winter wonderland (marcus)

Même si une part d’elle se sent coupable de se rendre au château de glace pour profiter de l’ambiance hivernale apportée par les climatiseurs, Polly a bien du mal à résister à l’appel de la fraîcheur et de l’ambiance hivernale en plein été australien. Après tout, qu’y a-t-il de pire entre un aller retour en avion en direction d’un pays froid ou profiter de climatiseurs un peu trop frais ? La réponse est sans doute, ne pas prendre l’avion et ne pas utiliser la clim mais en ce moment la jeune femme de faire passer son bien-être un peu avant le reste, l’ayant un peu trop délaissé ces derniers temps. Elle passe donc régulièrement, presque tous les jours, au château pour y admirer les illuminations et s’installer dans un coin pour lire, ayant sorti un pull pour l’occasion. Elle sait que l’installation ne sera pas éternelle alors autant en profiter temps qu’elle est là. Elle va commander une boisson chaude, le genre avec de la chantilly et des chamallows, au stand situé à côté du bar proposant du vin chaud ou ce genre de boissons hivernales dont elle est moins friande que les traditionnels chocolats chauds. Son gobelet en main, elle marche en direction d’un petit banc entouré de sapin recouverts de fausse neige et de divers décorations. En chemin elle heurte légèrement, par chance rien ne déborde de son gobelet, une personne qu’elle ne reconnaît pas immédiatement, ne le voyant que de dos. « Oups, désolé. » s’excuse-t-elle avant d’apercevoir le visage de l’homme qu’elle vient de heurter parmi la foule. « Marcus, hey ! » dit-elle d’un ton enjoué en le reconnaissant. Ces derniers temps elle a un peu délaissé le groupe de soutien auquel elle participait et où elle voyait régulièrement le jeune homme, n’ayant plus le temps de se consacrer à chaque activité dans lesquelles elle s’est engagée. Elle n’est pas non plus repassée au Elm Street depuis un moment donc au final ça fait des semaines qu’elle ne l’a pas croisé. « Ça va ? Ça fait un moment que je t’ai pas croisé...j’ai plus trop le temps de venir aux cours de soutien en ce moment. »

@Marcus O'Brian

Marcus n’aimait pas trop ça, le fait qu’on construise un énorme château de verre, comme si c’était de la glace, le tout ultra climatisé pour rafraîchir l’ambiance et inciter les badauds à mieux se croire dans un mauvais téléfilm de Noël. Pour lui c’était une catastrophe écologique, non pas qu’il soit pro-écolo, mais à l’heure ou on demande à tous de faire un effort pour notre planète, alors que tout va à volo, il trouvait cette idée totalement déplacée. Lui il avait toujours connu cette période de l’année comme celle de l’été, à Bowen Australie, on passait un Noël sous le soleil et ça n’avait jamais empêcher quiconque de profiter de cette fête. Mais visiblement il fallait du froid pour le commun des mortels … Il fallait également avouer que s’il râlait rarement, O’Brian était connu pour être de bonne composition en règle générale, à Noël, il était toujours un peu à cran, certainement parce que cette époque où toutes les familles se réunissaient lui rappelait que lui n’en avait pas de famille. Il n’avait ni père, ni mère et même s’il avait toujours eu l’habitude de célébrer avec ses cousins, ce n’était pas pareil. Surtout depuis le décès de sa chère grand-mère, Marcus s’était un peu éloigné de la famille pour les fêtes. Et si à une époque il se réjouissait de tout préparer, lorsqu’il était en couple avec Penelope, le départ de sa femme n’avait fait que rouvrir les plaies et faire ressurgir sa crainte de l’abandon. Bref, il n’aimait pas Noël. Cependant il était là, ce jour d’été où pourtant, tant de transparence donnait le frisson et l’envie de se glisser sous un plaid avec une tasse bien chaude entre les mains. Il avait fait comme tout le monde, il était venu voir, au moins pour avoir une vraie raison de râler devant ses clients. Malgré tout il fallait avouer que la construction était spectaculaire et qu’elle ne l’avait pas laissé indifférent. Il s’était avancé dans le palais et s’était même laissé tenter par la serveuse qui lui avait proposé une tasse de chocolat chaud, depuis combien de temps n’avait-il pas été le client derrière le bar ? Depuis