i want everything or nothing at all. (oskár)

i want everything
or nothing at all

Le soleil se reflétait ardamment sur son casque noir, alors qu'elle arrivait en bout de route, enclenchant les freins alors qu'elle roulait à pleine vite. Aïnhoa s'était offert une petite fin d'après-midi rien qu'à elle, enfin, à elle et sa moto. Elle avait d'abord été déposer Laël chez April, qui étaient bien contents de passer un peu de temps entre neveu et tante. La métisse avait promis de revenir le chercher pas trop tard, le temps de profiter d'une bonne balade, jusqu'à la mystérieuse Holbourne Island. Aïnhoa avait déjà eu l'occasion de la visiter et de surtout repérer les quelques routes calmes qui sillonaient l'île. Pour elle, avaler du bitume ou de la poussière avec sa Yamaha rutilante était synoyme de quiétude, n'en déplaise aux oreilles mécontentes qui repéraient son engin de loin. Rouler au gré de ses envies avec pour seule compagnie le bruit du moteur, l'odeur de l'essence et le vent chaud dans la figure, c'était ses moments de détente, de plaisir simple. Elle avait donc embarqué le deuxième amour de sa vie sur le ferry, pour en descendre un peu plus tard, main sur les gaz. Il était maintenant l'heure de rentrer, et vu qu'elle venait d'arriver au bout du cul-de-sac, c'était le moment de faire demi-tour pour choper le dernier ferry retournant sur le continent. La bikeuse prit un moment pour admirer la vue, et de s'envelopper du doux bruit de la nature environnante. Elle repartit en sens inverse, piquant une pointe de vitesse pour le plaisir, puis ralentit une fois qu'elle arriva sur une route plus bitumée et potentiellement plus fréquentée, principalement par des piétons, randonneurs ou amateurs de plage. Un bruit inquiétant provenant de son engin à deux roues la fit ralentir un peu plus, alors qu'elle était toujours seule sur cette route. Elle sentit alors la moto perdre de la vitesse sans qu'elle n'ait rien fait cette fois, tenta de redonner des gaz, passant des vitesses, mais rien n'y faisait. Elle fut bientôt obligée de diriger le véhicule sur le côté, pour qu'il s'arrête définitivement. « Puuuutaiiiin... » soupira-t-elle, après avoir tenté de relancer le moteur plusieurs fois. À part un bruit n'augurant rien de bon, elle n'eut pas beaucoup de succès. Résignée, la brune descendit de la moto, retirant le lourd casque couvrant ses longues tresses. Ca allait être compliqué de la pousser jusqu'au ferry dans cet état. C'était pas une petite moto, elle n'était pas encore si proche que ça du lieu d'embarcation, et elle ne jouait pas exactement dans la catégorie poids lourd. Aïnhoa retira sa veste, commençant à tripoter le moteur.

T’avais l’habitude, lors des journées bon de vent, de sortir le voilier pour aller t’perdre en mer sur des kilomètres. Quand tu pouvais atteindre une vitesse de plus ou moins dix nœuds, t’en profitais pour aller visiter les îles environnantes, puisque même celles à plus de cinquante kilomètres de la côte de Bowen, t’arrivais à les rejoindre en quelques heures. Aujourd’hui t’avais enligné ta trajectoire vers le Holbourne Island National Park, tu savais qu’il y avait un quai pour amarrer les embarcations, puisque le ferry devait accoster à la petite marina afin de laisser les passagers sortir pour la journée. Évidemment, pour les autres bateaux, c’était extrêmement réglementé et tu devais payer ton droit d’accès en arrivant. C’était tout à fait normal. Il fallait également t’assurer de repartir avant le dernier ferry sinon c’était une amende salée qui t’attendait, puisqu’il était interdit de passer la nuit sur l’île. Bref, vers midi t’étais arrivé au quai et t’avais tout réglé avec l’employé avant de prendre ton sac à dos et de commencer à marcher vers la forêt danse. Les sentiers étaient assez bien balisés, peu de risques de se perdre. Tu marchas pendant deux heures sans doute, t’arrêtant pour luncher à un endroit tranquille avec vue sur l’océan. Ce genre de journée ça n’avait pas de prix pour toi, t’étais seul avec toi-même, tu renouais avec tes pensées, ton âme, tu accueillais les réflexions que ta solitude te portait. T’essayais de filtrer, aussi, parce que dans ta tête ça bouillonnait constamment, surtout ces mois-ci, surtout depuis Sahar. Lorsque tu arrivas au bout du sentier que t’avais choisi, tu débouchas sur une route asphaltée, c’est con t’avais jamais remarqué que ce parc national avait un chemin praticable pour les véhicules à moteur. T’avais souvent vu des gens à vélo mais tu pensais que c’était pour du vélo de sentier. T’entendis d’ailleurs le bruit d’un moteur qui tousse, à ta gauche, et tu tournas la tête pour apercevoir une bikeuse s’arrêter en bordure de la route, à plusieurs mètres de toi. T’étais trop loin pour la reconnaître mais tu marchas quand même jusqu’à elle, voyant que personne d’autre n’y prêtait trop d’attention. Les gens préféraient se prélasser sur la plage. C’est en arrivant à sa hauteur que tu reconnus Aïnhoa, la slameuse que t’avais rencontrée à Chamonix et à qui t’avais reparlé à juste quelques reprises depuis, après ses passages sur scène surtout. « Yo ! » Lui lanças-tu pour t’annoncer. Tu penchas légèrement la tête en regardant le moteur de son bike. « Ça a pas l’air d’être sa meilleure journée. La tienne non plus. J’peux aider pour quelque chose ? » Elle s’y connaissait mieux que toi mais si tu pouvais donner un coup de main, sous ses directives, pourquoi pas.  

