We watch as our young hearts fade + Penelope

Depuis qu'il avait accepté d'embaucher une nouvelle serveuse, tout était devenu plus simple pour Marcus, il ne courait plus d'une commande à l'autre, il retrouvait du temps pour discuter avec ses clients ou pour faire un peu d'administratif quand Stacy était là. Il ne la laissait pas encore seule, il gardait toujours un œil sur elle parce qu'elle n'avait pas encore totalement pris ses marques dans la boutique, mais le barman notait tout de même que c'était bien plus agréable de ne pas être débordé en permanence. Ce soir, ou bien cette nuit, il devait être bien une heure du matin, il l'avait laissé partir un peu avant minuit, le service avait été assez calme, c'était prévisible, le Wojna's organisait une soirée à l'autre bout de la rue, Stacy était jeune, elle avait des amis qui l'attendaient sûrement pour faire la fête alors Marcus était capable de faire la fermeture tout seul. Il astiquait ses tables, les unes après les autres, avant de relever les chaises dessus pour mieux nettoyer le sol le lendemain matin. Quand il entendit la porte s'ouvrir. Du fond de son bar, dans l'ombre, il releva à peine la tête. Je ferme pour ce soir, désolé. Mais quand il remarqua qui se trouvait dans l'entrée, il resta quelques secondes à la fixer, Penelope. Entre, ne reste pas là. Il releva les dernières chaises avant de s'avancer vers elle puis de bifurquer vers l'arrière du comptoir. Qu'est-ce qui t'amène aussi tard ? Il n'était pas mécontent de la voir, mais assurément surpris, oui. Il n'était jamais très à l'aise, au départ, à chaque fois qu'ils se retrouvaient, depuis qu'ils avaient passé la nuit ensemble, la première fois, dans l'appartement de la blonde, quelques mois plus tôt, il était bien incapable de qualifier leur relation, il ne cherchait pas non plus à le faire. Seulement c'était toujours un peu pareil, ils se croisaient parfois par hasard et il y avait toujours cette attraction, quelques fois ils se donnaient rendez-vous et ça finissait à chaque fois de la même façon. Ils avaient enchaîné les dérapages, ces derniers mois, sans chercher à les contrôler, sans pour autant chercher à définir ce qu'ils voulaient vraiment. Ils n'avaient jamais évoqué le départ de Penny, pourtant ils avaient fait avancer les choses et, au dernières nouvelles, ils seraient bientôt d'heureux divorcés. Si tant est que ça les rende réellement heureux. Marcus laissa Penelope s'installer sur un tabouret et posa deux verres sur le comptoir. Qu'est ce que je te sers ? Pour lui ce serait un vieux rhum, il ne changeait pas ses habitudes.

La vérité c’est qu’il n’avait pas envie de penser à l’échec total qu’était leur relation, voilà. Parce que ça lui foutait les boules et la nausée, de se dire qu’ils étaient putain de beaux, ensemble, qu’il y avait cette attraction physique constante, autant que le plaisir de passer du temps juste à discuter de tout et de rien. Et que malgré ça, malgré tout ça, ça n’avait pas marché. Il ne comprenait pas, Marcus, où ça avait pu capoter. Evidemment il n’avait pas toutes les cartes en main, le pauvre, il ne savait pas pour la tromperie, même si, au fond de lui il s’en doutait peut-être un peu, il ne savait pas pourquoi elle l’avait fui, la vraie raison. Pour lui c’était simple, il n’avait jamais rêvé au mariage, à la belle maison et à la brochette de gamins, tout ça c’était pour les autres, c’était beau chez les autres, oui, mais pas forcément pour lui. Non pas que ça ne lui aurait pas plu, dans l’absolue, mais il ne courait pas après, il n’avait jamais vu en Penelope, la mère de ses gamins, ou