#17 just say yes (pecho)

Depuis les dix ans qu’il habite à Bowen, Perry a toujours vécu à l’appartement 17. Il l’a acheté en arrivant parce qu’en temps que gosse de riche ça ne lui ait même pas venu à l’idée de louer quelque chose. Après tout vu son compte en banque ça ne fait pas grande différence à ses yeux. Ce n’est pas non plus comme si l’appartement lui avait coûté très cher, Bowen est une ville assez bon marché et l’appartement n’est pas non plus d’un luxe indécent, il est assez basique mais fonctionnel et relativement neuf. Il n’en a pas fallu plus au jeune homme qu’il était à l’époque. Enfin, il a bien hésité avec une énorme villa avec piscine et jardin en bord de plage mais ça lui aurait trop rappelé chez lui, au Texas, l’océan en plus. Il ne s’imagine plus vivre ailleurs, si bien qu’avec l’arrivée d’enfants toujours plus nombreux, l’appartement a fusionné avec celui d’à côté pour donner une coloc gigantesque plus proche d’une colonie de vacances. Alors quand il a senti qu’une brèche s’ouvrait chez Freja pour peut-être la convaincre de revenir vivre avec eux, il n’a pas hésité une seule seconde et a foncé, faisant tout pour la convaincre de revenir habiter avec eux. Gracelyn ayant déménagée, une place est libre. Même si ça n’avait pas été le cas, lorsque Freja a emménagé avec eux, elle s’est retrouvée dans ce qui était à l’époque un bureau débarras qu’elle a dû aménager en chambre, mettant à contribution ses talents de designeuse. Si Perry ne se fait pas trop de soucis pour convaincre Tahlia, en revanche la tâche sera peut-être un peu plus compliquée avec Concho, rapport au fait qu’ils ont été en couple. Le jeune homme regarde une série sur le canapé, après sa journée de travail, attendant que son ami ne rentre. Il ne compte pas perdre une seconde pour lui en parler, la subtilité et la patience n’étant pas franchement dans ses qualités. A peine entend il la porte s’ouvrir et voit il le début du corps de son coloc entrer et qu’il lance « Conchoooo, faut qu’on parle d’un truc ! »

En revenant à Bowen il y a sept ans, j’avais été confronté à la vie d’adulte dans ma ville d’enfance. Évidemment, à Melbourne, j’avais dû gérer la location d’appartement, le premier achat d’une voiture, l’ouverture du compte de crédit, tout ça je l’avais vécu déjà, je la vivais déjà, la vie d’adulte. Mais pas à Bowen, pas dans cette ville qui m’avait vu grandir mais qui surtout, m’avait vu souffrir. Heureusement que les années suivant mon retour avaient été, pour la plupart, merveilleuses. Et Perry Peach avait un grand rôle à jouer là-dedans. C’est chez lui que j’avais débarqué, après avoir vu une annonce qui m’avait fait mourir de rire. Le courant avait passé, direct. Cet appartement allait devenir mythique. Bien plus qu’un numéro, le 17 renfermait des souvenirs à la pelleté. Bon nombre de colocataires avaient défilé dans ses couloirs et dans ses chambres. Perry et moi on restait là, comme deux gamins incapables de passer à autre chose. Et d’autres revenaient comme on revient toujours à la maison, finalement. Tahlia, par exemple, avait souvent voulu partir et pourtant, elle était de retour avec nous encore une fois, pour le plus grand bonheur de Perry, et de moi évidemment. Enfin, ça faisait plusieurs mois de ça, quand même, on avait eu le temps de se remettre de l’euphorie. Bref, cet appartement n’était pas encore prêt de me perdre, et même si ma relation avec Pippa était encore bien stable et sur une belle lancée plus que positive depuis février, elle connaissait très bien mon attachement au #17. Elle savait qu’on m’en sortirait difficilement. Et puis, il était trop tôt pour penser à ça de toute façon. Je venais de terminer ma journée de travail et c’est avec bonheur que je retrouvais le chiffre légendaire sur la porte que j’ouvris, entendant tout de suite la télévision qui jouait au salon. Je l’aperçus, Perry, étendu sur le canapé, en même temps que je l’entendis m’appeler. « Tu m’laisses enlever mes chaussures et refermer la porte, ou pas ? » Demandais-je avec un sourire. Après avoir fait ces deux choses, je le rejoignis au salon, m’asseyant à côté de lui. « Qu’est-ce qui se passe ? J’l’ai pas vue cette série alors j’peux pas te l’expliquer, si t’as rien compris. »

