Didn't see it there before (livio)

Septembre 2012

Il fait encore une chaleur étouffante, quand bien même la nuit est tombée. Le ventilateur tourne à plein régime et je peste dès qu’il fait voleter mes fiches de révisions, essayant de trouver un stratagème pour qu’elles tiennent en place et que je n’ai pas à parcourir le salon à quatre pattes pour récupérer mes feuilles volantes. Plongée dans la lecture du livre sur Michel-Ange que j’ai emprunté à la bibliothèque universitaire, j’entends à peine la porte d’entrée s’ouvrir. Mon frère rentre de soirée plus tôt que d’ordinaire, il n’est pas encore minuit. Je l’entends ricaner dans le hall d’entrée, mes muscles se contractent quand je comprends qu’il n’est pas seul. Pour l’introvertie et la grande timide que je suis, ce genre de surprise n’est pas la bienvenue et il le sait pourtant parfaitement.
— Enzo ? j’appelle d’une petite voix, sans pour autant quitter mon fauteuil.
— Sorellina, t’es debout ?
Il déboule dans le salon, un grand sourire aux lèvres et deux potes à lui sur les talons. J’ose à peine leur lancer un regard, que je me sens déjà rougir. Je suis à peine vêtue d’un short de pyjama et d’un crop-top à l’effigie des supernanas, tandis que mon chignon lâche tombe presque sur mon visage. Je suis débraillée, mais cela ne semble pas déranger mon frère qui invite ses amis à s’installer sur le canapé.
— J’te présente Livio et Andrea. On joue à Fifa, ça te dérange ? demande mon jumeau tout en attrapant la manette sur la table basse.
— Non, mais…euh…
La manette me servait jusqu’ici à caler mes fiches de révision, celles-ci s’envolent au premier coup de vent. Enzo en ramasse quelques-unes et me les tend.
— Tu le dis si on te gêne, sorellina.
— Non non, ça va, je lui assure, ramassant les dernières feuilles que je trouve et en m’éclipsant aussitôt dans la cuisine.
Je pose mon livre et mes fiches en pagaille sur la table de la cuisine, puis lance la bouilloire. J’essaie de reprendre une consistance tandis que je sélectionne une infusion dans ma boite à thés. Puis, alors que je m’apprête à choisir une tasse, un bruit derrière moi me fait sursauter. Je retiens un petit cri, tout en pivotant sur moi-même. Dans le chambranle de la porte se tient un des amis de mon frère. Grand, brun, avec des yeux bleu magnifiques…cette simple vision me déstabilise.
— Je…euh…tu…tu veux quelque-chose ? je demande tout en essayant de masquer ma gêne, et croisant les bras pour me couvrir un minimum.