même son épouse potentielle. Elle s’était imposée à lui, dans tout son être, dans ses entrailles, comme la femme de sa vie, qu’importe ce qu’elle ferait de lui, qu’importe ce qu’elle attendait de lui, du moment qu’elle soit heureuse avec lui, ça le rendait heureux. Elle avait voulu de ce mariage express sur la plage, elle l’avait eu. Et puis elle s’était barrée, tout simplement, comme on claque une porte. Quelque chose, un jour, avait arrêté de fonctionné, elle n’était plus heureuse avec lui, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Et ça, c’était ce qui lui avait fait le plus mal, de savoir qu’il avait échoué dans la seule chose qu’il souhaitait vraiment, qu’elle soit bien avec lui. Pourtant, dix ans plus tard elle était revenue et ils avaient recommencé, elle lui était revenue, différente, plus distante, plus mature, mais elle avait fini par retrouver le chemin de ses bras. Cette histoire de divorce il y pensait peu, il savait que ça se ferait un jour, ils avaient signé les papiers tous les deux, ça lui faisait mal, de se dire qu’un jour ils redeviendraient officiellement des étrangers l’un pour l’autre, mais il le gardait dans un coin de sa tête comme si ce n’était pas près de se produire. Et pourtant … Il sourit à sa répartie, en effet il était tôt pour lui qui pouvait allègrement fermer le Elm vers les trois, voir quatre heures du matin, là il n’était pas une heure et tout était déjà propre. Il y a une soirée au bout du la rue, tout Bowen s’est pressé là-bas. Il n’avait pas forcément d’amertume dans la voix, les rapports avaient longtemps été froids, voir même pire, entre Marcus et Percy, mais depuis quelques mois il acceptait que son concurrent soit aussi là pour gager sa vie, ce soir c’était Wojnas qui affichait complet, demain ce serait lui et c’était finalement bien comme ça. Il termina ce qu’il faisait avant de s’installer à sa place, face à Penny. Il servit alors, religieusement, le liquide ambré qu’il avait sorti de sa réserve secrète sous le bar, pas celle qu’il servait à n’importe qui, avant de pousser un verre vers la blonde. Elle n’avait pas répondu à sa question lorsqu’elle était entrée, pourtant il sentait que cette histoire de boite aux lettres n’était pas anodine. Aujourd’hui non, la semaine dernière, peut-être … Marcus n’était pas très assidu quant au relevé de courrier, ceux qui étaient réellement importants arrivaient directement au Elm, les autres, ça pouvait attendre. Il releva un sourcil en adressant un regard interrogateur à la photographe. J’aurais dû ?

Ce n’était pas réellement un problème, que le Wojna’s donne une soirée, fut une époque où l’orgueil mal placé de Marcus, concernant son bar, lui aurait fait grincer des dents, mais ils avaient plus ou moins enterré la hache de guerre avec Percy, il était temps. Ce soir il avait réellement profité que son bar soit calme pour passer du temps avec ses clients, réellement, sans courir dans tous les sens, ça avait ses avantages finalement. Et puis, alors que le Elm s’était vidé, qu’il n’attendait plus personne, il était tout disposé à accueillir son invitée surprise. Comme à chaque fois depuis plus d’un an, Penelope ne savait pas où se mettre, comment se comporter, auprès de son mari, les premières minutes ils tâtonnaient, ils étaient hésitants, maladroits, ils ne savaient pas quoi se dire, bien que ça ne durait plus aussi longtemps que les premières fois, bien qu’ils reviennent toujours, inlassablement vers l’autre, malgré la gêne. Evidemment le fait d’avoir croqué le fruit défendu, plus d’une fois, avait aidé à briser la glace. Mais en est-ce que