combien d’années n’avait-il pas bu ce genre de boisson que sa granny lui préparait affectueusement ? Il se radoucissait presque, admirant le lieu en attendant sa commande, quand il fut heurté dans le dos. Il se retourna pour faire face à la personne maladroite et se retrouva nez à nez avec Polly. Toujours des entrées fracassantes avec toi ! Il connaissait sa maladresse, sûrement parce qu’elle était toujours un peu dans la lune où à penser à mille choses à la fois. Il se dérida rapidement et lui rendit son sourire. Oui ça va et toi ? J’avoue que je commençais à m’inquiéter les dernières fois que je suis venu tu n’étais pas là. Il avait remarqué son absence à l'université, tout comme le fait qu’elle n’était jamais revenue au Elm, un jour il s’était même questionné sur le fait qu’elle pourrait le fuir, bien qu’il ait trouvé cette idée idiote, il n’y avait aucune raison qu’elle ne veuille pas le voir. Qu’est-ce que qui te prend autant de temps ? Ton mémoire ? Oui, il ne voyait que ça.

Ces derniers temps Polly a l’impression d’à nouveau se réfugier dans les livres. Elle a toujours beaucoup lu, se découvrant cette passion assez tôt à l’école tandis que ses camarades ne voulait pas d’elle pour les jeux. Elle a réussi à passer les années difficiles de l’école primaire grâce à la lecture et aux histoires lui permettant d’oublier un peu la sienne. A chaque fois que dans sa vie les choses ne vont pas si bien, elle lit un peu plus, engloutissant les livres à la vitesse de la lumière pour oublier les problèmes qui lui rongent l’esprit et sa bonne humeur. Elle la garde toujours en façade, ayant bien du mal à ne pas être enjouée face aux autres, mais à l’intérieur c’est un tourbillon. C’est sans doute perdue dans ce tourbillon qu’elle en vient à rentrer dans un homme qu’elle connaît et qu’elle a un peu laissé de côté, comme beaucoup d’autres ces dernières semaines. Avant ils se voyaient aux cours de soutien qu’ils donnaient tous les deux à l’université, discutant parfois un peu à la fin de ceux-ci, de tout et de rien, de sciences, de leur vie quotidienne, sans pour autant rentrer dans des discussions trop intimes. Polly a souvent le don pour mettre les pieds dans le plat, toujours avec une question à poser et franchissant par moment certaines limites sans s’en rendre compte. Elle lui sourit lorsque Marcus évoque ses entrées fracassantes, le genre à se prendre les pieds dans le tapis rouge et à s’étaler devant tout une foule. Heureusement qu’elle n’est pas connue sinon elle est certaine que ce genre de bourdes lui arriverait et avec les interviews, ça serait encore pire, elle lâcherait des détails intimes sans s’en rendre compte et deviendrait sûrement un mème. « Ça va. » ment-elle à moitié, toujours à cacher son mal être aux yeux des autres. Elle a toujours été comme ça, avec du mal à se confier, à ne pas dire quand ça va pas, cachant son harcèlement à l’école à sa famille. Celle-ci a bien finit par s’en rendre compte quand Polly n’allait jamais chez personne, qu’elle n’invitait personne et qu’elle voulait toujours passer ses anniversaires avec ses sœurs plutôt qu’avec ses camarades de classe. « Désolé, j’avais pas mal de choses à faire et j’ai un peu laissé tomber certaines activités. » dit-elle avec un air désolé. Toutes ses préoccupations dans sa tête lui prennent du temps, du temps qu’elle ne peut plus consacrer à certains projets, certaines choses qu’elle faisait encore il y a quelques semaines sans aucun problème. Marcus lui demanda si c’était son mémoire qui lui prenait autant de temps, étant donné qu’elle en est à sa dernière année d’étude, en toute logique, sauf si elle poursuit vers une thèse ou vers autre chose. « Oui, ça m’occupe pas mal et je sais pas, j’crois que j’ai manqué d’organisation pour tout faire ses derniers temps. » expliqua-t-elle, ses doigts se crispant légèrement autour de son gobelet. Avec la fin imminente de ses études, un stress inattendu l’a submergé, accompagné de tout un tas de questionnements dont elle ne sait pas quoi faire. « Mais je vais revenir bientôt ! » Elle se veut rassurante mais elle ne sait pas si elle remettra les pieds au cours de soutien avant la fin de son années ou non.

