne vit pas le jeune homme allongé par terre. Elle trébucha sur lui avant de plonger tête la première dans le sable. Elle se releva crachant le peu de sable qui s’était logé dans sa bouche. « Je suis vraiment désolée. Je ne vous ai pas vu. » Elle était à moitié sur lui, essayant de se relever. La nuit était claire, la lune éclairait mais Jamie avait eu le regard dans le vide.

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Se perdre. C'était ça, son objectif. Se perdre géographiquement, mentalement, émotionnellement, éthiquement. Il avait 24 ans. Et sa vie avait déjà pris un tournant bien plus dramatique que la plupart des gens de son âge. Ça, évidemment, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. C'était totalement et indéniablement de sa faute, et il avait l'impression que c'était lui qui en était le plus conscient. Allongé sur le sable, une main sur son carnet à dessins posé sur son ventre et l'autre tenant une cigarette roulée, Az perdait ses iris noisette dans la nuée d'étoiles. Il ne pouvait s'empêcher de penser que sa sœur le regardait, de là, même si tout le monde savait que ce n'étaient que des énormes boules enflammées à des milliards de kilomètres, étoiles déjà mortes alors que leur lumière ne parvenait que maintenant à nos yeux. Mais ce soir il avait envie d'y croire. Il était parti avec son sac-à-dos et rien de plus. Avait emporté son carnet qu'il n'avait plus touché depuis des lustres, même s'il dessinait encore parfois, mais beaucoup moins qu'avant. Surtout depuis qu'il avait lâché la fac d'art, juste après l'accident, ou plutôt juste après que les retombées de l'affaire soient derrière eux. Même si ça ne serait jamais réellement derrière eux. Et ce soir, ou plutôt cette nuit, il avait investi ce rectangle de sable, couché depuis des heures, perdu entre le ciel et la terre sans vraiment savoir où était sa place ni même où il souhaitait être. C'était aussi pour ça qu'il était parti de chez lui un moment : pas vraiment pour découvrir où il devait se trouver, mais plutôt pour se perdre un peu plus. Ces plans théoriques en formation dans son esprit vagabond furent brusquement interrompus quand il sentit quelque chose le percuter, pour ensuite le tomber dessus, le tout lui arrachant un énorme sursaut, suivi d'un cri de douleur. Il n'avait pas entendu les pas approchés, trop ancré les histoires de sa tête, et se ramasser quelqu'un sorti de nulle part en pleine figure avait provoqué un bon retour dans le monde réel, avec une belle frayeur au passage. Remis de son instant de panique et comprenant au bout de quelques secondes que quelqu'un lui avait simplement trébuché dessus, il redressa le buste, alors qu'une voix confuse s'excusait et qu'une silhouette peinait à se relever. Un peu gauche, il essaya de l'aider, lui offrant un appui incertain, encore un peu saisi. « Ouais, euh, pas de soucis, enfin... Ça va ? Désolé, vous m'avez fait super peur. » balbutia l'Italien d'une voix troublée.

Hj:

Plus tard, Jamie allait souvent se dire qu’elle aurait dû suivre son instinct. Quelques mois avant son mariage elle avait déjà des doutes. Ces sentiments pour Jonas étaient sincères mais dans le fond elle savait que lui et elle ça ne fonctionnait pas. Ils n’avaient rien en commun. Alors que lui s’enrichissait par l’argent des riches, Jamie défendait le pauvre. Même durant leurs études ils n’étaient d’accord sur rien. Même cette bague, elle était bien trop imposante et grosse pour une fille comme Jamie qui préférait le simplicité. Elle aurait dû suivre son instinct et partir de Perth pour rejoindre son frère à Los Angeles. A l’autre bout de l’Australie elle était bien à souffler. Enfin elle était seule dans un endroit calme. La ville n’était pas trop loin mais ici elle avait l’impression d’être seule au monde et d’être enfin elle-même. Jamie avait une belle vie étudiante, et déjà elle se prenait la tête avec des choses qui n’étaient pas de son âge. Mais elle avait eu l’exemple de son frère qui avait les choses très vites. Elle aurait dû attendre quelques années, au moins elle aurait compris que la mariage était une mauvaise idée en voyant celui de son frère voler en éclat. En marchant sur cette plage, elle ne faisait attention à rien. La plage était éclairée par la lune, elle aurait pu le voir cet homme assis sur la sable, mais Jamie était perdue dans ses pensées. Tout son esprit était tellement loin et la chute avait été brutale. Heureusement pour elle, un corps étranger l’avait empêché de se faire vraiment mal. Rougissante de honte elle se reculait le plus vite possible s’asseyant dans le sable et envahissant d’excuse la personne qui elle était tombée. « Non non mais je suis maladroite ! » Elle n’écoutait pas vraiment ce qu’il lui disait. « Je ne vous ai pas fait mal ? » Le cri qu’il avait poussé quelques instants montraient le contraire et la blonde s’en voulait à mort. « J’étais dans mes pensées et je ne vous ai pas vu, je ne voulais pas vous faire mal. » Elle ne s’arrêtait pas de parler, paniquer à l’idée d’avoir fait mal à cet inconnu qui passait une soirée tranquille sur le sable.