La mauvaise humeur avait vite pris possession de la jeune maman, alors qu'elle avait mis le pied à terre et s'était rendue à l'évidence qu'elle allait devoir mettre les mains dans le cambouis. Si d'ordinaire, ça ne l'ennuyait pas de faire un peu de mécanique, puisque c'était s'occuper avec amour de sa Yamaha, là, ce n'était pas le moment idéal. Jusqu'ici, elle avait encore espoir de régler le souci en quelques minutes. Mais rien que cet arrêt forcé et imprévu la faisait grincer des dents, détruisant en quelques maigres secondes les bienfaits de cette fin de journée en toute simplicité qu'elle s'était accordée. Aïnhoa pouvait rapidement passer d'une humeur à une autre, cela dit, quand la vie ne lui envoyait qu'une touche de contrariété. Alors qu'elle triturait quelques boulons et passait ses doigts derrière l'un ou l'autre cylindre mécanique, pestant intérieurement, accroupie comme un Cro-Magnon sur le bord de la route, une voix s'éleva derrière elle. C'était l'heure de détendre les traits de son visage tacheté, fermé et dur, qu'on lui connaissait moins, sauf quand elle balançait des textes enragés pour dénoncer l'injustice du monde. « C'est devenu une habitude, de tomber sur moi dans mes moments les plus glorieux. » se lamenta la métisse, ses yeux couleur café se parant tout de même d'un reflet plus jovial, alors qu'un sourire naissait aux commissures. Référence malgré à elle à sa chute mémorable marquant leur première rencontre. « Ça se voit tant que ça ? » répondit-elle d'un air dépité, moue ironique, Oskár soulignant qu'elle n'avait pas l'air de vivre ses meilleurs moments. Elle se redressa sur ses jambes, saluant quand même le garçon d'une bise. Le pauvre, elle n'avait aucune envie de lui imposer ses états de frustration et une moto en panne par-dessus le marché. « Tu t'y connais en mécanique moto ? J'ai pas encore trouvé le problème, mais j'ai peur que ça ne dépasse mes compétences. » Ses traits reprenaient déjà leur tension renfrognée.

Bien vu ! Aïnhoa soulignait que vos rencontres se déroulaient seulement lorsqu’elle était mal prise, dans des circonstances peu appropriées. Ça te fit rire, tu baissas la tête pour qu’elle ne voit pas trop ce grand sourire, tu ne voulais pas qu’elle pense que tu te moquais, mais impossible de le cacher ce sourire, il te fendait jusqu’aux oreilles. Quand tu relevas le regard vers elle, tu vis ses yeux pétillants de malice alors de toute façon, elle se moquait elle aussi. « Oui bon, la première fois était quand même glorieuse dans son genre. Ce n’est pas à tous les jours qu’on rencontre quelqu’une qui sait aussi bien tomber. » Actuellement cependant, sa motocyclette ne semblait effectivement pas dans une forme légendaire, ce que tu fis remarquer même si clairement, Aïnhoa était déjà au courant. Elle avait même les mains plongées dans le cœur de la bête. « Ça s’est entendu, aussi. De bien loin. » T’avais toujours les mots pour réconforter, Oskár! La slameuse se releva et vint te faire la bise, que t’accueillis avec chaleur, posant une main sur son coude pendant l’échange, avant de reculer d’un pas. « Je sais pas, est-ce que ça peut ressembler à la mécanique d’un moteur de bateau ? J’crois pas, hein ? » Dis-tu en te grattant le côté de la tête, t’approchant du moteur de la motocyclette. « T’as regardé ton filtre à air ? Si le moteur s’est étouffé c’est peut-être parce qu’il est trop sale, voir même bouché. Ta moto crachait noir avant de s’arrêter ? » T’essayais d’appliquer ce que tu connaissais des moteurs de tes voiliers, que t’avais réparé, eux, à plusieurs reprises. Au final ça devait pas mal être le même type de pièces, juste pas nécessairement au même look et au même emplacement, de ce que tu voyais là.