Il la regardait avec douceur, alors qu’il lui semblait que Polly était comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Ça va … Ça va ? C’est pas la réponse la plus enjouée que j’ai pu avoir de toi. Il ne voulait pas insister, ce n’était pas son genre d’être intrusif, mais à force il la connaissait, sans vraiment la connaître il l’avait observé, elle qui arrivait toujours, tout sourire dans la salle des profs, celle que l’on n’arrêtait pas de parler, de tout de rien, avec sa voix guillerette. Polly c’était un rayon de soleil, une tarte à la crème dont on avait envie de reprendre une part, juste pour profiter de sa présence. Alors la voir, presque mutique face à lui, ce n’était pas normal, il le sentait. Il avait un don avec les gens, Marcus, à force de les écouter se confier à lui de l’autre côté de son bar, il avait développé cette faculté à cerner les personnalités, à repérer les signes, les gestes, les mots, c’était parfois peu de choses, mais ça en disait long. Tu n’as pas à t’excuser auprès de moi Polly. Et j’aurais pu t’appeler moi aussi, je ne l’ai pas fait non plus. Il l’avouait, les fautes n’étaient pas toujours dans un seul camp. Il avait son numéro, grâce au soutien, du moins il était capable de le récupérer quand il le voulait, pourtant lui aussi s’était laissé happer par le quotidien, les cours du soir, le remplacement d’un professeur avec des cours réguliers en journée, le bar, Penny aussi, leur divorce, la vie quoi, tout simplement. Tu sais, si tu as besoin d’une méthode pour t’organiser, la mienne date un peu, mais elle fonctionnait bien à l’époque, alors n’hésite pas à demander de l’aide. Il sourit face à son ton résolu, des promesses en l’air qu’elle ne tiendrait peut-être pas. Il avisa le livre qu’elle avait dans une main. Tu as besoin de fraîcheur pour mieux lire ? Puis il releva la tête pour balayer le décore du regard. C’est beau ce qu’ils ont fait. Il le reconnaissait, même si ce n’était pas totalement à son goût. Il entendit son prénom dans son dos, c’était le serveur qui lui tendait son chocolat chaud avec supplément marshmallows. On s’installe un instant pour discuter ?