Il était encore un peu sonné, l’état brumeux de son esprit n’aidant pas, surpris d’avoir été tiré si brusquement de ses divagations mélancoliques. La personne face à lui dans le sable, une jeune femme à en croire sa voix et les traits qu’il pouvait distinguer sous le clair de lune, se confondait en excuses. « Euh… Ouais si un peu, mais y a pas de mal. » répondit Az après quelques secondes suspendues, lui-même pas vraiment certain de s’il avait mal ou non. Il fallait dire que depuis tout ça, depuis l’énorme tournant qu’il avait fait prendre à sa famille et à sa vie, ce crash irréparable, plus aucune douleur n’était semblable ou comparable à avant. C’était même étrange de ressentir une souffrance physique, parfois. Souffrance qu’il ne parvenait plus à ressentir comme avant le traumatisme émotionnel, l’effondrement psychologique, toute cette haine de soi et cette douleur insoutenable qui avait pulsé dans ses entrailles si longtemps ces quatre dernières années. Elle s’était atténuée avec le temps, mais revenait à la charge, parfois doucement, parfois comme une chape de béton. « Je peux pas vous en vouloir, être perdu dans ses pensées est une activité assez prenante, je le sais bien. » sourit-il doucement dans la semi-pénombre, légèrement cynique. Dans l’action, il avait perdu sa clope dans le sable et se mit à la chercher en clignant des yeux, sans succès. Tant pis, un poison en moins pour cette heure-ci. Son carnet avait juste glissé à côté de lui, par contre, et il le reprit dans ses mains avant de pivoter à nouveau vers la jeune fille.

Elle s’en voulait Jamie. Faire mal aux personnes n’était pas dans ses habitudes, loin de là. C’était même tout le contraire. A cet époque, la jeune étudiante faisait passer d’abord le bonheur des autres avant le sien. C’était peut-être pour cette raison qu’elle avait senti le besoin de s’évader un peu de Perth après ces fiançailles. Est-ce qu’elle désirait vraiment se marier ? Est-ce qu’elle voulait fonder une famille surement au détriment de sa carrière. Jonas était assez traditionnel, même si avec la future avocate il était tendre, drôle et surtout amoureux. C’était à cause de ces pensées qu’elle tombait sur un brun qu’elle percevait à moitié dans le noir de la nuit. Elle s’en voulait. Peut-être qu’il allait avoir un bleu à cause d’elle ou autre chose de plus grave. « Je suis désolée. » Concluait-elle en baissant les yeux au sol. Elle était bien sur ce sable et puis elle pouvait voir les belles étoiles. La voie lactée n’avait jamais été aussi belle et Jamie se demandait si on pouvait la voir aussi bien à Perth. Certainement pas, il y avait trop de pollution lumineuse. Il faisait un peu frais dans la nuit australienne. A Darwin, il faisait rarement froid, mais Jamie était confuse ce qui la fatiguait. Il comprenait le brun et elle lui souriait. « On souffre du même mal alors ? » Elle riait un peu. Ce n’était pas mauvais d’être rêveur mais si c’était pour ressasser des idées noirs ou angoissantes, il fallait essayer de penser à autre chose. Plus facile à dire qu’à faire. Elle se sentait bien à cet instant parce qu’elle avait l’impression que cet homme pouvait comprendre ce qu’elle vivait en ce moment. « Je peux rester un peu ? » Demandait-elle un peu timidement.