ça avait réellement fait avancer les choses pour autant ? Rien n’était moins sûr. Il reprenait sa place de barman, alors qu’elle le questionnait sur son courrier. Marcus n’était pas le roi de la paperasse, il y était même passablement allergique, bien qu’il avait dû se soigner un peu, s’imposer une organisation, pour gérer son commerce. Mais le relevé du courrier restait compliqué pour lui, l’avantage c’est que son facteur savait généralement où le trouver lorsqu’il s’agissait de courrier urgent ou important. Sauf ce jour-là, semblerait-il. Puisque Penny lui apprenait, sans détour, qu’ils étaient divorcés, officiellement. Il hésita une seconde, une fraction de seconde, assez pour encaisser la nouvelle, ce petit uppercut dans son visage. Avant de lever son verre à son tour, un peu comme un robot, pour venir trinquer avec sa désormais ex-femme. Tu es venu fêter ça alors ? Il ne savait pas comment réagir, évidemment ça devait arriver, il le savait, ils avaient tous les deux signé pour ça, mais la procédure avait traîné, ils avaient retrouvé le chemin des lèvres de l’autre, il l’aimait encore, il le savait. Pourtant ça devait arriver, il en était conscient. Il avala son verre d’une traite, mauvaise habitude, quand il avait quelque chose à encaisser, il ne profitait même plus des arômes de son vieux rhum. Il fixa Penelope avec une flamme indescriptible dans le regard. Ca fait quoi d’être officiellement célibataire ? La question était idiote, presque moqueuse, puisque l’un comme l’autre se comportaient comme tel depuis des années déjà.

Ce n'aurait pas dû être si difficile à encaisser, après tout, il vivait en célibataire depuis des années, il avait plusieurs fois partagé les draps d'autres femmes, parce que, même s'il aimait toujours son épouse, il ne s'imposait aucun régime monacal. Il n'avait jamais été coureur, Marcus, un poil charmeur, peut-être, mais finalement, en dix ans, il avait peu profité de son statu d'homme seul quand on regardait en arrière. Et quand Penelope avait fait son grand retour, lui demandant sans détour de divorcer, il avait accepté cette requête, dans une douleur silencieuse, résignée, une décennie, ça éloignait forcément. Ils avaient signé les papiers, écouté les tenants et les aboutissants de cette démarche au terme de laquelle ils ne seraient plus mari et femme. Il n'y avait pas de Dieu qui tienne, aucun serment sacré, puisqu'ils n'y croyaient pas, à l'époque ils ne croyaient qu'en l'amour, mais celui-ci s'était visiblement essoufflé au bout de quatre petits mois. Pourtant c'était difficile, c'était concret à présent, leur mariage était un naufrage, il n'y avait plus rien à sauver. Et si pour lui c'était visiblement difficile, pour Penny ça semblait presque une broutille, une page qui se tournait, évidemment il ne savait pas que ce matin elle avait été, elle aussi, dans un sale état. La voir aussi fraîche, aussi imperturbable et aussi diablement belle, face à lui ce soir, ça le rendait amer. Tout se fête, c'est un soulagement, j'imagine. Il pouvait être con, oui, ça lui arrivait. Et pour ponctuer le tout, il avala son verre sans grimacer, la réflexion de la blonde et son regard médusé lui arrachèrent même un sourire. Il m'en faudrait quelques-uns de plus, j'ai de l'entrainement. Elle ne savait pas, que depuis son départ, la bouteille était devenue son doux poison. Elle en répondit pas à sa question, il resta à la dévisager sans savoir ce qu'il attendait réellement comme réaction. Il se resservit un verre, réfléchissant  sa réponse, la meilleure à lui donner. Ca m'donne envie de vider la bouteille. Tu m'aides ?