@livio manzoni

Des éclats de rire se faisaient entendre dans le hall de l'immeuble alors que trois jeunes hommes montaient les marches d'escaliers en se moquant joyeusement des uns et des autres. Parmi eux se trouvait Livio, ce jeune milanais de 20 ans qui souriait largement. Quand on le voyait ainsi, l'oeil pétillant, la répartie au bout des lèvres, la joie de vivre sur le visage, on ne s'imaginait pas qu'il y avait tout juste deux ans, il sortait la tête hors de l'eau après trois ans de hauts et de bas, et trouvait enfin un sens à sa vie. Aujourd'hui, il était comme un poisson dans l'eau, entouré de sa famille et d'amis sur qui il pouvait tant compter. C'était avec deux d'entre eux qu'il était aujourd'hui. Et cette fois, c'était chez Enzo qu'il comptait crécher toute la soirée, entre jeux vidéos, bières et bonnes tranches de rigolade. Toutefois, en passant le pas de la porte, une voix féminine se fit entendre. Si Andrea évoqua une éventuelle copine qu'Enzo aurait pu leur cacher, Livio sut de suite qu'il s'agissait de sa sœur jumelle, Aurelia. Aurelia dont il avait tant entendu parler mais qu'il n'avait jamais rencontré. Aussi afficha-t-il un sourire bienveillant quand il aperçut la brune, dont le haut des Super-Nanas témoignait qu'elle ne s'attendait sûrement pas à de la visite tardive. Livio laissa les jumeaux parler, un peu gêné de voir la jeune femme s'éclipser, livres et feuilles en mains. Mais cela se dissipa vite quand Enzo lança la première partie, qui confrontait Andrea et le jeune Luciano. Livio, lui, fut vite en charge des boissons. Sous les consignes d'Enzo, il se leva et se dirigea vers la cuisine. En chemin, il récupéra une feuille à terre, sans doute oubliée par la jolie sœur d'Enzo. Cette dernière, d'ailleurs, se trouvait dans la cuisine. Quand Livio fit irruption, avec un boucan qui témoignait son indiscrétion naturelle, il esquissa un léger sourire en voyant qu'il l'avait surprise : « Désolé, je ne voulais pas te faire peur. » commença-t-il à dire. Et alors qu'elle lui demanda ce qu'il voulait, il fit un signe de la tête vers le salon : « Enzo m'a missionné pour nous hydrater. Il a dit qu'il avait des bières au frigo. » Il resta vers la porte, ne voulant pas s'imposer. Il regarda la jeune femme, de ses grands yeux bleus, l'observant quelques secondes. Elle ressemblait beaucoup à Enzo... en plus jolie, évidemment. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'il détourna le regard vers la feuille qu'il avait en main et qu'il montra à la jeune femme. « Je crois que tu as fait tomber ça... » Il s'avança de quelques pas pour lui tendre la feuille, en reprenant : « Tu travailles sur Michel-Ange ? » Il aurait pu simplement rendre la feuille, prendre les bières et s'éclipser. Mais c'était Livio, il avait cette curiosité bienveillante qui était sûrement l'une de ses plus belles qualités.

Enzo et moi avons beau être jumeaux, nous sommes radicalement opposés. Là où mon frère tire son énergie du monde qui l’entoure, de ses amis, de la foule, je la tire, moi, de ma solitude et du cocon que j’aime créer autour de moi. J’aime passer du temps seule, mon frère, au contraire, adore faire la fête et se faire de nouveaux amis. Je ne m’attendais pas à ce qu’il rentre tôt, ce soir, et encore moins à ce qu’il soit accompagné de deux de ses nouveaux amis. Cela me met un peu mal à l’aise et au lieu de l’exprimer, je préfère m’eclipser. Ce n’est pas bien grave au fond, je peux parfaitement étudier depuis ma chambre ou même dans la cuisine. Je prends la poudre d’escampette si vite que je prends à peine le temps de saluer les deux copains de mon frère, me réfugiant dans la cuisine. Je ne m’attendais pas à ce qu’on m’y rejoigne d’où mon sursaut et mon cri de surprise lorsque je perçois une présence derrière mon dos. Je me retourne vivement, et mon coeur loupe un battement en découvrant le jeune homme sur le pas de la porte de la cuisine. Son sourire me fait monter le rouge aux joues sans que je ne puisse rien maitriser. Il est incroyablement séduisant, ce que je n’ai pas pris le temps de remarquer, plus tôt, dans le salon.
— Les…euh…bières sont…frigo…dans…dans le frigo.
je bégaye, ma phrase ne veut rien dire, je me sens idiote. Machinalement, j’essaie de replacer une mèche de mes cheveux derrière mes oreilles, oubliant qu’ils sont attachés en chignon sur le sommet de mon crâne, et qu’il n’y a donc aucune mèche à replacer. Le jeune homme s’avance et me tend une feuille, j’accueille la diversion avec plaisir et me saisit de la copie que j’ai laissé derrière moi.
— Merci…
Ma voix est à peine audible, tandis que le garçon jette un oeil sur le livre que je suis en train de lire et qu’il m’interroge sur Michel-Ange. Je hoche la tête avant de me racler la gorge.
— Oui, je…j’étudie l’Histoire de l’Art. Et…toi ?