L'allusion de la métisse à ses performances publiques peu glorieuses quand il ne s'agissait pas de slam, sembla faire rire le Mexicain. Ce qui eut le don de glisser une moue contrariée sur le visage tacheté d'Aïnhoa, mais heureusement, on pouvait quand même y lire un arrière-goût amusé. Elle pouvait avoir mauvais caractère, mais elle savait aussi rire de ses petites sautes d'humeur. Rapidement, son regard se forgea d'un reflet malicieux. Même si elle n'était pas plus avancée dans sa galère, au moins, un visage bienveillant l'avait rejoint, et des bras prêts à aider – en plus d'être joliment tatoués -. « Que veux-tu, c'est ça, être une artiste. » rétorqua Aïnhoa, passant une langue amusée sur ses lèvres ayant retrouvé leur sourire. « J'y connais rien en bateau, alors... aucune idée. » rit la brune alors qu'ils tentaient de rassembler leurs connaissances, pour tirer la Yamaha de sa souffrance. Ils étaient bien avancés, avec ça. La jeune femme regarda Oskár ausculter la moto, même si vu ce qu'ils venaient de se dire, il y avait peu de chances qu'il en sache plus qu'elle sur le problème. « Non, c'est pas ça. J'y ai pensé, mais je prends bien trop soin de cette moto pour qu'elle se noie. » répliqua la jeune femme, retournant elle aussi s'accroupir à côté de la machine. Un moteur noyé était un problème récurrent chez ceux qui ne sortaient pas souvent leur moto et ne s'en faisaient pas trop pour l'entretien. Mais ce n'était pas le cas d'Aïnhoa, qui prenait plaisir à en nettoyer chaque recoin et à passer une fois de temps en temps chez un professionnel pour vérifier que tout était en ordre. « Mais par contre... » commença la jeune femme, changeant d'endroit en frôlant Oskár qui était juste dans son dos, pour aller dévisser les panneaux sous la selle. Ce n'était pas le filtre, mais le garçon venait de lui faire penser à autre chose. « C'est peut-être bien les bougies. » réfléchit-elle à haute voix, tout en s'affairant à démonter le ventre de sa moto, autant qu'elle le pouvait avec ses outils à disposition. Elle disposait soigneusement les pièces détachées sur sa veste en cuir, étalée devant elle, et se prit même à tendre une clé à Oskár sans trop y réfléchir, puis un écrou, le regard rivé sur les câbles et le réservoir, concentrée sur la résolution du problème. « Oh, pardon. Je veux pas avoir l'air bossy et chiante. Je suis un peu obsessionnelle quand il faut régler un problème. » s'arrêta Aïnhoa lorsqu'elle s'en rendit compte, s'excusant avec un petit rire. Il venait gentiment proposer son aide et elle le traitait comme un établi de garage.

Elle était plutôt cute, Aïnhoa, quand elle fakait une moue contrariée. Son nez se retroussait tout légèrement, t’avais l’impression de mieux voir ses taches de rousseur alors que pourtant tous ces petits points là se perdaient dans les replis de sa peau en grimace. Tu souris, ton regardant se perdant un peu dans le sien, n’y lisant que de l’amusement, aucune réelle contrariété. Elle était capable de comprendre, Aïnhoa, que ces piques n’étaient que bon enfant. T’aimais bien une fille qui avait de l’autodérision. Après sa chute elle aurait juste pu filer tout droit vers sa chambre d’hôtel et croiser les doigts de ne revoir aucun des visages du hall d’entrée ce soir-là. Mais non, elle avait owné sa chute et t’avais trouvé ça plutôt cool. À la hauteur de tout ce que tu pensais d’elle depuis que tu la connaissais comme slameuse. « Ah ouais du coup ça s’applique absolument à toutes les sphères de ta vie, c’talent, hein ? Classe quand même. » Te moquas-tu à ton tour, l’imitant presque en posant ta langue sur l’une de tes canines supérieures, quelques secondes tout au plus, avant de te concentrer sur le moteur problématique. T’avais les bras croisés pendant que t’observais à distance, demandant si c’était le même genre de moteur que celui d’un bateau. « On est mal partis, hein ? » Relevas-tu puisque vous n’y connaissiez pas grand-chose. Tu ris avant de t’accroupir pour examiner d’un peu plus près la situation, proposant un problème de filtre à air. Tu hochas la tête quand elle écarta l’hypothèse. Tu semblas cependant l’avoir projetée sur une autre piste puisqu’elle changea de position, t’effleurant le torse en se déplaçant. T’aurais pu te reculer un peu pour lui laisser de l’espace, Oskár, mais tu ne le fis pas. T’avais pas détesté ce contact. « Ah ouais c’est possible. Faudra voir la couleur du bec d’isolant. » Aïnhoa était déjà sur le dossier, démontant les pièces de sa moto, te tendant les morceaux avec assurance et détermination. Tu les pris sans rien dire, l’assistant là-dedans. Ça te fit quand même sourire lorsqu’elle le remarqua. « T’inquiète. J’suis pas habitué à ce qu’on me boss around mais … venant de toi, j’déteste pas. » Tu trouvais même ça extrêmement sexy, ce qui se lisait dans ton regard posé sur elle.