A présent ils étaient libres. Penelope n'avait pas attendu l'officialisation du divorce pour l'être, elle était même à l'origine du naufrage. Mais Marcus, lui, le devenait, il s'en rendrait compte sûrement plus tard, qu'il n'avait plus de chaines, il ne lui devait plus rien. C'était idiot, cela faisait des années qu'il n'était plus redevable de rien, elle était partie, elle l'avait laissé seul à son désarroi, mais lui, en homme fidèle, comme si c'était marqué dans sa chair, il s'était toujours senti lié à elle. Il le serait toujours, quelque part, parce qu'elle resterait toujours sa faiblesse, ça il en avait fait son fardeau. Mais peu à peu, le poids de l'absence, des silences et du manque pèserait un peu moins lourd, une page se tournait. Pour l'heure il était maussade, fatigué de sa journée et cette nouvelle c'était comme une chape de plomb qui lui tombait dessus. Alors il attaquait, il se montrait piquant, mais Penny ne releva pas, heureusement, parce qu'il n'était pas d'humeur à se chamailler. Au regard de ce qu'il avait appris quelques temps plus tôt grâce à Manwë, si le ton était monté, il aurait pu être méchant envers elle. Mais il n'avait pas envie de se battre, pas encore, un jour peut-être, quoi que. Finalement, qu'elle se soit toujours joué de lui, qu'elle ait fait de lui le cocu le plus naïf de la ville, est-ce que ça avait une importance ? Peut-être, sûrement ... seulement elle revenait toujours à lui, c'était finalement la seule chose qui comptait, c'était le plu délicieux des supplice. Il l'observa du coin de l'œil tout en la resservant alors qu'elle évoquait son père. En faisant tourner le poison dans son verre il dit que ce serait du gâchis. Il est fait pour les peines de cœur celui-là, ton père mériterait mieux que le fait de te mettre minable. Il avala une gorgée, la dégusta, pris le temps d'en apprécier les arômes, même s'il les connaissait par cœur, il faisait durer le plaisir, retardait le moment de vider le verre, même s'il en crevait d'en vie, comme pour noyer sa peine, il retardait l'échéance. Il a une quinzaine d'années. A peu près autant que la première fois qu'il avait croisé son regard, dans ce même bar, même lieu même place. Qu'aurait été sa vie s'il ne l'avait pas rencontré ? Qu'est ce que tu fais là Penny ? Avec moi j'veux dire, ce soir ? Tu pourrais être n'importe où pour fêter ça ... pourquoi tu reviens toujours à moi ? Pourquoi leur infligeait-elle ça ? Et pourquoi, alors que son coeur saignait, alors qu'il avait l'envie et toutes les raisons du monde de la haïr, avait-il tellement envie de l'assoir sur ce bar et de caresser sa peau ? Qui, finalement, était le plus tordu des deux à s'obstiner dans cette relation qui les rongeait ?

Un sourire amer vient étirer les lèvres de Penelope. La mort prochaine de son père sera une peine de coeur, littéralement. Un crève-coeur. Joaquim et elle mettront probablement des années pour s'en remettre, quand bien même ils auront déjà commencé leur deuil bien avant sa disparition. "Ca va, quinze ans. Je m'attendais à plus." Penelope est loin d'être comme Marcus, elle n'a pas une consommation très fréquente de ce genre de boissons. En général, elle préfère le vin. Bien plus léger, mais qui monte plus vite à la tête pour peu qu'on ait trop peu mangé avant. "On pourrait l'appeler le Marclope..." fait-elle remarquer, non sans un sourire amusé. Ce rhum a plus ou moins été produit en même temps que les débuts de leur relation, fait relativement notable sachant que ce qui les unissait jusqu'alors a été rompu administrativement parlant.
Un silence s'installe, silence durant lequel Penelope toise son verre, pensive, si bien qu'elle manque de sursauter lorsque Marcus le rompt avec des questions qui donnent la nausée à la blonde. Ou peut-être est-ce le rhum. "J'en sais rien Marcus." Haussement d'épaules accompagné d'une gorgée d'alcool. Nouvelle grimace. "Y'a rien à fêter." Penelope manque d'ajouter que ce désastre est loin d'être une fête, et que les années qu'elle a prises à Marcus ne pourront jamais lui être rendues. "Je reviens toujours à toi parce que c'est ce que je sais le mieux faire... Retourner vers ce que je connais bien, et vers ce qui me rassure." Marcus a été d'un tel soutien cet été que Penelope a presque douté de ses sentiments envers lui. Si le divorce n'avait pas été déjà entamé, elle y aurait probablement encore réfléchi. L'issue aurait été la même, certes, mais elle serait peut-être arrivée un peu plus tard. "J'ai pas demandé le divorce parce que je ne t'aimais plus."

