Coffee time [Noma]

Noam haussa les épaules quand elle lui dit ne pas savoir d'où sa passion pour la marche lui venait. Il se contenta d'un petit sourire.

-Je crois qu'il n'y a pas besoin de raison pour être passionné par quelque chose. Ca résonne juste comme une évidence en nous.

Ca faisait écho. Pourquoi, comment. N'était-ce pas des questions futiles ? On aimait quelque chose parce qu'on l'aimait point. Comme quand on aimait quelqu'un. Trouve-t-on facilement une réponse quand on se demande pourquoi on aime son conjoint, ou sa conjointe ? Le feeling ne s'explique pas. Et pourtant, Noam était bien placé pour expliquer tout un tas de mécanismes biologiques, hormonaux, neurologiques etc. Mais il ne le faisait pas, parce qu'à son sens, les êtres vivants devaient garder un peu de magie. Ils n'étaient pas que des corps et des cerveaux.

Il rit quand elle lui dit qu'elle pourrait s'en sortir si elle n'était abandonnée qu'à quelques kilomètres de là.

-Je ne vais pas essayer !

Quelle horreur, de faire subir ça à quelqu'un. Il avait également du mal à comprendre ceux qui se l'imposaient eux-mêmes d'ailleurs. La vie était déjà assez difficile comme ça, pourquoi tout rendre encore plus compliqué ?

Il acquiesça d'un signe de tête quand elle lui dit qu'il était plus sociable qu'elle. Enfin, il ne pouvait pas juger du "plus". Il ne lui semblait pas que Selma était quelqu'un de renfermée ou de timide. Mais elle était sans doute plus indépendante.

-Oui, j'aime bien les gens. Sans ça, je n'aurais jamais pu faire mon ancien métier, ni mon métier actuel, d'ailleurs.

Noam a raison, les passions ne viennent pas forcément pour une raison. Même si souvent l’influence des parents y est pour quelque chose, il y a un nombre incalculable d’autres paramètres à prendre en compte pour expliquer la passion de quelqu’un. Peut-être que si Selma avait eu des parents qui ne sortent jamais de la maison, elle n’aurait pas développé ce goût pour la randonnée, de même que si elle n’avait pas été aux scouts. C’est un enchaînement de choses et de choix qui font qu’elle aime partir pendant des semaines voir des mois avec seulement un sac à dos sur les sentiers les plus difficiles et majestueux du monde. La journaliste hoche la tête à la réflexion de son ami avant de lui dire qu’il pourrait la laisser à quelques kilomètres dans le désert, pas très loin de Bowen, elle s’en sortirait mais il lui rétorque qu’il ne va pas essayer. « C’est parce que t’es pas un psychopathe qui abandonne les gens dans le désert ça. » dit-elle en riant, se disant que les gens qui font subir ça aux autres, sans que cela ne soit consenti, doivent avoir un certain problème à régler. Même si elle est journaliste, un métier qui demande d’avoir bon contact avec les gens, Selma aime aussi se retrouver seule à seule avec elle-même, une des raisons de son affection pour les treks. Noam lui aussi a un travail où il fréquente sans cesse du monde, des étudiants qui plus est, alors il serait bien difficile de faire son métier en étant asocial. « Je crois qu’il y a certains profs qui ne doivent pas bien aimer les gens, ou plus bien les aimer à force d’être prof, vu comment ils sont avec les élèves. » Si elle-même n’est pas forcément tendre, elle reste respectueuse et a toujours cette bienveillance présente pour les pousser mais sans aller trop loin. Mais certains professeurs qu’elle a pu croiser, lorsqu’elle était elle-même étudiante, ne semblaient pas vraiment apprécier les élèves. « Après c’est peut-être juste moi, je n’étais pas vraiment l’élève préférée de mes profs. »

Il rit assez fort quand elle constata qu'il n'était pas un psychopathe, qui abandonne les gens dans le désert précisément.

-Non, et d'ailleurs les séries sur les psychopathes me terrifient !

Il était honnête, toutes les nouvelles séries qu'on pouvait voir fleurir sur Netflix et compagnie, il n'était pas du tout client. Il jugeait que la vie était bien assez horrible pour se coltiner la psychologie de ce genre de personne sur ses loisirs.