N'ayant pas la chance de participer à la première partie lancée par Enzo sur la play, Livio fut alors missionné pour abreuver les trois garçons. En allant dans la cuisine, il surprit la jumelle d'Enzo qui s'était éclipsée face à la présence probablement trop imposante des trois amis. Le sourire qu'il avait sur les lèvres en s'excusant du fait qu'il lui avait fait peur s'élargit davantage en entendant la réponse - pas dans le bonne ordre - concernant les fameuses bières. Mais ce n'était pas un sourire moqueur, plutôt bienveillant. Enzo lui avait confié que sa soeur était son opposé, qu'elle était timide et réservée. Livio l'avait été, lui aussi. Il savait ce que c'était que de ne pas mettre les mots dans le bon ordre, d'être mal-à-l'aise face aux inconnus. Il avait aussi été celui qui s'éclipsait, qui ne faisait pas d'émules, qui voulait juste qu'on oublie sa présence. "Super, merci." répondit-il d'abord, s'avançant dans la cuisine pour lui rendre, également, la feuille qu'elle avait oubliée dans le salon. En voyant le sujet sur lequel elle travaillait, Livio, de nature bien curieuse, sauta sur l'occasion pour faire la conversation avec la jolie brune. Cette dernière lui confia travailler sur Michel-Ange. Et pour cause ! Elle était en Histoire de l'art. "ça doit être tellement intéressant !" dit-il d'abord. Quand il était à Milan, c'était prévu qu'il prenne des cours d'Histoire de l'art au lycée, en plus de son programme obligatoire, mais son parcours de vie avait fait qu'il avait dû revoir tous ses projets. Et l'Histoire de l'art avait été mise de côté, comme bien d'autres choses. "Je suis en deuxième année de commerce." répondit-il avec un sourire. "Ce n'est pas aussi passionnant que l'Histoire de l'art, mais ça me convient bien." Il jeta de nouveau un oeil sur le livre, apercevant l'une des grandes oeuvres de Michel-Ange, la fameuse Création d'Adam que l'on pouvait admirer dans la non-moins célèbre Chapelle Sixtine. Sans réfléchir, il s'avança jusqu'au livre et reprit : "Tu connais la théorie autour de cette oeuvre ? Apparemment, il y aurait un cerveau caché juste... là." Il pointa du doigt la partie qui représentait Dieu, montrant les contours de la cape qui laissait entrevoir le fameux organe. "A l'époque, il y avait une véritable fascination pour l'anatomie humaine et plus particulièrement, pour le cerveau. On connaît Michel-Ange comme peintre et sculpteur, mais c'était aussi un homme de sciences. On dit qu'il a énormément étudié le corps humain, en faisant parfois des autopsies, ce qui n'était pas trop apprécié à l'époque par l'Eglise. La rumeur dit donc qu'il aurait caché un organe dans sa peinture, pour faire un pied-de-nez. D'autres disent que c'est un utérus. Mais ça, on ne le saura jamais." Il releva ses yeux bleus vers la jeune femme, laissant un silence s'installer avant de rire joyeusement : "Pardon, je me suis un peu emballé. C'est le collégien qui a bossé sur Michel-Ange qui a ressurgi l'espace d'un instant. Toi, tu dois déjà savoir tout ça."  Il se passa la main sur la nuque en riant avant de demander : "Et du coup, tu voudras faire quoi après tes études ?"