Spoiler:

Evidemment qu'elle aurait le cœur brisé lorsque son paternel passerait l'arme à gauche, c'était évident. Marcus l'avait vu sombrer dans une profonde tristesse ces derniers mois, chaque visite à l'hôpital la plombait davantage, mais elle ne pouvait pas se défiler, il en était conscient. C'était sûrement cette raison qui l'avait poussé à prendre soin d'elle depuis l'été, à être présent par de petites attentions, à rester des heures durant sur un banc à écouter le silence ou sa voix, quand elle réussissait à parler. Ils s'étaient rapprochés avec le drame qu'elle vivait, il avait trouvé un sens au retour de cette femme dans sa vie, elle avait besoin d'une épaule, de la sienne et il la lui avait offerte. Mais il refuserait de la voir se détruire à coup de rhum, lui était accro, lui ne pouvait vivre sans boisson, ce n'était pas bien reluisant, il ne souhaitait pas le même destin pour Penelope. Les trop vieux rhum ne sont pas forcément les meilleurs, c'est une question d'équilibre. Il laissa échapper un rire étouffé par le verre qu'il portait à ses lèvres, Marclope, c'était tristement drôle, mais pas très vendeur.  Pas sûr qu'il fasse recette. Comme eux, en somme.
Le silence qui s'installa entre eux n'était ni pesant ni gênant, ils n'avaient jamais eu peur de ne rien dire. Mais ce soir il y avait trop de choses qui se bousculaient dans la tête d'O'Brian pour qu'il reste mutique. L'annonce de leur divorce le rendait maussade, revêche même. Il n'y avait aucune bonne réponse à donner à une question pareil, tout ce qu'elle pourrait lui dire serait mal interprété. Il la fixa alors avant de détourner le regard pour chercher un paquet de clopes derrière le bar, il fumait rarement dans le Elm, parce qu'il savait qu'il faudrait un moment pour se débarrasser de l'odeur, normalement il sortait dehors, mais là l'envie était trop forte. C'est ça que je suis alors ? Rassurant ? En d'autres circonstances ç'aurait été un compliment, mais là il le prenait différemment, comme si c'était juste facile de toujours revenir à lui parce qu'elle savait qu'il lui ouvrirait toujours ses bras, comme s'il était trop prévisible. Et c'était vrai, en soi. Mais parfois il aurait envie d'être plus que ça, il avait envie qu'elle vibre, que ce soit passionnel, que ce soit volcanique, il avait envie d'être cet homme mystérieux, un peu bourru, tout ce qu'il n'était pas, tout ce qu'il n'avait jamais été. C'était bien pour ça qu'elle était partie, parce qu'un rat de laboratoire ça ne filait pas assez de frissons pour vous donner envie de rester. Non, tu l'as demandé parce que tu t'emmerdais avec moi. Qu'il rétorqua un peu trop vivement alors que les mots qu'il pensait trop fort s'échappaient d'eux-mêmes. A ce moment-là, l'aveu qu'elle l'aimait toujours passait au second plan.