Même si Polly arrive à cacher que les choses ne sont pas au top pour elles malgré la période des fêtes qui la met toujours de bonne humeur, elle n’a pas l’âme d’une menteuse et déteste mentir aux gens, elle essaie seulement de ne pas trop en dire, de garder les choses difficiles pour elle. Elle qui est toujours si enjouée et débordante d’énergie, les jours de moins bien se repèrent pour ceux qui la connaissent. Et même si Marcus n’est pas la personne la plus proche d’elle, il la connaît, l’a déjà vu parfois débordée et quand même venir aux cours de soutien avec toute sa joie. « C’est parce que j’ai pas encore bu dans mon super chocolat chaud, j’ai besoin d’un peu de force je crois. » répond-elle en souriant, évitant un peu le sujet. La jeune femme s’excusa ensuite d’avoir déserté les cours de soutien qu’ils font souvent ensemble à l’université, ne prenant plus de nouvelles du barman par la même occasion. Elle prend souvent des nouvelles des gens, ne voulant pas délaisser les amitiés qu’elle a, même si c’est seulement un petit message de temps en temps ou une longue discussion une fois par an. Elle veut toujours tout bien en faire, quitte parfois à en faire trop et que derrière tout ne suive pas et que sa vie commence petit à petit à aller moins bien, comme des dominos qui en entraînent d’autres. « J’essaierai de passer au Elm Street bientôt, si on se revoit pas aux cours de soutien. » Elle trouvera bien du temps oui, comme toutes ces tâches pour lesquelles elle veut prendre du temps mais qui sont toujours dans sa liste des choses à faire. Elle se sent un peu coupable d’aller lire alors qu’il y a tant d’autres sujets à penser, tant d’autres problèmes à régler, même si aux yeux des autres ses problèmes semblent bien superflus. « Oui, tous les conseils sont bons à prendre ! Parfois c’est les méthodes les plus simples qui fonctionnent le mieux. » approuva-t-elle, attendant souvent cet outil miracle pour résoudre ses problèmes de manque de temps, et de stress. Elle rêve d’un retourneur de temps comme celui qu’Hermione possède durant sa troisième année à Poudlard. « J’aime bien changer un peu de lieu, même si j’aime bien lire chez moi, je voulais profiter du décor un peu, ça fait un peu l’hiver qu’on a jamais en habitant ici. » répondit la jeune femme avec un sourire avant que Marcus ne lui propose de s’asseoir pour discuter un peu. « Oh je n’ai pas envie de te déranger, tu attendais peut-être quelqu’un. » dit-elle sans vouloir s’imposer.

Elle ne lui disait pas tout, Marcus le comprit, mais il ne pouvait pas insister, après tout si Polly n’avait pas envie de parler, il n’allait pas la forcer. Mais il ne put s’empêcher de s’inquiéter pour elle de se dire qu’il faudrait qu’il prenne des nouvelles dans les prochains jours. Tu ne seras pas déçue j’en suis sûr, il a l’air bon ce chocolat. Il marchait dans son jeu, si ça pouvait la faire sourire, ce serait au moins ça de gagné. En même temps, ça lui faisait bizarre, au barman, de siroter sa tasse de chocolat en mode régressif, il était largement plus habitué à la bière ou au rhum. Tu passes quand tu veux au Elm, tu sais que tu es la bienvenue. Même si elle était une cliente bien particulière par rapport aux autres, il appréciait toujours sa présence solaire qui forçait le sourire. Tu mets le soutient un peu de côté alors ? En même temps, si elle était déjà débordée par le reste, c’était compréhensible, après tout ces cours n’étaient que du bénévolat, sur la base de leurs disponibilités. Marcus le remarquait bien, ça prenait beaucoup de temps, surtout depuis qu’il avait accepté de remplacer temporairement un de ses collègues, on ne s’improvisait pas professeur. Il hocha la tête alors que Polly acceptait son aide. Je tâcherai de retrouver mes fiches, j’ai tout gardé dans un carton. Et je te les donnerai la prochaine fois qu’on se verra. J’étais plutôt organisé et méthodique comme étudiant. En vérité il était même carrément maniaque, il avait ses rituels, chaque couleur correspondait à une tâche précise, il s’astreignait à un rythme de vie bien différent de celui qu’il menait aujourd’hui, ce n’était pas pour rien qu’il avait longtemps été qualifié de rat de laboratoire par les autres élèves. A l’époque, son job étudiant au Elm c’était sa récréation, son exutoire. C’est sûr qu’on ne risque pas d’avoir de la neige à Bowen, même avec le dérèglement climatique. Et pourtant ils étaient dans ce château démentiel, à siroter des boissons chaudes alors qu’on crevait de chaleur à l’extérieur, même si un coup de frais était agréable, même si le cadre était magnifique, Marcus ne s’y sentait pas à l’aise. Je n’attends personne, je suis juste venu faire le curieux sur mon jour de repos. Alors si ça te fait envie, tu ne me dérange pas du tout. Mais il ne voulait pas non plus la forcer, il comprenait les besoins de solitude, si elle préférait lire son livre sans être dérangée il ne s’en formaliserait pas.