Les soirs où mon frère ramenait des potes à la maison avaient cela en commun, qu’en général, le salon devenait rapidement un terrain de jeu et que, très vite, on ne se préoccupait plus vraiment de moi. Les bières s’enchainaient aussi facilement que les parties de jeux vidéos et les blagues parfois un peu vaseuses. En général, ça convenait parfaitement à l’introvertie que j’étais. Je m’éclipsais dans ma chambre, avec un thé ou un chocolat chaud et on ne me revoyait pas avant le lendemain. Et même s’il m’arrivait de sortir de mon terrier à petits pas de sourire, pour aller faire pipi, personne ne prêtait attention à ma présence. J’avais l’art de passer totalement inaperçu, sauf auprès d’Enzo, bien sûr, dont le radar savait capter ma présence, comme je savais capter la sienne.
En d’autres mots, je n’étais clairement pas habituée à ce qui était en train de se passer, ici, dans la cuisine. Et si cela m’intimidait un peu, un part de moi était heureuse de la situation. Ce garçon, dont je ne connais pas le prénom, m’indique qu’il est en deuxième année de commerce. Je souris. Cela ne m’étonnes pas, il a cette aura particulière qui fait qu’on a envie de l’écouter. Je suis sûre qu’il est capable de convaincre n’importe qui d’acheter à peu près n’importe quoi, tant que lui-même y met de la conviction. Et d’ailleurs, je me laisse totalement porter par sa voix, j’écoute son récit sur Michel-Ange, bien que je connaisse déjà l’anecdote qu’il me raconte. Je ris en même temps que lui, baissant timidement le nez et replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Euhm…oui, c’est…c’était assez courant à la Renaissance. Leonardo Da Vinci faisait des autopsies clandestines, lui aussi, mais…c’est probablement un cerveau, connaissant Michel-Ange.
Je me sens rougir, sans raison, c’est idiot. J’aime parler d’Histoire de l’Art en général, mais là, je me sens intimidée, et charmée tout en même temps. Rare sont les potes d’Enzo qui viennent sur mon terrain.
— J’aimerais…intégrer l’école du Louvres à Paris, mais…c’est complètement fou, il faut un super dossier. Et mon rêve ultime c’est de travailler au musée des Offices, après. Je pourrais passer des heures là-bas…et toi, le commerce ? Tu as un projet en particulier ? Euhm…excuse-moi, je crois que je ne connais pas ton prénom…
Je pouffe, un peu gênée, puis hoche la tête.
— Moi c’est Aura.

Il avait l'habitude, Livio, de parler à des inconnus. Il ne craignait pas d'accoster les gens, son aura solaire faisant qu'il passait toujours très bien. Mais là, il y avait un petit quelque chose en plus qui rendait la conversation intéressante. Cette fille, elle avait un truc, une douceur, une réserve qui émanaient d'elle et qui étaient particulièrement touchants.C'était profond. D'ailleurs, Livio se laissa entraîner, s'emballant peut-être en parlant un peu trop de Michel Ange et des restes d'un vieux exposé qu'il avait fait au collège. Relevant ses yeux bleus vers elle, il joignit son rire au sien en constatant qu'elle ne se moquait pas de lui. Au contraire, elle rebondissait. « Qu'est-ce qui te fait dire que c'est un cerveau ? » demanda-t-il, intéressé à l'idée d'avoir son avis. En tant que collégien, il n'était pas allé aussi loin dans la réflexion. Alors, il attendait sa réponse, la regardant avec ses yeux si curieux qui bouffaient le monde qui l'entourait. Oui, c'était ça, aussi, Livio. C'était cet être altruiste, qui s'intéressait au monde autour de lui, aux gens qui le peuplaient. C'était difficile de se dire que, d'ici quelques mois, une année ou deux, il mettrait de côté ce trait de caractère si particulier et qui faisait tout son charme. Mais à cet instant, il était encore si pur. Il avait ce regard si pétillant qui se nourrissait de ces gens qui exposaient leurs rêves. Et cette fille, elle en avait un beau ! Il s'apprêtait à répondre quand elle mit le doigt sur un fait. Elle ne connaissait pas son prénom. Il se mit à rire joyeusement quand elle se présenta : « Oui, je sais. Enzo m'a beaucoup parlé de toi. » Pour lui, c'était comme si les présentations avaient déjà été faites. « Je suis Livio. Et je suis enchanté de te rencontrer enfin, Aura. » Il se redressa un peu et reprit : « Et pour répondre à ta question, je ne sais pas trop ce que je veux faire. Je n'ai pas encore de projet bien dessiné. Pour être honnête, je me suis dirigé vers le commerce un peu par hasard. » Parce qu'il ne savait pas trop quoi faire de sa vie. « Mais ça me plaît bien. Peut-être qu'à terme, j'ouvrirai un commerce ou quelque chose du genre. Mais pour l'instant, j'ai juste envie de bouger, de voyager, de rencontrer du monde, d'autres cultures. C'est assez utopique, je sais, mais c'est mon rêve. » Et pour l'instant, son rêve ne restait qu'un rêve. Voyager, ça avait un coût. Il s'arrêta un instant, songeur, avant de reprendre : « Mais tu sais, ton rêve à toi, il est à portée de mains. Je veux dire, ton frère m'a dit que tu étais brillante. Il faut voir comment il parle de toi. » Il esquissa un sourire, se rappelant de la fierté qu'il voyait dans le regard d'Enzo quand il parlait de sa jumelle. " Alors, oui, c'est peut-être complètement fou, mais quand on est passionné et qu'on accepte de se jeter dans le vide, les portes s'ouvrent plus facilement. C'est ma mère qui m'a souvent répété ça. » C'était con, il ne la connaissait pas plus que cela, mais il croyait en elle. « Quand est-ce que tu pourrais postuler pour l'école à Paris ? »