La jeune femme répondit par un sourire malicieux, décochant un regard entendu et faussement humble à Oskár quand il souligna de façon ironique qu'elle était artiste à tous niveaux de son existence. La présence du brun avait réussi à la dérider un peu, même si cette histoire de moto l'agaçait dans un coin de sa tête. Il avait cet air un peu moqueur, elle aurait même été jusqu'à dire provocateur, mais il en jouait d'une façon plus joviale que piquante, ce qui plaisait à Aïnhoa. Elle pouvait s'offusquer assez vite, mais ça dépendait surtout de la personne face à elle et de l'intention qu'elle détectait derrière, ainsi que du sujet. Lui, c'était définitivement une chouette personne, elle l'avait décrété, bien qu'elle ne puisse pas prétendre le connaître en profondeur. Mais au fil des glissades hivernales à Chamonix, partagées ensemble quand Judas et Laël passaient un peu de temps entre père et fils, laissant à Aino' le loisir de faire ce que bon lui semblait, elle avait découvert une chouette connexion avec le Mexicain, à laquelle elle s'était surprise à repenser quelques fois depuis leur retour sur le continent australien. « On dirait bien. » rigola Aïnhoa alors qu'ils se rendaient compte que, s'ils étaient tous deux calés dans leur domaine, ils n'allaient pas vraiment pouvoir compter sur leurs connaissances partagées. Reprenant une mine sérieuse, observant tous les deux ce qui pouvait faire défaut à la moto, Aïnhoa glissant mains et outils partout où elle le pouvait – dans la moto -, Oskàr finit par lui donner une idée. Alors qu'elle s'affairait dans les entrailles de son véhicule pour parvenir auxdites bougies, la mine concentrée, la brunette réalisa au bout de quelques minutes qu'elle profitait de l'aide du garçon sans même y réfléchir, lui tendant des outils et pièces par-dessus son épaule, trop absorbée par l'obsession de régler le problème de la Yamaha. Elle s'empressa de s'excuser, de son visage souriant qui ne semblait pas si gêné que ça non plus, mais la réponse du tatoué lui fit arquer un sourcil intéressé, alors qu'un sourire en coin enjoué éclairait son visage. « Attention, faut pas trop me dire des trucs comme ça, parce que j'en prends bonne note. » répondit-elle, ses traits dessinant un air joueur, et même un brin enjôleur. Elle rit à nouveau, de son rire franc qui masquait le tressaillement dans son rythme cardiaque, alors qu'elle se réfugiait dans les câbles de sa moto adorée. « Bon, c'est bien ça. Pourtant je les ai changées y a pas si longtemps... Enfin bref, je saurais rien faire d'ici. » soupira la jeune fille, la moue déconfite et saoulée. « À moins que tu caches une clé à bougie et de nouvelles bougies correspondant parfaitement à ma moto dans ton short ? » demanda-t-elle avec un sarcasme résigné. Elle se frotta la joue, vraiment embêtée et surtout exaspérée de la situation, et laissa par la même occasion une trace de graisse noire sur sa peau.