Elle aurait pu en dire un peu plus à Marcus, mais elle n’osait pas. Elle osait avec personne, elle se disait qu’elle pouvait gérer tout le tourbillon qui la traverse, toute seule, comme une grande et qu’elle n’avait pas besoin de déranger les gens avec ses questionnements et ses angoisses. Polly aime aider les autres, que ce soit en maths ou pour résoudre leurs problèmes, être une oreille attentive, quoiqu’un peu bavarde, et tenter de distiller des bons conseils. Mais lorsqu’il s’agit d’elle, elle a bien plus de mal à aller vers les autres, se disant qu’elle va sûrement les déranger. Et puis si Marcus a toujours été sympa avec elle et plutôt encourageants, ils ne se connaissent pas tant que ça au final. Elle sourit à sa réponse à propos du chocolat chaud. Elle tente de se concentrer là-dessus, de penser à son futur proche qui consiste à boire un bon chocolat chaud et à lire un livre, de quoi la rendre heureuse pour un petit moment et peut-être un peu oublier ses tracas. « Merci. » Le Elm n’est pas vraiment un endroit où elle irait sans lui, parce que le lieu est assez opposé à ce qu’elle peut être et n’est pas très fréquenté par des étudiantes habillées en pastel et qui semblent balader avec un elles un soleil permanent. « Oui, un peu. J’ai dû faire quelques choix et c’était trop compliqué de continuer à venir ces derniers temps. » Pourtant elle voulait trouver du temps, mais les journées ne sont pas extensibles et avec les rendus de projets, elle ne pouvait plus se permettre de continuer ces cinquante activités extra scolaires. C’est aussi quelque chose qui la rend triste, ne pas pouvoir tenir les engagements qu’elle s’est fait. « Tu m’en veux pas trop ? » Parce que s’ils ne sont pas tous les deux et qu’il y a d’autres gens qui sont là aussi, elle se sent coupable de faire reposer un peu plus de charge sur ceux qui restent. « J’suis trop curieuse de voir tes fiches ! » dit-elle tout émerveillée devant la rigueur dont il devait faire preuve durant ses études. « Est-ce que tu organises les alcools derrière ton bar par ordre alphabétique ou tu as abandonné l’organisation maintenant ? » De son côté, elle est très organisé dans ses études mais plutôt bordélique pour le reste. Sa chambre n’est pas spécialement rangée mais c’est sa façon de s’y retrouver (c’est ce que disent tous les bordéliques). « On tend plutôt vers l’inverse...et si y’avait de la neige faudrait vraiment s’inquiéter ! » C’est un autre truc qui la panique un peu, le futur, l’avenir de la planète. Un peu plus d’anxiété sur l’anxiété, des fois qu’il en manque un peu. « Oui ça me ferait plaisir mais avec moi ça risque de plus vraiment être un jour de repos ! » plaisante-t-elle, bien consciente d’être plutôt bavarde et d’agacer parfois les gens avec toutes ses questions. Elle s’assoit donc en face de lui et boit enfin une gorgée de son chocolat chaud. « Je vais essayer de pas te prendre toute la journée quand même. »