Depuis sa conversation avec Freja, Perry n’attend qu’une seule chose : la fin de la journée pour pouvoir parler à son coloc de cette idée. Il faudra bien sûr en parler aux autres également mais c’est avec Concho que les choses risquent d’être le plus compliqué. N’y allant pas par quatre chemins, il l’interpelle à peine la porte ouverte. « Oui, tu as trente secondes. » lui répondit-il en souriant. Il n’a pas fallu beaucoup plus que ça pour que le jeune homme se retrouve assis à côté de son meilleur ami. « Mais non j’comprends ! Genre eux ils sont frère et sœur je crois. » dit-il en montrant les deux personnages à l’écran. Son pronostic se révèle immédiatement faux puisque les deux protagonistes s’approchent l’un de l’autre pour s’embrasser. « Bon en fait c’est p’t’être pas eux. » Heureusement qu’il a souvent quelqu’un a côté de lui pour lui expliquer tout ce qu’il ne comprend pas. Il n’arrive pas à retenir plus de quatre personnages pourtant il connaît et comprend parfaitement la timeline marvel avec ces dizaines de personnages, d’univers et de retournements de situation. « De toute façon c’est pas de ça que j’voulais te parler. » Il n’a pas envie d’attendre plus longtemps. « J’ai parlé à Frej’ tout à l’heure et...j’l’ai plus ou moins convaincu de revenir vivre ici avec nous, vu qu’on a de la place. Mais bon, elle m’a dit de d’abord voir avec toi ce que t’en pensais. » Pour un type qui n’a globalement jamais connu l’amour, à part tout récemment et encore, il a plutôt du mal à comprendre ce qui pourrait les empêcher de vivre tous les deux. Ok, ils sont sortis ensemble et alors ? Aujourd’hui Concho est avec Pippa et Freja elle semble vivre sa vie avec d’autres gens, notamment le type qu’elle a rencontré en Espagne.

Ça va, refermer la porte et retirer mes chaussures en trente secondes, c’était encore un défi que je pouvais relever. Surtout que j’étais encore un gamin à ne pas détacher mes lacets avant de retirer mes souliers. Je sais, je sais, ce n’était pas bon pour le soulier. Mais c’était plus rapide ! Je rejoignis Perry au salon en prenant place à côté de lui. Je tournai la tête vers l’écran quand il m’expliqua que personnage 1 et personnage 2 étaient frère et sœur, juste avant qu’ils s’embrassent. Je fronçai les sourcils. « Mais qu’est-ce que tu regardes là !? » M’exclamais-je avant que Perry ne conclue que finalement, ce n’était peut-être pas eux qui étaient de la même fratrie. Je secouai la tête avec un sourire exaspéré. « Il faut t’en tenir aux téléréalités. » Me moquais-je avant de croiser les bras en me laissant choir plus profondément dans le canapé. « C’était de quoi ? » Demandais-je, curieux de savoir ce qui était si pressant que ça comme sujet de conversation. Ce pouvait autant être le choix de take-out de ce soir que les motifs de ses prochains caleçons. Non, c’était pas ça. « Oh. » Dis-je d’abord, pas trop certain de savoir comment me sentir par rapport à ça. Freja avait été très importante pour moi. Enfin, elle l’était encore, totalement. Mais au plan amoureux, elle m’avait énormément marqué, aussi. Nous arrivions à être amis, elle et moi, mais de là à vivre ensemble à nouveau ? À nous voir fréquenter d’autres personnes h24 ? « Elle sait que Pippa passe quand même pas mal de temps ici avec nous ? » Puisqu’elle s’entendait bien avec tout le monde dans la colocation, elle était souvent invitée à nos trucs, sauf quand c’était vraiment réservé aux colocs du #17. « J’voudrais juste pas que ça crée tout plein de malaises tout le temps … » Expliquais-je, continuant à réfléchir à voix haute.

