so happy to see you ☽ oskár

T’étais rentré le plus tard possible au quai, t’avais étiré le temps en mer, au large, dans ton voilier qui était depuis un bon moment ton safe space, le seul endroit où t’arrivais à fuir tes pensées. Sans le vent dans les voiles qui te poussait jusqu’à l’infini de l’océan, tu te noyais, Oskár. Tu te noyais dans l’amertume d’un amour perdu, d’un amour trahi, même après près de trois mois sans elle, sans Sahar. Autrefois, le Wojna’s aurait pu être l’un de ces endroits te permettant d’oublier, de t’oublier, le temps de récurer tous les chaudrons existants dans le restaurant. Malheureusement, chaque détail chaque coin de la rhumerie te ramenait à elle. Et à lui, lui qui l’avait désormais dans ses bras et dans son coeur. Parfois t’avait envie de tout lâcher et d’t’en aller, mais en faisant ça elle gagnait. Cette idée t’donnait envie de vomir. Soir après soir, tu continuais à t’pointer fidèle au poste, c’était plutôt eux deux qui se faisaient rares dans les parages. Tant mieux. T’aurais pas supporté de les voir se faire les yeux doux à chaque seconde s’écoulant sur l’horloge au-dessus de ta tête, au-dessus de l’évier. Ce soir encore tu t’approchais du Wojna’s, à deux ou trois minutes du début de ton quart de travail. Dehors, adossée au mur, Liviana s’allumait une cigarette. Elle parmi tous les autres, y était passée aussi. Par ton abandon. En tombant amoureux de Sahar t’aurais jamais imaginé que ça te coûterait autant d’amitiés, autant de relations. T’avais pas réalisé, sur le coup, que tu délaissais et que tu tournais le dos à plusieurs personnes qui auraient dû être les plus importantes. Tu grimaças légèrement, une moue de regrets envers toi-même, avant de t’approcher de Liviana. Après quelques secondes, se sentant sans doute observée, elle leva les yeux vers toi. « Bonsoir à toi aussi. » Lâchas-tu face à sa dureté. Tu pouvais pas trop lui en vouloir. Tu secouas la tête quand elle t’offrit une cigarette. « Merci, mais j’fume toujours pas. » Ça aurait pu être un des changements auquel elle n’avait pas pu assister puisque tu t’étais volontairement porté disparu, most of the time, pendant ton année d’amour avec Sahar. « J’dirais pas non à un verre de rhum refilé en douce avant le début de la soirée, par contre. » C’était ce que vous faisiez avant, avant que tu te comportes comme une merde, avant que tu te refermes sur ta relation amoureuse en oubliant un peu tout le reste.

T’avais été un peu con pour le coup, Oskár, à t’attendre à ce que Liviana soit cool avec toi. C’est à peine si tu lui avais adressé la parole dans les derniers mois, d’abord parce que quand tu rentrais au Wojna’s il n’existait plus personne que Sahar, et ensuite, après votre rupture, parce que t’avais eu trop mal pour daigner parler à qui que ce soit. Comme Liviana et toi aviez été plutôt proches avant que tu tombes amoureux, il était normal que ça lui reste en travers de la gorge, cet abandon, cette prise de distance. Tu te sentais bien petit, maintenant que t’en prenais conscience. Too little too late. « T’as raison. » T’aurais pu t’barrer de la ville t’aurais pu crever que Liviana n’en aurait rien su. Tu t’étais bien arrangé pour t’isoler à ce point-là, te refermant sur une relation toxique, malsaine. T’en payais le prix aujourd’hui. Ça avait été bête de croire que tout pourrait redevenir comme avant avec Liviana, sans excuse sans pardon. Ça ne fonctionnait pas comme ça, la vie. T’aurais dû le savoir. Toi-même t’avais pas pardonné aussi facilement à Tiffany, par exemple, quand elle avait fichu le camp de ta vie sans prévenir. T’avais fait la même chose à la barmaid, et à bien d’autres. Tu soupiras discrètement en l’écoutant, baissant les yeux vers son mégot de cigarette écrasé lorsqu’elle releva le pied. « J’sais pas, à quoi j’m’attendais, Liv’. » Lâchas-tu en haussant les épaules. « J’ai perdu tous mes repères, ok ? Pour moi t’en étais un, avant, avant que j’fasse le con, alors … j’pense que … j’avais juste besoin de retrouver ça. Un repère. De te retrouver toi. » Admis-tu. « Je sais que c’est égoïste, après avoir agi comme ça avec toi dans la dernière année. Je sais pas comment revenir en arrière, I guess. » Tu ne le pouvais pas, Oskár. Personne ne le pouvait. Sinon, ce serait trop facile, la vie.