more than i can handle (malias)

Je raccroche mon téléphone dès que j’aperçois la silhouette de Manny qui avance vers moi. À cet instant précis, j’ai la sensation qu’un saut d’eau gelé me tombe sur la tête. Je fonce dans ses bras et m’effondre dès que nos corps entrent en contact. Je me laisse aller contre lui, mes jambes me portant à peine. Les larmes se mettent à affluer, je ne retiens rien, je lâche toutes les vannes. Ca fait si mal…
Pendant un long moment, je suis incapable de parler, de faire autre chose de pleurer. J’ai l’impression que mon coeur est prit dans un étau et que la douleur ne s’en ira plus jamais. Je n’imagine pas un monde sans elle, sans ma mère. C’est impossible. Ca me parait irréel. Je ne veux pas y croire, et pourtant, c’est la réalité. Ma réalité.
— Pourquoi ?
C’est tout ce que j’arrive à dire, tout ce que j’arrive à verbaliser. Cette absurdité qui me tombe dessus. Pourquoi elle, pourquoi maintenant ? Je me serre davantage contre Manny, entoure ses épaules, me raccroche à lui comme à une bouée.

@manny garcia

Ces dernières heures tu as vécu un véritable ascenseur émotionnel. Avery s’est réveillée et ce fut une soulagement pour toi qui ne faisait que ressasser la soirée d’halloween, te sentant coupable de son accident même si tu n’y es pour rien. Les médecins t’ont dit que sans ton intervention il y avait de grandes chances pour qu’elle ne s’en sorte pas mais tu ne peux pas t’empêcher de te dire que tu aurais pu faire plus et que si elle ne se réveillait pas, Elias t’en voudrait pour toujours et que votre histoire toucherait à sa fin. Tu sais que c’est égoïste de voir les choses ainsi mais tu ne peux t’empêcher d’imaginer qu’un événement ne mette fin à votre histoire et que tu reviennes à la case départ. Seulement, après le soulagement du réveil d’Avery, ton petit-ami t’a appelé pour t’annoncer que son frère a eu un accident en venant à l’hôpital et que leur mère ne s’en est pas sortie. Tu as filé à l’hôpital aussi vite que tu as pu, ne sachant pas comment réagir, ni comment réconforter Elias. Tu sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire, que la tristesse est normale. Tu veux être là pour lui mais tu as peur de ne faire qu’empirer les choses en choisissant tes mots maladroitement. Arrivé devant l’hôpital, tu l’aperçois et le prends dans tes bras un long moment, lui caressant les cheveux, sa peine transperçant ton cœur. Tu retiens tes larmes pour ne pas flancher, pour être celui à qui il peut se raccrocher mais tu es bien trop empathique pour ne rien ressentir et ne pas être touché, toi aussi. Tu ne dis rien, parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire et tu sais qu’il n’a sans doute pas envie d’entendre des choses bateaux. Tu ne sais pas quoi répondre à son pourquoi, parce qu’il n’y a pas de raison, pas de justification. Lentement tu l’entraînes vers un banc situé à côté de la porte, pour que vous puissiez vous asseoir. Tu continues à le prendre dans tes bras, ne le lâchant pas. Son contact te fait autant de bien qu’à lui. « Ne cherche pas à comprendre. » lui dis-tu, ému.

C’est impensable, je n’arrive pas à me dire que cette putain de journée est réelle. Je serre Manny contre moi, aussi fort que possible, voulant presque fondre avec lui. J’ai la sensation que je ne pourrais tenir debout sans lui, à cet instant précis. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à ne pas m’effondrer avant cela. La pression se relâche et mes larmes embuent mes yeux. Manny prononce quelque chose, je me laisse bercer par le son de sa voix, sans chercher à comprendre ce qu’il me dit exactement. Ce qui compte réellement, c’est qu’il soit là. Il n’y a rien à dire de toute façon, rien qui pourrait apaiser la peine que je ressens alors. Je m’accroche à mon amoureux comme à une bouée, je reçois en plein coeur tout l’amour qu’il me témoigne et c’était déjà beaucoup. Il m’accompagne jusqu’au banc le plus proche pour que je m’assois avec lui. Debout, assis, ça m’est égal en réalité. On reste là un moment, enlacé, sans rien dire, bougeant à peine. Puis je me redresse après de longues minutes, j’ai l’impression d’avoir des poches remplis d’eau sous les yeux.
— J’ai envie de rentrer…
Je me sens tout d’un coup profondément égoïste de dire ça, mais en vérité, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus ici, d’autant que la vue de cet hôpital m’horripile. J’y ai déjà passé des heures innombrables pendant le comas de ma petite soeur. Là, ce soir, je ne peux plus, je n’y arrive plus…