T’aurais aimé pouvoir l’aider, vraiment. Ça te faisait même un peu chier de pas arriver là avec des connaissances qui sauveraient la situation. Pourtant Aïnhoa était loin du type demoiselle en détresse, à vouloir son prince sur son cheval blanc qui viendrait la secourir. Tout le contraire d’ailleurs. Bien malgré toi cependant, tu devais admettre que tu avais une certaine masculinité toxique dont t’avais du mal à te départir. Le fait de t’en rendre compte te permettait au moins de parfois prendre un pas de recul et de mieux réagir, mieux réfléchir. Ainsi, quand ce fut plutôt Aïnhoa qui prit les devants en démontant son moteur et en commençant à travailler dedans, tu te dis que c’était assez canon qu’elle soit autant manuelle. D’ailleurs, quand elle se rendit compte de ce qui se passait, tu laissas sous-entendre que tu trouvais ça sexy. Dans des mots un peu moins objectifiant cela dit. « J’ai pas dit que je voulais devenir ton subalterne, hein, t’enthousiasmes pas trop vite. » Repris-tu avec un rire. Si aider, donner un coup de main, ne te posait aucun problème, tu savais fort bien qu’il y avait rapidement des frictions lorsqu’on te donnait des ordres ou lorsqu’on ne te laissait pas de choix. Suffisait de voir où ça t’avait mené avec Sahar, en janvier, pour comprendre que tu ne te laissais pas non plus marcher sur les pieds. Tu pensas rapidement à elle, un éclair de pensée, sans te douter que tu la verrais le lendemain exactement. Bref, tu chassas l’image de la brune de ta tête et tu te concentras sur Aïnhoa qui s’était replongée dans le moteur. Malheureusement, il n’y avait rien à faire pour le moment. « J’aimerais bien t’dire que oui, que j’suis comme les monsieurs creepy qui ouvrent leur long manteau et possèdent tout plein de trucs random mais non. » Tu fis une légère moue, déçu pour elle également. « J’espère que t’avais au moins pu faire quelques kilomètres déjà. » T’avais aucune idée de l’heure d’arrivée du traversier, puisque toi t’étais arrivé ici par tes propres moyens, en voilier. Résignée, Aïnhoa se frotta la joue d’un air exaspéré, marquant sa peau d’une trace de graisse noire qui ne passait pas inaperçue. Tu souris. « Shit. Tu viens de t’en foutre plein le visage, là. » Tu continuas de sourire. « Attends … » Tu fouillas dans tes poches pour voir si t’avais pas un truc pour l’essuyer, mais non, hormis ton téléphone et ton portefeuille tu traînais rarement quoi que ce soit. Ah et puis merde, ce t-shirt était pas le plus neuf. Tu le relevas, dévoilant ton ventre, pour venir essuyer la trace de graisse de la joue d’Aïnhoa. « Voilà, ni vu ni connu. »

Elle devait bien avouer que les propos d'Oskár ne lui déplaisaient pas, même si elle était tenace dans l'idée de ne pas paraître déstabilisée. Ce n'était qu'un échange amical, après tout, même si cette voix et ce regard avaient quelque chose de séduisant, qu'Aïnhoa ne pouvait nier. « Je peux trouver un qualificatif plus sexy que subalterne, si ce n'est que ça. » plaisanta la brune avec un clin d'oeil, gardant l'équilibre dans cet échange un brin plus ambigu. Heureusement, son engin adoré était là pour donner le change, la jeune femme plongée dans ses entrailles pour finalement déterminer le problème, qui n'arrangeait pas du tout ses affaires. Ça l'emmerdait vraiment, et elle jouait nerveusement de ses doigts pour lutter contre la crispation de ses muscles, qu'elle sentait arriver avec la frustration. Heureusement, Oskár et son sourire avenant étaient là, ce qui l'aidait à ne pas se laisser aller à l'énervement. « Euh, non, je suis plutôt contente que tu me dises pas ça. » répliqua la métisse en mimant un air inquiet, avant de rire. « Oui, mais c'est le retour qui m'inquiète, là... » Leurs échanges amusés étaient les bienvenus, mais ça n'effaçait malheureusement pas le problème auquel Aïnhoa faisait face, et son expression contrariée revint tordre ses traits, alors qu'elle passait une main sur son visage. Elle haussa un sourcil en voyant le visage rieur d'Oskár quand elle releva les yeux, ne voyant aucunement ce qu'il y avait d'amusant dans sa situation, avant qu'il ne lui rappelle qu'effectivement, se frotter avec une main pleine de cambouis, c'était pas très intelligent. « Ah, merde. » fit-elle en riant, son visage se détendant à nouveau alors qu'elle cherchait son téléphone pour voir où elle s'était barbouillée. Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de le faire, Oz vint à sa rescousse, armé d'un pan de t-shirt, qui révéla agréablement ce qu'il y avait en-dessous. Elle ne savait pas très bien si c'était dû au bref aperçu qu'elle eut du corps tracé du brun ou à la façon dont il essuya délicatement sa joue tachetée, mais elle sentit une brusque bulle de chaleur naître au creux de son ventre. The fuck Aino', t'es un animal en chaleur ou quoi ? Reprends-toi quoi. « Merci. » souffla-t-elle à mi-voix, aussi rapidement qu'elle le put une fois ses esprits revenus plus ou moins à leur place, tentant de masquer le rosissement de ses joues. Elle se réfugia sur son téléphone, sous l'excellent prétexte de vérifier quand partait le dernier ferry, avec tout ça. « Fuuuuuck, le ferry bouge dans quinze minutes ! » Le quai d'amarrage était encore loin, et si elle n'était même pas sûre qu'en courant, elle pouvait rallier cet endroit à temps, c'était certain qu'avec une lourde moto à pousser, c'était impossible.