C’était la première fois qu’un pote de mon frère montrait de l’intérêt pour l’Histoire de l’Art, la première fois que je n’avais pas l’impression de passer pour l’intello de service. « Oh…eh bien parce que…Michel Ange n’était pas forcément réputé pour…sa sympathie envers la gente féminine disons. » Comme beaucoup de ses contemporains, malheureusement, Michel Ange n’avait tenu en estime que la gente masculine. Cela dit, on n’était sûr de rien. En effet, cela pouvait aussi bien être un cerveau qu’un utérus, je pouvais parfaitement me tromper. L’intervention de Livio sur Michel Ange me donnait néanmoins l’impression qu’il s’intéressait vraiment à moi, ou du moins suffisamment pour faire la conversation. C’était nouveau et déstabilisant et…en même temps très agréable. J’avais l’impression de rougir au point que mes joues devaient avoir une teinte tomates mais j’essayais de ne pas y accorder trop d’attention. Pas plus qu’aux papillons qui semblaient voleter dans mon ventre. Est-ce que…j’avais le béguin pour ce garçon ? Ca aussi, c’était nouveau. Cette émotion prenait tant de place soudain, que je faillis louper les présentations. « Ah oui, je…euh…enchantée, toi…enfin moi aussi » je triturai mes cheveux maladroitement, et recommençai à a bafouiller. « Merci euh…oui, je sais pas si Enzo n’a m’a pas un peu survendue » J’eus un rire nerveux avant de me racler la gorge. « Ton rêve n’est pas inaccessible non plus, je crois. Je pense que tu serais doué dans ce domaine, enfin…tu as l’aire d’être, à l’aise pour parler…et » mignon au point qu’on ne parvient à te lâcher des yeux et qu’il est facile de boire tes paroles. Je le pensais fort me ne dit pas la suite à voix haute. Je me contentais de rougir plus encore. Puis une question concrète me ramena sur terre et je ne demandais pas mieux. « Il faut encore que je termine ma licence ici, donc…pas avant l’année prochaine, mais ça me laisse le temps de peaufiner mes compétences. » Il y a un court silence, avant que je ne décide de le rompre, de peur que cela devienne gênant. « Et…toi, tu serais prêt à sauter dans le vide pour accomplir ton rêve ? »