Peut-être qu’un jour Marcus et Polly seraient suffisamment amis pour que la jeune femme arrive à s’ouvrir davantage au barman, mais ce n’était pas encore le cas et il ne lui en tenait pas rigueur. Ce qui le chagrinait le plus ce n’était pas qu’elle ne lui faisait pas assez confiance, mais qu’elle garde son mal-être pour elle. Il espérait qu’elle avait des personnes sur qui compter, à qui elle osait parler, c’était important de parler. Il avait longtemps tout gardé pour lui, né sous une étoile plus ou moins approximative, ayant perdu sa mère et son père avant même d’avoir l’occasion de poser son regard de nouveau-né sur eux, il avait toujours trainé son mal derrière lui, élevé par sa grand-mère, épaulé par son oncle et ses cousins et cousines, il n’avait pas manqué d’amour, seulement celui d’un père et d’une mère, ce socle si important pour se construire, ça ne l’avait pas aidé à partir sur des bases solides. Alors il avait toujours eu cette impression d’être de trop, de ne pas mérité qu’on s’attarde avec lui. Et sa femme n’avait pas aidé à ce qu’il prenne confiance en lui, en le quittant sans rien dire. Marcus avait longtemps eu la sensation d’être un imposteur. Et ça l’avait parfois fait souffrir, perdre pieds. Un jour il avait fini par se confier, à Joa, à Manwë ou à d’autres et il avait compris que ça ne résoudrait pas tous les problèmes, loin de là, mais qu’au bout du compte on se sentait moins seul et un peu plus léger. Il ne le montra pas mais sa réponse le chagrina, outre le fait qu’elle était douée en tutorat, il aimait sa présence à l’université, il aimait se dire qu’il pourrait la croiser dans un couloir et l’écouter parler de tout et de rien, la voir boire ses jus de fruits aux couleurs étranges dans la salle des profs, elle était un peu son soleil parmi tous ces profs qui se prenaient trop au sérieux et se regardaient de haut. Elle était différente, Polly et Marcus aimait la différence. Et plus que ça, si elle délaissait le soutient, c’était vraiment que quelque chose n’allait pas. Non, arrête, j’ai pas de raison de t’en vouloir. Tu devrais voir, y a un nouveau en spécialité web, il porte des vieux pulls avec cravate et sent les boules antimite. Il a cette manie insupportable à toujours laisser ses lunettes glisser sur son nez et les faire remonter en mettant ses doigts sur les verres. Un vrai premier de la classe. Il n’est clairement pas aussi mignon que toi ! Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres, elle allait lui manquer c’était sûr. Il lui promettait qu’il lui donnerait ses fiches à l’occasion, elle allait découvrir le Marcus ultra maniaque que peu connaissaient. Il fut gêné qu’elle arrive à lire aussi bien en lui. Par ordre alphabétique oui. Et pour certains alcools, comme les rhums, dont j’ai pas mal de variété, par année de fabrication. C’est grave tu crois ? Il rit doucement. Il tentait de faire ce qu’il pouvait pour la planète. Le réchauffement climatique le poussait à revoir sa façon de travailler, avec des producteurs locaux quand c’était possible, comme Tyler, à ne pas commander trop pour éviter les stocks dormants et les livraisons inutiles. Eviter de gâcher de l’eau ou bannir le plastique inutile. Il faisait sa part, dans sa vie personnelle aussi, c’était une des raisons qui faisaient qu’il ne voyageait jamais, il refusait de prendre l’avion. Et puis ils vivaient dans une si belle ville, dans un pays déjà si riche, à quoi bon aller voir ailleurs ? Une journée sans trier des papiers, s’occuper de la compta ou des factures, c’est déjà du repos ! Ils s’installèrent tous les deux, le barman était heureux que Polly ait accepté de l’accompagner. Il est déjà quasiment seize heures alors ça va. Tu lis quoi ? Il ne lisait plus, à une époque il avait toujours un livre dans la main, mais c’était il y a si longtemps.