Spoiler:

Marcus c’était le garçon toujours positif, toujours souriant, à balancer des blagues ou des mots sympas à tout va. Il était rare de le voir en colère ou même agacé, non pas qu’il ne le soit jamais, il était humain après tout, mais il avait un naturel assez facile et lorsque ça n’allait pas il partait du principe qu’il n’avait pas à le faire partager à tout le monde, ses états d’âme, il les laissait à la porte une fois qu’il entrait dans son bar. Seulement ce soir il était tard, il était fatigué. Peut-être simplement qu’il n’en pouvait plus de jouer la comédie de l’homme sur qui tout glisse alors qu’il avait en face de lui la femme qu’il aimait le plus au monde et en même temps celle qui lui avait fait le plus de mal. Peut-être que cette nouvelle qu’elle venait lui apporter c’était le coup de trop qui faisait se fissurer le masque. Il comprenait que Penny soit surprise, après tout il n’avait encore jamais bronché, jamais rien réclamé, pas d’explications, pas d’excuses et ce soir il semblait ronger son frein. Elle tentait d’arrondir les angles, de donner un joli rôle à son ex-mari, celui de celui qui apaise, qui rend le quotidien plus doux. Un autre soir il aurait souri, attendrit, parce qu’il aimait être cette personne-là. Mais quelque part il était conscient que ça n’avait pas suffi, qu’il lui en fallait plus, à Penelope, qu’un homme tendre. Il avait changé avec le temps, le départ de la blonde l’avait ébranlé, cet abandon de trop l’avait bousculé et endurci. Il était toujours cet homme cool et facile à aborder, mais il y avait cette faille à présent, ce trou béant qu’elle avait creusé et qu’il avait entretenu à coup d’alcool et de ressentiment. En presque dix ans il avait eu le temps de se refaire l’histoire, de la rendre plus belle ou plus sombre, de donner le bon rôle à Penny, ou le pire, ça dépendait des soirs, ça dépendait de son humeur. Il avait tiré un trait sur l’amour, pour se protéger, sans savoir qu’il ne pourrait jamais totalement l’oublier. Et ce constat, à son retour, l’avait mis face à une triste réalité, il se voulait fort, résistant à toute épreuve, il se voulait endurci par son départ, mais il restait toujours le même, ce pauvre fou qui n’attendait qu’un signe de sa part. Ce soir il pourrait bien montrer un visage moins enjôleur, peut-être allaient-ils se disputer, mais ça ne changerait pas le fond de ses sentiments et se savoir si faible face à elle lui était, à ce moment-là, insupportable. Probablement qu’elle aurait dû fuir oui, quitter le Elm et laisser Marcus gérer seul cette soudaine colère. Il fut surpris par son aveu. Haussant un sourcil, il la laissa continuer, tout en se resservant un énième verre, à ce stade on ne comptait plus, il ne dit rien, parce qu’il avait déjà compris, que le mariage avait tout changé. Pourtant il failli presque s’étouffer avec sa gorgée en entendant le mot libre. C’est toi qui t’es sentie prisonnière, en soi ce n’était qu’une stupide bague à nos doigts et un papier signé ! On n’avait même pas fait de contrat. Ca ne changeait rien qu’on soit marié… Il ne se sentait pas l’envie de partir en croisade, ça ne changerait rien. Elle s’excusait toujours, d’être partie, oui, mais sans donner de raison. Il la fusilla du regard, c’était sa douleur qui parlait, finalement lui aussi se protégeait à ce moment-là, pourtant au fond de lui ce qu’il retenait c’est qu’elle avait eu peur, outre son égoïsme d’avoir tout laissé derrière elle, Penny avait eu peur et ce n’était pas vers lui qu’elle s’était réfugié. Te protéger de quoi Penny à la fin ? De quoi t’avais tellement peur ? De qui ? Si j’étais tellement rassurant, si je t’apaisais pourquoi t’as fui ? Il serait temps que tu me dises la vérité, non ? Le barman sentait bien qu’il y avait autre chose, au-delà de la tromperie il ignorait la vraie raison de son départ.