Aux excuses supplémentaires de la jeune femme, Az secoua simplement la tête en signe que ce n’était pas la peine. Il n’allait pas l’accabler pour avoir manqué de lui tomber dessus. Et puis, c’était lui qui était allongé dans le noir au milieu de la plage, à une heure où normalement, on avait arrêté les bains de soleil. L’inconnue sembla par ailleurs trouver ce sable tout aussi attractif que lui, puisqu’elle ne semblait pas vouloir continuer son chemin. « Difficile à dire. » souffla l’Italien avec un petit rire dénué de joie. Tourmentés par leur pensées et leurs actions passées, certainement. Mais impossible de dire à ce stade si c’était effectivement le même mal qui les rongeait. Le même mal qu’ils avaient fait. Az en doutait fortement, être coupable de fratricide ne courait pas les rues. Après, il ne pouvait l’affirmer avec certitude, si ça se trouve, son interlocutrice portait d’encore plus lourds secrets. La question de la jeune femme le fit hésiter une seconde. Quand Az se retirait, c’était pour être seul, et le rester le temps dont il avait besoin. Parce qu’il avait encore plus de mal à se supporter devant les autres, surtout ceux qui savaient. Le brun ne mentait pas sur ce qu’il avait fait, si le sujet survenait. Mais c’était un sujet plus ou moins évitable, et il ne le criait évidemment pas sur les toits. Par honte, premièrement, par terrible culpabilité, mais aussi parce que ça rouvrait la blessure et le manque pour lui, de le dire à haute voix. Cependant, ici, dans ce silence apaisant et cet éclat lunaire, la présence de l’inconnue ne le dérangeait pas vraiment. Sûrement parce que c’était ça qu’elle était : une inconnue. Ils ne savaient rien l’un de l’autre. « Bien sûr, pas de problème. » accepta Az d’une voix douce et lumineuse, s’asseyant en tailleur. « Ça fait du bien d’être ici, n’est-ce pas ? » À nouveau, il parlait sans savoir, sans avoir la moindre idée de ce qui se passait sous le crâne de son interlocutrice. Mais il pouvait sentir cette légère connexion s’opérer entre eux, entre deux âmes lourdes et en souffrance.

Elle s’en voulait d’être maladroite et exaspérée de ne pas avoir fait attention. Certes, il faisait nuit et elle ne s’imaginait pas qu’une personne puis être allongée sur le sable à cette heure-ci. Surtout qu’il faisait frais, le sable était froid, il avait évacuer toute la chaleur de la journée. C’était rassurant et calme, ce qu’il fallait à l’avocate pour mettre ses idées en place. Elle qui avait une idée précise de sa vie, elle se retrouvait à s’engager pour la vie avec un homme. Jonas elle l’aimait, mais est-ce que ça suffisait pour se lier à vie ? Sa victime avait l’air perdu dans ses pensée. C’était un mal commun, celui qui ne se guérissait pas parce qu’il faisait partie de l’homme. Son rire s’effaçait lorsqu’il riait froid. Peut-être qu’il n’avait pas envie d’être dérangé. Peut-être que Jamie devrait partir pour le laisser. Mais elle se sentait bien ici et elle ne savait pas pourquoi. Alors elle s’asseyait, lui demandant comment avant son accord. Sa voix paraissait plus claire, plus solaire et elle pouvait même deviner un sourire sincère dans la nuit. « Merci. » Souffla-t-elle. Elle se sentait bien, loin du bruit de la ville. Les cris de la foule s’entendait au loin, mais elle se sentait dans un autre monde. « C’est vrai. Je crois que j’en avais besoin. » Elle avait ce besoin d’être loin de Perth. Elle avait ce besoin d’être loin de Jonas. « C’est calme, ça fait du bien. » Elle soufflait, comme si elle évacuait les tensions de ces dernières semaines. Elle se moquait de son prénom, de sa vie, mais elle se sentait connecté à lui ce soir. Deux âmes perdus, une brisée et une incomprise. Elle croyait au destin dans ces cas-là. « Merci de me laisser partager ce moment. » Elle souriait sincèrement.