« C'est vrai qu'à l'époque, c'était plutôt chose courante. » … de ne pas être sympathique avec la gente féminine, même si de nos jours encore, de nombreux efforts restaient à faire. Livio esquissa un sourire, son regard planté sur le livre, la curiosité si débordante que les présentations n'avaient pas été faites en bonnes et dues formes. Ce fut Aura qui rectifia la chose en se présentant à lui, bien qu'il connaissait déjà son prénom. Enzo lui parlait énormément d'Aura, de sa réserve, du potentiel qu'elle renfermait et que Livio palpait déjà avec seulement quelques mots échangés. Son sourire s'étira un peu plus quand elle recommença à bafouiller. C'était adorable. Mais il dissimula quelque peu son sourire, ne voulant pas qu'elle se méprenne en croyant qu'il se moquait d'elle. Loin de là. Il secoua négativement la tête quand elle minimisa les mots de son frère. « Je ne pense pas qu'il t'ait survendue. Il sait de quoi il parle et ça se sent quand il se confie. Je sais que ton frère peut souvent paraître peu sérieux, mais quand il dit quelque chose sur quelqu'un, il se trompe rarement. C'est toujours très juste. » Et Enzo était sûrement dans la véracité quand il parlait de Aura. A son tour, Aura essaya de lui montrer que lui aussi, son rêve n'était pas si inaccessible, ce qui fit sourire Livio, touché par de tels mots. « C'est le fruit d'années de travail. » commença-t-il à dire en riant, se faisant plus sérieux en enchaînant : « Je n'ai pas toujours été aussi à l'aise pour parler aux gens. Rien que là, être en face de toi, je n'aurai pas pu le faire, il y a tout juste deux ou trois ans. » Encore plus quand la jeune femme en face de lui était si jolie et si intéressante. Il y a deux ou trois ans, il aurait battu en retraite, rouge comme une pivoine, le cœur gros à l'idée de se dire qu'il n'était pas assez intéressant pour la personne en face de lui. Oui, il avait travaillé sur lui. Enormément. Il sortit de ses pensées quand Aura répondit à sa dernière question. Il lui restait encore un an ici. « J'aurai sûrement encore l'occasion de te croiser, alors. Et de te répéter de croire en toi. » C'était peut-être bizarre d'entendre une personne que l'on connaissait à peine vous dire cela, mais toute l'attitude de Livio, sa voix, son regard brillant, tout montrait qu'il était si sincère. Il y avait quelque chose chez cette fille qui l'intriguait, qui lui faisait aussi beaucoup de bien. Il en oubliait presque Enzo et sa partie de Fifa en cours dans le salon. Il appréciait ce moment, cet échange. Ils avaient l'air de s'intéresser sincèrement à l'un comme à l'autre. La dernière phrase d'Aura le fit réfléchir. « Je pense que oui... Je veux dire, je n'ai rien à perdre. Je n'ai pas d'attaches. Si je me plante, je serai le seul à me planter. Mais au moins,je pourrai dire que j'ai essayé. Je n'ai pas trop envie de vivre avec des regrets pour être honnête. » Il esquissa un sourire puis avoua : « Je t'avoue que c'est plus facile à dire qu'à faire. Ce n'est pas simple de faire le dernier pas pour sauter dans le vide. » Il se redressa un peu et posa ses yeux bleus sur la jeune femme. « De toute façon, je suis comme toi, il me reste encore un an avant de finir mes études. Un an, c'est énorme. Ça peut nous laisser le temps de mûrir et de prendre confiance en nous, non ? » Oui, clairement, il les mettait dans le même sac, mais c'était naturel. Ils avaient l'air de se comprendre.