Intrigué, tu arquas un sourcil avec un sourire au coin des lèvres. « Ah ouais ? Et comment tu m’appellerais, alors ? » Tu jouais, Oskár, tu jouais sans savoir que dès le lendemain, tu serais entraîné dans un tourbillon sans fin avec Sahar et que tu n’en reviendrais probablement jamais totalement, de cette tempête. Pour aujourd’hui tu baignais encore dans l’innocence et dans l’ignorance, y’avait rien de ça qui se profilait à l’horizon, juste des échanges gorgés de sous-entendus avec Aïnhoa. Et un plaisir mal caché de partager ces mots avec elle. Évidemment il y avait plus important à faire, il y avait cette motocyclette à réparer, au moins le temps qu’elle puisse faire les quelques kilomètres la séparant du ferry, un pansement temporaire pour lui éviter de se retrouver coincée ici. Bien que t’aurais jamais laissé ça arriver. Tu te contentas de rire après ta remarque sur le long manteau cachant tous les outils dont elle aurait besoin, et bien plus. Tu baissas les yeux en continuant de rire légèrement, avant de reprendre un air sérieux alors que la slameuse s’inquiétait de son retour. « J’peux t’aider à le pousser, en se relayant à deux on devrait y arriver. Je suis pas pressé. » Toi t’avais pas d’heure de ferry à respecter, il fallait certes que tu quittes les lieux à peu près au même moment, l’île ne demeurant pas ouverte au public jusqu’à n’importe quelle heure, mais  on ne te foutrait pas une amende pour avoir flâné un peu plus longtemps. Tu te relevas, voyant bien que de toute façon il n’y avait plus grand-chose à faire pour ce moteur, rien que vous puissiez faire ici accroupis devant en tout cas. Aïnhoa en arrivait sans doute à la même constatation, non pas sans une once d’agacement, passant une main irritée sur sa joue, y laissant une belle trace de graisse noire du même coup. Sans hésiter et sans penser à ton t-shirt qui en serait gâché, tu lui essuyas la tache délicatement. Vos regards se toisèrent et ce serait mentir de dire que t’avais rien ressenti, toi aussi, Oskár. « Pas d’quoi. » Soufflas-tu en laissant redescendre ton chandail, couvrant à nouveau ton ventre sculpté. Le trouble céda rapidement sa place à la panique alors que la jeune femme constatait que le ferry quittait dans quinze minutes. « Et c’est l’dernier de la journée, j’parie ? » Face à une réponse positive, tu hochas la tête en grimaçant, regardant le quai d’amarrage au loin. « Impossible de s’y rendre à temps. » Tu réfléchis un moment. « J’ai mon voilier de l’autre côté de l’île, mais faut quand même s’y rendre, par un sentier qui coupe à travers la forêt en plus, et … j’ai aucune idée d’comment on y monterait ta moto. » Mais vous n’aviez pas trop le choix, pas vrai ?

Aïnhoa réfléchit franchement à la question, même si leur conversation revêtait plutôt un but humoristique. Pas qu'elle veuille considérer Oskàr comme un type à qui donner des ordres, loin d'elle cette idée. Mais le ton joueur et un faussement séducteur qu'ils employaient ne lui déplaisait pas, alors, elle continuait de rentrer dans le jeu. « Disons que je suis la CEO, et toi t'es mon CFO. C'est un peu classe, non ? » rit la jeune femme. Se penchant à nouveau sur le problème – conséquent – qu'était la panne de sa moto, il fallut encore quelques minutes pour qu'Aïnhoa réalise que c'était vraiment la merde. « C'est gentil, t'es pas obligé, t'sais. Enfin je dis ça poliment, mais clairement ça m'aiderait. » sourit la brunette. Elle se rendit malheureusement vite compte que c'était encore plus la merde que prévu. Après un bref interlude où elle put percevoir un petit coup de chaud dans son corps face au comportement d'Oskár - et s'en rabrouer mentalement – quand elle vit que l'heure avait tourné et que dans l'état actuel des choses, il était impossible qu'elle parvienne à avoir ce ferry avec sa moto. « Ouais. » pesta Aino' quand elle répondit à la question du garçon, confirmant que ce ferry sur le départ était bien le dernier, et que ça craignait. Elle tentait de ne pas paniquer, mais les options tournaient à toute vitesse dans sa tête. Laisser sa moto ici lui semblait impensable à l'heure actuelle. Passer la nuit sur l'île n'était certainement pas une option. Et puis elle devait encore récupérer Laël chez son amie. Responsablement, le meilleur choix était d'abandonner le bolide et de courir pour choper le bateau, mais elle n'était même pas sûre d'y parvenir, la distance était encore longue. Bon, il allait falloir au moins prévenir April. Mais pas maintenant, le temps pressait et peut-être qu'une solution miraculeuse se présenterait à elle. La jeune maman tournait en boucle des scénarios dans sa tête, tourbillon qu'Oskár arrêta heureusement en proposant encore une autre alternative. Aïnhoa en profita pour prendre une seconde pour respirer, alors qu'elle jouait nerveusement avec une de ses tresses. « C'est impossible, tu crois ? » demanda-t-elle, considérant sérieusement de faire passer sa moto à travers les bois, malgré son poids, se disant qu'ils pouvaient y arriver à deux, si le chemin n'était pas trop accidenté. Elle n'arrivait pas à se résoudre à laisser la rutilante Yamaha sur une île toute une nuit. « On peut peut-être essayer... » réfléchit-elle à haute voix, n'en démordant pas. Pour ce genre de choses, surtout sous tension, Aïnhoa pouvait se montrer obstinée.