« Pas de quoi. » répondit le jeune homme avec le même sourire dans la voix. Sourire peiné de ce qu’il traînait avec lui ce soir et tous les jours avant ça, depuis l’accident. Mais sourire quand même. Il savait qu’un jour, la douleur serait moins forte. Il savait tout aussi bien qu’elle ne disparaîtrait jamais totalement, et que se pardonner était un combat de tous les jours. Azriel hocha silencieusement la tête aux paroles de la jeune femme, se complaisant lui aussi dans ce calme apaisant, avec le bruit lointain de la vie au loin, en arrière-plan. Comme quelque chose qu’on pouvait toucher du doigt mais ne jamais atteindre. Bien que mélancolique, cette sensation lui faisait du bien, sur le moment. Peut-être aussi parce qu’il n’était plus entièrement seul dans ces émotions. Et pas vraiment accompagné non plus. Elle n’était pas une amie, à peine une connaissance, vu qu’ils étaient là depuis cinq minutes, et pourtant elle était une présence presque réconfortante, en cet instant. « C’est normal. » souffla Az dans le clapotis feutré des vagues qui venaient mourir au loin sur le sable. « Je pense que j’ai envie de te dire merci aussi, de partager ce moment avec moi, au final. » Ajouta l’Italien avec ce nouveau petit rire, mêlé de douleur et de libération à la fois. Il n’avait pas prévu sa nuit comme ça, mais finalement, il devait admettre que la présence de la jeune femme faisait du bien à son âme, là tout de suite. Ce n’était pas quelqu’un qui voulait l’aider, le distraire ou lui tenir des discours sur la vie et la mort, les accidents, le bien et le mal. C’était juste quelqu’un qui était assis là, qui avait ses propres démons, et venait se connecter sans forcément qu’ils aient à partager quoi que ce soit sur leurs vies et leurs erreurs. C’était reposant, ça faisait du bien.

Il acceptait qu’elle reste près de lui. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle s’était sentie immédiatement bien en sa présence, comme si lui aussi éprouvait des difficultés. C’était un peu la nature de l’homme de toujours affronter des obstacles, mais là pour Jamie il s’agissait de quelque chose qu’elle avait dressé elle-même. Charles, elle l’aimait mais les fiançailles et le mariage était quand même un grand engagement. Cet endroit était apaisant. Au loin, le bruit de la foule s’échappait dans une douce musique atténué par le bruit de l’océan. L’eau venait se fracasser sur le bord de la plage, entraînant avec elle les milliers d’animaux marins microscopiques. Le bruit de l’eau calmait la brune, favorisant la méditation. C’était un moment particulier où Jamie pouvait enfon compartimenter ses idées et ses pensées. Toute cette ambiance était éclairée par la lune plein qui scintillait et donnait à l’eau cette couleur spécifique. « Avec plaisir ! » Répondait-elle en souriant, avant de s’allonger à ses côtés. Elle voulait fermer les yeux Jamie et profiter de cet instant. Ils avaient chacun de la chaleur à apporter à l’autre. Ils ne se connaissaient pas et ne se reverraient peut-être jamais, mais si dans cet instant il pouvait faire du bien à l’autre, ça serait parfait. « Je m’appelle Jamie en fait ! » Elle aurait pu mentir, mais ce moment transpirait de sincérité et il était important pour l’avocate d’être elle-même. Pour une fois, elle pouvait être celle qu’elle était dans toute sa splendeur sans chercher à plaire à quelqu’un.

Particulier, oui, c’était le bon mot pour décrire ce moment. Ils étaient tous les deux posés là, ne se connaissant ni d’Eve ni d’Adam, et pourtant cela n’avait rien de malaisant. Cette connexion silencieuse s’était même formée, sans qu’ils n’aient vraiment besoin de l’expliquer. Peut-être que des âmes souffrantes se reconnaissaient tout simplement, sans avoir besoin de mots. Comme deux animaux perdus en recherche d’un même abri où se poser pour la nuit, qui s’associent ensemble le temps d’un instant pour maximiser leurs chances de s’en sortir. Un petit sourire amusé prit à nouveau place sur le visage de l’Italien, presque indécelable dans la pénombre. « Moi c’est Az. Azriel. » se présenta à son tour le garçon, trouvant ces présentations comiques maintenant qu’ils étaient l’un à côté de l’autre, après cette rencontre fortuite et ces brèves paroles évasives et pourtant justes. Az se coucha lui aussi à nouveau dans le sable, suivant Jamie. Côte à côte, la tête perdue dans le ciel nocturne et dans tant d’autres mondes. Le silence les enveloppait d’une chape de velours, protectrice, uniquement dérangé par le doux bruit de l’eau et loin, et du son de la vie, encore plus loin.