Un sourire se hisse de lui-même sur mes lèvres tandis que j’écoute Livio parler de mon frère. Il semble le connaitre plutôt bien et cela me touche. Il ne s’est pas arrêté à la façade qu’Orso montre en permanence, il semble, au contraire, avoir compris qui il est profondément. « C’est vrai qu’il dit rarement des choses à la légère. Enfin…quand il a envie d’être sérieux en tout cas » Mon frère jumeau avait par ailleurs un flair assez efficace, il savait capter l’essence des gens qu’il croisait, et la plupart du temps, il comprenait à qui il pouvait faire confiance ou non en un seul regard. J’admire cette qualité chez lui, tout comme je suis admirative de la capacité de Livio de pouvoir parler à une inconnue avec autant d’aisance. Il m’explique que cela n’a pas toujours été ainsi, ce qui m’impressionne encore plus. Il affirme qu’il n’aurait pas pu, deux ou trois ans auparavant, discuter si facilement avec moi. J’en rougis légèrement. « Pourtant je n’ai rien de bien impressionnant » je chuchote presque, un peu gênée. Quand il apprend que je dois encore étudier un an à Florence, il ne manque pas l’occasion de me dire qu’on se croisera surement, et qu’il n’hésitera pas à me rappeler de croire en moi. Je souris. Orso aurait out aussi bien pu sortir cette phrase. « J’essaierai de t’écouter alors » je ricane doucement. Je ne savais pas, alors, que cette promesse-là, il allait la tenir et me faire sortir de ma coquille bien plus que je ne l’aurais jamais cru. Pour l’heure, je profite de ce moment agréable à discuter avec lui. Il me confie devoir étudier encore une année complète, comme moi, avant de pouvoir sauter à pieds joints dans ses rêves. Je ne le connais pas vraiment, mais je suis persuadée qu’il y parviendra. « Oui, on a le temps, comme tu dis. » Je lui souris, puis me concentre à nouveau sur la préparation de mon thé. « Je…euh, je vais aller dans ma chambre, comme ça, vous aurez le salon pour vous, d’accord ? C’était chouette de discuter avec toi, Livio. »

hj : on peut clôturer là si tu veux

Au fond, Livio et Orso étaient de la même trempe. C'était pour cela que Livio comprenait autant le jeune Luciano et qu'il ne s'arrêtait pas à la première image que l'italien renvoyait. Tous les deux, ils étaient de joyeux lurons qui profitaient de tout ce que la vie pouvait leur offrir. Mais quand on creusait un peu, il y avait beaucoup de choses à découvrir. « ça lui arrive d'être sérieux, qui l'aurait cru ! » dit-il pour la blague. Puis la conversation se fit plus sérieuse, plus profonde. Alors que Livio que deux ans auparavant, il n'aurait jamais pu tenir une conversation avec elle, la réponse de la brune le fit sourire. « ça, c'est ce que tu crois. Moi, je te trouve impressionnante. » Elle avait une certaine sagesse qui émanait d'elle. Sans oublier son intelligence qui faisait qu'on l'écoutait attentivement. Elle était impressionnante, Aura. Elle ne le voyait simplement pas. Tout était question de confiance en soi. Puis doucement, la conversation se termina. Livio hocha doucement la tête, sourire aux lèvres : « C'était très agréable. Je suis ravi d'avoir fait ta connaissance, Aura. » Mais à peine eut-il fini sa phrase qu'une voix familière se fit entendre. Orso. Orso qui jetait un regard perplexe à Livio, lâchant avec humour : « Je te donne comme mission de nous ramener la bière, et voilà que tu tiens la jambe de ma sœur. » Livio regarda son ami, tout sourire, en secouant la tête : « Je voulais juste m'excuser pour le boucan qu'on allait faire. » Orso leva les yeux au ciel et se dirigea vers le frigo où il tendit les bières à Livio. Puis, les deux amis s'apprêtèrent à rejoindre le salon. Livio se retourna vers la brune et lança, joyeusement : « Ciao Aura ! » Il eut comme réponse d'Orso. « Pas ma sœur, mec. Ok ? » Quittant la cuisine, on entendit Livio dire : « ça va, on parlait juste. Tu sais bien que je suis maqué. Et amoureux. » Le soupir d'Orso se fit entendre à des kilomètres. « Mouais, ne me la fais pas à moi... tu tombes amoureux toutes les semaines ! » Pas faux... mais ils ne le savaient pas encore. Mais dans quelques années, c'était la petite brune qu'ils venaient de quitter qui ferait complètement chavirer le jeune italien.... Il suffisait juste d'être patient.

FIN