La proposition alternative d'Aïnhoa te fit sourire. Tu hochas la tête avec un léger haussement d'épaules. « J'suis plutôt pas mal en finances, j'crois que ça peut le faire. » Lâchas-tu humblement. Si t'avais réussi à ouvrir ton école de voile c'est parce que tu maîtrisais quand même certains concepts. T'avais encore une dette auprès de ton institution bancaire, certes, mais tu t'étais négocié de bons taux et tu ne te sentais jamais pris à la gorge. Bon, t'étais aussi très travaillant, puisque tu bossais deux jobs pour t'assurer de garder la tête hors de l'eau et de ne manquer de rien. Pas assez travaillant cependant pour tout connaître des problèmes techniques de n'importe quel véhicule. Juste tes voiliers ; pas les motos. Tu ne pouvais donc pas aider davantage Aïnhoa qui se retrouvait face à un bris qui ne pouvait être réparé ici sans l'équipement nécessaire. Il lui faudrait rentrer à pied en poussant son bolide, alors évidemment tu lui offris ton aide. T'allais pas la laisser franchir toute cette distance seule. Tu ris à sa réponse. « J'me vois mal t'laisser dans cette merde. Ça sera plus facile à deux. » Malheureusement, même à deux, vous ne pourriez pas regagner le quai à temps. Le ferry, le dernier de la journée, aurait déjà quitté l'île. Le quai de l'autre côté de Holbourne, cependant, celui où était amarré ton voilier, ne risquait pas de disparaître. Tu proposas donc à Aïnhoa de pousser sa moto jusqu'à ton voilier, même si pour ça il faudrait reprendre le sentier duquel tu sortais, qui traversait la portion plus boisée de l'île. « Je crois que ça vaudrait quand même la peine d'essayer ... » T'aimais pas baisser les bras aussi facilement et puis, la slameuse avait-elle réellement d'autres options ? Qui sait ce qu'il adviendrait de sa Yahama si elle la laissait ici toute une nuit. Les employés de l'île partaient les derniers et revenaient les premiers. On ne pouvait compter sur la bonne foi de tous. « Allez, qu'est-ce qu'on a à perdre ? À part un peu d'énergie ... » Tu esquissas un sourire, avant de te positionner derrière la moto, prêt à pousser.

Alors qu'Oskár lui assurait en souriant qu'il n'allait pas la laisser seule dans cette situation effectivement bien merdique, elle esquissa un petit sourire de gratitude, bien que ponctué d'un soupir. Elle se rendit compte qu'avec tout ce temps passé à râler et à pester en retournant le problème dans tous les sens dans son esprit, elle n'avait même pas pris le temps de le remercier. Il aurait tout aussi bien pu déguerpir, comme lui aussi devait quitter l'île, lui dire que laisser la moto là était la seule solution, et basta. Mais non, il était resté. Et il proposait de lui prêter main forte dans une quête qui semblait vouée à l'échec, celle-ci étant de faire crapahuter le deux-roues dans la forêt. « Merci, vraiment. » ponctua-t-elle en plongeant un regard sincère et empreint de gratitude dans celui du tatoué. Il parvenait même à éteindre le feu courroucé qui guidait ses réactions, lui tirant un sourire avec les notes positives sur lesquelles il jouait. « C'est vrai. » concéda Aïnhoa, même si ça ne masquait pas totalement son désarroi face à la possibilité de devoir abandonner la Yamaha sur l'île cette nuit, pour en plus devoir venir la rechercher le lendemain. « Ok, let's give it a shot, then. » se motiva la jeune femme avec un regard entendu au plaisancier, déjà en position pour l'aider à faire rouler la moto, déchue de sa puissance. Ils entamèrent leur périple, le sentier plutôt facile d'accès au début, l'engin roulant sans trop de mal même si l'effort était conséquent, d'autant plus sur un chemin qui n'était pas plat ni lisse. « Ça va ? » demanda la brunette en jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule, les mains sur le guidon, alors que le terrain devenait plus escarpé. Elle commençait déjà à avoir chaud, dans sa combinaison de motarde pas vraiment adaptée à ce trek particulier. De grosses racines sortaient du sol par-ci par-là, ou une pierre imposante, et il devenait de plus en plus difficile de maintenir la Yamaha en équilibre, et de la faire avancer.