Les soaps ce n’est clairement pas pour Perry, trop de personnages et d’histoire à suivre. Il lui faut des trucs simples ou une personne patiente pour tout lui expliquer toutes les cinq minutes. En général Concho accepte cette mission pour les émissions de télé-réalité qu’ils regardent tous les deux. Celui-ci lui conseilla d’ailleurs de s’en tenir à ce genre. « J’veux bien mais sur Netflix on a fini too hot to handle, love is blind et the circle game. Je fais quoi moi maintenant, je regarde selling sunset ? » C’est probablement ce qu’il fera une fois qu’il aura terminé tous les épisodes de queer eye et drag race. Entre ça et les dessins animés Netflix doit se poser de sérieuses questions sur le type de personne qui se cache derrière son profil. Trop impatient de parler de son projet pour la coloc avec Concho, le sujet est vite relégué au second plan. Il n’a aucune idée de comment le jeune homme prendra la nouvelle. Enfin rien n’est acté, il attend évidemment l’avis des personnes vivants avec lui mais il a bien envie qu’il dise oui. Comme il n’y connaît pas grand-chose à l’amour, à en voir sa gestion de sa relation avec Jackson, il ne sait pas vraiment ce que peut ressentir son meilleur ami à l’idée de vivre à nouveau avec Freja qui entre temps est devenue son ex. A voir la question qu’il lui pose, Perry se dit que ça ne doit pas forcément lui poser de problèmes à lui étant donné qu’il s’inquiète davantage pour la jeune femme et le fait que Pippa, la copine de Concho passe du temps à l’appartement avec eux. « Well...j’ai pas tant parlé de Pippa. Enfin, pas en disant qu’elle était souvent là quoi. Mais bon Frej’ voit aussi des gens donc j’me dis que ça devrait pas tant la déranger que ta copine vienne de temps en temps. » Il ne faut jamais s’imaginer que Perry puisse y comprendre quelque chose à l’amour.

Les soaps c’était surtout beaucoup trop exagéré. Les twists à chaque fin d’épisode, c’était à se demander comment autant de drames pouvaient arriver à si peu de personnes. Puis, je me rappelais qu’à Bowen on aurait parfois dit une série télévisée, et je me disais que vraiment, au fond, tout était possible. C’est peut-être ce que je n’aimais pas des soaps, en fait, ça me rendait parano parce que je me demandais quand est-ce que le ciel me tomberait sur la tête de cette façon-là. « Ça te ferait peut-être rêver au point où t’achèterais une super villa au bord de la mer, qu’on pourrait tous habiter. » Dis-je, même si au fond, ces maisons-là étaient certes très belles, mais trop grandes, trop vides. Je préférais l’espace qu’on avait ici au #17, parce qu’on le remplissait, l’espace. L’appartement était toujours plein de vie. Chaleureux. Habité. Je ne voudrais pas échanger ça pour une villa avec cinquante pièces inutiles. Quoique … avoir ma propre salle de bains, ça, ce serait chouette. Et puis, avec la proposition que me fit ensuite Perry, l’idée d’une villa avec tellement de pièces qu’on peut facilement éviter quelqu’un d’autre, ça me sembla plutôt invitant. Il me parlait du retour de Freja. Évidemment, ce ne serait pas elle que je voudrais éviter … enfin, pas vraiment. J’adorais Freja, nous avions peut-être eu une triste fin de relation, j’avais peut-être encore le goût amer qu’elle ait en quelque sorte choisi Woody Rutkowski plutôt que moi, mais je l’adorais quand même. Elle était avant tout une amie, une des plus proches que j’avais. Mais je passais énormément de temps avec Pippa, et je ne voulais pas créer de malaises, et puis si elle en venait à ramener des gens à la maison, comment moi je me sentirais ? Je ne le savais pas. Peut-être valait-il mieux que je ne le sache pas. « C’est pas parce qu’on voit des gens, chacun de notre côté, qu’on a forcément envie de se le mettre en pleine face à tous les matins, quoi … » Pensais-je à voix haute. Je fixai le vide un moment. « Est-ce que c’est le genre de situation où en fait tu as déjà dit oui à Freja et que tu m’en parles juste pour faire joli mais qu’en fait j’ai pas le choix de dire oui vu que c’est déjà fait ? » Parce qu’en plus de vouloir y réfléchir, vouloir en parler à Freja, je voulais également en parler à Pippa, parce que soyons honnêtes, ce n’était sans doute pas génial pour elle non plus, de savoir que je serais à nouveau colocataire avec mon ex.