La vie était drôlement faites. On faisait des tas de rencontre dans toute une vie. Certaine ne marquait pas, ce n’était qu’un bon moment qu’on oubliai au fil du temps. D’autres, il aurait été préférable de les oublier. Puis il y avait ces rencontres uniques et limitées, celles qui marquaient à jamais une personne. Ce genre de rencontre on les chérissait, on les gardait précieusement en souvenir, se rappelant parfois de la personne qui nous avait marqué pour ces quelques heures. Azriel c’était ça. Une rencontre infortune et pourtant elle allait marquer Jamie. Ces deux âmes perdues s’étaient retrouvés sur ce bout de plage dans le nord de l’Australie. Ils ne se connaissaient pas et pourtant c’était naturel, comme s’ils devaient se rencontrer pour s’aider à soigner leur maux. Jamie aurait pu se lever et partir pour s’excuser d’être tombée ainsi sur ce pauvre homme. Mais non, elle restait assise à ses côtés comme si sa place était là pour ce soir. Azriel, un joli prénom pour une présentation simple. Elle s’allongeait dans le sable frais observant les étoiles qui scintillaient si forts ce soir. Jamie soupirait avant de tourner son visage vers cet inconnu. Elle ressentait sa peine et lui pouvait ressentir ces questionnements. « Peut-être qu’un jour on arrivera à réparer ce qui a été fait. » Pour Jamie il n’y avait rien à réparer, à part peut-être ce sentiment de s’être trompée sur une demande en mariage. Charles elle l’aimait mais elle n’acceptait pas encore. Elle qui se croyait si libre voulait se marier avec cet homme, mais jusqu’où irait-elle qui allait à l’encontre de tout ce dont elle avait pensé avant.

C’était paisible, comme moment. Ça sonnait juste, aussi. Rien ne l’expliquait, pourtant ils semblaient profiter tous les deux de cette quiétude connectée, de cet écrin de bienveillance partagée. Ils restaient là. Ils se présentaient, comme si c’était totalement naturel. Le silence les enveloppait parfois, sans les éloigner pour autant. Au contraire, cette scène les réunissait, même s’ils ne savaient rien l’un de l’autre. Az entendit le froissement du sable, quand la prénommée Jamie tourna la tête vers lui. Un sourire brisé fendit son visage à l’affirmation de la jeune fille. Comme il aurait aimé qu’elle ait raison. « Tu ne sais pas à quel point j’aimerais que ce soit possible. » Sa voix se fit tremblante sur la fin, et il garda le visage perdu dans les étoiles. Une larme avait pointé au coin de son œil, pour que la clarté lunaire vienne la faire briller. Oui, il aurait tant aimé que ce soit possible. Que les mots de Jamie lui donnent de l’espoir. Mais il avait accepté depuis longtemps l’irrémédiabilité de ses actes. La phase de déni était passée. Pas celle de la culpabilité. Pas celle de la colère. Pas celle de cette peine, ravageuse et terrible, qui torpillait son âme. « Tu voudrais revenir en arrière, toi ? » reprit le brun une fois que la douleur dans sa poitrine se fut un peu atténuée, lui permettant d’articuler clairement.