Elle a toujours eu du mal à dire non Polly, elle veut toujours aider les autres alors quand on lui dit qu’il manque quelqu’un pour tel événement, telle association, telle sortie, elle répond présente même si elle doit rogner sur d’autres choses. Elle n’a pas envie de laisser tomber les gens ou que certaines choses ne puissent pas se faire parce qu’il manque seulement une personne, alors elle est là, elle s’engage dans beaucoup trop de projets et tente de ne pas se laisser dépasser. Sauf qu’à l’intérieur, l’angoisse monte et elle ne peut pas éternellement l’ignorer, faire comme si son avenir ne la préoccupait pas, comme si les cours ne lui prenaient pas plus de temps, alors elle a dû faire des choix, avant qu’il ne soit trop tard et qu’elle ne finisse en boule dans son lit à pleurer. Il y a certaines choses qu’elle ne veut pas réduire et qu’elle ne peut pas. hors de question de sécher des cours et travailler moins sur ceux-ci, elle veut réussir son année même si une fois son diplôme en poche, elle a l’impression qu’un immense bond dans l’inconnu l’attend. Elle a légèrement réduit ses horaires à la librairie mais ce travail, il lui plaît et il lui permet aussi d’avoir de l’argent pour vivre, même si ses parents continuent à l’aider, elle, la petite dernière encore aux études alors que ses sœurs, plus âgées, travaillent déjà depuis un moment déjà. Alors le tutorat fait partie de ces activités qu’elle a dû réduire, à contre-cœur, délaissant Marcus même si elle est persuadée que son absence n’est pas si importante. Il lui parle d’un nouveau qui semble être un cliché entre un vieux professeur et un nerd fan d’informatique. Elle rit à sa description et lui sourit lorsqu’il dit qu’il n’est pas aussi mignon qu’elle. Marcus il est plutôt mignon lui, avec elle. « Hey ! Les premiers de la classe sont pas tous nuls. Et il est peut-être sympa, je crois voir de qui tu veux parler mais on n’a jamais discuté. Peut-être que s’il mettait des robes arc-en-ciel tu le trouverais mignon. » répond-elle en souriant mais un peu triste de ne pas avoir pu rencontrer le nouveau, histoire de se faire son propre avis. Polly n’est pas du genre à s’arrêter à l'apparence, ce n’est pas quelque chose qui compte à ses yeux, elle préfère voir ce qu’il y a derrière. Parce qu’elle sait que les gens s’arrêtent trop souvent dessus, comme ça a été le cas lorsqu’elle était à l’école et qu’en temps que fille rousse un peu grosse, elle n’était pas dans les personnes les plus appréciées de l’école, parce que les enfants ne voyaient pas plus loin que son apparence. Pour Marcus, elle a vu au delà et elle a vu juste avec sa prédiction de classement des alcools. « Oui c’est très grave, classer des trucs j’pense que c’est le problème numéro un dans le monde. » le taquine-t-elle. « Tu sais, je suis pas mal organisée mais ma chambre, c’est un vrai bazar, j’arrive pas à la garder rangé alors que mes cours sont parfaitement organisés. Toi tu ranges tout aussi bien que ton bar ? » s’interroge-t-elle en se demandant si comme elle, sa maniaquerie dépend des domaines. Elle n’a pas envie de le déranger trop longtemps avec ses histoires de rangement et son blabla habituel mais il semble davantage apprécier sa présence que de devoir faire de l’administratif. « C’est vrai que dit comme ça, je veux bien te croire. Même si j’avoue que j’aime bien trier des trucs quand même, tu devrais me donner tes papiers à trier ! » répond-elle en riant avant de définitivement s’asseoir et déguster son chocolat chaud. « Je pourrais rester toute la nuit aussi alors fais attention à toi, ne sous estime pas mon pouvoir de tenir la jambe aux gens ! » Le lieu ne ferme pas trop tard alors elle ne pourra pas rester éternellement là à blablater, c’est déjà ça. Elle lui montre son livre avant de lui répondre. « C’est Cet hiver, une nouvelle d’une autrice que j’adore. Ca reprend les personnages d’une autre histoire qu’elle est en train d’écrire. Enfin c’est un peu compliqué parce que cette nouvelle là est sortie avant les romans principaux, mais elle se passe entre deux des tomes, mais bon je suis en train de t’embrouiller là. C’est une histoire entre deux ados qui s’aiment et c’est pendant Noël alors j’me suis dit que ça serait thématique, et c’est mignon. » Déjà qu’elle est bavarde mais si elle se lance sur Heartstopper et Alice Oseman, elle risque de l’endormir avec des monologues bien trop longs.