Il ne pouvait pas vraiment contredire Selma. Il était difficile de prendre la défense de certain·e·s de ses collègues. Certain·e·s s'étaient sans doute trompé de voie, ou alors on les avait très mal formé. Tout le monde n'était pas fait pour se retrouver devant des classes nombreuses avec, parfois, des élèves turbulents. Ils n'en restaient pas moins des élèves, des jeunes à guider, même si cela pouvait être laborieux.

-Que ce soit l'enseignement, la médecine ou le journalisme... Parfois on perd la vocation. Dans ces moments-là, il faut savoir changer de métier, se reconvertir, même si ce n'est pas évident. Parce qu'on fera plus de mal autour de nous, ou à nous-même que le contraire. Mais certaines personnes ont du mal à ouvrir les yeux.

Il était bien placé pour le savoir, Noam. Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire quand Selma avoua ne pas avoir été l'élève préférée de ses profs, il imaginait sans mal qu'elle avait déjà du répondant à l'époque.

-Que leur faisais-tu donc subir ?

Selma sourit, elle non plus n’est pas une grande fan des séries sur les psychopathes. Elle n’est pas une grande fan de séries tout court, ni de films. Elle va parfois au cinéma mais rester assise devant un écran n’est pas vraiment son truc. Même lorsqu’elle rédige ses articles ou ses livres, elle a du mal à tenir en place et se met souvent dehors, dans son jardin à l’ombre. « Je comprends et j’ai du mal à comprendre pourquoi les gens regardent ça. » Pour elle il y a une forme de voyeurisme malsain là-dedans. Elle voit souvent la même chose avec les articles de faits divers, les gens semblent se passionner par ceux-ci. Elle est bien contente de ne pas avoir à en rédiger. Il lui arrive parfois de confier des articles du genre à ses stagiaires car il ne s’agit pas de grandes enquêtes mais ça leur fait tout de même travailler leur esprit journalistique. Même si elle se montre assez dure comme encadrante, la journaliste veut tout de même que le stage soit l’occasion pour eux d’apprendre et de progresser, mais encore faut-il qu’ils soient motivés. Comme elle l’évoque, il en est de même avec les professeurs, ou d’autres métiers comme le complète Noam. Quand la passion n’y est plus, rien ne sert d’être aigri dans un travail qui ne plaît plus. « Certaines personnes s’obstinent dans une voie qui ne leur plaît pas et après remettent la faute sur les autres, c’est assez insupportable. » commente-t-elle en repensant à certains de ses collègues qu’elle n’apprécie pas vraiment ou d’anciens professeurs qui ne sont pas ceux qui lui ont transmis l’amour du journalisme. « J’ai toujours eu un léger problème avec l’autorité, donc si y’avait un truc qui me plaisait pas, je le disais, peu importe si c’était un prof qui était là depuis trente ans. Ça a pas toujours plu. » Elle s’est faite virer de cours plusieurs fois, a obtenu son diplôme sur le fil et a même failli être virée de l’université. Pas le parcours brillant qu’on pourrait s’imaginer qu’elle ait eu. « J’espère que tu n’en as pas trop des comme moi ! »

Noam secoua doucement la tête de gauche à droite, montrant qu'il partageait cette interrogation. En réalité, il pouvait analyse médicalement cette information. Mais il n'en avait pas spécialement envie. Outre le fait qu'il n'avait jamais été psychiatre, ses souvenirs de médecine n'étaient pas toujours très agréables.

-Une espèce de fascination j'imagine. C'est tellement malsain. Mais l'être humain aime un peu trop ça.

Le brun émit un petit soupire quand Selma fit remarquer que certaines personnes rejetaient la faute sur les autres quand ils étaient eux-mêmes en tort. Il ne pouvait pas la contredire. Il en avait vu bien des cas, à l'hôpital, ou à l'université.

-La remise en question est toujours difficile. Parfois, je pense qu'il y a aussi la peur. La peur de ne pas savoir faire autre chose, de ne pas être capable.

Evidemment, il l'avait lui aussi ressenti cette peur. Mais la peur de retourner dans un hôpital l'avait emporté. Il eut un léger rire quand Selma lui raconta qu'elle avait toujours eu un problème avec l'autorité. Comment pouvait-il être surpris ? Il aurait fallu ne vraiment pas la connaître.

-Je t'imagine très bien.

Il haussa légèrement les épaules, tout en gardant son sourire.

-Il y a toujours de fortes têtes, mais je ne suis pas du genre à chercher le conflit avec les élèves.