Il y avait eu la colère, elle l’avait pris par surprise et était montée, si vite, si violente, telle une vague brulante à l’intérieur de lui. Marcus ne connaissait pas bien ce sentiment, il l’avait rarement ressenti, entendons-nous, une vraie colère, pas juste celle provoquée par un automobiliste qui conduisait mal ou par un fournisseur qui l’emmerdait ou encore par un client qui foutait le bordel dans son bar. Non, une colère telle qu’il ne se contrôlait plus, ni ses gestes, ni ses tiques nerveux, ni ses paroles. Et encore moins son envie de boire. Elle était vive et douloureuse, cette colère-là, elle montait tellement vite, puis elle redescendait tout aussi rapidement, une fois l’orage passé, pour le laisser vide, épuisé. Les seules fois qu’il l’avait ressenti, en vérité, c’était à cause de Penelope. Ce soir elle avait ressurgi, présentant à la blonde le visage d’un homme qui lui était parfaitement étranger, qui pourrait lui faire peur. Il n’était pas question d’être violent, pas physiquement en tout cas, il n’était pas de ce genre, mais lui, l’homme réfléchi, l’homme doux, qui tentait toujours de voir le positif, il révélait une part de lui bien plus amer, acerbe également. Il voulait la faire réagir, ressortir le peu d’humanité qu’elle retenait derrière son masque froid, il décidait enfin qu’il en avait assez de son silence et des secrets qui allaient avec. A présent ils ne se devaient plus rien, ils n’étaient plus attachés l’un à l’autre, il ne manquait plus que ça, pour qu’il espère se sentir plus léger. Au départ il ne savait pas tellement quoi attendre de ce soudain élan de bravoure, peut-être juste qu’il cherchait à comprendre pourquoi elle était allée voir ailleurs. Et au fur et à mesure, en comprenant qu’il y avait autre chose que la tromperie, il ne pouvait plus revenir en arrière, il devait savoir, arracher le pansement, même si ça devait faire affreusement mal. Sauf que la colère était retombée, il ne ressentait à présent qu’une lassitude profonde. Pourtant il avait piqué Penelope et ce fut son tour de ne plus se contrôler, il en sursauta presque, de la voir s’agiter, elle non plus, ce n’était pas son genre de s’énerver. Elle lui parla enfin de cet autre, mais il n’était pas surpris, ça il le savait déjà, pourtant ce fut douloureux de l’entendre de sa bouche à elle, ça rendait la tromperie réelle, il sentit rabaissé. Néanmoins la seconde partie le laissa hagard, comme s’il venait de recevoir un coup de poing, elle était tombée enceinte. Voilà la vraie raison de son départ, il comprenait enfin tout. C’était affreux, terrible, il n’avait jamais envisagé cette option-là. Et alors que Penny fixait le sol, tout sauf le regarder, alors que tout son corps était parcouru de sanglots, il n’eut plus la force de se battre. T’as … tu l’as … enfin j’veux dire … ? Les mots n’arrivaient pas à sortir. Marcus ne s’était jamais imaginé père, il n’avait jamais voulu d’enfant, du moins l’idée ne lui avait pas traversé l’esprit, même après le mariage, il s’estimait encore trop jeune, ce n’était pas dans ses plans. Et depuis, dix ans plus tard il n’en ressentait aucun manque, la paternité ce n’était pas pour lui, tout simplement. Finalement il sen foutait de sa réponse, il se doutait bien de ce qu’elle avait dû faire, la seule chose qui lui venait en tête c’est qu’elle s’était retrouvée seule pour affronter tout ça et ça le rendait affreusement mal. Il s’approcha alors de son ex qui faisait tout pour ne pas affronter son regard et il la serra contre lui. Il était bien incapable de parler, de la réconforter, il ne pouvait pas lui dire que tout irait bien, qu’il pardonnait, parce que ce serait faux, mais il lui offrait sa chaleur et sa présence parce que ça le foutait en l’air de la voir aussi malheureuse. Jamais il n’aurait pensé et à présent il savait, qu’elle portait ce fardeau sur ses épaules depuis trop longtemps.