T'avais pas besoin de reconnaissance ou de gratitude pour ton geste, pour ton aide. Tu faisais juste ce que tu pensais que n'importe quel ami ferait dans les circonstances - si on pouvait considérer qu'Aïnhoa et toi étiez des amis, ce qui n'était pas tout à fait le cas dans les faits, mais bon. Même une étrangère, tu l'aurais pas laissée dans ce pétrin, alors encore moins cette fille que t'appréciais énormément et dont t'étais un fan secret (plus si secret que ça) depuis des mois. « It's no trouble. » Enfin, si, c'était un peu de trouble quand même. Pousser sa Yamaha à travers la forêt ne serait pas de tout repos. Mais c'était bien moins de trouble pour Aïnhoa que l'idée de rester coincée sur cette île toute la nuit, ou de regagner le ferry à la course en laissant son précieux engin derrière elle.  La slameuse accepta finalement de tenter le tout pour le tout, se positionnant à son tour de façon à pouvoir pousser la moto à travers le sentier. Elle tenait le guidon et toi tu poussais derrière la roue arrière. Ce n'était pas confortable et t'aurais probablement des courbatures demain matin, ton dos n'ayant plus vingt ans lui non plus, mais c'était endurable. Aïnhoa s'en assura après quelques minutes de poussée, regardant derrière son épaule. « Ça va ! » Lanças-tu un peu trop tôt, alors que le sentier devenait de plus en plus accidenté. Il vous fallait surmonter les roches et les racines, lorsqu'elles étaient impossibles à éviter en bifurquant, ce qui vous demandait encore plus de force. « Ok, finalement, ça va pas tant que ça. » Admis-tu, essoufflé. « On peut prendre une pause ? Autant j'ai eu l'impression que le sentier était rapide et facile à mon arrivée, autant là, j'en vois pas la fin. » T'eus un léger rire, pour détendre l'atmosphère même si vous saviez tous les deux que vous n'étiez pas sortis du bois. Littéralement.

Même si Oskár lui assurait qu’il n’y avait pas de quoi le remercier, il y avait certainement de quoi et ils purent en témoigner bien vite. Si au départ, la solution semblait réalisable, quand ils atteignirent la partie la moins aisée du chemin, ils finirent tous deux par s’épuiser plus qu’autre chose, tout ça pour gagner deux mètres. Si le garçon lui avait assuré quelques minutes plus tôt que tout allait bien, il revint sur ses mots, ce qui arrangea bien Aïnhoa, elle aussi à bout de souffle, mais obstinée, comme toujours. « Ouais non, carrément, une pause c’est bien. » acquiesça la brune en parvenant à caler la Yamaha de façon à ce qu’elle ne bascule pas au sol, avant de s’appuyer contre un tronc d’arbre, essuyant la pellicule de sueur couvrant son front. Elle enleva d’ailleurs bien vite sa veste de motarde, qu’elle posa sur le guidon, et aérant rapidement son top ample pour avoir un peu d’air. Top qui était déjà mouillé de sueur par endroits. Sexy, ça. Un petit sourire traversa le visage tacheté de la jeune femme, de toute façon, elle ne pouvait rien y faire. « Vraiment, j’suis désolée de t’avoir entraîné là-dedans. » lança Aino’, riant à moitié nerveusement, en prenant conscience qu’il y avait peu de chances que la situation débouche sur ce qu’elle espérait. Et elle s’en voulait de faire suer Oskár qui se proposait gentiment pour l’épauler, tout ça parce qu’elle était trop psychorigide que pour considérer laisser sa bécane ici le temps d’une nuit. Elle jeta un coup d’œil au terrain qui les attendait, et qui ne semblait pas aller en s’améliorant. Mais dans son esprit, il n’était toujours pas question d’abandonner. Elle sortit une gourde du coffre de la moto, la tendit au garçon. « On se réhydrate, puis ça devrait aller tout seul, non ? » s’enquit-elle, à moitié à la blague, plutôt pour avoir l’avis d’Oskár sur la question de continuer. Si ça ne tenait qu’à elle, elle se serait entêtée coûte que coûte, mais elle ne le connaissait pas suffisamment pour afficher ce trait de caractère sans la moindre gêne devant lui.