C’était une sensation étrange. Jamie se sentait si mélancolique et en même temps si bien aux côtés de cet inconnu. Il y avait des erreurs, des blessures profondes et des choses dont la blonde ne pouvait oublier. Cette fuite qui l’avait mené là en disait long, est-ce que c’était ainsi qu’elle voulait commencer sa vie maritale ? Est-ce qu’elle voulait simplement se marier ? En tout cas, elle espérait que cette fuite ne soit pas un prémices de cette vie ratée. Lui aussi, il aimerait que ce soit possible et Jamie tournait la tête vers lui. Il semblait si triste comme si on avait aspiré toute la joie et l’espoir de cet homme. Elle aurait voulu lui parler, lui dire que tout irait bien. Pourtant, elle ne fit rien. Elle avait peur que cela coupe cet équilibre précaire que lequel ils étaient. Deux inconnus. Cet anonymat pouvait peut-être les aider à libérer cette culpabilité qui les rongeait de l’intérieur. Il lui posait une question. « Je ne sais pas. » Répondait-elle. D’un côté, elle avait envie de retourner à des moments de sa vie et changer le cours des choses. Mais est-ce qu’elle serait plus malheureuse ou plus heureuse ainsi. « Je ne sais pas si ça changerait finalement les événements. » Après tout, elle croyait au destin, à cette ligne imaginaire qui guidait les hommes dans des voies. « Pourquoi tu fuis ? » Demandait-elle avant de se mettre la main devant sa bouche choquée de son audace.

Un sourire sans joie, un parmi les nombreux d'une longue file, reprit place sur le visage de l'Italien à la réponse de Jamie. Elle ne savait pas si elle voulait en arrière. C'était une différence majeure avec les décisions d'Az, qui avaient mené à une tragédie irréversible. Il commençait à être intrigué par son histoire. Au départ simple fantôme qui venait faire entrer sa soirée en collision avec la sienne, c'était maintenant une présence presque réconfortante. Non, ce n'était pas vraiment le mot. Disons que c'était un accompagnement dans sa peine, un partage. Deux mondes étrangers qui se croisaient par hasard, au détour d'une nuit vide de sens. Ils parlaient en termes vagues, parce que c'était suffisant. Parce que c'était assez pour leur permettre de se rapprocher, se raccrocher, le temps de ces quelques minutes suspendues hors du temps. Maintenant, au fil des paroles échangées avec Jamie, de ce ton feutré qui seyait à la nuit, il avait envie d'en apprendre plus. Peut-être pour se distraire de ses propres méfaits. Pour se plonger dans la peine et la culpabilité de quelqu'un d'autre, histoire d'avoir un peu de répit des siennes. Il ne dit rien cependant, muré dans son éternel silence, écoutant juste la jeune fille poursuivre. Leurs situations paraissaient si différentes et si semblables. « Si tu savais pourquoi, ce serait toi qui me fuirais. » souffla-t-il. Neutre, affirmatif. Un constat. Pas une promesse, pas une ironie. Il n'était même pas offensé de cette question directe, elle lui paraissait même légitime. Sa réponse était d'une franchise tranchante, mais il était persuadé que c'était vrai. Qui voudrait se tenir au côté d'un gars qui avait provoqué la mort de sa sœur cadette, la sœur dont il était de son devoir de protéger ?

C’était tellement immature de la part de Jamie de fuir. Si elle doutait pourquoi avait-elle acceptée cette demande en mariage ? Sur le coup, ça lui paraissait si simple et si évident. Charles était un homme merveilleux, mais Jamie doutait de leur compatibilité. Puis elle n’allait connaitre que lui et elle ne savait pas si ça lui ferait du bien. Elle qui voulait tout savoir, elle n’allait jamais vraiment comprendre ce qu’était les relations hors celles avec Charles. C’était pour cette raison qu’elle était perdue sur cette plage à des milliers de kilomètres de chez elle. Au moins, ici elle pouvait réfléchir. Ici, elle pouvait tomber sur un parfait inconnu et parler avec des mots neutres mais plein de sens. Elle peinait à le distinguer dans la pénombre. Mais elle restait à ses côtés, deux âmes perdues essayant de retrouver leur chemin grâce à l’autre. Il semblait souffrir, beaucoup plus que Jamie. En même temps, pour la future avocate ce n’était que des doutes et des questions. Si elle savait ce que vivait Azriel, peut-être qu’elle aurait tut ses pensées. « Je ne pense pas. » Disait-elle avec un naturel. Elle ne fuirait pas, même si c’était un peu ce qu’elle était en train de faire avec Charles en ce moment. « Je ne vais pas fuir mais tu ne parles que si tu en as envie … » Jamais elle ne forcerait à le faire parler. Ils pourraient même rester l’un à côté de l’autre sans parler.