Au final s’il plaisantait sur l’émission Selling Sunset, il serait bien capable de la regarder parce qu’il n’est pas si exigent en matière de programmes. Il y a bien des émissions sur des types qui construisent des piscines et il trouve ça passionnant quand il tombe dessus par hasard. Ou bien les concours de bûcheronnage sportif, bizarrement il est comme hypnotisé quand il zappe dessus alors qu’il n’a jamais utilisé une hache ou une tronçonneuse de sa vie. Ça serait plutôt dangereux de lui laisser ça entre les mains de toute façon. « On pourrait avoir une piscine, ça serait cool ! » Il y a déjà pensé, à transférer leur coloc du 17 dans une maison, un endroit plus grand où chacun aurait son espace. Mais il est bien trop attaché à cet appartement, à ce lieu qu’il a préféré agrandir plutôt que de le quitter quand la place venait à manquer. Un endroit un peu plus stylé, avec plus de salle de bain, un jardin, une piscine, ça pourrait être génial, que ce soit pour eux ou pour les enfants qui pourraient s’amuser dehors. Et avoir la plage à quelques mètres, le rêve. Mais en attendant de penser à ce projet lointain, il pensait à celui, plus proche, du possible ré-emménagement de Freja. Même si Perry est un bon ami, qui sait écouter et blaguer quand il faut, quand il ne faut pas aussi, il a bien du mal à imaginer ce que son meilleur ami et son ex peuvent ressentir l’un pour l’autre. Heureusement Concho sait qu’il a toujours du mal à comprendre ce qui concerne l’amour et lui dit les choses plus tôt franchement. Le jeune homme lui répond d’un hochement de tête. « Non ! » lâche-t-il outré ensuite quand son meilleur ami prétend qu’il a déjà pris la décision sans lui. En réalité ça aurait été bien son genre de faire ça, se disant que ça ne poserait pas de problèmes que Freja revienne et que tout était cool. Il a tendance à prendre des décisions sans trop réfléchir, réfléchir après, s’en vouloir. Mais la jeune femme lui a bien demandé d’avoir l’avis de Concho avant de faire quoi que ce soit. « Je sais que j’peux faire ça. Mais ton avis compte vraiment ! Depuis que t’es là on a toujours choisi les nouveaux à deux, enfin à part quand j’étais pas là et que vous m’avez lâchement remplacé, mais bon. » Il ne leur en voulait pas pour ça mais il aimait bien toujours leur rappeler que du temps où il était retourné aux États-Unis pour être auprès de sa mère malade, sa chambre avait été loué à un autre, il avait donné son accord pour. « Si tu le sens pas on le fait pas. Mais avec Tahlia qui est revenue avec nous, ça me manque de plus avoir Frej’ aussi. »

L’idée de la piscine franchement ce serait assez cool. Certes, on avait la mer jamais trop loin à Bowen, mais de pouvoir aller se rafraîchir juste avant d’aller dormir, ou de pouvoir bien se réveiller le matin en plongeant tête première, c’était plutôt séduisant comme idée. Et les pool party qui changeraient toute la game de nos soirées entre colocs ! Et les enfants, aussi, adoreraient ça. Plus besoin d’aller bien loin pour jouer dans l’eau. Je regardai cependant autour de nous. « Ah ouais et tu mettrais ça où ? » Parce que parfois Perry et moi on avait des idées qui paraissaient bien chouettes dans nos têtes mais une fois qu’on voulait les mettre à exécution, ce n’était pas toujours possible. On était deux rêveurs, quoi. Il y avait toujours la possibilité de déménager, oui, mais comme dit précédemment, cet appartement, le #17, avait quelque chose de bien spécial, une signification dans nos cœurs. Partir d’ici ne serait pas facile, même si on partait tous ensemble. Même en partant au compte-goutte les gens avaient tendance à revenir. Ça avait été le cas de Perry. Ça avait été le cas de Tahlia. Et j’apprenais maintenant que ce serait probablement le cas de Freja. Cette idée me mettait un peu mal à l’aise, vite comme ça, c’est sûr. J’avais une histoire pas si lointaine que ça avec elle, même si elle était mon amie avant tout, on avait quand même vécu une magnifique histoire d’amour qui ne s’était pas terminée aussi joliment que ça. Il n’y avait aucune rancune, aucune colère, ni de mon côté ni du sien je pense, mais quand même. Il y avait eu des sentiments, et ça ne faisait que rarement bon ménage avec colocation. « Lâchement remplacé ? Bro’ on ne savait même pas si tu reviendrais un jour ! » Me défendis-je au nom de tous les colocataires de cette époque. Heureusement que Perry était revenu. Je me serais retrouvé pas mal tout seul à un moment, sinon. « Ça me manque aussi la présence de Frej’, c’pas ça … » Je ne voulais juste pas me précipiter dans une situation qui me mettrait peut-être dans de beaux draps. « Tu me laisses en parler à Pippa avant ? Et j’aimerais en parler à Freja aussi, juste elle et moi. » Je pouvais quand même prendre une journée ou deux pour réfléchir à ça, le monde ne cesserait pas de tourner.