En décrivant le nouveau qui avait quelque peu remplacé Polly ces derniers temps, Marcus avait l’impression de se décrire lui-même, à l’époque il n’était pas du même genre que ce garçon, mais il avait cette attitude un peu coincée, un peu stricte, quand il entrait dans un labo avec sa blouse blanche toujours impeccable, ses tonnes de bouquins, ses carnets de notes griffonnés de partout et sa collection de crayons. Le surnom de rat de laboratoire qu’il s’était traîné toute ses études ne venait pas de n’importe où. Alors il se moquait gentiment de ce jeune homme, avec, au fond, une certaine affection, sûrement qu’il était gentil, mais en vérité, en ce moment, il n’avait pas vraiment le temps de sympathiser, ni même de discuter avec ses collègues habituels. Je ne dis pas que les premiers de la classe sont nuls, regarde, nous, on est cools ! Il avait réussi à lui arracher un sourire, un peu triste, mais un sourire quand-même. Je n'ai pas spécialement envie de le voir en robe arc-en-ciel. Je te laisse garder ce privilège. Il afficha un grand sourire, il n’avait jamais vu personne comme elle, Polly était solaire, pleine de couleurs qui forçaient la joie et la bonne humeur, il n’y avait que les petites filles de cinq ans qui s’habillaient de la sorte, qui rayonnaient comme ça, les adultes avaient perdu cette façon de briller et en la voyant il trouvait ça dommage, le monde avait besoin de personnes comme elle. Est-ce qu’il brillait, lui ? Est-ce qu’il avait encore cette lueur de malice, ce brin d’innocence qui subsistait ? Il n’en était pas sûr, il avait eu beau réaliser son rêve de gosse en rachetant son bar, il semblait très terre-à-terre. Peut-être que les épreuves de sa vie depuis l’enfance lui avaient trop vite fait perdre ses illusions. Polly se moquait de lui, il avait quelques manies, celles d’un homme ordonné, celles aussi d’un homme qui avait quasiment toujours vécu seul. Merde, si l’humanité court à sa perte c’est donc entièrement de ma faute, je plaide coupable ! Il enchérissait sur le même humour que la jeune femme et ça le fit rire. Disons que la question ne se pose pas tellement, je passe le plus clair de mon temps dans ce bar, je ne rentre chez moi que pour dormir, c’est à peine exagéré, alors je n’ai pas le loisir de mettre le bazar dans mon appartement. Et puis cet appartement c’était celui de sa grand-mère, elle le lui avait légué, alors il se sentait un devoir de le garder propre et rangé, par respect pour ce cadeau. Je t’embauche quand tu veux pour trier mes papiers. Il avait réussi à la faire rester et elle s’était détendue, Marcus était soulagé de la voir rire, ça ressemblait plus à Polly. C’est pas que ça me dérangerait, mais il faudra quand même que je sois en forme demain. Il la questionna sur sa lecture, évidemment, avec Polly il aurait dû s’attendre à une explication détaillée. Il sourit en l’écoutant, il ne comprenait absolument rien, mais elle avait l’air vraiment emballée. J’avoue, oui, tu m’as perdu là. Mais c’est sûr, le lieu est idéal pour rentrer dans l’histoire ! Il se demanda si elle choisissait toujours ses lectures en fonction de la saison, mais ce serait un peu exagéré sûrement.