Tu as envie d’être là pour Elias, de le soutenir dans ce qu’il traverse et traversera ensuite, le chemin ne faisant que commencer. Tu ne sais pas comment t’y prendre, en général quand tu dois réconforter les gens, tu te contentes de les écouter, d’être une oreille attentive, de les prendre dans tes bras éventuellement. Tu en fais de même avec ton petit-ami, ne sachant quoi lui dire, il n’y a rien qui pourrait lui remonter le moral à cet instant, il faut seulement que la douleur passe, et ça prendra du temps. Vous passez un moment, assis sur un banc, le jeune homme dans tes bras. Tu lui caresses l’épaule, espérant un peu l’apaiser. Tu resteras là le temps qu’il veut, tu feras ce qu’il a envie pour lui changer les idées, pour qu’il aille mieux. Tu croises son regard, d’ordinaire si joyeux, tu vois l’épuisement et la tristesse en lui. Il te dit qu’il a envie de rentrer. Tu hoches la tête. Ces dernières semaines il a beaucoup trop vu l’hôpital, à se place tu voudrais aussi t’en éloigner, essayer d’oublier un peu. « Tu veux qu’on aille chez moi ? » lui proposes-tu sans lui imposer. Tu sais que vous y serez plus tranquille car tu vis seul mais tu as envie d’aller là où il a envie, que ce soit chez toi ou chez lui. Tu le maintiens contre toi tandis que vous relevez, marchant lentement l’un contre l’autre dans la nuit australienne. « Tu vas aller te reposer...tu voudras peut-être pas mais tu es épuisé, je t’assure. » Tu sais qu’il a du mal à dormir et que les événements de ses dernières heures vont sans doute l’empêcher de fermer l’œil en se remémorant chaque instant, mais tu vois bien que son corps demande à dormir après tous les événements qu’il vient de vivre.

La proposition de Manny de rentrer chez lui tombe juste. J’ai besoin, je crois, de m’échapper. De fuir cette atroce réalité, le temps d’une nuit au moins. J’ai besoin de me blottir contre l’homme que j’aime et ne penser à rien d’autre qu’à la chaleur de ses bras. Après un trajet en bus qui me parait interminable, bien que je l’ai passé complètement accablé par mes pensées et ma culpabilité de laisser mes soeurs et mon père avec Woody encore dans le coma. Cela fait maintenant dix bonnes minutes que nous sommes allongé, dans la semi-pénombre de la chambre de Manny. Je parviens à me détendre un peu, à mesure que le musicien passe sans main dans mes cheveux. Mes yeux, néanmoins, m’apparaissent gonflé et j’ai la sensation que je ne vais pas parvenir à dormir avant un moment. Je me sens vulnérable, c’est un sentiment que je n’aime pas vraiment, mais, d’un autre côté, je me sens parfaitement en sécurité près de Manny. C’est reposant. « J’aurais tellement aimé te la présenter… » je lâche d’un seul coup. Je ne sais pas pourquoi je dis ça. C’est glauque et profondément triste. Ma gorge se serre, je m’éclaircis la voix et inspire longuement avant de reprendre. « Je lui parlais tellement de toi, tu aurais du pouvoir la connaitre… » Je me frotte le visage puis soupire « Putain…pourquoi je pense à ça ? C’est égoïste… »

Durant le trajet vous ne dites rien, tu n’es pas vraiment le genre à abuser de la parole, te taisant bien plus souvent que la plupart des gens. Tu as surtout tendance à écouter, à être celui à qui on peut se confier plutôt que celui qui ne fait que parler et qui ne laisse pas de place aux autres. En arrivant vous allez vous allonger sur ton lit, dans les bras l’un de l’autre, ta main passant dans les cheveux de ton petit-ami, espérant que ce geste puisse un peu l’apaiser. Tu pourrais presque t’endormir, pas vraiment du genre insomniaque, tu n’as pas souvent trop de mal à dormir, surtout quand la fatigue est bien présente. Mais tu fais l’effort de rester éveillé pour ne pas qu’Elias se retrouve seul avec ses pensées et que ta présence n’ait servi à rien. Tu sors de tes pensées lorsqu’il évoque sa mère et le fait que tu n’aies jamais pu la rencontrer. Tu aurais sans doute pu dans pas trop longtemps si les choses en avaient été autrement. Tu l’écoutes entièrement avant de lui répondre. « Non c’est pas égoïste, tu te raccroches à ce que tu peux...c’est normal. » Tu réfléchis un instant d’ajouter. « Je sais que tu vas penser à toutes ces choses que...tu aurais pu faire, aurais du faire, les regrets, tout ça mais...faut réussir à accepter que tu ne peux rien y faire et que les regrets te font juste plus de mal. »

J’essaie de me focaliser sur la main de Manny dans mes cheveux, sur ses caresses tendres qui devraient, en tant normal, m’aider à m’échapper complètement de la réalité. Mais pas ce soir. J’en ai pourtant cruellement besoin. J’aimerais pouvoir arrêter ce flot de pensée incessant qui me fait souffrir, mais rien n’y fais. Le visage de ma mère revient inlassablement s’imprimer sur mes rétines. Elle n’a quitté ce monde que depuis quelques heures, mais elle me manque terriblement. La perspective d’une vie sans elle me rempli d’effroi, mais il va pourtant falloir la vivre. Et la vivre à plein régime, si je souhaite honorer sa mémoire. Mais ce soir, j’ai besoin d’arrêter le tourbillon qui me traverse, j’ai besoin que ça cesse. Je me confie à Manny, la voix chevrotante, les larmes trempant mes joues. Il me rassure comme il le peut, je sais combien ces difficiles de trouver les mots dans des moments comme celui que je suis en train de vivre. Ils m’émeuvent aux larmes, et je ne suis pas capable de répondre. Je m’enfouis dans l’étreinte de Manny et le serre contre moi. Je reste là si longtemps que je ne sais dire quand le sommeil me prend.