D’un côté Perry s’imaginait allongé au bord de la piscine en train de bronzer tranquillement, faisant quelques plongeons de temps en temps pour se rafraîchir avant d’aller se préparer un bon mojito à siroter pour l’apéro autour de la piscine avec ses colocataires, mais d’un autre, il ne s’imaginait absolument pas quitter sa chambre à l’appartement, cet endroit si familier et si réconfortant. « Faudrait qu’on déménage. » répondit-il, concluant sur la question en même temps. Ils en ont déjà parlé plusieurs fois de cette idée d’aller ailleurs mais ils en revenaient toujours à la conclusion que chez eux c’est dans cet appartement et nulle part ailleurs. Perry a vécu trop de choses ici pour réussir à envisager de le quitter pour gagner une piscine et un jardin. Tel l’enfant capricieux qu’il est, il reprocha sur le ton de la rigolade à Concho et aux autres de l’avoir remplacé au moment où il est reparti aux États-Unis pour être auprès de sa mère. « Oui ben vous auriez dû garder la chambre comme un temple à ma mémoire. » Le jeune homme n’est pas franchement connu pour sa modestie, même s’il disait ça sur le ton de la rigolade, ça aurait pu être quelque chose qu’il apprécierait. Même si formulé comme ça, cela ressemblerait davantage à un mémorial pour une personne décédée. Mais la question principale de cette discussion restait le retour de Freja à l’appartement, avec eux, comme avant, sauf que les choses ont un peu changé par rapport à avant. « Alors en fait ça va pas être possible parce que d’après ton contrat tu dois répondre dans les deux minutes à une proposition de colocation sinon par défaut la décision revient au propriétaire. Sorry bro’. » Répondit-il en tentant de garder son sérieux, ce qui ne dura pas longtemps puisqu’il ajouta en riant « Bien sûr parle-en à Pippa et à Freja. Elle est pas à la rue on a le temps. C’est juste que bon tu m’connais, j’suis pas un gars patient. »

Je tournai la tête vers Perry quand il affirma qu’il faudrait déménager, pour concrétiser cette idée de piscine. Je ne fis que le dévisager, longuement, mon corps complètement immobile comme renfoncé dans le canapé, avant de lâcher un : « Non. » qui laissait peu de place à la discussion. De toute façon nous étions sur la même longueur d’ondes, lui et moi, par rapport à ça. Nous aimions tellement le #17 et tous les secrets et les souvenirs que ses murs renfermaient. Il était hors de question que d’autres personnes que nous y vivent. Et à notre mort la mairie en ferait un musée commémoratif. Comme quoi, j’avais un peu de Perry en moi, puisque lui ajouta qu’à son départ de la colocation on aurait dû ériger un temple à sa mémoire, dans son ancienne chambre laissée vide. À la place on avait décidé de prendre un autre colocataire, je ne me souvenais même plus qui exactement l’avait remplacé, est-ce que c’était Florian ? Il y avait eu tellement de vas-et-viens, à une période, mes souvenirs s’emmêlaient. « J’en aurais fait une salle d’entraînement maison avant d’en faire un temple pour toi. » Déclarais-je sans scrupule. Pouvoir économiser un peu en me passant de mon abonnement au complexe sportif, c’aurait été bien, ouais ! Mais toutes ces idées-là, la piscine, le gym, ça demandait une grosse maison. Surtout que si Freja revenait et récupérait la pièce libre, on ne pouvait donc rien imaginer pour l’endroit vacant. Bon, je préférais quand même que Freja revienne plutôt que d’avoir une pièce pour m’entraîner. Même si ça créerait peut-être quelques malaises au début. « En vrai, je devrais tellement le lire, notre bail. Si ça se trouve tu m’as vraiment fait signer n’importe quoi parce que je prends jamais le temps de lire les petits caractères. » J’hochai la tête quand il me laissa au moins le temps d’en parler à Freja et à Pippa. « T’inquiètes je vais leur en parler aujourd’hui ou demain. Je te tiendrai au courant. » Je me disais que ça irait, d’un côté comme de l’autre, je ne pensais pas Pippa jalouse et pour ce qui est de Freja, il faudrait bien qu’on tourne complètement la page un jour.

Le 17 c’est leur royaume, leur maison, le lieu où ils se retrouvent et où ils se sentent bien. L’appartement n’est pas parfait même s’il est maintenu à neuf par les moyens de Perry qui n’hésite pas à faire venir quelqu’un au moindre problème. Il a tendance à laisser traîner les choses par flemme mais comme il ne fait rien lui-même, il lui suffit d’un coup de fil pour qu’un professionnel ne vienne. Avec la fusion des deux appartements, ils en ont aussi profité pour refaire les autres pièces qui en avaient besoin, histoire de tout faire en même temps. « Je préfère la salle d’entraînement, si tu mets une caméra pour que je puisse regarder tes exercices...histoire de te donner des conseils. » dit-il avec un sourire faussement innocent aux lèvres. Heureusement depuis le temps Concho est habitué aux sous-entendus de son meilleur ami. Ces derniers temps il s’est un peu calmé, un peu trop occupé à penser à Jackson pour venir taquiner son colocataire. Le jeune homme blagua ensuite sur de fausses règles du bail signé il y a plusieurs années, comme s’il y avait glissé quelques clauses un peu moins classiques. « Franchement j’ai pas le courage de rédiger un truc aussi chiant. Et j’aurais pu demander à un expert d’ajouter des trucs à la con dedans mais quand j’suis arrivé, j’avais clairement autre chose en tête que le contrat pour les locataires. » Il a fait confiance à l’avocat de la famille qui lui a donné un contrat classique avec des clauses classiques dedans. « Mais ouais faudrait qu’on le lise parce que j’ai aucune idée de ce qu’il y a dedans non plus. » ajouta-t-il en haussant les épaules. De toute façon le contrat n’est là que pour faire jolie parce que Perry n’est pas un propriétaire exigent, il a suffisamment d’argent pour ne pas être regardant sur le loyer reçu. « Merciii ! » dit-il tout content en souriant. Il sait que ce n’est pas gagné mais Freja avait l’air plutôt pas mal partante et Pippa est une fille cool même s’il a aucune idée de comment elle pourrait réagir face à ça. « Heureusement que t’es pas avec une copine ultra jalouse sinon c’est clair que ça l’aurait pas fait ! P’t’être même que juste avec Tahlia dans la coloc, elle aurait pas été d’accord. » Même s’il n’y a (presque) rien eu entre eux, il imagine bien la fausse copine imaginaire de Concho pas accepter qu’il vive avec une autre femme. Au final il y a bien que Concho et Perry qui n'ont pas couché ensemble dans cette coloc, et Tahlia et Freja peut-être.

Je pouffai de rire, avec un peu d’exagération pour bien montrer à Perry à quel point je trouvais cette tentative d’argumentaire très ridicule – et lui aussi sans doute. Si j’avais besoin de conseils sur mes entraînements, ce ne serait clairement pas vers Perry que je me tournerais. Je connaissais évidemment la véritable raison derrière cette proposition d’installer des caméras : se rincer l’œil. Je pense que de toute façon, au ton de voix employé par mon colocataire et au sourire qu’il arborait fièrement, n’importe qui aurait compris. Et puis, ce n’était plus vraiment un secret qu’il aurait aimé m’avoir dans son lit au moins pour une nuit. « Ça ira. » Avais-je conclu, trouble-fête, malgré un petit sourire aux lèvres. Si les remarques de Perry m’avaient réellement dérangé, depuis le temps, j’aurais trouvé le moyen de lui en parler. Quoique je n’avais jamais pris le temps de parler de notre bail depuis le temps qu’on vivait ensemble … parce que je m’en foutais, de ça aussi, en fait. Perry n’était pas vraiment un locateur chiant, il n’était pas un locateur du tout, en fait. On aurait très bien pu, tous, ne pas lui payer de loyer et il n’aurait sûrement pas dit grand-chose. Peu importe ce qui était écrit dans ce bail, les clauses légales de base ou rédigées par l’avocat des Peach, le Youtubeur ne les respecterait même pas lui-même. « C’est une occasion manquée d’y avoir inséré un truc dans le genre : tous les locataires doivent accepter de coucher avec le locateur au moins une fois. » Je fronçai les sourcils. « C’est un peu dégueulasse comme clause. » La blague passerait mieux parce que c’était Perry et que tout le monde avait un peu l’habitude, mais quand même, en le disant à voix haute ce n’était pas joli à entendre. Bref, je conclus de parler du retour de Freja à Pippa ainsi qu’à la principale concernée, et d’en donner des nouvelles à Perry aussitôt fait. « Ouais, ben, j’crois pas que Pippa sache pour Tahlia et moi donc ça n’a évidemment pas posé problème. » Admis-je. Je n’y avais même pas pensé, en fait, à ce détail-là. Tahlia et moi ça remontait et, surtout, ça n’avait pas trop changé notre amitié. « Mais comme tu dis Pip’s est pas jalouse. » Me rassurais-je.

Perry fit une moue faussement boudeuse quand Concho rejeta l’idée d’une caméra dans l’hypothétique salle d’entraînement qu’il aurait pu avoir si le jeune homme n’était pas revenu vivre avec eux. Il est habitué au rejet avec son meilleur ami, qui de son côté accepte de recevoir des avances faussement dissimulées. Malgré ça il évoqua l’idée qu’il y aurait pu avoir dans leur bail une clause les obligeant à coucher avec le propriétaire des lieux. C’est certain qu’il aurait pu mettre ça pour la blague, juste pour faire rire ses amis mais à aucun moment l’avocat n’aurait accepté, cela ne doit même pas être légal d’ailleurs, heureusement ! « J’ai pas besoin de ça pour qu’ils acceptent de coucher avec moi, mon charme suffit...enfin en général. » dit-il en le regardant. « Et si je l’avais mis juste pour toi j’suis sûr que t’aurais même pas accepté un petit bisou de rien du tout. » Il n’a pas couché avec tous ses colocs ou anciens colocs, heureusement parce que dans le lot il y a quand même sa sœur, mais il y en a plusieurs avec lesquels il s’est passé quelque chose. Ruby, une nuit et qui a abouti à l’existence de Luke, Freja, plusieurs fois parce que les connaissant tous les deux il est impossible de les imaginer n’avoir jamais rien fait et Tahlia, une fois histoire qu’elle oublie un peu son ex. On pourrait renommer le 17 la coloc du sexe vu toutes les histoires de fesses qu’il y a pu y avoir ! « J’pense qu’à sa place j’serai jaloux. » Parce que c’est un gars jaloux Perry, même s’il essaie de refouler tout ça loin dans sa tête, comme toutes les choses qui le tracassent. « Mais heureusement on est avec des gens pas franchement jaloux ! » Parce que Jackson lui, il s’en fiche des commentaires qu’il peut faire à Freja sur son insta ou aux autres. De toute façon un Perry qui ne fait pas des sous-entendus à moitié de ses phrases ce n’est pas vraiment Perry.

« Un petit bisou sur la joue, ça passe. » Concédais-je même si ce n’était probablement pas le genre de bisou auquel Perry pensait. S’il est vrai qu’il n’avait sûrement pas eu trop de mal à mettre Tahlia ou Freja dans son lit – enfin, je n’étais point là, mais je m’en doutais -, il s’avérait plutôt impossible pour mon colocataire d’arriver aux mêmes fins avec moi. Je n’étais pas du tout intéressé, pas que parce que c’était Perry, mais parce que c’était un gars, et bien franchement je n’avais jamais eu de doute sur mon orientation sexuelle. Rien que le fait de m’imaginer l’embrasser ou le toucher, comment dire … ça me faisait tout bizarre. Je ne m’imaginais tout simplement pas faire ça avec un homme. Ce n’était pas moi. Perry pourrait donc essayer autant qu’il le voulait, même une clause illégale ne m’aurait pas fait changer d’avis. Mon ami me lança finalement qu’à la place de Pippa, il aurait sûrement été jaloux de la présence de Tahlia dans la colocation, sachant qu’on avait couché ensemble. Mais ça, Pips ne le savait pas. La réflexion de Perry ne contribuait pas à me mettre en paix par rapport à cette omission. « Ah ouais ? Mais pourquoi ? C’est pas comme s’il y avait encore un truc entre elle et moi … C’était juste une fois. » Une fois très intense et assez excitante, oui, mais juste une fois. Nous n’étions jamais vraiment revenus dessus, en plus. Pas que c’était tabou, non, c’était juste … le passé. « Tu dis on est avec des gens mais en fait toi t’as jamais vraiment annoncé quoi que ce soit à qui que ce soit … j’dois en comprendre que c’est vraiment officiel, là, entre Jackson et toi ? » Demandais-je. Il avait presque fallu que je devine qu’il s’agissait de lui, mais ce n’était pas une devinette bien compliquée, ces deux-là passaient énormément de temps ensemble. Cependant, je ne le savais que parce que j’étais son colocataire et que, forcément, j’étais un peu au courant de tous ses faits et gestes. De mon côté, Pippa était souvent invitée à nos soirées de colocataires, en tant que ma petite amie. On ne pouvait pas en dire autant de la fréquentation de Perry.

Même si Perry joue les forceurs, essentiellement parce que ça le fait rire, il ne se fait aucune illusion et sait très bien qu’il ne se passera jamais rien. Il en a fait des soirées où ils ont fini bourrés avec Concho et même à ce moment-là ils n’ont pas échangé un baiser, autre que sur la joue bien sûr. Peut-être que si son ami avait été attiré par les hommes leur histoire aurait été différente et ils auraient peut-être fini par former un vrai couple, enfin ça c’est toujours compliqué pour Perry qui n’arrive pas franchement à envisager les choses avec qui ce soit, en tout cas pas de manière si formelle. « J’espère bien quand même ! Ça serait quand même franchement limite que tu veuilles même pas me faire un bisou sur la joue parce que j’suis bi. » Il y a tout de même une différence entre embrasser quelqu’un et lui faire un bisou sur la joue. Et il y en a une aussi entre faire un bisou à sa coloc et coucher avec. Perry, qui ne plaide pas franchement en sa faveur, révèle à son coloc qu’à la place de Pippa, il serait sans doute jaloux. Mais il n’est pas la copine de Concho alors tout va bien. Celui-ci le questionne malgré tout, ne comprenant pas vraiment pourquoi il le serait pour une histoire d’une nuit. « J’sais pas...j’crois j’suis juste un gars jaloux. » répond-il en haussant les épaules. Il n’a jamais poussé l’analyse bien loin. Et puis il n’a pas beaucoup eu l’occasion non plus, il a été jaloux des autres fréquentations d’Aisling du temps où ils étaient ensemble et il a fini par rompre, sa jalousie n’étant pas étrangère à tout ça, et maintenant, avec Jackson, il rejette le sujet loin dans sa tête et n’en parle pas. Il préfère ne rien savoir, ne pas se demander s’ils sont exclusifs, fidèles et tous ces trucs de couple classique. Il sait tout de même qu’il est jaloux de Charlie parce qu’il sait plus ou moins ce qu’il y a eu, ou a encore, entre eux et vu qu’ils vivent ensemble, ça n’aide pas. Perry évoque d’ailleurs, à demi-mot, son petit-copain qu’il n’a jamais présenté comme tel à qui que ce soit, malgré les mois. « J’allais pas faire une grande annonce non plus ! » se défend-il avant d’ajouter « Mais oui...on est ensemble, i guess. C’est juste que...j’ai juste envie qu’il y ait que nous deux pour l’instant tu vois ? Fin j’sais pas, j’ai pas eu vingt-huit copines comme toi. » Il lui sourit pour tenter de désamorcer les choses parce qu’il n’est jamais à l’aise avec le sujet. Pour lui c’est normal que Pippa passe du temps avec eux, ça fait si longtemps qu’elle connaît Concho et des années qu’elle est aussi amie avec Perry. Mais pour Jackson, il a bien du mal à envisager que ces deux sphères de sa vie se rencontrent.